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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3570/2010

ATA/172/2012 du 27.03.2012 sur JTAPI/65/2011 ( LCR ) , REJETE

Descripteurs : ; NE BIS IN IDEM ; RETRAIT DE PERMIS ; CONDAMNATION ; SANCTION ADMINISTRATIVE
Normes : CEH.4.al1.protocole7 ; CPP.11.al1 ; LCR.16.al3 ; LCR.16c
Résumé : Une mesure administrative telle qu'un retrait de permis de conduire cumulée à une condamnation pénale pour les mêmes faits ne viole pas le principe ne bis in idem, ces deux sanctions ayant des finalités différentes. L'autorité administrative ne s'est pour le surplus pas écartée des constatations de fait du jugement pénal entré en force.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3570/2010-LCR ATA/172/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 mars 2012

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur S______
représenté par Me Bruno Ledrappier, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DES AUTOMOBILES ET DE LA NAVIGATION

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er mars 2011 (JTAPI/65/2011)


EN FAIT

1. Monsieur S______, né en 1967, domicilié à Genève, a fait l'objet d'un contrôle automatique de vitesse le 14 mai 2010 à 16 h 15 sur l'autoroute A1 à Bertschikon, dans le canton de Zurich, en direction de Saint-Gall. La vitesse mesurée était de 122 km/h sur un tronçon où la vitesse maximale autorisée était de 80 km/h, soit, compte tenu de la déduction d'une marge de sécurité de 6 km/h, un excès de vitesse de 36 km/h.

2. Le 20 août 2010, l'office cantonal des automobiles et de la navigation (ci-après : l'OCAN) a informé M. S______ que les constatations des organes de police suite à l'infraction précitée, pouvaient aboutir à une mesure administrative qui était indépendante d'une amende ou d'une sanction pénale que les autorités judiciaires pouvaient, cas échéant, prononcer. Un délai de quinze jours lui était accordé pour produire ses observations.

3. Par décision du 13 septembre 2010, l'OCAN a prononcé le retrait du permis de conduire de M. S______, en application de l'art. 16c de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), pour une durée de douze mois.

Le dépassement de la vitesse autorisée était de 36 km/h, marge de sécurité déduite. L'infraction aux règles de la circulation routière était grave et la mesure conforme au minimum légal.

L'intéressé ne pouvait pas se prévaloir d'une bonne réputation de conducteur ni d'un besoin professionnel de conduire un véhicule : il avait déjà fait l'objet d'un retrait du permis de conduire prononcé le 5 septembre 2007 pour une durée de quatre mois en raison d'une infraction grave, mesure dont l'exécution avait pris fin le 4 mars 2008.

Il était précisé que M. S______ n'avait pas présenté d'observations.

4. Par ordonnance du 7 octobre 2010, le procureur de Winterthur a reconnu M. S______ coupable de violation grave des règles de la circulation routière au sens de l'art. 90 ch. 2 LCR, se basant sur le contrôle automatique de vitesse effectué le 14 mai 2010. Il a condamné l'intéressé à une peine pécuniaire de dix jours-amende à CHF 300.-/jour.

5. M. S______ n'a pas fait opposition à cette ordonnance pénale, laquelle est devenue définitive.

6. Par acte posté le 20 octobre 2010, M. S______ a recouru contre la décision du 13 septembre 2010 de l'OCAN qu'il avait reçue le 20 septembre 2010, auprès de la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission), devenue depuis le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), en concluant à l'annulation de celle-ci ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Il se référait à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans la cause Zolotoukhine contre Russie du 10 février 2009 (ACEDH Zolotoukhine c. Russie - requête no 14939/03 - du 10 février 2009), Le principe ne bis in idem tel que défini dans cet arrêt, empêchait qu'une mesure administrative à caractère pénal soit prise à son encontre, étant donné qu'il avait déjà été condamné pour les mêmes faits par l'ordonnance pénale du 7 octobre 2010.

L'autorité administrative ne pouvait pas statuer avant que l'ordonnance pénale ne soit entrée en force. Un tel comportement violerait la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière, selon laquelle le jugement pénal devait être rendu en premier lieu car il liait l'autorité administrative, tant sous l'angle des faits que de la qualification juridique retenue.

En raison des travaux sur le tronçon en cause, de nombreux changements de limitation de vitesse étaient signalés. Ces changements étaient tellement nombreux que cela en devenait peu clair pour les usagers de la route. Au surplus, le 14 mai 2010, sa femme, enceinte de neuf mois, apprenait que son père agonisait à l'hôpital. Désireuse de se rendre au chevet de ce dernier le plus rapidement possible, son épouse avait été conduite d'urgence par ses soins à l'aéroport de Zurich afin de prendre l'avion pour pouvoir se rendre à l'hôpital.

7. Le 11 novembre 2010, l'OCAN a persisté dans sa décision. Le Tribunal fédéral avait jugé à plusieurs reprises que la mesure administrative était indépendante de la sanction pénale et ne violait pas le principe ne bis in idem.

8. Par jugement du 1er mars 2011, le TAPI a rejeté le recours.

M. S______ ne contestait pas avoir commis un excès de vitesse de 36 km/h, marge de sécurité déduite, sur l'autoroute, ce qui constituait objectivement une infraction grave au sens de l'art. 16c LCR. De plus, le permis de conduire de l'intéressé avait déjà été retiré pour une durée de quatre mois en raison d'une infraction grave. Compte tenu de cet antécédent, l'OCAN avait à juste titre fait l'application de l'art. 16c al. 2 let. c LCR et prononcé le retrait du permis de l'intéressé pour une durée de douze mois, ce qui correspondait au minimum légal.

Le principe ne bis in idem ne s'opposait pas à ce qu'une mesure administrative et une sanction pénale soient prononcées cumulativement à raison d'un même fait.

9. Par acte déposé le 4 avril 2011, M. S______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, qu'il avait reçu le 3 mars 2011, en concluant à l'annulation de celui-ci ainsi qu'à celle de la décision de l'OCAN du 13 septembre 2010.

Il a repris les motifs déjà développés dans ses précédentes écritures.

10. Le 13 avril 2011, le TAPI a déposé son dossier, sans formuler d'observations.

11. Le 27 avril 2011, l'OCAN a également transmis son dossier et persisté dans les termes de la décision litigieuse.

12. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le recourant soutient qu’en prononçant une décision de retrait de permis alors qu’il avait déjà été sanctionné pour les mêmes faits par ordonnance de condamnation, l’OCAN aurait violé l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 CEDH et rendu une décision contraire à la jurisprudence « Zolotoukhine » de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : la Cour) relative au principe ne bis in idem (ACEDH Zolotoukhine c. Russie - requête no 14939/03 - du 10 février 2009).

Le principe ne bis in idem appartient, selon la jurisprudence constante, au droit pénal fédéral. Il est ancré dans la Constitution fédérale (art. 8 al. 1 Cst. ; M. HOTTELIER, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, n. 1 ad art. 11 CPP) ainsi qu’à l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 CEDH et à l’art. 14 al. 7 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (RS 0.103.2). Il figure également depuis le 1er janvier 2011, à l’art. 11 al. 1 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0).

Ce principe, qui est un corollaire de l’autorité de la chose jugée, interdit qu’une personne soit pénalement poursuivie deux fois pour les mêmes faits. Le premier jugement exclut ainsi que la personne soit poursuivie une seconde fois par une juridiction pénale, même sous une qualification juridique différente. Il s’agit en effet d’adopter une approche fondée strictement sur l’identité des faits matériels et de ne pas retenir la qualification juridique de ces faits comme critère pertinent (ACEDH Zolotoukhine c. Russie précité, § 79 ss ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1029/2010 du 18 avril 2011, consid. 1.1 ; ATA/576/2011 du 6 septembre 2011). Outre l’identité des faits, l’autorité de la chose jugée et le principe ne bis in idem supposent également qu’il y ait identité d’objet de la procédure et de la personne visée (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1029/2010 du 18 avril 2011, consid. 1.1 et la jurisprudence citée).

3. Dans l’arrêt Zolotoukhine contre Russie cité par le recourant, M. Zolotoukhine a été condamné à une peine de trois jours de détention administrative pour avoir injurié dans un poste de police une employée et le chef du service de la circulation routière, ce qui était constitutif de l’infraction administrative d’ « actes perturbateurs mineurs ». Par la suite, alors que le jugement administratif était devenu définitif, il a été inculpé pour les mêmes faits, qualifiés pénalement d’ « actes perturbateurs », ainsi que pour d’autres infractions qu’il avait commises ultérieurement durant la même journée. A l’issue de la procédure pénale, M. Zolotoukhine a été relaxé du chef d’inculpation d’ « actes perturbateurs » et reconnu coupable des autres infractions pénales. Selon la Cour, l’accusation pénale d’ « actes perturbateurs » englobait dans sa totalité les faits de l’infraction administrative d’ « actes perturbateurs mineurs » pour laquelle il avait déjà été condamné. Inversement, l’infraction administrative ne renfermait aucun élément qui ne fût englobé dans l’infraction pénale. La Cour a donc estimé que les faits considérés étaient en substance les mêmes et qu’il y avait répétition des poursuites dès lors que le jugement administratif était devenu définitif lorsque la procédure pénale avait commencé ce qui, en définitive, constituait une violation de l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 CEDH (ACEDH Zolotoukhine c. Russie précité, § 97, 109 à 111, pp. 27 et 30).

4. Les mesures administratives ont pour but d’empêcher qu’une situation irrégulière se produise (ou se reproduise à l’avenir), contrairement aux mesures d’exécution forcée qui ont pour objectif de restituer un état conforme au droit. Elles se fondent le plus souvent sur des faits passés, qui font apparaître comme très vraisemblable le risque futur d’une violation de l’ordre légal. Il se trouve fréquemment que l’élément déterminant soit une faute de l’administré visé. La mesure a alors aussi un aspect répressif qui n’est pas sans présenter quelque analogie avec le droit pénal. Toutes les mesures administratives, qu’elles aient un caractère de sanction ou non, visent en même temps, dans leur principe, à assurer l’effectivité de l’application d’une réglementation (P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 133 et 134 et la jurisprudence citée).

Le retrait du permis de conduire constitue une mesure administrative, comme cela ressort du message du Conseil fédéral : « La révision du droit régissant les mesures administratives vise à sanctionner de manière plus uniforme et plus rigoureuse les infractions graves et répétées aux prescriptions sur la circulation routière servant à renforcer la sécurité et, partant, à épargner des vies humaines et des blessés. En effet, il est notoire qu’en parallèle à une bonne formation (de base et complémentaire), le retrait du permis de conduire constitue l’une des mesures les plus efficaces pour inciter les usagers de la route à circuler de manière sûre et en faisant preuve d’égards envers autrui. Le renforcement des mesures administratives n’aura aucune conséquence pour les personnes qui observent les prescriptions importantes du droit routier (…). Selon l’al. 3 [de l’art. 16 LCR], la durée de retrait sera fonction, comme jusqu’à présent, des circonstances du cas d’espèce, à savoir, notamment, de la mise en danger du trafic, de la gravité de la faute, des antécédents de l’intéressé en tant que conducteur, ainsi que de la nécessité professionnelle de conduire un véhicule automobile. Contrairement à la jurisprudence que le Tribunal fédéral a établie par l’ATF 120 Ib 504, il ne sera plus permis de réduire la durée minimale prescrite, car cela ferait échec à l’application uniforme visée par la révision (…). » (Message du Conseil Fédéral du 31 mars 1999 in FF 1999 pp. 4130-4131). S’agissant du retrait de permis pour infraction grave des règles de la circulation routière au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR, l’application de cette disposition est « subordonnée à la double gravité de la faute commise et de la mise en danger objective. Si la faute est grave et la mise en danger bénigne ou, inversement, si la faute est légère et la mise en danger grave, il s’agira d’une infraction moyennement grave [art. 16b LCR] (…). » (Message du Conseil Fédéral du 31 mars 1999 in FF 1999 p. 4134).

La mesure administrative que constitue le retrait du permis de conduire implique un retrait d’avantage dès lors que l’exercice de l’activité visée est soumis à une décision administrative préalable qu’est l’octroi du permis de conduire. Il est qualifié de « retrait de sécurité » si le but est d’écarter de la conduite les conducteurs qui y sont inaptes (maladie, infirmité, alcoolisme, toxicomanie ; art. 16 al. 1 LCR) ou de « retrait d’admonestation » (art. 16 al. 2 et 3 LCR) lorsqu’il est ordonné pour sanctionner un comportement fautif et éviter les récidives, revêtant ainsi également un aspect pénal (ATF 134 II 39 consid. 3 p. 43 et jurisprudence citée ; P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 137-138 et la jurisprudence citée).

Ni les mesures administratives, ni les mesures d’exécution forcée ne permettent cependant d’assurer toujours le respect de la législation administrative. Il ne reste alors que la punition au travers des sanctions pénales, étant précisé que le cumul d’une mesure administrative et d’une pénalité n’est pas exclu, étant donné leurs finalités différentes. Selon le Tribunal fédéral, le fait que dans une procédure administrative, une mesure de retrait de permis de conduire soit prononcée, en application de l’art. 16 LCR, sur la base du même état de fait sur lequel repose la condamnation pénale prononcée au regard de l’art. 90 LCR, ne viole pas la règle « ne bis in idem », dès lors que le juge pénal n’est pas habilité à ordonner le retrait du permis de conduire, mesure qui incombe à l’autorité administrative, soumis au contrôle du juge administratif. Seul le concours des deux autorités permet d’examiner l’état de fait sous tous ses aspects juridiques (ATF 125 II 405 consid. 1b pp. 404 et 405 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_495/2008 du 28 octobre 2008 ; Arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois du 28 janvier 2011 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 153-154 et la jurisprudence citée).

5. Le Tribunal fédéral a examiné les objections tirées de l'arrêt « Zolotoukhine ». Il a relevé les différents points du droit suisse (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_105/2011 précité, consid. 2. 3 et 2. 4 et les références citées).

Le droit suisse prévoit une double procédure pénale et administrative en matière de répression des infractions relatives à la circulation routière : le juge pénal se prononce sur les sanctions pénales (amende, peine pécuniaire, travail d'intérêt général ou peine privative de liberté) prévues par les dispositions pénales de la LCR (art. 90 ss LCR) et par le Code pénal (art. 34 ss, 106 et 107 CP), tandis que les autorités administratives compétentes décident de mesures administratives (avertissement ou retrait de permis) prévues par les art. 16 ss LCR.

Si l’arrêt « Zolotoukhine » a clarifié l’application du principe « ne bis in idem » en tranchant en faveur du critère de l’identité des faits, il ne s’est pas prononcé sur le cumul des procédures administrative et pénale en matière d’infractions contre la circulation routière. Ce domaine est particulier à différents titres. D’abord, même si le retrait du permis de conduire présente un caractère pénal (ATF 128 II 173 consid. 3c p. 176 et les arrêts cités), il s’agit d’une sanction administrative indépendante de la sanction pénale, avec une fonction préventive et éducative prépondérante (ATF 128 II 173 consid. 3c p. 177 ; ATF 125 II 396 consid. 2a/aa p. 399). Son but principal est de garantir le respect des règles de la circulation routière et la sécurité des usagers de la route.

Ensuite, le système dual prévu par la LCR, dans lequel le juge pénal n’est pas compétent pour ordonner le retrait du permis de conduire, mesure qui relève de l’autorité administrative, a pour conséquence que seul le concours des deux autorités permet de subsumer l’état de fait à toutes les règles juridiques. Toutes les conséquences de l’acte délictueux ne pouvant pas être jugées ensemble, deux autorités aux compétences distinctes, ne disposant pas du même type de sanction, poursuivant des buts distincts, sont successivement amenées à statuer sur le même état de fait dans le contexte de deux procédures distinctes. Tel n’est pas le cas du système sanctionné par l’arrêt « Zolotoukhine », dont les considérants se rapportent à deux procédures (administrative et pénale) sanctionnant un même était de fait, conduites par le même tribunal disposant des même sanctions.

De surcroît, le législateur fédéral a rejeté la proposition de transférer le retrait d’admonestation au juge pénal. Dans le cadre de la révision de la partie générale du Code pénal, lors de la procédure de consultation, la proposition de transférer le retrait du permis de conduire au juge pénal n’a recueilli l’adhésion que de la moitié des cantons environ et a été rejetée par la quasi-unanimité des organisations et services spécialisés. Dans la procédure de consultation relative au projet de révision de la LCR, vingt-trois cantons ont souhaité que le conducteur fautif puisse faire l'objet d'une procédure administrative indépendante de la procédure pénale. Il n’y a pas lieu de s’écarter de la jurisprudence prévalant jusqu’à ce jour. Ce d’autant moins que la procédure pénale fédérale et les procédures administratives cantonales assurent toutes les garanties juridiques au sens des art. 29 à 30 Cst. et 6 CEDH.

Le recourant a quant à lui fait l’objet le 13 septembre 2010 d’une décision de retrait du permis de conduire de l’OCAN. Le 7 octobre 2010, soit durant le délai de recours contre cette décision, le procureur de Winterthur a rendu à son encontre une ordonnance pénale, contre laquelle il n’a pas fait opposition. Il est également avéré que tant l’ordonnance pénale que le retrait du permis de conduire se fondent sur les mêmes faits, établis par le contrôle automatique de vitesse le 14 mai 2010 à 16 h 15 sur l’autoroute A1 à Bertschikon, canton de Zurich. Toutefois, au regard de la jurisprudence précitée, le cumul de ces sanctions n’est pas incompatible avec l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 CEDH. La mesure de retrait de permis n’a en effet pas la même finalité que la condamnation pénale ; elle a pour but d’empêcher que la situation irrégulière constatée, c’est-à-dire l’excès de vitesse, ne se reproduise. Or, le juge pénal n’est pas habilité à ordonner le retrait du permis de conduire et seul le concours de l’autorité administrative permet d’atteindre le but recherché. Enfin, cette mesure n’est que le retrait de l’avantage accordé par l’autorité au recourant, soit la délivrance du permis de conduire.

Au vu de ce qui précède, ce grief sera écarté.

6. Le recourant prétend que l'autorité administrative ne pouvait pas statuer avant que l'ordonnance pénale ne soit entrée en force.

Lorsque la qualification juridique d'un acte ou la culpabilité est douteuse, il convient de statuer sur le retrait du permis de conduire après seulement que la procédure pénale soit achevée par un jugement entré en forcé en force ; fondamentalement, en effet, il appartient au juge pénal de se prononcer sur la réalisation d'une infraction (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_87/2009 du 11 août 2009, consid. 2.1 ; ATF 129 II 312 consid. 2. 4 p. 315).

En principe, l'autorité administrative statuant sur un retrait du permis de conduire ne peut pas s'écarter des constatations de fait d'un jugement pénal entré en force. La sécurité du droit commande en effet d'éviter que l'indépendance du juge pénal et du juge administratif ne conduise à des jugements opposés, rendus sur la base des mêmes faits (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_87/2009 précité consid. 2.1 ; ATF 129 II 312 consid. 2. 4 p. 315 ; ATF 109 Ib 203 consid. 1 p. 204 ; 96 I 766 consid. 4 p. 774). L'autorité administrative ne peut s'écarter du jugement pénal que si elle est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de fait inconnues du juge pénal ou qui n'ont pas été prises en considération par celui-ci, s'il existe des preuves nouvelles dont l'appréciation conduit à un autre résultat, si l'appréciation à laquelle s'est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés, ou si le juge pénal n'a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 129 II 312 consid. 2.4 p. 315 ; 123 II 97 consid. 3c/aa p. 104 ; 119 Ib 158 consid. 3c/aa p. 164 ; 105 Ib 18 consid. 1a p. 19 ; 101 Ib 270 consid. 1b p. 273 s. ; 96 I 766 consid. 5 p. 774 s.). Cela vaut non seulement lorsque le jugement pénal a été rendu au terme d'une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés, mais également, à certaines conditions, lorsque la décision a été rendue à l'issue d'une procédure sommaire, même si la décision pénale se fonde uniquement sur le rapport de police. Il en va notamment ainsi lorsque la personne impliquée savait ou aurait dû prévoir, en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés, qu'il y aurait également une procédure de retrait de permis. Dans cette situation, la personne impliquée est tenue, en vertu des règles de la bonne foi, de faire valoir ses moyens dans le cadre de la procédure pénale, le cas échéant en épuisant les voies de recours à sa disposition. Elle ne peut pas attendre la procédure administrative pour exposer ses arguments (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_274/2010 du 7 octobre 2010 consid. 2.1 ; ATF 123 II 97 consid. 3c/aa p. 104 ; 121 II 214 consid. 3a p. 217 s. ; ATA/576/ 2011 du 6 septembre 2011 ; ATA/363/2011 du 7 juin 2011).

En l'espèce, l'autorité administrative ne s’est nullement écartée des considérations retenues par le procureur de Winterthur, lui-même s’était fondé sur le contrôle automatique de vitesse du 14 mai 2010 pour rendre son ordonnance de condamnation.

Quant à la qualification juridique, ni l'acte ni la culpabilité du recourant n'ont été contestés.

7. La décision querellée est fondée sur la constatation de la réalisation d’une infraction grave aux règles de la circulation routière.

Depuis le 1er janvier 2005, les infractions à la LCR ont été réparties en fonction de leur gravité en trois catégories distinctes, assorties de mesures administratives minimales. Les nouveaux principes relatifs aux retraits de permis de conduire d’admonestation sont, beaucoup plus que sous l’ancien droit, fonction de la mise en danger créée par l’infraction ; l’atteinte à la sécurité routière étant désormais expressément codifiée à l’art. 16 al. 3 LCR.

Chacun doit respecter les marques et les signaux, en particulier ceux fixant une vitesse maximale (art. 27 al. 1 LCR ; art. 16 et 22 de l’ordonnance sur la signalisation routière du 5 septembre 1979 - OSR - RS 741.21 ; ATF 108 IV 62).

Tout conducteur a l’obligation de toujours adapter sa vitesse aux circonstances, en particulier aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité (art. 32 al. 1 LCR). Il doit se comporter dans la circulation de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies (art. 26 al. 1 LCR).

Selon l’art. 16 al. 2 LCR, une infraction aux prescriptions sur la circulation routière entraîne le retrait du permis d’élève-conducteur ou du permis de conduire ou un avertissement lorsque la procédure prévue par la loi fédérale du 24 juin 1970 sur les amendes d’ordre n’est pas applicable.

La loi établit une distinction selon que l’infraction doit être qualifiée de légère (art. 16a al. 1 let. a et b LCR), de moyennement grave (art. 16b al. 1 let. a à d LCR), ou de grave (art. 16c al. 1 let. a à f LCR).

Objectivement, l’application de l’art. 16c al. 1 let. a LCR requiert que l’auteur ait commis une violation grossière d’une règle fondamentale de la circulation routière et mis sérieusement en danger la sécurité du trafic. Il y a création d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui non seulement en cas de mise en danger concrète, mais déjà en cas de mise en danger abstraite accrue (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_720/2007 du 29 mars 2008 consid. 4.1 ; ATF 131 IV 133 consid. 3.2 = JdT 2005 I 466 ; ATA/576/2011 du 6 septembre 2011 consid. 7).

Dans le domaine des excès de vitesse, la jurisprudence fédérale a été amenée à fixer des règles précises afin d’assurer l’égalité de traitement entre conducteurs. Ainsi, le cas est objectivement grave, c’est-à-dire sans égard aux circonstances concrètes ou encore à la bonne réputation du conducteur, en présence d’un dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l’intérieur des localités, de 30 km/h ou plus hors des localités et sur les semi-autoroutes, et de 35 km/h ou plus sur les autoroutes (ATF 132 II 234 consid. 3.2 p. 238 ; ATF 128 II 131 consid. 2a p. 132 ; 124 II 259 consid. 2b p. 262 ; Arrêt du Tribunal fédéral 6A_114/2001 du 5 décembre 2001 consid. 2b). Il est en revanche de moyenne gravité lorsque le dépassement de la vitesse autorisée est, respectivement, de 21 à 24 km/h (ATF 126 II 196 consid. 2a p. 199), de 26 à 29 km/h et de 31 à 34 km/h (ATF 128 II 131 consid. 2a p. 132). Un arrêt a confirmé ce système de seuils schématiques arrêtés par la jurisprudence en matière d’excès de vitesse (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_83/2008 du 16 octobre 2008 consid. 2).

8. D’après l’art. 16 al. 3 LCR, les circonstances doivent être prises en considération pour fixer la durée du retrait du permis, ainsi que la nécessité professionnelle de conduire un véhicule automobile.

D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’état de nécessité prévu aux art. 17 et 18 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) est applicable par analogie aux mesures administratives (Arrêt du Tribunal fédéral 1C.44/2007 du 11 juillet 2007 consid. 3.2). Il suppose notamment que l’auteur agisse aux fins d’écarter un danger imminent, soit un danger non seulement actuel, mais encore concret et que l’infraction commise constitue un moyen approprié pour parvenir au résultat espéré. En matière de circulation automobile, le Tribunal fédéral a considéré que le fait de conduire en état d’ébriété ou de dépasser les limites de vitesse de manière importante ne pouvait être considéré comme un acte commis en état de nécessité dès lors que les biens juridiques protégés par la réglementation sur la circulation routière sont importants comme la vie, l’intégrité corporelle ou la santé d’êtres humains (ATF 118 IV 190 consid. 2d p. 191 ; 116 IV 364 consid. 1a p. 366 ; 113 Ib 143 consid. 3 pp. 146-147 ; 106 IV 1 consid. 2c p. 4 ; ATA/576/2011 du 6 septembre 2011 ; ATA/65/1998 du 17 mars 1998). Au surplus, l’auteur de l’acte illicite doit le limiter dans toute la mesure du possible et l’acte en question doit être nécessaire et adéquat (Arrêt du Tribunal fédéral 6A.28/2003 du 11 juillet 2002, consid. 2.2 ; TRECHSEL, op. cit. ch. 10 ad art. 34 et la jurisprudence citée).

En l’espèce, le recourant à commis un excès de vitesse de 36 km/h sur un tronçon d’autoroute, ce qui, en application des règles jurisprudentielles précitées, est constitutif d’une infraction grave au sens de l'’art. 16c al. 1 LCR.

S'agissant de l'état de nécessité, il ressort du dossier que les conditions strictes des art. 17 et 18 CP ne sont pas remplies. Le recourant a en effet expliqué avoir commis l'excès de vitesse, pour que son épouse, enceinte de neuf mois, puisse se rendre le plus vite possible au chevet de son père mourant. Malgré le contexte d'urgence et de tristesse, le souhait de sa femme de voir son père pour la dernière fois ne constitue pas un état de nécessité, vu le risque considérable de la mise en danger concrète de la vie d'un nombre indéterminé de personnes, le recourant et son épouse inclus. Ils n'étaient en définitive pas confrontés à un danger imminent et impossible à détourner autrement.

9. Le recourant allègue qu’en raison des travaux sur le tronçon en cause les modifications des limitations de vitesse étaient fréquentes, conformément aux art. 26 al. 2, 27 al. 1, 32 al. 1 LCR. Cet argument ne résiste pas à l'examen. Le recourant est en effet tenu d'adapter la vitesse aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. Les travaux sont une raison supplémentaire d’être plus attentif à la circulation routière.

10. Selon l’art. 16 al. 3 in fine LCR, la durée minimale du retrait du permis de conduire ne peut être réduite. Le Tribunal fédéral a encore rappelé récemment qu’une telle règle s’imposait aux tribunaux sans dérogation possible, même pour tenir compte de besoins professionnels particuliers du conducteur (ATF 132 II 234 consid. 2 p. 235 ss ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_585/2008 du 14 mai 2009, consid. 2.1 in fine et la jurisprudence citée). Cette durée minimale est de douze mois en cas d’infraction grave, si au cours des cinq années précédentes le permis a été retiré une fois en raison d’une infraction grave ou à deux reprises en raisons d’infractions moyennement graves (art. 16c al. 2 let. c LCR).

Quels que soient les besoins professionnels du recourant de disposer d’un permis de conduire, ceux-ci ne peuvent être pris en considération, l’OCAN ayant prononcé un retrait de permis d’une durée de douze mois, conforme au minimum légal institué par l’art. 16c al. 2 let. c LCR.

11. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant qui succombe. Aucune indemnité ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 avril 2011 par Monsieur S______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er mars 2011 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 400.- ;

dit qu’il ne lui est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Bruno Ledrappier, avocat du recourant, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'office cantonal des automobiles et de la navigation et à l'office fédéral des routes à Berne.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, Mme Junod et M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :