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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4443/2010

ATA/284/2012 du 08.05.2012 sur JTAPI/909/2011 ( ICCIFD ) , ADMIS

Descripteurs : ; DROIT FISCAL ; IMPÔT ; DÉLAI LÉGAL
Normes : LIFD.137 ; LIFD.138 ; LRISP.23.al2
Résumé : Le contribuable doit adresser sa réclamation dans le délai légal lorsqu'il dispose de tous les éléments pertinents pour le faire. Une exception à ce principe ne peut être admise que si les éléments fondant la réclamation ne sont pas entièrement connus du contribuable avant le terme du délai. Les principes d'égalité de traitement, de sécurité du droit et la bonne foi commandent cette solution. En l'espèce, son divorce et les autres éléments de fait invoqués par le contribuable ne constituent pas des justificatifs permettant une telle exception. La déduction supplémentaire demandée par le contribuable après le délai fixé à l'art. 137 LIFD (repris par l'art. 23 al. 2 LISP) est dès lors tardive.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4443/2010-ICCIFD ATA/284/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 mai 2012

 

dans la cause

 



ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

Monsieur B______

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 août 2011 (JTAPI/909/2011)


EN FAIT

1. En 2009, Monsieur B______ (ci-après: le contribuable) était domicilié en France et exerçait une activité lucrative dépendante en Suisse, à Genève, soumise au régime de l'impôt à la source.

2. Par courrier du 25 avril 2010, le contribuable a demandé à l'administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC-GE) la rectification de son imposition à la source. Il souhaitait obtenir la déduction de montants versés à une institution reconnue de prévoyance liée (3ème pilier).

3. Le 30 novembre 2010, l'AFC-GE a déclaré la réclamation irrecevable au motif qu'elle n'avait pas été déposée dans le délai légal.

4. Par acte déposé le 14 décembre 2010, le contribuable a porté cette décision devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après: le TAPI).

Il avait déposé sa réclamation tardivement en raison de problèmes familiaux.

5. Le 29 août 2011, le TAPI a admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour qu'elle entre en matière sur le fond de la réclamation.

Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral (Arrêt 2C_601/2010 du 21 décembre 2010), le contribuable était fondé à contester une retenue excessive de son impôt à la source, même après le 31 mars 2010.

En matière d'imposition à la source, une telle retenue devait pouvoir être réclamée sans formalisme et de manière simplifiée tant par l'autorité de taxation que par le débiteur de la prestation imposable.

Les art. 137 et 138 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) devaient être interprétés en ce sens qu'après l'échéance du délai au 31 mars, il n'était plus possible de soulever des contestations relatives à l'assujettissement fiscal, mais il demeurait la possibilité de critiquer le montant de la retenue d'impôt.

6. Le 12 octobre 2011, l'AFC-GE a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la chambre administrative), concluant à l'annulation du jugement du TAPI et à la confirmation de sa propre décision du 30 novembre 2010.

Les art. 137 et 138 LIFD, de même que les art. 23 al. 2 et 21 al. 3 de la loi sur l’imposition à la source des personnes physiques et morales du 23 septembre 1994 (LISP - D 3 20) ne permettaient de contester le montant de la retenue d'impôt que jusqu'au 31 mars 2010.

En l'espèce, le contribuable avait demandé tardivement l'octroi de déductions supplémentaires et ne se prévalait pas d'un motif justificatif légal.

La jurisprudence du Tribunal fédéral invoquée par le TAPI n'était pas applicable au cas d'espèce car elle concernait une erreur de barème et non une demande de déduction tardive.

7. Le 19 octobre 2011, le TAPI a transmis son dossier et informé la chambre administrative qu'il n'avait pas d'observations à formuler.

8. Le 2 novembre 2011, l'AFC-CH a déposé ses observations, concluant à l'admission du recours.

Les travaux préparatoires des art. 137 et 138 LIFD prévoyaient déjà le délai de trois mois dès la fin de l'année fiscale dans le but d'assurer la sécurité du droit.

Les demandes en restitution fondées sur l'application erronée d'un barème devaient être distinguées de celles basées sur des déductions supplémentaires. Le Tribunal fédéral n'avait jamais eu l'occasion d'examiner une demande de restitution d'impôt à la source lorsque le trop-perçu était lié à une déduction supplémentaire que le contribuable n'avait pas fait valoir dans le délai de l'art.137 LIFD.

La jurisprudence évoquée par le TAPI était justifiée dans le cas de prélèvements incorrects de l'impôt à la source, car la collaboration du contribuable à la perception de l'impôt n'était pas requise et d'éventuelles erreurs ne pouvaient lui être imputées. A l'inverse, la demande d'octroi de déductions supplémentaires ne pouvait avoir lieu qu'à l'initiative du contribuable et se rapprochait en cela de la taxation ordinaire.

9. Le 1er décembre 2011, le contribuable a informé la chambre administrative qu'il n'avait pas d'observations à formuler.

10. Les parties ont été informées le 5 décembre 2011 que la cause était gardée à juger.

11. Il ressort des pièces produites que le contribuable ne conteste pas avoir reçu avant le 28 février 2010 son attestation-quittance relative à son imposition à la source.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le système de l’impôt à la source est défini par les art. 83 ss LIFD pour l’impôt fédéral direct et aux art. 32 ss de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), en relation avec l’art. 36 al. 1 let. a LHID, 1 ss LISP et 1 ss du règlement d’application de la loi sur l’imposition à la source des personnes physiques et morales du 12 décembre 1994 (RISP - D 3 20.01). Il a pour fonction de se substituer aux impôts fédéral, cantonal et communal perçus selon la procédure ordinaire (art. 32 al. 1 LHID et 17 LISP). La déduction des cotisations périodiques versées en vue de l’acquisition des droits aux prestations dans le cadre de la prévoyance professionnelle est ainsi comprise dans le forfait (art. 86 al. 1 LIFD, 33 al. 3 LHID et 4 al. 1 LISP).

Le contribuable peut demander la déduction de versements à une institution de prévoyance professionnelle pour le rachat d’années d’assurance et la finance d’entrée, ainsi qu’à une institution reconnue de prévoyance individuelle liée, au sens et dans les limites admises par le droit fédéral et cantonal en matière de prévoyance (3ème pilier A), art. 23 LISP.

3. Selon l'art. 137 LIFD, lorsque le contribuable ou le débiteur d’une prestation imposable conteste le principe même ou le montant de la retenue d’impôt, il peut, jusqu’à la fin mars de l’année qui suit l’échéance de la prestation, exiger que l’autorité de taxation rende une décision relative à l’existence et l’étendue de l’assujettissement.

L’art. 23 al. 2 LISP, qui est le pendant cantonal de l'art. 137 LIFD, précise que le contribuable qui conteste le montant de la retenue à la source qui lui est faite peut déposer une réclamation écrite et motivée auprès de l’administration si l’attestation tenant lieu de quittance a été remise avant le dernier jour du mois de février de l’année qui suit celle pour laquelle l’impôt a été retenu jusqu’au 31 mars de cette même année ; ou si l’attestation a été remise ultérieurement, dans les trente jours qui suivent cette remise, mais au plus tard le 31 décembre de l’année qui suit celle pour laquelle l’impôt a été retenu.

4. En l'espèce, le contribuable a déposé sa réclamation contre le montant de son assujettissement le 26 avril 2010, soit en dehors des délais prévus aux art. 137 LIFD et 23 al. 2 LISP.

Il résulte des déclarations de l’intéressé qu'il a admis avoir agi tardivement, soit en l’occurrence au-delà du délai fixé au 31 mars 2010 (art. 137 LIFD) du fait de raisons personnelles. Or, les délais de réclamation et de recours fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont, en principe, pas susceptibles d’être prolongés (art. 16 al. 1, 1ère phrase LPA), restitués ou suspendus, si ce n’est par le législateur lui-même (ATA/515/2009 du 13 octobre 2009 consid. 4 ; ATA/266/2009 du 26 mai 2009 consid. 2). Ainsi, celui qui n’agit pas dans le délai prescrit est forclos et la décision en cause acquiert force obligatoire (ATA/779/2011 du 20 décembre 2011 ; ATA/547/2011 du 30 août 2011 ; ATA/712/2010 du 19 octobre 2010 et les références citées).

5. Le TAPI se fonde sur l’ATF 135 II 274 et l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_601/2010 du 21 décembre 2010 pour admettre que la réclamation du contribuable n’est pas tardive, s’écartant ainsi de la jurisprudence de la chambre administrative.

a. Dans le premier arrêt, l'employeur du contribuable avait appliqué un barème fiscal pertinent, mais un taux d'imposition inadéquat, et le contribuable n'aurait pu s'apercevoir de l'erreur qu'en se procurant lui-même le barème fiscal applicable, ce que l'on ne pouvait pas exiger de lui, compte tenu de sa profession.

On ne pouvait pas reprocher au contribuable une violation de ses devoirs de diligence.

Les art. 137 et 138 LIFD devaient être interprétés en ce sens qu'après l'échéance du délai à fin mars, il n'était plus possible de soulever des contestations relatives à l'assujettissement fiscal, mais que demeurait la possibilité de critiquer la somme de la retenue d'impôt, et cela soit en faveur du fisc, soit en faveur du contribuable. L'art. 138 LIFD devait ainsi être considéré comme une lex specialis par rapport à l'art. 137 LIFD, limité aux problèmes qui se posaient dans le cas d'une retenue excessive ou insuffisante. L'art. 138 al. 2 permettait à l'administration et au contribuable d'exiger de manière simplifiée, même après l'échéance du délai, le paiement, respectivement la restitution des impôts à la source retenus.

Cette interprétation s'imposait tant au regard du titre marginal de l'art. 138 LIFD (« paiement complémentaire et restitution d'impôt »), que par rapport à l'art. 16 de l'ordonnance sur l'imposition à la source du 19 octobre 1993 (OIS - RS 642.118.2).

b. Dans le deuxième arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que la recourante avait un droit à ce que sa situation fiscale soit examinée et à ce que sa taxation soit adaptée d'office en tenant compte du fait qu'elle devait être taxée comme personne seule avec un enfant à charge, après la séparation d'avec son époux, et ce même si la réclamation avait été déposée après le 31 mars de l'année qui suivait l'échéance de la prestation.

Malgré des demandes répétées, les instances précédentes n'avaient pas pris position sur la situation de la recourante.

Le Tribunal fédéral a jugé que cette absence de prise de position à l'encontre du montant de l'imposition de la recourante constituait un déni de justice formel, et considéré que les principes découlant de ses précédentes jurisprudences étaient applicables au cas de figure litigieux.

c. De son coté, la chambre administrative a considéré que, lorsque le contribuable dispose de tous les éléments pertinents pour adresser sa réclamation dans le délai de l’art. 23 al. 2 LISP, il lui incombe - conformément au principe de la bonne foi entre administration et administré qui exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale - de faire en sorte de la formuler dans le délai légal (ATA/547/2011 du 30 août 2011).

6. A la lecture de ces jurisprudences, il apparaît que le Tribunal fédéral ne s'est jamais exprimé sur une demande de restitution d'impôt à la source lorsque le trop-perçu est lié à une déduction supplémentaire connue du contribuable et qu’il n'a pas faite valoir dans le délai de l'art. 137 LIFD.

Contrairement à ce qui prévalait dans les jurisprudences fédérales invoquées, il n’y a pas eu en l’espèce de retenue excessive liée à une erreur d’un tiers – l’employeur - justifiant une protection particulière du contribuable.

En l’espèce, le contribuable était en mesure de déclarer dans le délai qui lui était imparti les déductions qu'il souhaitait faire valoir. En revanche, ni l’employeur, ni l’AFC-GE, ne pouvaient connaître l’existence de versements du contribuable à une institution de prévoyance liée.

Dans ces circonstances, le délai prévu par l'art. 137 LIFD s’applique. Il serait contraire à la sécurité du droit et au principe de la bonne foi de permettre aux contribuables d'informer les administrations des éléments nécessaires à l'établissement de leur situation fiscale au-delà du délai prévu (contra : A. BERTHOUD, Réclamations en matière d'impôt à la source - A la recherche du délai perdu ; RF 66/2011 p. 410).

Tout autre solution serait contraire à l’égalité de traitement entre les contribuables, qui sont tenus de respecter les délais imposés par la loi. Une exception à ce principe ne peut être admise que si les éléments fondant la réclamation ne sont pas entièrement connus du contribuable avant le terme du délai, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

En conséquence, la réclamation déposée par l’intéressé le 25 avril 2010 est tardive.

7. Il convient dès lors d'examiner si un cas de force majeure permet au contribuable de justifier l'inobservation du délai.

Selon l'art. art. 41 al. 3 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17- par renvoi de l'art. 27A LISP), une réclamation tardive n'est recevable que si le contribuable établit que, par suite de service militaire, de service civil, de maladie, d'absence du pays ou pour d'autres motifs sérieux, il a été empêché de présenter sa réclamation en temps utile et qu'il l'a déposée dans les trente jours après la fin de l'empêchement.

Les conditions pour admettre un empêchement sont très strictes. La restitution du délai suppose que le contribuable n'a pas respecté le délai légal en raison d'un empêchement imprévisible dont la survenance ne lui est pas imputable à faute (Arrêt du Tribunal fédéral 2P. 259/2006 du 18 avril 2007, consid. 3.2 et jurisprudence citée). Celui-ci peut résulter d'une impossibilité objective ou subjective. Il doit être de nature telle que le respect des délais aurait exigé la prise de dispositions que l'on ne peut raisonnablement attendre de la part d'un homme d'affaires avisé (D. YERSIN/Y. NOËL, Commentaire de la loi sur l'impôt fédéral direct, Bâle 2007, ad art. 133, n° 14 et 15, p. 1283 ; ATA/38/2011 du 25 janvier 2011).

En l'espèce, le contribuable fait valoir, d’une manière très générale, que sa situation personnelle l'a conduit à prendre du retard dans les tâches administratives lui incombant. Or, cette explication ne constitue pas un juste motif au sens des jurisprudences précitées.

8. Au vu de ce qui précèdent, le recours de l'AFC-GE sera admis, le jugement du TAPI annulé et la décision sur réclamation prise par l’AFC-GE le 11 février 2010 rétablie. Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de l’intimé, qui succombe (art. 87 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 octobre 2011 par l'administration fiscale cantonale contre le jugement du 29 août 2011 du Tribunal administratif de première instance ;

au fond :

l’admet;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 août 2011 ;

rétablit la décision sur réclamation prise le 30 novembre 2010 par l’administration fiscale cantonale ;

met à la charge de Monsieur B______ un émolument de CHF 500.- ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à Monsieur B______, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

 

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

 

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :