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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1327/2021

ATA/1384/2021 du 21.12.2021 ( FPUBL ) , ADMIS

Descripteurs : RÉPRIMANDE;SOMMATION;DÉCISION;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.4.al1; Cst.5.al2; Cst.5.al3; Cst.9
Résumé : Recevabilité du recours contre l’avertissement dit « formel » constatant, selon l’employeur, des manquements de la fonctionnaire et contenant la menace de sanctions disciplinaires ou de résiliation des rapports de service en cas de récidive. Annulation dudit avertissement car il viole le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité dans les circonstances du cas d’espèce. Cet avertissement doit donc in casu être retiré du dossier administratif de la fonctionnaire et détruit par l’autorité intimée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1327/2021-FPUBL ATA/1384/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 décembre 2021

 

dans la cause

 

Mme A______
représentée par Me Michael Rudermann, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI - OFFICE RÉGIONAL DE PLACEMENT

 



EN FAIT

1) Mme A______ a été engagée, dès le ______ 2003, en tant que conseillère en personnel au sein de l’office régional de placement (ci-après : ORP) de l’office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE), actuellement rattaché au département de l’économie et de l’emploi. Elle a été nommée fonctionnaire à ce poste dès le 1er juillet 2005. Son cahier des charges a été mis à jour en 2013.

2) Le 12 mars 2020, Mme A______ a eu son entretien d’évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019, avec son ancien responsable hiérarchique (jusqu’en août 2019) et Mme B______, sa nouvelle supérieure directe, cheffe de groupe, dès le 1er septembre 2019.

a. Y étaient relevées ses qualités (écoute active et soutien adapté des demandeurs d’emploi, décisions motivées, respect du cadre légal et des directives, échanges constructifs en séance de groupe, bonne gestion de son travail alors qu’elle avait été régulièrement en surcharge de dossiers ce qui n’était alors plus le cas) ainsi que des aspects à améliorer (actions à mettre en place dès le premier entretien et à suivre au fil des entretiens, s’adapter plus rapidement aux nouvelles pratiques, procès-verbaux avec abréviations pas toujours compréhensibles, nouveaux outils et directives à appliquer dès leur mise en place avec le soutien de la hiérarchie, atteindre un rythme d’entretien de 0.65 mensuellement notamment en recevant les candidats de façon plus rapprochée, « peaufiner » sa communication écrite).

Selon le bilan de son ancien responsable direct, son travail était de qualité. Elle dénouait des situations difficiles et apportait des solutions aux candidats. Elle entretenait des bonnes relations avec les demandeurs d’emploi, partageait son expérience avec ses collègues et sollicitait sa hiérarchie en cas de besoin. Elle devait améliorer ses « indices de prestations » qui étaient de 0.59 à 0.61 en février 2020 afin d’atteindre une moyenne de 0.65. Elle suivait une formation continue pour optimiser ses pratiques.

b. À titre de bilan et de souhaits, Mme A______ indiquait le nombre de bénéficiaires suivis, par mois, en 2017 (120.6, soit une moyenne de 87.1), en 2018 (113.2, soit une moyenne de 82.1) et en 2019 (109.4 soit une moyenne de 83.2). Elle avait été absente pour cause de maladie à la suite d’une opération du genou entre les 9 octobre et 1er décembre 2019, d’abord à 100 % puis à 50 %. Cela relativisait les évaluations et objectifs convenus vu les chiffres précités. Elle continuerait à activer les ressources de chaque demandeur d’emploi en vue de sa réinsertion, en mettant en œuvre les réajustements nécessaires lors des entretiens. Elle souhaitait pouvoir échanger, en séances de groupe, sur les constats de l’équipe au sujet des nouvelles compétences exigées par les employeurs par domaine professionnel.

3) En 2020, elle a été partiellement absente pour raison de santé du 17 janvier au 1er avril 2020 et du 21 septembre au 11 octobre 2020, et totalement absente pour le même motif, du 7 au 20 septembre, le 16 novembre et du 23 novembre au 23 décembre 2020.

Elle a repris son activité le 4 janvier 2021, après la fermeture de fin d’année.

4) Par courriel du 5 février 2021, M. C______, directeur de l’ORP, a convoqué Mme A______ à un « entretien de recadrage » pour le 11 février afin de l’entendre « suite à l’analyse de certains de [ses] dossiers démontrant des manquements », sans autre indication.

5) Le 11 février 2021 a eu lieu l’entretien « de recadrage », en présence de l’intéressée, de M. C______, de Mme B______ et d’une collaboratrice en charge de la prise du procès-verbal. Mme A______ avait signé celui-ci à sa réception, le 16 février 2021 et non le 15 février comme annoncé lors de l’entretien, en ajoutant les termes suivants : « Lu et non approuvé car subsistance d’inexactitudes dans la transcription de mes propos (page 4) ( ) et qu’il y a[vait] des fautes de frappe ».

Selon le compte rendu dudit entretien, pendant l’absence de Mme A______ du 23 novembre au 23 décembre 2020, ses dossiers avaient été « traités ou supervisés » par sa nouvelle cheffe de groupe, Mme B______. Des « manquements » avaient été constatés. L’intéressée se voyait reprocher de ne pas appliquer les règles de la loi fédérale en matière de chômage et les directives internes, en lien avec plusieurs dossiers. Les erreurs étaient regroupées en sept catégories, détaillées et illustrées par quatre-vingt-quatre annexes qui lui étaient alors remises. L’analyse de ses dossiers s’était faite sur les vingt-quatre derniers mois de suivi. Mme A______ était surprise par certains faits reprochés et se posait plusieurs questions. Elle aurait cinq jours pour faire part de ses observations.

Mme A______ était étonnée d’être convoquée pour un entretien de recadrage alors qu’elle avait un entretien, une fois par mois, avec sa cheffe de groupe et que certains faits reprochés remontaient aux mois de juin, octobre, novembre et décembre 2020. Lors de l’entretien mensuel du 12 janvier 2021, Mme B______ ne lui avait mentionné aucun dysfonctionnement. Un tel procédé lui paraissait grave. Elle s’interrogeait sur l’utilité du « management de proximité ». Si elle-même avait constaté une accumulation de manquements chez un subordonné, elle l’en aurait immédiatement informé au lieu d’attendre un entretien de recadrage, précisant que tant elle que Mme B______ étaient « sur site » dès le 4 janvier 2021. Elle souhaitait entendre cette dernière à ce sujet, estimant le « timing de la convocation » inapproprié et tardif sur une analyse faite fin 2020. M. C______ lui rappelait que les décisions étaient de son ressort, qu’il en assurait la cohérence et que c’était lui et non Mme B______, qui l’avait convoquée. Le but de l’entretien était justement de l’informer des manquements constatés.

Mme A______ était surprise de la présence de M. C______ à l’entretien. Ce dernier l’expliquait par le « management bienveillant » appliqué par la direction de l’ORP, organisant des réunions qui se faisaient « au fil de l’eau et selon les besoins ». Il rappelait la notion de contrôle interne visant à s’assurer de la correcte application de la législation topique ainsi que le rôle de surveillance de chaque chef de groupe. Mme A______ était invitée à se positionner par rapport aux faits identifiés. Celle-ci rappelait ne jamais avoir été amendée depuis son engagement en 2003, malgré les nombreux contrôles de l’OCE. Elle comprenait les mesures de contrôle des dossiers incombant au conseiller en personnel par rapport au demandeur d’emploi, mais se demandait si, en matière de contrôle interne, ses collègues étaient traités de la même manière qu’elle. Selon M. C______, il ne s’agissait pas d’un entretien de service mais d’un entretien de recadrage avec des points d’amélioration et des objectifs « en vue de rectifier le tir ». Mme A______ exprimait son étonnement de savoir que le bureau de sa cheffe de groupe était à proximité du sien et que cette dernière ne l’avait pas informée sur ses manquements lors de leurs précédents entretiens, notamment ceux des 4 et 12 janvier 2021, « alors que tout cela "avait mijoté dans la casserole" et qu’elles travaillaient toutes les deux sur site depuis le 4 janvier 2021 ».

Selon M. C______, Mme B______ appliquait strictement la législation en matière de chômage. Au vu des faits relatés, ils avaient décidé de lui fixer des objectifs pour qu’elle remédie aux manquements constatés. Mme A______ devait, d’une part, appliquer le cadre légal topique et les procédures internes de l’ORP relatives aux sept points détaillés dans le procès-verbal et, d’autre part, établir un suivi pertinent et compréhensible dans la retranscription des entretiens de suivi des demandeurs d’emploi. M. C______ ferait un premier entretien
le 15 avril 2021 pour savoir si elle avait des difficultés et un deuxième entretien le 31 mai 2021 pour effectuer un bilan. Il se déterminerait, dans un deuxième temps, après les éventuelles observations de l’intéressée, sur la suite à donner. Ces observations et le compte rendu seraient versés au dossier administratif de Mme A______. Celle-ci souhaitait prendre positivement les remarques pour s’améliorer. Après l’année 2020 qui avait été « chahutante », elle apprendrait peut-être quelque chose qu’elle avait « peut-être "zappé" ». Elle avait été malade depuis le 23 novembre 2020 mais était souffrante déjà bien avant et était venue travailler.

À la question de Mme A______ de savoir qui analyserait ses réponses et ses observations, M. C______ lui a répondu qu’il le ferait pour se déterminer sur la suite à donner, ajoutant que l’employeur avait la possibilité de prononcer un avertissement à l’issue de l’analyse. Mme A______ effectuerait un retour mais s’interrogeait sur la personne qui analyserait sa réponse. Elle a demandé si Mme B______ y participerait et s’il n’y avait pas une « autre entité ». M. C______ lui a indiqué que Mme B______ aurait un regard technique sur ses réponses et ses observations. Mme A______ a demandé à M. C______ que ce soit « d’autres collègues » et non Mme B______, qui l’appuient dans sa prochaine analyse. Elle constatait un « énorme décalage » entre les remarques pertinentes des collègues qui avaient suivi ses dossiers et celles de cet entretien. Mme B______ n’avait pas été la seule à suivre ses demandeurs d’emploi, cinq autres collègues l’avaient fait et ne lui avaient rien indiqué lorsqu’elle leur avait demandé s’il y avait des points particuliers. Mme A______ demandait conseil à M. C______ qui « entend[ait] » sa remarque, mais elle souhaitait plutôt qu’il la « comprenne ».

À la fin de l’entretien, Mme B______ et M. C______ ont réitéré leurs « attentes quant à la stricte application de la [loi fédérale régissant
l’assurance-chômage] et des procédures internes » par Mme A______.

6) Par courriel du 24 février 2021, Mme A______ a transmis, dans le délai imparti, ses remarques sur certains points du procès-verbal et ses observations sur les faits évoqués lors de l’entretien de recadrage.

Elle n’avait pas pu consulter les annexes alors remises. Sans « support écrit sous les yeux », ses remarques avaient ainsi été faites « "de mémoire" ». Les collègues, s’étant occupés des demandeurs d’emploi de son portefeuille, ne lui avaient fait part d’aucune difficulté de compréhension de ses procès-verbaux. Depuis son retour début 2021, elle avait repris certaines de leurs pratiques pour la transcription de ses propres procès-verbaux de suivi.

Elle fournissait des explications sur chacune des erreurs répertoriées par sa hiérarchie, admettant parfois s’être trompée et précisant, sur certains points, ses démarches ou son absence (maladie ou grève de la fonction publique). Sa principale observation consistait à s’interroger sur quels étaient ses manquements, le cas échéant leur gravité vu ses explications et quel pourcentage ils représentaient par rapport à l’ensemble des cas qu’elle gérait (« [son] portefeuille »). Cela l’amenait à se demander quel était le réel motif de l’entretien. Le terme « recadrage » lui semblait peu bienveillant vu les valeurs prônées par la charte d’éthique de l’État de Genève (cadre de travail harmonieux et respectueux, générant la confiance, l’échange et l’esprit d’équipe). Il existait l’entretien personnel, à titre de mesure d’encadrement. Sa cheffe de groupe n’avait, à aucun moment, notamment lors de son entretien de retour du 4 janvier 2021, attiré son attention sur ses erreurs qui seraient pourtant préjudiciables à
l’assurance-chômage. Elle émettait l’hypothèse que la réponse se trouvait dans le fait qu’elle était une femme, membre d’un syndicat, représentante intersyndicale de la délégation syndicale de l’OCE et commissaire d’une commission paritaire. Cette situation lui causait un stress supplémentaire dans un contexte en soi déjà assez « sollicitant » lié aux crises sanitaire et économique touchant particulièrement les demandeurs d’emploi. Elle ne comprenait pas le sens, en matière de gestion des risques, de fixer l’entretien de suivi au 15 avril 2021 et celui de bilan au 31 mai 2021. L’élaboration de ses observations lui avait pris un temps considérable la privant ainsi de son temps de repos, ce d’autant plus dans une période déjà complexe. Elle relevait la « coresponsabilité » de sa cheffe de groupe dans ses manquements, ce qui devrait figurer dans le dossier administratif de cette dernière.

7) Par courrier du 4 mars 2021, le directeur de l’ORP a prononcé un « avertissement formel » à l’égard de Mme A______, à la suite de l’entretien de recadrage du 11 février 2021.

Il l’avait, audit entretien, informée des manquements constatés dans la gestion de son portefeuille et de la possibilité de prononcer un avertissement à son encontre. Il avait pris connaissance de ses remarques « ou plutôt de [ses] ressentis » qui ne modifiaient pas sa position. Ledit courrier serait versé à son dossier administratif. Elle était priée « de bien vouloir, désormais, strictement respecter [ses] devoirs du personnel, à défaut de quoi [elle] pourr[ait] [s’]exposer à des sanctions disciplinaires ou à la résiliation de [ses] rapports de service ».

8) Le 23 mars 2021, Mme A______, représentée depuis par un avocat, a demandé au directeur de l’ORP de retirer l’avertissement formel.

L’entretien de recadrage était disproportionné. M. C______ semblait ne pas avoir pris en compte ses observations. Il s’était limité à les qualifier de « ressentis » sans autre explication, alors qu’elle avait fourni des éléments factuels pour chaque fait reproché et demandé à comprendre quel était son manquement, le cas échéant sa gravité. Cette approche soulevait la question de savoir s’il avait déjà pris la décision de lui notifier un avertissement formel, indépendamment de ses observations. L’avertissement formel était injustifié compte tenu de ses états de service.

Selon le document « Processus d’encadrement », produit par les parties, il existait trois sortes d’entretiens : les entretiens personnels pour les situations relevant du management courant (valorisation des efforts et résultats et, selon les besoins, la correction des écarts et la fixation d’objectifs), les EEDP en cours de carrière et les entretiens de service pour des situations spécifiques contraires au bon fonctionnement du service (insuffisance des prestations, inaptitude pour le poste ou violation des devoirs de service), devant être convoqués au moins quatorze jours avant. Ce délai n’avait pas été respecté, l’entretien du 11 février ayant été annoncé six jours auparavant. Seuls les entretiens de service pouvaient entraîner une sanction. Aucun des trois motifs précités pour un entretien de service n’était invoqué. Par ailleurs, il n’était pas non plus allégué que les faits reprochés auraient mis en péril le bon fonctionnement du service. Il s’agissait « à l’évidence » ici d’une situation de management courant visant à corriger de prétendus écarts. L’avertissement formel était donc manifestement abusif. De plus, elle rappelait que sa cheffe de groupe ne lui avait fait aucune remarque, depuis son retour de maladie, et ce malgré leur entretien personnel du 4 janvier 2021, leur entretien mensuel du 12 janvier 2021 et les courriels reçus de sa cheffe de groupe les 4 décembre 2020, 4, 15 et 25 janvier 2021. Cela confirmait que l’entretien dit de « recadrage » relevait d’une situation de management courant.

Elle estimait donc que les motivations de cet entretien et de l’avertissement formel étaient à rechercher ailleurs que dans de prétendus manquements. Elle les attribuait à « la fronde syndicale du mois de mai 2020 » concernant les conditions de travail, qui avait été « encore une fois – injustement mise sur [son] compte ». Or, elle n’avait « JAMAIS » été à son origine mais y avait été associée « bien malgré elle » en sa qualité de dernière représentante syndicale du personnel.

Enfin, aucun de ses collègues n’avait subi le même traitement qu’elle, alors que le 5 février 2021, dix minutes après avoir reçu sa convocation à l’entretien, sa cheffe de groupe avait envoyé un courriel enjoignant à son équipe d’appliquer strictement la loi fédérale régissant l’assurance-chômage pour tout manquement des candidats, attirant leur attention sur l’équité de traitement et la transparence dans le suivi des candidats. Cela lui laissait penser qu’elle n’avait pas été la seule à faire les erreurs qui lui étaient reprochées largement à tort.

9) Sans nouvelles, l’avocat de Mme A______ a indiqué, le 7 avril 2021, au directeur de l’ORP souhaiter être présent lors de l’entretien de suivi de sa cliente, prévu le 15 avril 2021.

Cette demande a été refusée le lendemain. L’autorité intimée a maintenu sa position et précisé que les entretiens des 11 février et 15 avril 2021 étaient des « actes usuels de management » lors desquels les collaborateurs n’avaient pas à être assistés « ne serait-ce que pour des questions de protection des données de[s] assurés ».

10) Le 12 avril 2021, le directeur de l’ORP a refusé la demande de l’intéressée d’annuler l’entretien du 15 avril 2021, malgré le recours annoncé contre l’avertissement du 4 mars 2021 et le refus d’accepter la présence de son avocat à l’entretien du 15 avril 2021.

11) Le 19 avril 2021, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’avertissement formel du 4 mars 2021 et contre le refus du 8 avril 2021 d’être assistée de son avocat lors de l’entretien de suivi. Elle a préalablement sollicité l’apport de son dossier administratif. Elle a conclu, d’une part, à la nullité, subsidiairement à l’annulation de l’avertissement et à ce qu’il ne figure pas dans ses états de service. D’autre part, elle a conclu à ce qu’il soit dit qu’elle avait le droit de se faire assister lors de l’entretien de suivi annoncé lors de celui du 11 février 2021. 

Bien que légalement non prévu, l’avertissement était une sanction disciplinaire et une décision au sens de l’art. 4 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Il avait pour objet de constater et de sanctionner un état de fait. La sanction était assortie de la menace de nouvelles sanctions disciplinaires ou de la résiliation des rapports de service si elle persistait à ne pas respecter ses devoirs du personnel. Il en allait de même, pour des motifs identiques, du refus « définitif » du directeur de l’ORP quant à son droit de se faire assister de son avocat lors de l’entretien de suivi. Son recours était donc recevable.

Elle invoquait une violation du principe de la légalité dans la mesure où le catalogue des sanctions ancré à l’art. 16 al. 1 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) ne prévoyait pas l’avertissement. Le délai de convocation n’avait en outre pas été respecté. L’avertissement devait ainsi être déclaré nul, subsidiairement annulé, ainsi que retiré de son dossier administratif. Elle se plaignait aussi d’une violation de son droit d’être entendue. Elle ne comprenait ni les raisons pour lesquelles ses observations, pourtant détaillées et factuelles, n’avaient pas fait changer la position de l’autorité intimée, ni les manquements qui lui étaient reprochés hormis un seul. Elle ignorait aussi leur gravité et le dommage que ses agissements auraient causé à l’État et/ou aux assurés. Pour ces mêmes motifs, le principe de la proportionnalité et celui de l’interdiction de l’arbitraire n’étaient pas respectés au vu de ses états de service « sans tache » et de « l’absence de matérialité des faits reprochés », l’autorité intimée s’étant limitée à qualifier ses contestations étayées de « ressentis ».

Enfin, elle se prévalait de l’art. 9 al. 4 LPA, applicable par renvoi de l’art. 27 al. 1 LPAC, pour contester le refus du 8 avril 2021 d’être assistée par son avocat à son entretien de suivi, alors que celui-ci visait à s’assurer du respect des objectifs fixés lors de l’entretien du 11 février 2021 et le cas échéant, conformément à la teneur de l’avertissement litigieux, à déterminer le prononcé éventuel d’autres sanctions disciplinaires, voire la résiliation des rapports de service. L’entretien de suivi ne pouvait ainsi être qualifié d’acte de management usuel.

12) Mme A______ a été en incapacité complète de travailler pour raison de maladie, confirmée par certificats médicaux, du 14 avril jusqu’au 6 mai 2021, puis en incapacité partielle entre les 7 mai et 10 juin 2021.

13) Les 10 et 12 mai 2021, le directeur de l’ORP a respectivement convoqué Mme A______ à un entretien « de suivi » pour le 27 mai 2021 et à un entretien « de bilan » pour le 8 juillet 2021, en présence de son nouveau chef de groupe depuis mars 2021, M. D______.

14) Le 19 mai 2021, le directeur de l’ORP a refusé la présence de l’avocat de l’intéressée à l’entretien du 27 mai 2021, car il avait pour objet le suivi des objectifs fixés et n’était pas un entretien de service.

15) Le 20 mai 2021, la présidente de la chambre administrative a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles de Mme A______ tendant à ce qu’il soit interdit à l’ORP d’organiser des entretiens avec elle jusqu’à droit jugé sur son recours. Il n’était pas, à première vue, perçu le caractère urgent, notamment en quoi elle pourrait subir un dommage difficile à réparer par la suite.

16) Aucun compte rendu n’a été établi concernant l’entretien du 27 mai 2021.

a. Il s’agissait, selon le courriel du directeur de l’ORP du 4 juin 2021, d’un entretien de suivi qualifié de « acte de management usuel » et destiné à s’assurer du suivi approprié des dossiers par l’intéressée. Celle-ci avait reçu « une synthèse de l’analyse », produite sous pièce 25 de l’autorité intimée. Ce document détaillait en outre les contrôles de certains dossiers de l’intéressée, effectués entre
les 22 mars et 9 avril 2021. Il ne comportait aucune indication concernant son impact sur la situation professionnelle de cette dernière.

b. L’avocat de Mme A______ n’a pas obtenu de réponse à la question de savoir pourquoi, alors que les entretiens des 11 février et 27 mai 2021 étaient tous deux considérés comme des actes de management usuel, le premier avait fait l’objet d’un procès-verbal et pas le second.

17) Le 28 juin 2021, l’autorité intimée a conclu principalement à l’irrecevabilité du recours et, sur le fond, à son rejet.

L’avertissement n’était plus une sanction disciplinaire faute de figurer dans le catalogue légal topique, mais un acte de gestion courante du personnel destiné à la correction des écarts de la recourante et non à la sanctionner. Il ne s’agissait donc pas d’une décision au sens de l’art. 4 LPA, cette notion se calquant sur celle du droit fédéral, y compris pour les cas limites. L’avertissement litigieux faisait suite à l’entretien de recadrage du 11 février 2021, qui était l’une des formes que pouvait prendre l’entretien personnel, prévu dans le document susmentionné « Processus d’encadrement » pour les situations relevant du management courant lorsqu’il visait à corriger des écarts et à fixer des objectifs à un membre du personnel. Le recours contre l’avertissement litigieux était dès lors irrecevable.

Comme l’avertissement définissait le cadre matériel du litige, le refus litigieux du 8 avril 2021 était exorbitant à l’objet du recours. Un deuxième recours aurait dû être déposé à son encontre. Aucune norme ne prévoyait le droit d’un membre du personnel à être accompagné en cas d’entretien relevant de la simple mesure de gestion du personnel. Le recours contre ce refus devait ainsi aussi être déclaré irrecevable.

Sur le fond, l’autorité intimée a repris plusieurs griefs formulés à l’encontre de la recourante lors de l’entretien du 11 février 2021 et écarté ses observations. Elle était soumise à des contrôles aléatoires effectués par l’autorité fédérale de l’assurance-chômage, qui mettait à la charge du canton les manquements identifiés. La correcte application des règles en matière de chômage était de la responsabilité de la hiérarchie de la recourante. Il incombait à celle-là de procéder au recadrage éventuel des membres de son personnel qui s’en écartaient pour éviter des dommages aux candidats à l’emploi ou à l’employeur. Les contrôles étaient indépendants du genre ou des activités extraprofessionnelles des membres du personnel. La recourante avait commis de nombreux manquements dûment avérés aux règles légales topiques et aux directives internes. En choisissant la forme de l’avertissement formel, soit un acte de gestion interne du personnel, lequel n’était ni une décision ni une sanction, l’autorité intimée avait respecté le principe de la proportionnalité. Par ailleurs, elle avait exhaustivement motivé les manquements de la recourante, tant lors de l’entretien du 11 février 2021 que dans sa réponse, notamment le fait que certaines modifications avaient été effectuées avant son absence pour cause de maladie. L’avertissement n’était ainsi pas arbitraire.

18) La recourante a ensuite précisé que l’avertissement litigieux était destiné à figurer dans ses états de service. Il ne s’agissait pas d’une simple communication interne relative à l’exécution des tâches du fonctionnaire, ni d’une recommandation ou d’un renseignement. Prononcé à l’issue de l’entretien de recadrage, sanctionné par un procès-verbal, et après l’avoir entendue, cet avertissement s’apparentait à une sanction déguisée et était donc sujet à recours.

19) Par décision du 9 juillet 2021, la présidente de la chambre administrative a rejeté la requête de restitution d’effet suspensif au prononcé de l’avertissement du 4 mars 2021, formulée par la recourante le 19 mai 2021.

Les sanctions disciplinaires du catalogue légal applicable in casu ne comportaient pas l’avertissement, le blâme étant la sanction disciplinaire la plus légère. La question de savoir si cet avertissement pouvait être assimilé à une décision administrative serait tranchée au fond.

20) Après avoir offert à la recourante la possibilité de répliquer, la chambre de céans a informé les parties que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1) La première question litigieuse porte sur la recevabilité du recours devant la chambre administrative, plus particulièrement sur la question de savoir si l’avertissement litigieux ainsi que le refus querellé d’être assisté d’un avocat sont des décisions sujettes à recours.

a. La chambre administrative examine d’office sa compétence (art. 11 al. 2 cum art. 1 al. 2 et art. 6 al. 1 let. c LPA).

Celle-ci est réglée par l’art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05). Selon l’art. 132 al. 1 LOJ, la chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative, sous réserve des compétences de la chambre constitutionnelle et de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice. Seule l’hypothèse de l’art. 132 al. 2 LOJ entre in casu en considération. Selon cette norme, le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions au sens des art. 4, 4A et 57 LPA prises par les autorités ou juridictions administratives visées aux art. 5 respectivement 6 al. 1 LPA, sous réserve des exceptions prévues par la loi.

b. Sont considérées comme des décisions au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c). Sont également considérées comme décisions les décisions incidentes (art. 4 al. 2 LPA).

Constitue une décision finale, celle qui met un point final à la procédure, qu’il s’agisse d’une décision sur le fond ou d’une décision qui clôt l’affaire en raison d’un motif tiré des règles de la procédure (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 256 n. 2.2.4.2 ; ATA/521/2020 du 26 mai 2020 consid. 3b). Est en revanche une décision incidente, celle qui est prise pendant le cours de la procédure et ne représente qu’une étape vers la décision finale (ATA/521/2020 du 26 mai 2020 consid. 3b et les arrêts cités) ; elle peut avoir pour objet une question formelle ou matérielle, jugée préalablement à la décision finale (ATF 139 V 42 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_567/2016 et 2C_568/2016 du 10 août 2017 consid. 1.3).

Sont susceptibles de recours (art. 57 LPA), les décisions finales (let. a) et les décisions incidentes si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. c). Selon l’art. 62 al. 1 LPA, le délai de recours est de trente jours s’il s’agit d’une décision finale ou d’une décision en matière de compétence (let. a) et de dix jours s’il s’agit d’une autre décision (let. b). Enfin, les règles posées par la LPA ne sont pas applicables aux actes de portée purement interne à l’administration (art. 2 let. a LPA).

c. Selon Pierre Moor/François Bellanger/Thierry Tanquerel, en matière de fonction publique, une simple réprimande, même dénommée également avertissement, n’est pas une sanction, ni même une décision sujette à recours, à la condition qu’elle ne fixe pas, avec l’apparence de chose décidée, que l’intéressé a commis une faute de service, à l’effet de l’en écarter à l’avenir, mais dont il pourrait être tenu compte en cas de récidive (Pierre Moor/François Bellanger/Thierry Tanquerel, Droit administratif, Volume III, 2ème éd., 2018, p. 620).

d. Selon le Tribunal fédéral, un avertissement ou une sommation porte, dans certaines conditions, atteinte à la situation juridique du destinataire. Il en est ainsi lorsque l’avertissement est une étape obligatoire précédant une éventuelle mesure préjudiciable au destinataire, telle que le retrait d’une autorisation, ou lorsque, sans être impérativement nécessaire, l’avertissement prépare et favorise une mesure ultérieure qui, autrement, pourrait être jugée contraire au principe de la proportionnalité (ATF 125 I 119 consid. 2a ; 103 Ib 350 consid. 2).

Dans une ancienne affaire, le Tribunal fédéral a dû examiner la nature juridique de l’avertissement infligé à un avocat dans le cadre de l’ancien recours de droit public, plus spécifiquement si cet avertissement le touchait dans un intérêt juridiquement protégé. La législation cantonale en cause ne prévoyait pas l’avertissement comme sanction disciplinaire. Celui-ci ne constituait pas non plus un antécédent d’ordre disciplinaire. Il visait à reprocher à l’avocat un comportement contraire au droit et lui enjoignait de s’abstenir, à l’avenir, d’un comportement donné. L’avocat ressentait cet avertissement (« Verwarnung ») de la même manière qu’un blâme (« Verweis »). L’avertissement affectait non seulement sa réputation professionnelle, mais également sa crédibilité auprès de clients, de collègues et d’autorités ainsi que sa situation dans une éventuelle future procédure disciplinaire (« beeinträchtigt ( ) die Stellung in einem allfälligen zukünftigen Disziplinarverfahren »). Il était ainsi touché dans un intérêt juridiquement protégé, même si ladite mesure n’était pas considérée comme une véritable sanction disciplinaire (« eigentliche Disziplinarverfahren ») par le droit cantonal. La qualité pour recourir de l’ancien recours de droit public ne dépendait pas de la question de savoir comment la loi cantonale qualifiait une mesure disciplinaire, mais seulement de celle de savoir si elle portait atteinte à un intérêt juridiquement protégé du recourant (ATF 103 Ia 426 consid.1b).

e. Faisant référence à cet ancien arrêt, Pierre Moor et Étienne Poltier estiment que sont des décisions sujettes à recours, les actes constatant l’existence d’une obligation violée par l’intéressé et pouvant ainsi préparer, voire rendre plus facile une sanction ultérieure en cas de récidive (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, p. 180).

f. En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral. Il ne suffit pas que l'acte querellé ait des effets juridiques, encore faut-il que celui-ci vise des effets juridiques. Sa caractéristique en tant qu'acte juridique unilatéral tend à modifier la situation juridique de l'administré par la volonté de l'autorité, mais sur la base de et conformément à la loi. La décision a pour objet de régler une situation juridique, c'est-à-dire de déterminer les droits et obligations de sujets de droit en tant que tels. Ce critère permet d'écarter un certain nombre d'actes qui ne constituent pas des décisions, comme les actes matériels, les renseignements, les recommandations ou les actes internes de l'administration (ATA/141/2020 du 11 février 2020 consid. 1b et les références citées).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en droit public, la notion de « décision » au sens large vise habituellement toute résolution que prend une autorité et qui est destinée à produire un certain effet juridique ou à constater l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'une obligation ; au sens étroit, c'est un acte qui, tout en répondant à cette définition, intervient dans un cas individuel et concret (ATF 135 II 328 consid. 2.1 ; 106 Ia 65 consid. 3 ; 99 Ia 518 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 du 4 décembre 2017 consid. 2.1). La notion de décision implique donc un rapport juridique obligatoire et contraignant entre l'autorité et l'administré (ATF 141 I 201 consid. 4.2). Constitue une décision un acte étatique qui touche la situation juridique de l'intéressé, l'astreignant à faire, à s'abstenir ou à tolérer quelque chose, ou qui règle d'une autre manière obligatoire ses rapports avec l'Etat (arrêt du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020 consid. 5.2 et les références citées).  

De simples déclarations, comme des opinions, des communications, des prises de position, des recommandations et des renseignements n'entrent pas dans la catégorie des décisions, faute de caractère juridique contraignant (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2). Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte. Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 précité consid. 2.1 et les références citées).

g. La décision (comme acte juridique) se distingue de l’acte interne ou d’organisation, qui vise des situations à l’intérieur de l’administration ; l’acte interne peut avoir des effets juridiques, mais ce n’en est pas l’objet et c’est pourquoi il n’est en règle générale pas susceptible de recours. Deux critères permettent généralement de déterminer si on a affaire à une décision ou à un acte interne. D’une part, l’acte interne n’a pas pour objet de régler la situation juridique d’un sujet de droit en tant que tel et, d’autre part, le destinataire en est l’administration elle-même, dans l’exercice de ses tâches. Ainsi un acte qui affecte les droits et obligations d’un fonctionnaire en tant que sujet de droit, par exemple la fixation de son salaire, d’indemnités diverses ou encore de sanctions disciplinaires, est une décision. En revanche, un acte qui a pour objet l’exécution même des tâches qui lui incombent en déterminant les devoirs attachés au service, telles que la définition du cahier des charges ou des instructions relatives à la manière de trancher une affaire, est un acte interne juridique (ATF 136 I 323 consid. 4.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 8D_5/2017 du 20 août 2018 consid. 7.1 ; 8D_1/2016 du 23 janvier 2017 consid. 5.1 et les références citées ; ATA/889/2018 du 4 septembre 2018 et les références citées).

2) En l’espèce, l’avertissement litigieux doit être qualifié de décision sujette à recours au sens de l’art. 4 al. 1 LPA. Sa simple lecture met deux éléments décisifs en lumière. D’une part, l’acte querellé formalise le constat de l’autorité intimée, selon lequel les erreurs reprochées à la recourante lors de l’entretien du 11 février 2021 constitueraient des manquements de sa part. D’autre part, il enjoint à celle-ci de « strictement respecter [ses] devoirs du personnel » avec la menace de lui infliger des sanctions disciplinaires ou de résilier ses rapports de service. Il va de soi qu’un tel acte vise à affecter la situation juridique de la recourante à l’égard de son employeur dans une éventuelle future procédure à son encontre. En effet, ledit avertissement vise indubitablement à établir la violation – contestée – de devoirs par la recourante. En outre, la formalisation écrite de ce constat facilite non seulement sa réutilisation dans une procédure ultérieure mais suppose, de manière implicite, que les erreurs commises par l’intéressée sont d’une certaine gravité, en particulier vu son absence d’antécédents pendant dix-huit ans de service. Ce procédé favorise ainsi la prise d’éventuelles futures mesures affectant sa situation juridique, qui sont d’ailleurs clairement annoncées dans l’acte litigieux.

Le fait que l’avertissement ne figure plus dans la liste du catalogue légal des sanctions prévues à l’art. 16 al. 1 LPAC et qu’il ne s’agisse pas d’une étape obligatoire au regard de la réglementation topique ne changent rien à l’impact susévoqué, clair et direct, de l’acte querellé sur la situation juridique de l’intéressée. L’avertissement litigieux ne se limite pas à donner des instructions à cette dernière sur la manière d’accomplir sa fonction. Il vise à modifier sa situation juridique par rapport à son employeur tant en constatant qu’elle aurait manqué à ses devoirs que sur le prononcé de mesures futures à son encontre en cas de récidive. Dès lors, dans le cas d’espèce, l’avertissement litigieux ne constitue pas un acte interne de gestion, mais doit être qualifié de décision au sens de l’art. 4 al. 1 LPA.

Destinataire dudit avertissement, la recourante est directement touchée dans son rapport de service l’unissant à l’autorité intimée, son employeur. Elle a également un intérêt actuel à le contester et a recouru en temps utile (art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a LPA). Elle jouit ainsi de la qualité pour agir (art. 60 al. 1 let. a et b LPA). Son recours contre l’avertissement du 4 mars 2021 est donc recevable.

3) Sur le fond, il convient d’examiner la conformité au droit de l’avertissement litigieux.

a. En matière de rapports de service, l'employeur public dispose d'un large pouvoir d'appréciation, notamment face à des manquements aux devoirs de service commis par les membres de son personnel, de sorte que la chambre administrative ne peut intervenir qu'en cas de violation du droit, y compris d'abus ou d'excès du pouvoir d'appréciation, ou de constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. a et b LPA).

b. Cela étant, l'employeur public reste assujetti au respect des principes constitutionnels, en particulier ceux de la légalité, l'égalité de traitement, la proportionnalité et l'interdiction de l'arbitraire, dans la mesure où les rapports de service sont soumis au droit public (ATA/240/2019 du 12 mars 2019 consid. 5f et les références citées).

Le principe de la proportionnalité, ancré à l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_635/2020 du 22 juin 2021 consid. 3.1 ; 8C_15/2019 du 3 août 2020 consid. 7.2 et les arrêts cités).

c. En matière de sanctions disciplinaires, la liberté d’appréciation de l’autorité est encadrée par le principe de proportionnalité. Son choix ne dépend pas seulement des circonstances subjectives de la violation incriminée ou de la prévention générale, mais aussi de l'intérêt objectif à la restauration, à l'égard du public, du rapport de confiance qui a été compromis par la violation du devoir de fonction. Une mesure viole le principe de la proportionnalité si elle excède le but visé et qu'elle ne se trouve pas dans un rapport raisonnable avec celui-ci et les intérêts - en l'espèce publics - compromis (arrêt du Tribunal fédéral 8D_4/2020 du 27 octobre 2020 consid. 3.2 et les arrêts cités). Eu égard au principe de proportionnalité, le choix du type et de la gravité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d'intérêt public recherchés (arrêts du Tribunal fédéral 8D_10/2020 du 7 avril 2021 consid. 4.1 et 4.2 ; 8C_161/2019 du 26 juin 2020 consid. 4.2.3 et les arrêts cités).

Par ailleurs, une mesure disciplinaire n'a pas en premier lieu pour but d'infliger une peine : elle tend au maintien de l'ordre, à l'exercice correct de l'activité en question et à l'intégrité de l'administration, qui doit appliquer les lois avec impartialité ; vers l'extérieur, elle tend à la préservation de la confiance du public à l'égard de l'activité étatique ; elle s'insère souvent dans un ordre croissant de sanctions en fonction de la gravité du manquement (ATF 142 II 259 consid.  4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_4/2020 du 27 octobre 2020 consid. 3.2 ; ATA/114/2021 du 2 février 2021 consid. 2e).

d. Le principe de la bonne foi consacré aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale et leur commande de s'abstenir, dans leurs relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1). Le principe de la confiance s'applique aux procédures administratives. Selon ce principe, les décisions, les déclarations et comportements de l'administration doivent être compris dans le sens que son destinataire pouvait et devait leur attribuer selon les règles de la bonne foi, compte tenu de l'ensemble des circonstances qu'il connaissait ou aurait dû connaître (ATF 135 III 410 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2P.170/2004 du 14 octobre 2004 consid. 2.2.1 in RDAF 2005 71 ; ATA/1299/2019 du 27 août 2019 consid. 3d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 569 s). L'interprétation objectivée selon le principe de la confiance sera celle d'une personne loyale et raisonnable (ATF 116 II 431 consid. 3a ; ATA/399/2019 du 9 avril 2019 consid. 2). L'interprétation selon le principe de la confiance s'applique aussi aux déclarations de personnes privées (ATA/548/2018 du 5 juin 2018 consid. 4h et les références citées).

e. En l’espèce, la chronologie des événements montre une incohérence dans le comportement de l’autorité intimée à l’égard de la recourante. En effet, dans sa réponse devant la chambre administrative, l’autorité intimée soutient que sa démarche relève du « management courant » et qu’elle vise à corriger les écarts de l’intéressée et à lui fixer des objectifs, mais non à la sanctionner. Or, ladite autorité prononce, moins d’un mois après l’avoir informée pour la première fois des erreurs constatées et avant l’entretien de suivi, un avertissement formel contre la recourante et la menace, en cas de récidive, de la sanctionner, voire de la licencier, et ce en dépit de l’absence d’antécédents. En outre, alors que la recourante a, chaque mois, une réunion avec sa cheffe directe chargée du respect de la réglementation topique par son équipe, elle doit attendre d’être convoquée à un entretien de recadrage par et avec le directeur de l’ORP pour être informée des erreurs identifiées dans la gestion de ses dossiers. Aucune partie n’allègue que des mises en garde préalables aient été faites à l’intéressée. De plus, une fois informée de ces erreurs et des objectifs attendus avec la fixation annoncée d’un entretien de suivi et d’un autre de bilan, la recourante n’a pas la possibilité de tirer profit des constats effectués par sa hiérarchie en disposant d’un laps de temps suffisant pour répondre aux exigences de celle-ci et ainsi pouvoir s’améliorer sur les points signalés, pour la première fois, par son employeur, avant d’être menacée de sanction, voire de licenciement. Cette manière de faire est d’autant moins compréhensible que la recourante n’a pas d’antécédent sur ses dix-huit années de service.

La décision querellée se distingue aussi par la rapidité de son prononcé et la gravité de son contenu, et ce alors qu’elle intervient dans un contexte général où les demandeurs d’emploi sont fortement touchés par la crise actuelle. De plus, la forme du premier entretien du 11 février 2021 contraste notablement avec l’argumentation de l’autorité intimée, selon laquelle cet entretien relèverait du management courant et devrait être assimilé à un entretien personnel. Il correspond davantage à un entretien de service, en ce sens qu’il a fait l’objet d’un procès-verbal dont la structure et le nombre d’annexes rappellent celui d’un entretien de service et qu’il est suivi par l’étape des observations de la personne interpellée, nécessaire lors d’un entretien de service pour satisfaire au droit d’être entendu avant le prononcé d’une décision. Or, cette approche n’a pas été suivie pour l’entretien de suivi du 27 mai 2021, alors que l’autorité intimée les qualifie tous deux d’acte de gestion courante du personnel. Interpellé à ce sujet, le directeur de l’ORP ne donne aucune explication concernant cette différence de traitement dans son courriel du 4 juin 2021. Cela confirme l’attitude contradictoire de l’autorité intimée face aux erreurs constatées dans le traitement des dossiers de l’intéressée.

Dans ces circonstances, l’avertissement litigieux n’est pas une mesure nécessaire au bon fonctionnement du service. En effet, le simple signalement d’erreurs clairement identifiées, cumulé à l’invitation d’exécuter le travail conformément aux directives et règles précisément rappelées, permet d’atteindre le même but, en particulier lorsqu’il s’agit de la première mise en garde sur une si longue durée de rapport de service. Il s’agit d’une manière moins incisive pour l’intéressée et plus adaptée à la gestion courante de nombreux dossiers, ce d’autant plus dans le contexte de l’épidémie actuelle caractérisé par des changements réguliers de consignes. La responsabilité de la hiérarchie de veiller au respect de la réglementation topique par son personnel ne l’empêche pas de procéder de manière progressive, bienveillante et constructive face au constat d’erreurs de celui-ci. Le bon fonctionnement d’un service est également tributaire d’un environnement et d’un encadrement, adéquats et propices à la correcte réalisation des tâches par le personnel.

À cela s’ajoutent, outre les diverses absences de la recourante pour motif de maladie en 2019 et 2020, les termes assez forts employés par sa hiérarchie à son encontre dans le procès-verbal du premier entretien (« manquements ») et dans la décision litigieuse (« respecter [ses] devoirs du personnel »). Plusieurs erreurs de la recourante découlent d’une question d’appréciation (contrôle des recherches d’emploi, permis de séjour, désinscription des demandeurs d’emploi), tandis que d’autres peuvent être qualifiées de relativement mineures (mention du caractère présentiel ou non de l’entretien dans la base de données informatique, retranscription des procès-verbaux). Si des erreurs, peu graves mais répétées malgré les rappels, peuvent constituer un manquement à l’obligation du personnel d’exécuter son travail « consciencieusement et avec diligence » au sens de l’art. 22 al. 1 du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), tel n’est pas nécessairement le cas de toute erreur commise par un fonctionnaire. Certes, l’appréciation de l’erreur relève du libre pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée. Cela étant, sa gestion est, en l’espèce, incohérente et disproportionnée par rapport au but d’assurer le bon fonctionnement du service. Par ailleurs, comme le relève la recourante, on ignore la proportion d’erreurs identifiées sur l’ensemble des dossiers qu’elle traite, et ce alors qu’elle est en place depuis de nombreuses années et que son dernier EEDP relève son travail « de qualité » et sa capacité à dénouer des situations difficiles et à apporter des solutions aux demandeurs d’emploi. Enfin, il découle du contrôle effectué par son nouveau chef de service depuis mars 2021, produit en pièce n° 25 de l’autorité intimée, que la recourante a démontré une amélioration de son travail sur les différents points signalés et évité plusieurs des erreurs identifiées lors de l’entretien de février 2021.

Par conséquent, dans les circonstances susmentionnées et pour les motifs précités, l’avertissement litigieux viole le principe de la bonne foi et celui de la proportionnalité. Il doit dès lors être annulé, retiré du dossier administratif de la recourante et détruit.

Les questions de savoir si le refus opposé à la recourante d’être assistée par son avocat peut être qualifié de décision, voire de décision incidente, et s’il contrevient à l’art. 9 al. 4 LPA, peuvent donc en l’espèce rester indécises.

Le recours sera ainsi admis dans la mesure où il est recevable.

4) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée à la recourante ayant recouru aux service d’un avocat, à la charge de l’autorité intimée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 19 avril 2021 par Mme A______ contre la décision du 4 mars 2021 et le refus du 8 avril 2021 de l’office cantonal de l’emploi – office régional de placement ;

annule la décision du 4 mars 2021 de l’office cantonal de l’emploi - office régional de placement ;

ordonne le retrait de la décision précitée du 4 mars 2021 du dossier administratif de Mme A______ ainsi que sa destruction ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à Mme A______, à la charge de l’office cantonal de l’emploi - office régional de placement ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michael Rudermann, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'emploi - office régional de placement.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme Lauber, M. Mascotto, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :