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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/428/2004

ATA/123/2005 du 08.03.2005 ( IEA ) , REJETE

Recours TF déposé le 04.05.2005, rendu le 15.12.2005, REJETE
Descripteurs : DROIT FONCIER RURAL; ACQUISITION; EXECUTION FORCEE; IMMEUBLE AGRICOLE; AUTORISATION; JUSTE MOTIF; EXPLOITANT A TITRE PERSONNEL
Normes : LDFR.61 al.1; LDFR.67 al.1; LDFR.61 al.2; LDFR.63 al.1 litt.a; LDFR.64 al.1 litt.g
Résumé : Acquisition d'un terrain agricole soumis à la LDFR par un non-exploitant à titre personnel lors d'une vente aux enchères organisée par l'office des faillites. Demande d'autorisation d'acquérir refusée par la commission foncière agricole. Décision confirmée par le Tribunal administratif.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/428/2004-IEA ATA/123/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 8 mars 2005

dans la cause

 

Madame et Monsieur B__________
représentés par Me Nicolas Wisard, avocat

contre

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE


 

 

 


1. Les parcelles ___ A et ___ B, inscrites au registre foncier, plan 21 de la commune de Jussy sont sises route du Château-L’Evêque.

La parcelle ___ A, d’une contenance de 1086 m2, se compose d’une habitation de 195 m2, d’une serre de 11 m2 et d’un bâtiment de 20 m2. Bien que sise en zone agricole, elle n’est pas assujettie à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR – RS 211.412.11).

La parcelle ___ B, d’une contenance de 7802 m2, est constituée d’un champ de 4490 m2 et d’une place-jardin de 3312 m2. Elle est sise en zone agricole et assujettie à la LDFR.

Ces deux parcelles résultent de la division de la parcelle ___, approuvée par la commission foncière agricole (ci-après : CFA) le 29 juillet 1996 et qui était initialement la propriété de la succession répudiée de feue Madame R__________.

2. La parcelle ___ était grevée des gages immobiliers suivants :

1) En premier rang, cédule hypothécaire d’une valeur nominale de CHF 800'000.- en faveur de l’Union de banques suisses S.A. (ci-après : UBS) à concurrence de CHF 1'040'000.- ;

2) En deuxième rang, cédule hypothécaire d’une valeur nominale de CHF 800'000.- en faveur de la Banque cantonale de Genève (ci-après : BCGe) à concurrence de CHF 1'507'006,60 ;

3) En troisième rang, cédule hypothécaire d’une valeur nominale de CHF 100'000.- en faveur de l’UBS à concurrence de CHF 121'821,33.

3. Par publication du 17 septembre 2003, l’office des faillites (ci-après : l’office) a annoncé la mise en vente pour le 23 octobre 2003 de la parcelle ___ A estimée à CHF 890'000.- et de la parcelle ___ B estimée à CHF 62'416.-.

Les deux parcelles devaient être vendues séparément. Les enchérisseurs étaient rendus attentifs aux dispositions légales concernant l’acquisition d’immeubles en zone agricole. Les mutations parcellaires n’avaient pas encore eu lieu. Elles devaient être effectuées en même temps que l’inscription du transfert de propriété.

4. Madame et Monsieur B__________ (ci-après : les époux B__________) se sont procurés une copie des « conditions de vente immobilière aux enchères » relatives à la vente susmentionnée. Ce document attirait notamment l’attention des futures acquéreurs, à son point 23, sur le fait que la parcelle ___ B était soumise à la LDFR et qu’il appartenait à chaque adjudicataire de « se renseigner lui-même auprès de toutes les autorités ».

5. Le 14 octobre 2003, les époux B__________ et la BCGe ont signé une convention de cession de créance. L’intégralité des créances de la banque à l’égard de la succession de feue Mme R__________ était transférée aux époux B__________ avec gages et accessoires, dont en particulier la cédule hypothécaire de CHF 1'150'000.- de valeur nominale, grevant en deuxième rang la parcelle ___.

En contrepartie de la cession, les époux B__________ s’engageaient à payer à la BCGe un premier montant de base de CHF 130'000.-. Un prix complémentaire était d’ores et déjà prévu et devait se calculer en fonction de quatre hypothèses possibles à l’issue de la vente aux enchères :

1) Adjudication aux cessionnaires pour un prix inférieur à CHF 1'200'000.- ;

2) Adjudication à un ou des tiers pour un prix inférieur à CHF 1'200'000.- ;

3) Adjudication aux cessionnaires pour un prix égal ou supérieur à CHF 1'200'000.- ;

4) Adjudication à un ou des tiers pour un prix égal ou supérieur à CHF 1'200'000.- ;

L’acte de cession précisait que ces quatre hypothèses concernaient l’entier de la parcelle ___, soit les deux parcelles ___ A et ___ B.

6. Par courrier du 21 octobre 2003, la BCGe a informé l’office de la cession de créances.

7. Lors de la vente aux enchères du 28 octobre 2003, les deux parcelles ont été adjugées aux époux B__________, la parcelle ___ A pour le prix de CHF 1'325'000.- et la parcelle ___ B pour le prix de CHF 100'000.-.

En ce qui concerne la vente de la seconde parcelle, l’association « et M__________ et P__________ agriculteurs » a surenchéri jusqu’à CHF 15'000.-, alors que Monsieur C__________, professionnel du bâtiment, a surenchéri jusqu’à CHF 95'000.-.

8. Le 27 octobre 2003, les époux B__________ ont requis de la CFA l’autorisation d’acquérir la parcelle ___ B.

Bien que n’exerçant pas dans le domaine agricole, M. B__________ étant avocat et Mme B__________ directrice de marketing, cette autorisation devait leur être délivrée eu égard à leur qualité de créanciers-gagistes au sens de l’article 64 alinéa 1 lettre g LDFR. En outre, l’immeuble ne faisait l’objet d’aucun bail à ferme même s’il était exploité à bien plaire par M. P__________, agriculteur.

9. Le 28 novembre 2003, en l’absence de réponse de la CFA, les époux B__________ ont renouvelé leur requête.

10. Le 16 décembre 2003, toujours sans nouvelle de la CFA, ils lui ont fait parvenir un nouveau courrier.

L’achat des parcelles ___ A et ___ B avait été motivé par leur « souhait de devenir propriétaires d’une maison villageoise et du terrain attenant » pour y habiter avec leurs enfants. La créance cédée concernait l’ensemble de la parcelle ___, soit l’entier des deux parcelles ___ A et ___ B. Jamais, ils n’avaient eu la moindre intention de réaliser une opération immobilière. M. P__________ avait manifesté son intérêt à exploiter la parcelle ___ B. Ils avaient accepté de conclure avec lui un contrat de bail à ferme, si bien que la destination du terrain n’était nullement modifiée. Enfin, les parcelles ___ A et ___ B formaient un tout. Les gages immobiliers les grevaient « collectivement ». Etant donné les engagements économiques importants qu’ils avaient pris sur l’ensemble de la parcelle ___, ils craignaient une réponse négative de la CFA.

11. Le 20 janvier 2004, la CFA a rendu une décision négative.

Lors de la vente du 23 octobre 2003, les gages n’étaient pas répartis sur les parcelles ___ A et ___ B. Le montant du gage cédé grevant la parcelle ___ B n’était pas précisé.

En outre, les époux B__________ n’étaient pas « exploitants à titre personnel ». La cession de créances du 14 octobre 2003 avait été conclue dans le but de leur assurer la mainmise sur la parcelle ___ B en leur donnant la possibilité de l’acquérir en qualité de créanciers-gagistes. Par ce stratagème, ils avaient tenté d’éluder la loi et avaient commis un abus de droit.

M. P__________ avait été interrogé. Il avait confirmé exploiter une partie de la parcelle ___ depuis 1995. Il n’était pas au bénéfice d’un bail à ferme et ne payait pas de fermage en argent. Il exécutait toutefois en contrepartie de la jouissance de cette parcelle des travaux d’entretien, ce dont l’office avait été informé par pli recommandé le 19 octobre 2000.

12. Le 3 mars 2004, les époux B__________ ont recouru auprès du Tribunal administratif .

La décision de la CFA n’était pas valable formellement. Elle n’était pas suffisamment motivée. Leur droit d’être entendu n’avait pas été respecté : ils n’avaient ni été entendus par la CFA, ni n’avaient pu participer à l’administration des preuves. En qualité de créanciers-gagistes, ils étaient bel et bien au bénéfice de l’exception de l’article 64 alinéa 1 lettre g LDFR et n’avaient par conséquent ni éludé les règles de la LDFR, ni commis d’abus de droit. Enfin, ils devaient être mis au bénéfice du juste motif de l’article 64 alinéa 1 lettre f LDFR puisqu’ils avaient acquis la parcelle ___ B alors qu’une offre publique avait été faite à un prix qui n’était pas surfait et qu’aucune demande n’avait été faite par un exploitant à titre personnel.

13. Dans son mémoire-réponse du 30 avril 2004, la CFA reprenait la même argumentation que celle développée dans la décision entreprise et concluait au déboutement des recourants. En outre, elle soulignait que l’article 64 alinéa 1 lettre f était inapplicable au cas d’espèce.

14. Une audience de comparution personnelle a eu lieu devant le Tribunal administratif le 21 mai 2004.

Les recourants avaient appris l’existence de la ferme sise sur la parcelle ___ A par un architecte qui travaillait notamment pour la commune de Jussy. Ils avaient tout de suite été intéressés, car ils cherchaient un logement pour eux-même et leur enfant devant naître ainsi que pour la mère de M. B__________ qui, malade, devait habiter avec eux.

Ils s’étaient rendus à l’office en septembre 2003 et avaient pris connaissance de la division de la parcelle, ainsi que de la problématique du droit foncier rural.

Ce n’était que par la suite qu’ils avaient appris que la BCGe et l’UBS étaient créanciers-gagistes. L’UBS n’était pas intéressée par une vente de gré à gré. Des tiers souhaitaient racheter la créance de la BCGe. Celle-ci avait invité les recourants à faire une offre.

Le mode d’acquisition de la créance qu’ils avaient finalement conclue avec la BCGe devait leur permettre de participer à « armes égales » à la vente aux enchères sans pour autant que l’on puisse soupçonner la banque de les avoir favorisés. Ils avaient le souci de pouvoir acquérir la parcelle ___ A et non de se livrer à une opération immobilière sur la parcelle ___ B. Leur budget était d’ailleurs limité. Dès l’adjudication des deux parcelles, ils avaient pris contact avec M. P__________ afin qu’il puisse continuer à travailler sur la parcelle ___ B.

Le représentant de la CFA a constaté que les recourants étaient intéressés par la parcelle ___ B bien avant la vente aux enchères. Après l’adjudication de la parcelle ___ A, ils avaient participé à la vente de la parcelle ___ B qui leur avait finalement été aussi adjugée. Ils avaient eu la volonté de favoriser la BCGe en la plaçant dans la même situation que si elle avait participé elle-même aux enchères.

La CFA avait changé de pratique fin 2003. Depuis lors, elle s’opposait aux cessions de créances qui avaient pour but, en cas d’exécution forcée, de favoriser le créancier-gagiste au détriment des exploitants agricoles. En l’occurrence, la cession de créance était intervenue juste avant la vente et avait clairement pour objectif de favoriser les recourants. Ces pratiques rendaient les acquisitions immobilières impossibles pour les agriculteurs. Trois décisions de ce type, dont celle concernant les recourants, avaient été rendues par la CFA et la nouvelle pratique devait perdurer à l’avenir. La division parcellaire avait été faite par le service de l’agriculture et aurait dû être achevée avant la vente aux enchères de manière à permettre également la répartition des gages.

Un délai au 18 juin 2004 a été fixé aux parties pour déposer toutes pièces utiles, dont notamment pour la CFA les deux dernières décisions rendues en lien avec le changement de pratique.

Les recourants devaient se déterminer par écrit d’ici au 9 juillet 2004, la CFA ayant la possibilité de répliquer jusqu’au 30 juillet 2004.

15. Le 3 juin 2004, la CFA a fait parvenir au Tribunal administratif une seule des deux dernières décisions relatives à son changement de pratique (CFA/143/03). L’affaire est d’ailleurs actuellement pendante devant la juridiction de céans. Après vérifications, elle avait constaté que l’état de fait de l’autre décision n’était pas identique au cas d’espèce.

16. Le 18 juin 2004, le conseil des recourants a transmis au Tribunal administratif une copie d’un courrier qu’il avait envoyé aux autorités d’application de la LDFR des cantons du Valais, Neuchâtel et Fribourg leur demandant des précisions sur l’application dans leur canton respectif de l’article 64 alinéa 1 lettre f LDFR.

Selon les autorités valaisannes et neuchâteloises, l’article 64 alinéa 1 lettre f LDFR était également applicable en cas de réalisation forcée. Les exigences liées à l’offre publique étaient respectées en cas de ventes aux enchères.

17. Le 23 juin 2004, le conseil des recourants a transmis au Tribunal administratif la réponse de Me T__________ agissant « à titre personnel  et non pas en qualité de président de l’Autorité foncière cantonale fribourgeoise ».

Les opérations préliminaires précédant la tenue des enchères, notamment les publications, constituaient une offre publique suffisante au sens de l’article 64 alinéa 1 lettre f LDFR, si bien que cette disposition était également applicable en cas d’exécution forcée.

18. Les recourants se sont déterminés le 9 juillet 2004.

Ils maintenaient leurs conclusions. Le changement de pratique de la CFA était contesté. Leur qualité de créanciers-gagistes devait être reconnue et par conséquent l’article 64 alinéa 1 lettre g LDFR s’appliquait. La fraude à la loi ne pouvait être retenue, faute pour la CFA d’avoir démontré à satisfaction l’intention frauduleuse des recourants. Le cas d’espèce était différent de la cause CFA/143/03 actuellement pendante devant le Tribunal administratif. Ils devaient enfin être mis au bénéfice de l’exception de l’article 64 alinéa 1 lettre f LDFR.

19. L’autorité intimée a répliqué le 30 juillet 2004. Elle persistait dans ses conclusions.

20. Sur quoi la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L’objet du recours porte exclusivement sur le refus de la CFA d’autoriser les recourants à acquérir la parcelle ___ B, la parcelle ___ A n’étant pas soumise à la LDFR.

3. Les recourants soutiennent que l’autorité intimée a violé leur droit d’être entendu. La décision entreprise n’est pas seulement insuffisamment motivée, mais les recourants n’ont été ni entendus in concreto par la CFA, ni n’ont pu participer à l’administration des preuves.

a. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.256/2001 du 24 janvier 2002 consid. 2a et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41 et ss de la loi de procédure administrative du 12 septembre 1985 – LPA – E 3 10) et le droit administratif spécial (Arrêt du Tribunal Fédéral 1P.742/1999 du 15 février 2000 consid. 3a ; ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral du 12 novembre 1998 publié in RDAF 1999 II 97 consid. 5a p. 103). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution fédérale (Cst – RS 101) qui s’appliquent (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.256/2001 du 24 janvier 2002 consid. 2b ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.545/2000 du 14 décembre 2000 consid. 2a et les arrêts cités ; B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 198).

Tel qu’il est garanti par l’article 29 alinéa 2 Cst., le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.77/2003 du 9 juillet 2003 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004 et les arrêts cités). Le droit d’être entendu stricto sensu n'implique pas une audition personnelle de l'intéressé, celui-ci devant simplement disposer d'une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l'issue de la cause (art. 41 LPA ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.651/2002 du 10 février 2002 consid. 4.3 et les arrêts cités).

La jurisprudence en matière de droits constitutionnels du Tribunal fédéral a également déduit du droit d’être entendu le droit d’obtenir une décision motivée. L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties; elle peut se limiter aux questions décisives. Il suffit, de ce point de vue, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision prise à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (Arrêts du Tribunal fédéral 1P.729/2003 du 25 mars 2004 consid. 2 ; 1P.531/2002 du 27 mars 2003 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/560/2000 du 14 septembre 2000).

Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle, mais annulable (Arrêt du Tribunal Fédéral 2P.207/2001 du 12 novembre 2001 consid. 5a et les arrêts cités). Toutefois, la violation du droit d’être entendu est réparable devant l’instance de recours si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen des questions litigieuses que l’autorité intimée et si l’examen de ces questions ne relève pas de l’opportunité, car l’autorité de recours ne peut alors substituer son pouvoir d’examen à celui de l’autorité de première instance (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.30/2003 du 2 juin 2003 consid. 2.4 et les arrêts cités; ATA/703/2002 du 19 novembre 2002 ; ATA/609/2001 du 2 octobre 2001 ; ATA M. du 12 septembre 1990; en droit genevois : cf. art. 61 al. 2 LPA ; P. MOOR, Droit administratif : les actes administratifs et leur contrôle, vol. II, Berne 1991, ch. 2.2.7.4 p. 190). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ACE A. Porta & Cie du 18 décembre 1991 consid. 4 et 6a in : SJ 1992 p. 528).

b. En l’espèce, l’autorité intimée a justifié sa décision tant en fait qu’en droit de manière suffisamment explicite pour que les recourants puissent la comprendre et recourir en toute connaissance de cause.

Les recourants ont également eu tout le loisir de participer à l’administration des preuves ainsi que de s’exprimer sur la procédure dans leurs courriers des 27 octobre, 28 novembre et 16 décembre 2003. Leur audition orale n’était dès lors plus nécessaire.

En tout état de cause, comme le reconnaissent d’ailleurs les recourants eux-mêmes, toute éventuelle violation du droit d’être entendu a été réparée devant le Tribunal administratif qui dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée. Les recourants ont été entendus en audience par la juridiction administrative, ils ont pu s’exprimer par le biais d’échanges d’écritures auxquelles ils ont pu joindre tous les éléments de preuve à leur disposition.

La décision entreprise n’est par conséquent pas viciée formellement. Partant les recourants seront déboutés sur ce point.

4. La LDFR a pour but d'encourager la propriété foncière rurale et, en particulier, de maintenir des entreprises familiales comme fondement d'une population rurale forte et d'une agriculture productive orientée vers une exploitation durable du sol (art. 1 let. f LDFR ; DONZALLAZ, Pratique et jurisprudence du droit foncier rural 1994-1998, p. 192, n° 497 et les références citées).

5. L’acquisition d’une entreprise ou d’un immeuble agricole est soumise à autorisation (art. 61 al. 1 LDFR). En cas d’acquisition d’un immeuble agricole par la voie de la réalisation forcée, l’adjudicataire devra demander l’autorisation d’acquérir ledit immeuble dans les dix jours qui suivent l’adjudication (art. 67 al. 1 LDFR), étant précisé que cette autorisation est toujours traitée postérieurement à l'adjudication dans le cadre de la procédure d'autorisation de l'article 64 LDFR (ATF 123 III 406 ; ATA/784/2001 du 27 novembre 2001).

En l’espèce, les recourants ont requis l’autorisation d’acquérir la parcelle ___ B dans le délai prévu à cet effet.

6. L’autorisation est accordée s’il n’existe aucun motif de refus (art. 61 al. 2 LDFR). Le fait pour l’acquéreur de ne pas être exploitant à titre personnel constitue l’un de ces motifs (art. 63 al. 1 let. a LDFR).

Il n’est pas contesté en l’occurrence que les recourants ne sont pas exploitants à titre personnel.

7. Si l’acquéreur n’est pas exploitant à titre personnel, il peut néanmoins être autorisé à acquérir un bien immobilier agricole s’il prouve qu’il existe un juste motif au sens de l’article 64 alinéa 1 LDFR.

Jusqu’à la modification du 26 juin 1998, entrée en vigueur le 1er janvier 1999, l’article 64 alinéa 1 LDFR prévoyait six cas justifiant une exception au principe de l’exploitation à titre personnel. La novelle de 1998 en a rajouté un septième, à savoir celui du créancier-gagiste qui acquiert l’entreprise ou l’immeuble agricole dans une procédure d’exécution forcée (art. 64 al. 1 let. g LDFR). Cette modification n’a toutefois pas changé la ratio legis de l’article 64 alinéa 1 LDFR au sujet duquel le Tribunal administratif a déjà eu l’occasion de relever que la liste qu’il contient n’est pas exhaustive. Dès lors, l’autorité bénéficie d’une certaine latitude de jugement. Elle devra se conformer autant que possible au sens et au but de la loi. Pour que l’autorisation se justifie, il suffit que l’application des prescriptions en vigueur entraîne des conséquences trop rigoureuses que le législateur n’a pas voulues (ATA/784/2001 du 27 novembre 2001 ; ATA/53/1996 du 30 janvier 1996 et les références citées).

Les recourants sont bel et bien créanciers-gagistes en l’espèce puisqu’ils se sont fait céder le 14 décembre 2003 l’intégralité des créances détenues auparavant par la BCGe.

8. Néanmoins, il convient d’examiner si, comme l’affirme l’autorité intimée, l’acquisition par les recourants de la qualité de créanciers-gagistes au sens de l’article 64 alinéa 1 lettre g LDFR n’est pas constitutive d’un abus de droit, voire d’une fraude à la loi.

a. L’administré ne doit pas abuser d’une faculté que lui confère la loi en l’utilisant à des fins pour lesquelles elle n’a pas été prévue. Ce faisant, il ne viole certes pas la loi mais il s’en sert pour atteindre un but qui n’est pas digne de protection (B. KNAPP, Précis de droit administratif, 1991, p. 107, nº 507 et références citées). Abus de droit et fraude à la loi se déduisent du principe de la bonne foi (P. MOOR, Droit administratif, vol. 1, 1994, p. 434). Il y a abus de droit lorsque l’exercice d’un droit subjectif apparaît, dans un cas concret, manifestement contraire au droit ou lorsqu’une institution juridique est utilisée manifestement à l’encontre de la finalité pour laquelle elle a été crée (ATF 125 IV 79, p. 81 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 2000, p. 545, nº 1130). L’interdiction de l’abus de droit impose aux justiciables et aux parties à une procédure l’obligation d’exercer leurs droits dans un esprit de loyauté (ATF 123 II 231 p. 238, ATF 121 I 30 p. 38 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, op. cit., nº 1129). Il y a fraude à la loi lorsque, en usant d’un moyen qui, en soi, est permis, on vise un résultat qui lui est prohibé (P. MOOR, op. cit., p. 435).

b. En l’espèce, le mandataire des recourants s’est rendu aux enchères avec la ferme intention d’acheter les deux parcelles ___ A et ___ B, conformément aux instructions reçues de ses mandants qui, s’étant assurés au préalable de remplir les conditions de l’article 64 alinéa 1 lettre g LDFR, étaient ainsi persuadés d’obtenir l’autorisation de la CFA par ce moyen détourné. En effet, les recourants qui sont étrangers au domaine agricole, n’avaient prima facie aucune chance d’obtenir de la CFA l’autorisation d’acquérir la parcelle ___ B. La cession de créances obtenue de la BCGe remédiait à ce problème puisque les recourants pouvaient dès lors solliciter une autorisation en se prévalant de leur qualité de créanciers-gagistes.

L’acte de cession mentionnait clairement qu’il portait autant sur la parcelle ___ A que sur la parcelle ___ B. La cession de créance était intervenue un mois après l’annonce par voie de publication de la vente aux enchères mais seulement 14 jours avant celle-ci. L’office n’en a d’ailleurs été informé par courrier que le 21 octobre 2003, soit 7 jours avant les enchères. Enfin, l’office avait annoncé par publication que les parcelles seraient vendues séparément ce qui impliquait que les recourants n’étaient nullement obligés d’acquérir la parcelle ___ B même si la parcelle ___ A leur avait été adjugée.

Par conséquent, en devenant cessionnaires de la BCGe, les recourants ont tenté d’acquérir un terrain agricole au mépris des buts de la LDFR. Les moyens considérables qu’ils étaient prêts à investir dans l’exercice ne laissaient aucune chance à l’association d’agriculteurs d’en devenir propriétaire. La manœuvre des recourants est immanquablement constitutive d’une fraude à la loi. Il en résulte que la question d’une éventuelle application dans le cas d’espèce de l’article 64 alinéa 1 lettre f LDFR peut rester ouverte, la seule fraude à la loi ayant pour effet que les recourants seront déboutés.

9. Le recours sera donc rejeté.

Un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge des recourants (art. 87 LPA).

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 mars 2004 par Madame et Monsieur B__________ contre la décision de la commission foncière agricole du 20 janvier 2004;

au fond :

le rejette;

met à la charge des recourants un émolument de CHF 2'000.- ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Wisard, avocat des recourants ainsi qu'à la commission foncière agricole et à l'office fédéral de la justice.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy, Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :