Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1818/2013

ATA/335/2014 du 13.05.2014 ( AMENAG ) , REJETE

Descripteurs : DROIT FONCIER RURAL ; EXPLOITANT À TITRE PERSONNEL ; ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ ; JUSTE MOTIF ; CIRCONSTANCES
Normes : LDTR.64.al1
Résumé : Confirmation d'une décision de la commission foncière agricole refusant l'autorisation d'acquérir un terrain agricole aux enchères. Le terrain appartenait à l'ex-mari de la requérante qui l'avait obtenu suite à une offre publique d'achat demeurée sans suite. Bien-fonds antérieurement rattaché à celui sur lequel est construite la villa de la requérante. Le terrain agricole est loué au même exploitant depuis treize ans. Ce dernier souhaiterait continuer cette exploitation. Examen de la clause générale de justes motifs. Les circonstances du cas ne permettent pas d'admettre de justes motifs.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1818/2013-AMENAG ATA/335/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 mai 2014

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Philippe de Boccard, avocat

contre

COMMISSION FONCIèRE AGRICOLE



EN FAIT

1) La parcelle no 1______ du cadastre de la commune de B______, d’une surface de 20'457 m2, est sise en zone agricole. Jusqu’au 20 avril 2000, ce bien-fonds formait avec la parcelle no 2______ de 1'763 m2 la parcelle no 3______.

La parcelle no 2______, sur laquelle est érigée une villa, est également sise en zone agricole et était propriété, jusqu’en 2003, des époux C______. Elle a été soustraite du champ d’application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR ; RS 211.412.11), n’étant plus appropriée à l’agriculture, par décision de la Commission foncière agricole (ci-après : la CFA) du 18 février 2000.

2) Par acte du 20 février 2003, Mme et M. A______ ont acquis, en copropriété, la parcelle no 2______.

Le même jour, M. A______ a acquis la parcelle no 1______ pour un montant de CHF 163'656.- suite à l’autorisation de la CFA, délivrée le
5 novembre 2002, indiquant que les offres publiques d’achat ayant été faites en février 2002, par M. et Mme D______ n’avaient pu être finalisées, ceux-ci s’étant désistés et qu’aucun exploitant à titre personnel n’avait fait d’offre d’achat.

3) a. Suite à des poursuites dont a fait l’objet M. A______, sa part de copropriété de la parcelle no 2______ a été vendue aux enchères par l’office des poursuites le ______ 2012 à Mme A______.

b. Le terrain agricole, parcelle no 1______, a été adjugé aux enchères à Mme A______ le ______ 2013, pour la somme de CHF 116'472,85.

4) N’étant pas exploitante agricole à titre personnel, Mme A______ a saisi la CFA le 22 mars 2013 d’une requête en autorisation d’acquérir la parcelle n1______. Elle était très attachée à cette parcelle dont elle avait également financé l’acquisition selon attestation d’un notaire indiquant la provenance des montants correspondants à l’achat des deux parcelles. Les parcelles nos 2______ et 1______ formaient un tout. Les anciens propriétaires avaient fait construire une pompe ainsi qu’une canalisation traversant le terrain agricole pour remédier aux problèmes d’infiltration d’eau dans la cave de la villa. Cette acquisition permettrait à M. E______ qui cultivait la parcelle depuis treize ans de renforcer sa position. Ce terrain était dans le patrimoine de la famille de l’épouse de M. E______ depuis 1875, celle-ci étant la nièce de Mme C______. Une attestation du 21 mars 2013 établie par M. E______ était notamment jointe à la requête.

5) Par décision du 23 avril 2013, la CFA a rejeté la requête en autorisation d’acquérir.

Seules deux personnes avaient enchéri, Mme A______ et M. F______, misant à titre d’exploitant agricole. Mme  A______ ne détenait pas de juste motif au sens de l’art. 64 LDFR pour acquérir la parcelle. Elle n’était pas créancier gagiste et cette acquisition ne servait pas à maintenir l’affermage d’une entreprise affermée depuis longtemps, ni à améliorer les structures d’une entreprise affermée. Au vu du but de protection de la LDFR, l’attachement de Mme A______ à cette parcelle n’était pas un motif suffisant pour délivrer une autorisation d’acquérir.

6) Le 7 juin 2013, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le refus de la CFA de délivrer l’autorisation d’acquisition, reçu le 8 mai 2013, en concluant à son annulation et à l’octroi de l’autorisation d’acquérir la parcelle n1______. Subsidiairement, elle concluait au renvoi de la cause à la CFA pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

La décision de la CFA n’était pas suffisamment motivée, notamment s’agissant des deux justes motifs d’acquisition invoqués par Mme A______. Le premier concernait l’attachement à la parcelle du fait de son acquisition faite conjointement avec celle contenant la villa. Bien qu’elle ait participé financièrement à l’achat de la parcelle no 1______, elle n’avait pu être inscrite au registre foncier en tant que propriétaire de la parcelle no 1______ car elle n’était pas encore en possession d’un permis d’établissement. Elle était aujourd’hui séparée de son mari et une procédure de divorce était en cours. Depuis dix ans, elle vivait dans la villa située sur la parcelle voisine qui de tout temps formait une unité avec celle qu’elle souhaitait acquérir. Le deuxième juste motif était relatif à l’histoire familiale de M. E______, le fait qu’il était exploitant agricole depuis le 27 juillet 1984 et la nécessité, pour lui, de pouvoir continuer à la cultiver comme il le faisait depuis treize ans, ne disposant pas de suffisamment de surface agricole dans son exploitation. L’exploitation agricole de M. E______ était situé à côté de la parcelle agricole juste de l’autre côté de la frontière. L’accès à la parcelle se faisait d’ailleurs par la France. Un bail à ferme avait été conclu entre M. A______ et M. E______ qui ne disposait pas des ressources financières nécessaires à l’acquisition de la parcelle. Elle avait également signé un bail à ferme avec M. E______ dont le fils, en formation, souhaitait reprendre l’exploitation agricole par la suite.

De plus, son époux avait pu acquérir le terrain. Elle-même en était virtuellement copropriétaire et l’égalité de traitement justifiait qu’elle puisse l’acquérir aujourd’hui.

7) Le 28 août 2013, la CFA s’est déterminée en persistant dans sa décision.

Ni M. E______, ni M. F______ n’étaient exploitants agricoles à plein temps.

Concernant le premier motif invoqué par la recourante, l’attachement de cette dernière à la parcelle n’était pas un juste motif d’acquisition au sens de l’art. 64 LDFR. Concernant le deuxième motif relatif à la nécessité pour M.  E______ de pouvoir cultiver la parcelle, ce dernier n’était pas l’acquéreur et la loi ne prévoyait pas que dans de tels cas, une personne puisse acquérir pour le compte de tiers.

L’époux de la recourante avait pu acquérir le terrain suite à une vente par appel public d’offre lors de laquelle les acquéreurs s’étaient désistés et, la CFA avait alors considéré qu’il n’y avait pas lieu de procéder à de nouvelles offres publiques d’achat.

Les autres arguments invoqués n’étaient pas pertinents. Si M. E______ et son épouse n’avaient plus la jouissance de la parcelle, c’était en raison du fait que Mme C______ l’avait vendue et non en raison du refus de la commission.

S’agissant de la canalisation servant à évacuer l’eau de la villa qui passait par le terrain agricole, une servitude de canalisation pouvait être crée.

8) Le 29 août 2013, Mme A______ a été invitée à déposer des observations. Elle y ayant renoncé, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 88 al. 1 LDFR ; art. 13 de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 16 décembre 1993 - LaLDFR - M 1 10).

2) La recourante estime que la CFA a manqué à son obligation de motiver sa décision.

a. La jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droits constitutionnels a notamment déduit du droit d'être entendu le droit d'obtenir une décision motivée. L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 137 II 266 consid. 3.2 p. 270 ; 136 I 229 consid. 5.2 p. 236 ; 134 I 83 consid. 4.1 p. 88 et les arrêts cités ; Arrêts du Tribunal fédéral 2D_2/2012 du 19 avril 2012 consid. 3.1 ; 2C_455/2011 du 5 avril 2012 consid 4.3 ; 2D_36/2011 du 15 novembre 2011 consid. 2.1 ; 1C_424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 521 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 136 I 184 consid. 2.2.1 p. 188 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_997/2011 du 3 avril 2012 consid. 3 ; 1C_311/2010 du 7 octobre 2010 consid. 3.1 ; 9C_831/2009 du 12 août 2010 et arrêts cités ; ATA/268/2012 du
8 mai 2012).

b. Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle mais annulable (ATF 136 V 117 ; 133 III 235 consid. 5.3 p. 250 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3 ; 1C_568/2011 du
13 février 2012 consid. 3 ; ATA/304/2013 du 14 mai 2013 consid. 4; ATA/862/2010 du 7 décembre 2010 consid 2 et arrêts cités). La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197 s. ; 133 I 201 consid. 2.2 p. 204 ; 132 V 387 consid. 5.1 p. 390 ; 129 I 129 consid. 2.2.3 p. 135 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_306/2012 du 18 juillet 2012 ; 1C_572/2011 du 3 avril 2012 consid. 2.1 et références citées ; 1C_161/2010 du 21 octobre 2010 consid. 2.1 ; 8C_104/2010 du 29 septembre 2010 consid. 3.2 ; 5A_150/2010 du 20 mai 2010 consid. 4.3 ; 1C_104/2010 du 29 avril 2010 consid. 2 ; ATA/304/2013 du 14 mai 2013; ATA/192/2012 du 3 avril 2012 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, ch. 2.2.7.4 p. 322 et 2.3.3.1 p. 362 ;
Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 516 s, n. 1553 s). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72 et la jurisprudence citée ; Arrêts du Tribunal fédéral précités) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 133 I 201 consid. 2.2
p. 204 ; ATA/197/2013 du 26 mars 2013). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/304/2013 précité; ATA/301/2012 précité).

c. La chambre de céans a déjà reconnu, dans le cadre de l’acquisition d’une parcelle soumise à la LDFR par la voie de la réalisation forcée, qu’elle disposait du même pouvoir d’examen que la CFA (ATA/744/2011 du 6 décembre 2011 ; ATA/123/2005 du 8 mars 2005).

En l’espèce, la décision de la CFA est brève mais permet de comprendre que les justes motifs invoqués par la requérante n’ont pas été retenus. La recourante a pu recourir contre la décision en connaissance de cause et faire valoir ses arguments dans la présente procédure. En conséquence, son droit d’être entendue n’a pas été violé, de sorte que le grief qui en est tiré sera écarté.

3) La recourante fait grief à la CFA d’avoir méconnu l’art. 64 al. 1 LDFR prévoyant que l’autorisation d’acquérir un immeuble agricole est accordée à l’acquéreur qui n’est pas exploitant à titre personnel, si celui-ci peut se prévaloir d’un juste motif.

4) Selon son art. 1er al. 1, la LDFR a pour but d'encourager la propriété foncière rurale et en particulier de maintenir des entreprises familiales comme fondement d’une population paysanne forte et d’une agriculture productive, orientée vers une exploitation durable du sol, ainsi que d’améliorer les structures (let. a) ; de renforcer la position de l’exploitant à titre personnel, y compris celle du fermier en cas d’acquisition d’entreprises et d’immeubles agricoles (let. b), et de lutter contre les prix surfaits des terrains agricoles (let. c). Elle s'applique notamment aux immeubles agricoles isolés, ainsi qu'à ceux faisant partie d'une entreprise agricole, situés en dehors de la zone à bâtir (art. 2 al. 1 let. a LDFR ; Arrêt du Tribunal fédéral 5A.22/2003 du 11 mars 2004). Elle tend, dans cette mesure, à exclure du marché foncier tous ceux qui cherchent à acquérir les entreprises et les immeubles agricoles principalement à titre de placement de capitaux ou dans un but de spéculation (Arrêt du Tribunal fédéral 5A.20/2004 du 2 novembre 2004 et les références citées ; ATA/290/2009 du 16 juin 2009).

5) a. L'acquisition d'un immeuble agricole est soumise à autorisation (art. 61 LDFR). L’objectif d’une telle procédure est de garantir que le transfert de propriété correspond aux objectifs du droit foncier rural (Beat STALDER, in Le droit foncier rural, commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du
4 octobre 1991, 1998, Remarques préalables aux art. 61-69, p. 568 ch. 8) mais non pas de créer un monopole d’acquisition pour les exploitants à titre personnel (ATF 122 III 287 consid. 3b).

b. L’autorisation doit en principe être refusée lorsque l’acquéreur n’est pas exploitant à titre personnel (art. 63 al. 1 let. a LDFR). Elle est néanmoins accordée si ce dernier prouve l’existence d’un juste motif au sens de l’art. 64 al. 1 LDFR, c’est notamment le cas lorsque l’acquisition sert à maintenir l’affermage d’une entreprise affermée en totalité depuis longtemps, à améliorer les structures d’une entreprise affermée ou à créer ou à maintenir un centre de recherches ou un établissement scolaire (art. 64 al. 1 let a LDFR) ; ou lorsque l’acquisition permet de conserver un site, une construction ou une installation d’intérêt historique digne de protection, ou un objet relevant de la protection de la nature (art. 64 al. 1 let. e LDFR ou encore, lorsque malgré une offre publique à un prix qui ne soit pas surfait, aucune demande n’a été faite par un exploitant à titre personnel (art. 64 al. 1 let. f LDFR).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’art. 64 al. 1 LDFR contient, d’une part, aux lettres a à g un catalogue non exhaustif d’exceptions au principe de l’exploitation à titre personnel et, d’autre part, une clause générale de justes motifs pouvant fonder l’octroi d’une autorisation (ATF 133 III 562 consid. 4.4.2). L’art. 64 al. 2 LDFR ajoute que l’autorisation peut être assortie de charges. L’exploitation à titre personnel n’est pas une condition absolue pour obtenir l’autorisation. Il est possible, pour des motifs importants, d’être autorisé à acquérir en dépit de l’absence d’une telle condition (Yves DONZALLAZ, Commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991, Sion 1993, ad art. 64 p. 163 ch. 576).

c. Lorsque la clause générale des justes motifs est invoquée dans un cas particulier, il faut, compte tenu de l’ensemble des circonstances, procéder à une pesée des intérêts entre ceux des parties au contrat à la réalisation de l’acquisition par quelqu’un qui n’exploite pas à titre personnel d’une part, et l’intérêt public à la sauvegarde du principe de l’exploitation à titre personnel dans le cas concret, d’autre part. Si l’intérêt privé est prédominant, l’autorisation exceptionnelle doit être accordée ; dans le cas contraire, elle doit être refusée (Christoph BANDLI/ Beat STALDER, in Le droit foncier rural, commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991, 1998, ad art. 64 p. 618-619 ch. 4). « L’autorité ne saurait, par une pratique extensive de la clause dérogatoire, vider la norme générale de son sens. A l’inverse, elle ne saurait poser des conditions excessives pour faire application de la clause dérogatoire. Si les justes motifs existent, l’administré a droit à la délivrance de l’autorisation exceptionnelle » (Yves DONZALLAZ, op. cit., ad art. 64 p. 164 ch. 577 ; ATA/20/2012 du 10 janvier 2012).

Les justes motifs sont une notion juridique indéterminée, qui doit être concrétisée en tenant compte des circonstances du cas particulier et des objectifs de politique agricole du droit foncier rural. Le juste motif doit être réalisé dans la personne de l’acquéreur ou dans les circonstances objectives du cas d'espèce, notamment toute circonstance étroitement liée à l’immeuble agricole en cause. L’acquéreur doit prouver les motifs pour lesquels, bien que n’étant pas exploitant à titre personnel, il doit pouvoir acquérir une entreprise ou un immeuble agricole (Christoph BANDLI/Beat STALDER, op. cit., ad art. 64 p. 619 ch. 5-6). Le but de politique agricole de la LDFR n'est pas simplement de maintenir le statu quo, mais de renforcer la position des exploitants à titre personnel et de privilégier l'attribution des immeubles à de tels exploitants lors de chaque transfert de propriété de ceux-ci, c'est-à-dire de réellement promouvoir le principe de l'exploitation à titre personnel. Seul celui qui peut démontrer matériellement un juste motif à se voir attribuer des terres agricoles alors qu'il n'est pas exploitant à titre personnel peut ainsi obtenir une dérogation (ATF 133 III 562 consid. 4.4.2 ; ATA/20/2012 précité).

En tous les cas, le juste motif doit être celui qui ne porte pas atteinte aux buts poursuivis par la loi. Des motifs de nature économique et de convenance personnelle ne sauraient, dans l’esprit de la LDFR, être considérés comme de justes motifs permettant l’octroi d’une autorisation exceptionnelle (Yves DONZALLAZ, op. cit., ad art. 64 p. 192-193 ch. 497-498 et les références citées).

d. Selon le Tribunal fédéral, la possibilité de mettre les biens-fonds en bail à ferme agricole au bénéfice d’un tiers exploitant à titre personnel ne permet pas de justifier une dérogation au principe de l’exploitant à titre personnel. Le Tribunal fédéral précise encore que le fait que le propriétaire actuel n’ait plus exploité lui-même le bien-fonds, ne justifie pas une exception en faveur de tout exploitant à titre non personnel, pas davantage que le fait qu’un exploitant à titre non personnel veuille donner le bien-fonds à ferme à un exploitant à titre personnel (Arrêt du Tribunal fédéral 5A.22/2002 du 7 février 2003 consid. 3.1 in RDAF 2004 I p. 846).

A notamment été admis comme juste motif par la chambre de céans la réunion de deux parcelles, par donation, dans les mains de mêmes propriétaires. Les parcelles étaient affermées au même cultivateur et leur réunion permettait de préserver un domaine viticole aux caractéristiques exceptionnelles. Les conditions de l’art. 64 al. 1 let. a et e n’étaient pas remplies mais la clause générale de juste motif était admise (ATA/315/2012 du 22 mai 2012). Les justes motifs ont été déniés dans le cas d’une acquisition d’une parcelle affermée, ayant pour but un remembrement avec les parcelles voisines de façon à former un tout autour de l’atelier des requérants, donc pour des motifs de convenance personnelle (ATA/188/2012 du 3 avril 2012).

6) En l’espèce, la recourante a invoqué deux motifs à l’appui de sa requête, soit son attachement à la parcelle concernée et la situation de l’agriculteur qui cultive le terrain depuis treize ans et dont le fils souhaite reprendre l’exploitation agricole.

a. Le premier motif, soit l’attachement invoqué, est constitué par le fait que la recourante est propriétaire de la parcelle voisine, sur laquelle est construite une villa dont une partie des canalisations sont situées sur la parcelle concernée. Les deux parcelles auraient, de tout temps, formé un tout.

A cet égard, il convient de relever que l’une des deux parcelles n’est plus assujettie à la LDFR, raison pour laquelle le tout qu’elles formaient a été divisé.

L’attachement invoqué par la recourante constitue un motif étranger aux buts poursuivis par la LDFR. La recourante poursuit en priorité un but de convenance personnelle non conforme à l’esprit de la loi.

De même, le fait que la recourante aurait fait des apports financiers au moment de l’acquisition de la parcelle par son époux ne saurait avoir d’incidence dans l’examen des justes motifs au sens du droit foncier rural, s’agissant d’arrangements financiers entre époux ou ex-époux.

En outre, le fait que le propriétaire précédent n’ait pas eu la qualité d’exploitant agricole à titre personnel n’est pas non plus déterminant. C’est en effet la situation de l’acquéreur qui doit être examinée (ATA/188/2012 précité). La dernière autorisation d’acquisition a d’ailleurs été délivrée suite à une offre publique d’achat demeurée sans suite, situation différente du cas d’espèce.

b. Le deuxième motif invoqué par la recourante est constitué par la nécessité pour M. E______ de pouvoir continuer à cultiver le terrain concerné en tant que bénéficiaire d’un bail à ferme.

Dans son argumentation, la recourante perd de vue que M. E______, n’est pas en position d’acquéreur. Comme vu ci-dessus, c’est la position de l’acquéreur qui est déterminante dans le cadre de l’application de l’art. 64 LDTR et non celle de tiers, sauf en cas de circonstances exceptionnelles non réalisées en l’espèce. Les droits que M. E______ pourrait déduire de son bail à ferme vis-à-vis d’un acquéreur doivent, cas échéant, être examinés dans le cadre de la loi fédérale sur le bail à ferme agricole du 4 octobre 1985 (LBFA ; RS 221.213.2) et non dans le cadre de l’examen des justes motifs de l’art. 64 al. 1 LDFR, celle-ci poursuivant avant tout l’intérêt public à l’exploitation à titre personnel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

En outre, l’hypothèse de l’art. 64 al. 1 let. a LDFR n’a pas été invoquée à juste titre. L’une des conditions d'application de l'art. 64 al. 1 let. a LDFR réside dans le fait que l'acquisition d'un immeuble agricole serve à maintenir ou à arrondir une entreprise agricole qui est affermée d'une part depuis longtemps et d'autre part en totalité. S'agissant de l'étendue du contrat du bail à ferme, il est nécessaire que l'entreprise qui, soit constitue l'objet de l'acquisition, soit bénéficie de l'acquisition, soit affermée depuis longtemps en totalité. Un affermage par parcelles - qu'il soit intervenu sans autorisation en vertu de l'ancien droit ou avec autorisation conformément aux art. 30 ss LBFA - exclut par conséquent l'application de l'art. 64 al. 1 let. a LDFR, à moins que l'affermage par parcelles ait été temporaire au sens de l'art. 31 al. 1 let. e et f LBFA puis supprimé dans l'intervalle (ATA/315/2012 précité consid. 11 ; Christoph BANDLI/
Beat STALDER, op.cit., ad art. 64 LDFR p. 623 ch. 15).

En l’espèce, le bail à ferme n’a pas pour objet ni un domaine ni une entreprise affermée et l’acquisition de la parcelle concernée ne servirait pas à maintenir ou à arrondir une exploitation affermée en totalité depuis longtemps, la recourante n’étant pas propriétaire d’une entreprise agricole.

En l’absence notamment d’une offre publique d’achat, rien ne permet d’exclure qu’un exploitant à titre personnel se porterait acquéreur de la parcelle (art. 64 al. 1 let. f LDFR).

7) Au vu de ce qui précède, il n’existe pas de juste motif au sens de l’art. 64
al. 1 LDFR permettant d’autoriser la recourante à acquérir la parcelle no 1______ de la commune de B______. Aucun élément ne permet de revenir sur l’appréciation faite par l’autorité intimée.

8) Mal fondé, le recours sera rejeté.

9) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante et il ne lui sera pas alloué d’indemnité (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 juin 2013 par Madame A______ contre le jugement de la commission foncière agricole du 23 avril 2013 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt (la présente décision) et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe de Boccard, avocat de Madame A______ ainsi qu'à la Commission foncière agricole et à l’Office des poursuites pour information.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray, M. Verniory et Pagan, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :