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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4267/2016

ATA/1347/2017 du 03.10.2017 ( CPOPUL ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.11.2017, rendu le 21.12.2017, REJETE, 5A_912/2017
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4267/2016-CPOPUL ATA/1347/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 octobre 2017

 

dans la cause

 

Monsieur A______

Monsieur B______, agissant en son nom et en qualité de représentant de sa fille mineure C______,

Madame D______,
représentés par Me Karin Hochl, avocate

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ ET DE L'ÉCONOMIE



EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______1972, est de nationalité suisse. Il forme un couple avec Monsieur B______ – dont le nom de famille était E______ jusqu’à ce qu’il change de nom en 2017 –, de nationalité française, né le ______1978 et titulaire d’un permis B. Tous deux sont domiciliés dans le canton de Genève.

2. Souhaitant avoir des enfants en commun, ils ont fait appel à une mère porteuse, Madame D______, domiciliée en F______, aux États-Unis. Mme D______ est elle-même mariée et a eu plusieurs enfants de son mariage.

3. Le ______2013, Mme D______ a donné naissance à G______, en F______, à un enfant prénommé H______, conçu par don de sperme de M. A______ et par un don d’ovocytes d’une donneuse anonyme.

4. Le 10 avril 2013, M. A______ a demandé au service de l’État civil de la Ville de Genève l’enregistrement de la naissance de H______, produisant l’acte de naissance américain de ce dernier, qui indiquait que l’enfant était le fils de M. A______ et de Mme D______.

5. Dans le cadre de l’instruction du dossier par le service état civil et légalisations (ci-après : SECL) de l’office cantonal de la population et des migrations, devenu depuis lors l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), il est apparu que Mme D______ était mariée et que son conjoint était le père présumé selon le droit de F______.

6. Le 10 mars 2014, M. A______ a transmis au SECL un jugement de désaveu de paternité prononcé le 21 février 2014 par la Cour supérieure de l’État de F______ pour le comté de I______, annulant le lien de filiation entre H______ et le mari de Mme D______.

7. Le 20 mars 2014, la naissance de H______ a été retranscrite dans le registre de l’état civil suisse, indiquant que le père était M. A______ et la mère Mme D______.

8. Le 6 janvier 2015, MM. A______ et B______ ont conclu un partenariat enregistré à J______.

9. Le 13 novembre 2015, à la suite d’un changement de conseil, M. A______ et Mme D______ ont sollicité la rectification du registre de l’état civil, indiquant que cette dernière était une mère de substitution et qu’elle n’était donc pas la mère génétique de l’enfant.

Ils ont produit à l’appui de leur requête un jugement prononcé le 8 janvier 2013 par la Cour supérieure de l’État de F______ pour le comté de I______, soit avant la naissance de H______, stipulant que M. A______ était le père génétique et légal de tout enfant mis au monde par Mme D______ après le 8 juin 2012 et avant le 11 avril 2013, et que Mme D______ et son époux n’étaient pas les parents légaux.

10. Le même jour, le service de protection des mineurs (ci-après : SPMi) a adressé un rapport au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE), et préavisé l’attribution de l’autorité parentale exclusive sur H______ à M. A______.

Après avoir entendu MM. A______ et B______, la pédiatre, ainsi que la responsable de la crèche, et procédé à une visite à domicile, le SPMi constatait qu’il était dans l'intérêt de H______ de rester auprès de son père biologique, étant donné l'adéquation des capacités parentales et des conditions d'accueil – les deux partenaires étant les figures d'attachement principales de l'enfant –, et l’absence de contact entre H______ et Mme D______.

Il précisait que M. A______ travaillait à plein temps et était propriétaire d’une entreprise familiale, tandis que M. B______ ne travaillait plus, s’occupant de H______ les deux matinées où ce dernier n’était pas à la crèche. H______ fréquentait la crèche afin d’être socialisé et d’être en présence de figures féminines. Il appelait M. A______ « papa » et M. B______ « dadou ».

11. Le 12 août 2016, la curatrice de H______ a indiqué au SECL qu'après s'être entretenue téléphoniquement avec Mme D______ et l'avocat de F______ de celle-ci, elle ne voyait aucune objection, dans l'intérêt de l'enfant, à ce que la rectification de l'état civil soit effectuée en ce qui concernait la filiation juridique maternelle, les conditions légales à cette rectification apparaissant remplies et Mme D______ ayant exprimé son net refus d'être la mère légale de l'enfant ou d'exercer des droits sur ce dernier.

12. Le 17 août 2016, H______ a été inscrit dans le registre de l’état civil comme étant le fils de M. A______.

13. Le ______2016, Mme D______ a donné naissance à K______, en F______, à une enfant prénommée C______, conçue par don de sperme de M. B______ et par un don d’ovocytes d’une donneuse anonyme.

14. Par jugement du 9 mars 2016, la Cour supérieure de l’État de F______ pour le comté de I______ a déclaré que Mme D______ et son époux n’étaient pas les parents de l’enfant à naître et que le lien de filiation devait être établi avec le père biologique, M. B______, et son partenaire, M. A______.

15. Le 23 mars 2016, le bureau des statistiques de l’état civil de K______, en F______, a établi l’acte de naissance de C______, en indiquant que ses parents légaux étaient MM. B______ et A______.

16. Par requête du 7 juillet 2016, MM. B______ et A______, ainsi que Mme D______ ont sollicité du SECL la reconnaissance du jugement de F______ du 9 mars 2016 et du certificat de naissance du ______2016, de même que l’inscription dans le registre suisse de l’état civil de MM. B______ et A______ en tant que parents légaux de C______.

17. Ils ont complété leur dossier avec un test ADN effectué par l’institut de médecine légale de l’université de Zürich, établissant que M. B______ est le père biologique de C______.

18. Le 13 septembre 2016, le SECL a informé les requérants de sa décision de transcrire le jugement de paternité prononcé le 9 mars 2016 par la Cour supérieure de l’État de F______ pour le comté de I______ et d’inscrire le lien de filiation entre C______ et son père biologique, M. B______.

Les dispositions légales actuelles ne lui permettaient pas d’enregistrer M. A______ comme deuxième parent.

19. Les intéressés ont sollicité du SECL une décision motivée sujette à recours contre le refus d’enregistrer M. A______ comme deuxième parent légal de C______.

20. Par décision du 9 novembre 2016, le département de la sécurité et de l'économie (ci-après : DSE ou le département) a rejeté la requête visant à inscrire M. A______ comme deuxième parent légal de C______.

Selon le droit suisse en vigueur, le don d’embryons et toutes les formes de maternité de substitution étaient interdits. Dans deux arrêts récents, le Tribunal fédéral avait fait part de sa position sur la reconnaissance d’une décision étrangère établissant un lien de filiation entre un enfant né de mère porteuse, son père génétique, et le partenaire enregistré de ce dernier : si la reconnaissance de la paternité sur l’enfant en raison du facteur génétique était jugée compatible avec l’ordre public suisse, le refus de reconnaître pour des motifs d’ordre public la constatation de la paternité du partenaire enregistré du père biologique, sans rapport génétique avec l’enfant, demeurait conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). En l’espèce, en recourant à une gestation pour autrui en F______, MM. B______ et A______ avaient démontré leur volonté délibérée de contourner l’interdiction prévalant en Suisse, procédé constituant une fraude à la loi justifiant pleinement l’application de la réserve de l’ordre public. Reconnaître un jugement de parentalité étranger inscrivant dans le registre de l’état civil un deuxième parent non génétique de l’enfant favoriserait le tourisme de la maternité de substitution et rendrait totalement inefficaces les interdictions contenues dans la législation suisse. L’un des deux arrêts du Tribunal fédéral susmentionnés ayant fait l’objet d’un recours à la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : Cour EDH), il appartiendrait à celle-ci de se déterminer sur les griefs tirés d’une prétendue violation des art. 8 et 14 CEDH.

21. Par acte du 12 décembre 2016, C______, représentée par son père, ainsi que MM. B______ et A______ et Mme D______ ont formé recours contre la décision précitée du DSE auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation, à la reconnaissance du jugement de la Cour supérieure de l’État de F______ pour le comté de I______ du 9 mars 2016 et du certificat de naissance de l’État de F______ s’agissant du lien de filiation entre C______ et M. A______, et à ce qu’il soit ordonné à l’office de l’état civil suisse compétent d’inscrire M. A______ comme deuxième parent légal de C______.

MM. B______ et A______ et leurs deux enfants s’identifiaient comme une famille unique. Après la naissance de H______, M. B______ avait cessé toute activité professionnelle afin de s’occuper de ce dernier. Il ne disposait dès lors d’aucun revenu professionnel. M. A______, directeur d’une entreprise, était le soutien principal de la famille. À teneur du rapport établi le 13 novembre 2015 par le SPMi, M. A______ disposait des capacités parentales et de conditions d’accueil adéquates.

La non-reconnaissance de M. A______ comme parent légal de C______ consacrait une application erronée des motifs d’ordre public et une révision inadmissible d’une décision étrangère, était contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, violait le droit au respect de la vie privée et familiale et le principe de proportionnalité, et contrevenait à l’interdiction de non-discrimination.

22. Le DSE a conclu au rejet du recours.

La qualité pour recourir de Mme D______ devait être refusée, faute pour celle-ci de pouvoir faire valoir un intérêt digne de protection à l’annulation de l’acte attaqué.

Se référant aux arguments contenus dans la décision querellée, l’autorité intimée a relevé que celle-ci était conforme à la jurisprudence tant du Tribunal fédéral que de la Cour EDH.

En faisant le choix des modalités de procréation leur étant aujourd’hui reprochées, les recourants avaient délibérément choisi de mettre au monde deux enfants qui ne pourraient vraisemblablement jamais connaître l’identité de leur mère respective, avec tous les problèmes d’ordre psychologique que cela pouvait entraîner. Le fait que leurs enfants soient ainsi privés du droit fondamental de connaître leurs origines justifiait pleinement l’interdiction, en Suisse, de ce type de procréation médicalement assistée et, partant, de la décision querellée.

23. Les recourants ont répliqué, persistant dans leurs conclusions et apportant certaines précisions sur la situation.

a. Les enfants H______ et C______ avaient été conçus par les ovocytes de la même donneuse. Ils étaient par conséquent génétiquement liés par la filiation maternelle comme demi-frère et demi-sœur. À l’appui de leurs allégations, ils ont produit deux nouveaux documents :

- une attestation du Docteur L______ du 9 mars 2017, indiquant qu’il avait procédé au transfert des embryons dans l’utérus de Mme D______ pour les grossesses de H______ et C______ : à sa connaissance, ces enfants avaient été conçus avec les ovocytes de la même donneuse et étaient donc génétiquement liés comme demi-frère et demi-sœur ;

- une attestation de Maître M______ du 15 mars 2017, avocate de MM. B______ et A______ dans le cadre des procédures menées aux États-Unis, confirmant que les enfants H______ et C______ avaient été conçus avec les ovocytes de la même donneuse. Il ne devait pas y avoir de contact social, personnel ou familial dans le futur entre la donneuse, d’une part, et MM. B______ et A______ ou leurs enfants, d’autre part. Toutefois, la donneuse avait accepté de fournir, sur requête de l’un de ces derniers, toute information à son sujet et au sujet de son histoire familiale et de tout enfant lui étant génétiquement lié, en tant que cette information serait bénéfique à la santé et au bien-être des enfants. Elle avait également accepté d’être contactée dans l’éventualité où les enfants se trouvaient en danger vital ou dans une situation médicale grave nécessitant sa participation médicale ou son assistance en tant que donneuse d’ovocytes. Enfin, elle avait accepté d’être contactée par MM. B______ et A______ afin de faciliter le transfert d’information entre la donneuse et les enfants, et par les enfants eux-mêmes après que ceux-ci aient atteint l’âge de dix-huit ans.

b. À teneur d’une attestation du 16 mars 2017 établie par Mme D______ et signée devant notaire, celle-ci s’était, avant de signer le contrat de gestation pour autrui, soumise à une évaluation psychologique par un professionnel de la santé spécialisé dans la santé mentale, et elle avait conclu le contrat de son plein gré. Sa motivation tenait dans le fait d’aider MM. B______ et A______ à avoir leurs propres enfants. Son seul but était aujourd’hui de s’assurer que les enfants auxquels elle avait donné naissance aient le droit d’avoir MM. B______ et A______ comme leurs deux parents légaux. Elle avait donc un intérêt digne de protection à ce que M. A______ soit reconnu comme parent légal de C______.

c. Le contrat de gestation pour autrui, qu’ils produisaient, avait été conclu à des conditions loyales et équitables : Mme D______, qui était représentée par une avocate, avait reçu un paiement total de USD 37'000.- ainsi que le remboursement de tous les frais encourus.

d. Le cas d’espèce se distinguait de l’arrêt du Tribunal fédéral cité par le DSE sur trois points. Premièrement, dans ce cas, le parent non-génétique, soit M. A______, était le soutien financier de la famille. Deuxièmement, C______ se trouvait dans une situation d’inégalité de traitement vis-à-vis de son frère H______, en tant qu’elle n’avait aucun droit de succession du parent fortuné, soit M. A______. Troisièmement, le parent génétique n’était en l’espèce pas de nationalité suisse, ce qui présentait certaines difficultés pour C______.

24. Par courrier du 29 mars 2017, le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

25. Par courrier du 1er juin 2017, les recourants ont informé la chambre administrative que C______ et son père biologique avaient été autorisés, par deux arrêtés du SECL du 15 mai 2017, à changer de nom et à porter celui de A______.

EN DROIT

1. Selon l’art. 90 al. 2 de l'ordonnance fédérale sur l'état civil du 28 avril 2004 (OEC - RS 211.112.2), les décisions de l’autorité de surveillance peuvent être attaquées devant les autorités cantonales compétentes. Le département est l'autorité de surveillance de l'état civil (art. 5 de la loi sur l'état civil du 19 décembre 1953 - LEC - E 1 13). En application de l’art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), il appartient à la chambre administrative de statuer, aucune autre loi cantonale n’accordant cette compétence à une autre autorité (ATA/171/2010 du 16 mars 2010).

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 LOJ ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Les écritures des recourants contiennent, en dernière page, l’indication « interrogatoire des parties » et « témoignage ».

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (ATF 137 IV 33 consid. 9.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_265/2016 du 23 mai 2016 consid. 5.1 et les arrêts cités).

Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèner ont pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_119/2015 du 16 juin 2015 consid. 2.1 ; 2C_481/2013 du 30 mai 2013 consid. 2.1 ; ATA/643/2016 du 26 juillet 2016 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, pour autant qu’il faille comprendre des termes « interrogatoire des parties » et « témoignages » que les recourants sollicitent des actes d’instruction, ceux-ci seront rejetés. En effet, la chambre de céans estime être suffisamment renseignée sur les éléments pertinents du litige pour le trancher, sans procéder à des actes d’instruction complémentaires.

3. L’objet du litige porte sur le refus de l'autorité intimée de reconnaître le jugement de parentalité de F_____ du 9 mars 2016 et d’inscrire dans le registre de l'état civil suisse un lien de filiation entre l’enfant C______ et M. A______, père d’intention et partenaire enregistré de son père biologique.

4. Le DSE conteste la qualité de partie de Mme D______, au motif que cette dernière, mère porteuse n’ayant aucun lien génétique avec l’enfant et n’étant pas la mère légale de ce dernier selon les droits américain et suisse, n’aurait aucun intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte attaqué soit annulé ou modifié.

a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure ayant abouti à la décision attaquée (let. a), ainsi que toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/1070/2016 du 20 décembre 2016; ATA/623/2016 du 19 juillet 2016).

b. Cette notion de l’intérêt digne de protection est identique à celle qui a été développée par le Tribunal fédéral sur la base de l’art. 103 let. a de la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 et qui était, jusqu’à son abrogation le 1er janvier 2007, applicable aux juridictions administratives des cantons, conformément à l’art. 98a de la même loi. Elle correspond aux critères exposés à l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005, en vigueur depuis le 1er janvier 2007 (LTF - RS 173.110) que les cantons sont tenus de respecter, en application de la règle d’unité de la procédure qui figure à l’art. 111 al. 1 LTF (arrêts du Tribunal fédéral 2C_68/2015 du 13 janvier 2016 consid. 4.2 ; 2C_180/2015 du 19 octobre 2015 consid. 2.1.1 ; Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 p. 4126 ss et 4146 ss). Selon l’art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c).

c. En l’espèce, Mme D______ était partie à la procédure antérieure. À teneur des pièces produites par les recourants, sa motivation dans la démarche était de permettre à MM. B______ et A______ d’avoir un enfant. Elle était partie du principe que tous deux seraient reconnus comme parents légaux de l’enfant. Son but serait donc de s’assurer aujourd’hui que les enfants auxquels elle avait donné naissance aient le droit d’avoir MM. B______ et A______ comme leurs parents légaux.

La question de l’éventuel intérêt digne de protection de Mme D______ peut toutefois souffrir de demeurer ouverte, les trois autres recourants ayant la qualité pour recourir.

5. Une décision ou un acte étranger concernant l'état civil est transcrit dans les registres de l'état civil en vertu d'une décision de l'autorité cantonale de surveillance en matière d'état civil lorsqu'il satisfait aux conditions générales prévues aux articles 25 à 27 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18  décembre 1987 (LDIP - RS 291 ; art. 32 al. 1 LDIP). Les décisions et actes d'état civil étrangers sont enregistrés sur décision de l'autorité de surveillance du canton d'origine de la personne concernée (art. 23 al. 1 OEC).

Les art. 25 à 27 LDIP prévoient qu'une décision étrangère est reconnue en Suisse pour autant que les autorités judiciaires ou administratives de l'État dont émane la décision aient été compétentes, que la décision ne soit plus susceptible de recours ordinaire et qu'elle ne soit pas manifestement incompatible avec l'ordre public suisse, tant matériel que procédural. L’autorité suisse saisie ne saurait toutefois procéder à un examen au fond de la décision dont la transcription est demandée (art. 27 al. 3 LDIP ; ATF 120 II 87 consid. 2 et les références citées).

6. L’art. 70 LDIP prévoit que les décisions étrangères relatives à la constatation ou à la contestation de la filiation sont reconnues en Suisse lorsqu'elles ont été rendues dans l'État de la résidence habituelle de l'enfant ou dans son État national ou dans l'État du domicile ou dans l'État national de la mère ou du père.

7. a. La reconnaissance de la décision étrangère constitue la règle, dont il ne faut pas s'écarter sans de bonnes raisons (ATF 120 II 87 consid. 3 ; 116 II 625 consid. 4a ; 109 Ib 232 consid. 2a). Toutefois, la décision de l’autorité étrangère ne doit pas aboutir à un résultat fondamentalement opposé à la conception suisse du droit (ATF 131 III 182 du 25 juillet 2005 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_604/2009 du 9 novembre 2009 consid. 4.2.2.1 ; ATA/264/2014 du 15 avril 2014). La réserve de l’ordre public doit, selon la lettre du texte légal («manifestement»), être appliquée de manière restrictive car le refus de la reconnaissance crée des rapports juridiques «boiteux» (ATF 103 Ib 69 consid. 3b ; 126 III 101 consid. 3b = JdT 2000 II 41 ; 126 III 327 consid. 2b; 131 III 182 consid. 4.1 = JdT 2005 I 183; François Knoepfler/Philippe Schweizer/Simon Othenin-Girard, Droit international privé suisse, 3ème éd., 2005, N 353; Andreas Bucher/Andrea Bonomi, Droit international privé, 3ème éd. 2013, N 275 s.). Afin d’éviter les rapports juridiques boiteux, la réserve de l’ordre public restera d’autant plus une exception que le lien du cas d’espèce avec la Suisse est ténu et que le temps écoulé entre l’établissement de l’acte ou de la décision et l’examen est long (Simon Othenin-Girard, L’inscription des décisions et des actes étrangers à l’état civil, in: REC 1998 p. 167 ss, et les références citées ; ATF 126 III 101 consid. 3b = JdT 2000 II 41, 48).

b. D’après le droit suisse, la filiation maternelle résulte de la naissance. Le rapport de filiation n’existe qu’à l’égard de la mère qui porte l’enfant (art. 252 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210), conformément à l’adage « mater sempre certa est ». En l’état actuel du droit, le don d’ovules et d’embryons ainsi que toutes les formes de maternité de substitution sont interdits (art. 119 al. 2 let. d de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) ; art. 4 de la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée du 18 décembre 1998 - LPMA - RS 810.11). Dans son message sur la LPMA, le Conseil fédéral a considéré comme décisif «le fait que la procréation médicalement assistée ne doit pas donner naissance à des rapports familiaux qui s’écartent de ceux que la nature rend possibles » (Message du Conseil fédéral relatif à l’initiative populaire « pour la protection de l’être humain contre les techniques de reproduction artificielle – Initiative pour une procréation respectant la dignité humaine, PPD » et à la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA) du 26.6.1996 (FF 1996 III 197), n. 322.12). C’est sur la base de ce même principe de certitude de la maternité que le don d’embryon et la maternité de substitution (ou GPA) ont également été interdits (Lisa MARGOT, le droit à la connaissance des origines de l’enfant né de procréation médicalement assistée, FamPra 2017 p. 701).

Selon l’art. 2 let. k LPMA, on entend par maternité de substitution le fait qu’une femme accepte de porter un enfant conçu au moyen d’une méthode de procréation médicalement assistée et de le remettre définitivement à des tiers après l’accouchement. L’interdiction de la maternité de substitution est motivée par la protection de la femme par rapport à une instrumentalisation et par la protection du bien de l’enfant (art. 7 respectivement 11 al. 1 Cst. et art. 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant - CDE - RS 0.107). La mère biologique (mère porteuse) ne doit pas être exposée à un conflit entre le lien psychique qui la lie à son enfant et l’engagement qu’elle a pris envers les parents d’intention et l’enfant doit être protégé du risque d’être dégradé au rang de marchandise que l’on peut commander à des tiers (Message du Conseil fédéral relatif à la LPMA, FF 1996 III 197, 273 ch. 324.203).

c. Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se prononcer, dans deux arrêts récents (ATF 141 III 312 = JdT 2015 II p. 351 ; ATF 141 III 328 = JdT 2016 II p. 179), sur la question de la reconnaissance en Suisse d’une décision étrangère établissant un lien de filiation entre un enfant né de mère porteuse et ses parents d’intention. Le premier de ces deux arrêts concerne un état de fait relativement similaire au cas d’espèce : un couple de partenaires enregistrés, de nationalité suisse et domiciliés en Suisse, demandait la reconnaissance d’un jugement de parentalité de F______ établissant un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui, son père biologique et le partenaire enregistré de ce dernier (parent d’intention).

Le Tribunal fédéral a considéré que de nier une violation de l’ordre public obligerait les autorités d’application du droit à accepter comme fait accompli un lien de filiation établi par une fraude à la loi. Ainsi, le recours à la réserve d’ordre public se justifiait au motif qu’une reconnaissance aurait pour conséquence d’encourager le tourisme procréatif et de rendre largement inopérante l’interdiction nationale de la maternité de substitution (ATF 141 III 312 consid. 5.3.3 et 5.3.4). Il a ensuite examiné si les droits de l’enfant découlant de la CEDH et de la CDE permettaient d’écarter la violation de l’ordre public déduite de la fraude à loi, respectivement, d’imposer la reconnaissance du rapport de filiation (ATF 141 III 312 consid. 6). Se fondant sur les arrêts de la Cour EDH Mennesson c. France (req. 65192/11) et Labassée c. France (req. 65941/11), tous deux datés du 26 juin 2014, le Tribunal fédéral a considéré qu’il n’était pas admissible, au regard de l’art. 8 CEDH, de ne pas reconnaître, au nom de l’ordre public, un lien de filiation de nature génétique entre l’enfant et l’un de ses parents (ATF 141 III 312 consid. 6.2). En revanche, ne pas reconnaître pour des motifs tirés de l’ordre public un lien de filiation créé par le moyen d’une maternité de substitution avec un parent sans rapport génétique était compatible avec les garanties de la CEDH (ATF 141 III 312 consid. 6.3).

Dans le second arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que la reconnaissance d’une filiation établie dès la naissance à l’étranger, sans parentalité génétique entre l’enfant et les parents et grâce à une mère porteuse, contredisait manifestement l’ordre public suisse au sens de l’art. 27 al. 1 LDIP et que la transcription dans le registre de l’état civil au sens de l’art. 32 al. 2 LDIP devait être refusée (ATF 141 III 328 consid. 8).

8. En l’espèce, ni le caractère définitif du jugement de parentalité américain, ni la compétence des autorités américaines pour se prononcer à cet égard, données au vu de la nationalité américaine de C______, ne sont contestés.

L’objet du litige consiste donc uniquement à examiner si le DSE a violé le droit en refusant de reconnaître le lien de filiation établi par ledit jugement américain entre C______ et son père d’intention, partenaire enregistré de son père biologique, au motif qu’il était manifestement incompatible avec l’ordre public suisse.

9. a. Dans un premier grief, les recourants invoquent une violation de l’art. 27 al. 1 et 3 LDIP. Ils soutiennent que dans les ATF 141 III 312 et 141 III 328, le Tribunal fédéral aurait fait une application erronée de la réserve d’ordre public, qui ne viserait pas à sanctionner une fraude à la loi, et qu’il aurait placé des intérêts de prévention générale avant les intérêts supérieurs de l’enfant. De la même manière, le DSE avait refusé de reconnaître M. A______ en raison de considérations de prévention générale visant à éviter l’augmentation du tourisme procréatif et qui ne seraient pas susceptibles de motiver un refus de reconnaissance au sens de l’art. 27 al. 1 LDIP après la naissance de l’enfant. Selon les recourants, l’ordre public devrait être apprécié en fonction du résultat auquel aboutit la décision étrangère et non sur la base des motifs de celle-ci ou du contenu de la loi étrangère appliquée. Les intérêts de l’enfant à se voir reconnaître un lien de parenté avec ses deux parents d’intention devraient être considérés comme supérieurs à la sanction de fraude à la loi. Ils soutiennent également que lors de l’appréciation de l’ordre public, l’instance précédente aurait dû notamment tenir compte des changements sociétaux intervenus au cours des vingt dernières années : aujourd’hui, fonder une famille en recourant à la maternité de substitution à l’étranger ne serait, même en Suisse, plus un phénomène très extraordinaire ou rare. Enfin, le contrat de gestation pour autrui aurait été conclu à des conditions loyales et équitables.

b. Dans les arrêts Mennesson c. France et Labassee c. France susmentionnés, la Cour EDH a souligné en particulier que les États doivent se voir accorder une ample marge d’appréciation dans leurs choix liés à la gestation pour autrui, au regard des délicates interrogations éthiques qu’ils suscitent et de l’absence de consensus sur ces questions en Europe (ACEDH Mennesson c. France précité, § 79 ; ACEDH Labassee c. France précité, § 58). Elle a toutefois précisé que cette marge d’appréciation devait néanmoins être réduite dès lors qu’il était question de filiation (ACEDH Mennesson c. France précité, § 80 ss ; ACEDH Labassee c. France précité, § 59 ss).

Ainsi, comme le relève à juste titre le DSE dans ses observations, il découle de la jurisprudence de la Cour EDH qu’il est concevable que les États puissent souhaiter décourager leurs ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’ils prohibent sur leur territoire, pour autant que l’exception de l’ordre public ne fasse pas obstacle à la reconnaissance du lien de filiation entre les enfants et leur père biologique.

Dans le cas d’espèce, le DSE était donc parfaitement légitimé à refuser de reconnaître le lien de filiation entre C______ et M. A______ au motif d’une violation de l’ordre public suisse. Le recours à l’exception de l’ordre public suisse est en l’espèce d’autant plus justifié que les partenaires enregistrés sont tous deux domiciliés en Suisse, que l’un d’eux a la nationalité suisse et l’autre la nationalité française, et qu’aucun des deux n’a de lien particulier avec les États-Unis. Comme le relève le DSE, le fait que Mme D______ soit domiciliée aux États-Unis et que C______ soit de nationalité américaine par l’application de la règle du jus soli ne permet aucunement de démontrer une quelconque attache particulière des recourants avec les États-Unis. La seule attache avec ce pays résulte du pur tourisme en lien avec la gestation pour autrui.

Par ailleurs, la question de savoir si le contrat de gestation a été conclu à des conditions « loyales et équitables » ne change rien à la solution du litige. Le législateur suisse a interdit toutes formes de maternité de substitution notamment en vue de protéger la femme par rapport à une instrumentalisation de son corps, indépendamment des conditions dans lesquelles celle-ci a eu lieu. Ainsi, quand bien même il faudrait considérer que Mme D______ a été correctement rémunérée et qu’elle a de son plein gré conclu le contrat de gestation pour autrui, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une commercialisation du corps de la femme (Rapport du Conseil fédéral du 29 novembre 2013 sur la maternité de substitution, p. 17) qui est prohibée en droit suisse.

Enfin, l’argument des recourants selon lequel l’autorité précédente aurait dû tenir compte des changements sociétaux intervenus au cours des vingt dernières années ne résiste pas à l’examen. Les arrêts du Tribunal fédéral et de la Cour EDH sur lesquels elle se fonde ont été rendus il y a deux et trois ans, et aucun changement majeur sur cette question n’est intervenu depuis.

Au vu de ce qui précède, ce grief sera écarté.

10. Faisant référence à la future modification du CC prévoyant d’accorder à une personne le droit d’adopter l’enfant de son partenaire, les recourants font également valoir qu’il serait contradictoire de juger conforme à l’intérêt de l’enfant le refus de reconnaissance du second lien de filiation, tout en renvoyant les parents d’intention à une procédure d’adoption visant la même issue, soit la création d’un lien de filiation entre l’enfant et le second père.

a. Le nouveau droit de l’adoption entrera en vigueur le 1er janvier 2018. À compter de cette date, les partenaires enregistrés et les concubins pourront adopter l’enfant de la personne avec laquelle ils sont en couple. Le futur art. 264c al. 1 ch. 2 CC stipule qu’une personne peut adopter l’enfant de son partenaire enregistré. Pour cela, le couple doit faire ménage commun depuis au moins trois ans (futur art. 264c al. 2 CC). Le Tribunal fédéral a relevé qu’avec l’adoption de l’enfant du partenaire enregistré qui est proposée [à l’époque de l’arrêt, ladite modification du CC en était encore au stade de projet], un rapport juridique concernant l’enfant pourrait en principe être établi entre l’enfant et le partenaire enregistré de son père biologique (ATF 141 III 312 précité consid. 6.4.4).

b. Le raisonnement des recourants ne saurait être suivi : la réserve de l’ordre public suisse ne trouve application qu’au stade de la reconnaissance des décisions étrangères. Ainsi, reconnaître directement un lien de filiation entre un enfant et son père d’intention non biologique établi à l’étranger par le biais d’une gestation pour autrui reviendrait à considérer qu’un tel procédé n’est pas contraire à l’ordre public. Ceci aurait pour effet d’inviter les parents d’intention à contourner l’interdiction suisse du recours à la maternité de substitution (Rapport du Conseil fédéral du 29 novembre 2013 sur la maternité de substitution, p. 29). S’agissant de l’adoption de l’enfant du partenaire enregistré, elle serait envisageable en l’espèce à compter du 1er janvier 2018, comme le laisse entendre le Tribunal fédéral, si les conditions prévues aux art. 264 ss CC sont remplies. Par ailleurs, dans la mesure où l’aptitude du ou des parents adoptifs est examinée dans le cadre du processus d’adoption (futur art. 268a al. 2 CC), un tel procédé est conforme au bien de l’enfant. Il n’y a dès lors pas de contradiction à ne pas reconnaître un lien de filiation établi à l’étranger par le biais d’une gestation pour autrui au motif d’une violation de l’ordre public suisse, et à renvoyer le père d’intention non biologique à une procédure d’adoption.

Ce grief sera dès lors également rejeté.

11. Dans leurs deuxième et troisième griefs, se confondant en partie, les recourants soutiennent que la décision attaquée serait incompatible avec les intérêts supérieurs de C______ (violation des art. 11 et 13 Cst., 8 CEDH et 2 et 3 CDE) et qu’elle violerait l’interdiction de discrimination ancrée aux art. 8 Cst., 14 CEDH et 2 CDE.

a. Selon l’art. 3 al. 1 CDE, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs. Par ailleurs, les États parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées (art. 3 al. 2 CDE). Par ailleurs, l’interdiction de discrimination contenue à l’art. 2 CDE oblige les États membres à protéger les enfants contre toute forme de discrimination. Un enfant ne doit notamment pas être discriminé en raison de sa naissance. Il y a discrimination lorsqu’une personne est traitée différemment d’une autre sans justification objective dans une situation comparable. Par conséquent, une inégalité de traitement doit être soigneusement justifiée et ne doit pas être contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, un refus général de reconnaître un lien de filiation en raison d’une maternité de substitution sans tenir compte du bien-être de l’enfant concerné viole l’art. 3 al. 1 CDE. Il peut aussi violer l’interdiction de discrimination (Rapport du Conseil fédéral du 29 novembre 2013 sur la maternité de substitution, p. 31).

Selon l’art. 11 al. 1 Cst., les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité et à l'encouragement de leur développement. L’art. 13 Cst., tout comme l’art. 8 CEDH, protège le droit au respect de la vie privée et familiale.

b. Se référant à certains auteurs de doctrine, les recourants soutiennent que les arrêts de la Cour EDH sur lesquels s’est basé le Tribunal fédéral dans les décisions publiées aux ATF 141 III 312 et 141 III 328 n’auraient pas tranché la question de la reconnaissance d’un lien de filiation avec le parent non-génétique (Véronique BOILLE/Estelle DE LUZE, Mère porteuse, parents d’intention, homoparentalité…Et l’enfant ?, in Jusletter du 5 octobre 2015, p. 10), et que les conclusions qu’en a tirées le Tribunal fédéral ne correspondraient pas aux considérants de la Cour EDH.

c. La Cour EDH ne s’est, certes, pas prononcée spécifiquement sur la question de savoir si l’absence de reconnaissance d’un lien de filiation entre un parent d’intention et un enfant sans lien biologique était conforme à la CEDH. Toutefois, si la Cour EDH a considéré que l’État défendeur était allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation en faisant obstacle à la reconnaissance et à l’établissement d’un lien de filiation à l’égard du père biologique (ACEDH Mennesson c. France précité, § 100), il paraît cohérent de retenir qu’elle a a contrario considéré que l’absence de reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le parent d’intention non-biologique rentrait dans la marge d’appréciation de l’État défendeur. C’est ce qu’a retenu le Tribunal fédéral en concluant que le refus de reconnaître, pour des motifs d’ordre public, la constatation de paternité du parent non-génétique, prononcée par le Tribunal F______, était conforme à la CEDH (ATF 141 III 312 consid. 6.3). Cela rentre en effet dans l’ample marge d’appréciation qu’il convient en principe d’accorder aux États s’agissant de la décision d’autoriser ou non ce mode de procréation, et de reconnaître ou non un lien de filiation entre les enfants légalement conçus par gestation pour autrui à l’étranger et les parents d’intention (ACEDH Mennesson c. France précité, § 79).

d. Reste à déterminer si ce refus de reconnaissance pourrait en l’espèce violer les droits fondamentaux des recourants, et en particulier de l’enfant. Ceux-ci font valoir à ce propos que le refus de reconnaître M. A______ comme père de C______ aurait pour conséquence des inconvénients déraisonnables pour celle-ci, violant ses intérêts supérieurs. L’absence de lien de filiation avec son second père d’intention constituerait une violation flagrante de ses intérêts en matière de protection financière et de succession (son père biologique n’est pas en mesure de l’entretenir et elle ne pourrait hériter de M. A______, qui dispose d’une certaine fortune). C______ ne pourrait également pas acquérir la nationalité suisse, ce qui avait engendré des difficultés pour l’obtention d’un titre de séjour en Suisse. Par ailleurs, la monoparentalité créée par cette reconnaissance partielle serait contraire aux intérêts de C______ et aurait pour conséquence que M. B______ n’aurait pas de partenaire fiable dans l’exercice de l’autorité parentale ou l’entretien de sa fille, son partenaire enregistré n’ayant aucune obligation par rapport à l’enfant. Enfin, en cas de séparation des partenaires enregistrés, C______ perdrait le droit de résidence en Suisse, et M. A______ n’aurait que la possibilité de se voir éventuellement accorder par l’autorité tutélaire le droit d’entretenir des relations personnelles avec C______ (art. 27 al. 2 LPart). Celle-ci serait ainsi exposée au danger de perdre l’une de ses figures d’attachement principales.

e. Dans l’ATF 141 III 312, le Tribunal fédéral a examiné la situation des recourants et constaté que le statut juridique de l’enfant était suffisamment protégé par l’ordre juridique suisse à la lumière de la CEDH et de la CDE : l’enfant vivait depuis toujours avec ses parents d’intention, qui formaient donc une communauté familiale protégée par l’art. 8 CEDH (consid. 6.4.1). Il avait acquis la nationalité suisse en raison du rapport de filiation avec son père biologique (art. 1 de la loi de la fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse du 29 septembre 1952 - LN - RS 141.0), n’était dès lors pas menacé d’apatridie et serait enregistré à l’état civil (art. 23 al. 2 OEC). Il acquérait le nom de son père biologique (art. 37 al. 1 LDIP cum 270a al. 1 CC) et était soumis à son autorité parentale (art. 85 al. 4 LDIP cum 298a CC). Par ailleurs, en cas d’empêchement de son père juridique, le partenaire enregistré de ce dernier n’était pas privé de toute relation juridique avec l’enfant (art. 27 al. 1 de la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe du 18 juin 2004 - loi sur le partenariat, LPart - RS 211.231 ; ATF 141 III 312 consid. 6.4.3).

f. En l’espèce, c’est en regard de l’intérêt supérieur de C______ que l’autorité intimée a reconnu le lien de filiation entre celle-ci et son père biologique, conformément aux jurisprudences fédérales et de la Cour EDH susmentionnées. L’intérêt supérieur de C______ n’exige pas que l’on reconnaisse un lien de filiation avec son père non biologique.

Si C______ ne peut actuellement pas acquérir la nationalité suisse du fait de l’absence de lien de filiation avec M. A______, elle n’est pas pour autant apatride, ayant à tout le moins acquis la nationalité américaine de par son lieu de naissance. Les exigences conventionnelles à cet égard, soit celles de l’art. 7 al. 1 CDE, sont donc remplies (Annexe au Rapport du Conseil fédéral du 29 novembre 2013 sur la maternité de substitution – Expertise de l’Office fédéral de justice et police, p. 18). Par ailleurs, les difficultés engendrées par la situation ne sont pas insurmontables pour la famille. C______ a pu s’établir en Suisse avec son père biologique et son parent d’intention peu après sa naissance et a obtenu un titre de séjour : les recourants ne sont ainsi pas empêchés de vivre une vie familiale dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles (ACEDH Mennesson c. France précité, § 92).

S’agissant des inconvénients de nature patrimoniale allégués, ils ne sont pas protégés par les normes constitutionnelles et conventionnelles invoquées par les recourants. Par ailleurs, tant que dure leur union, M. A______ est tenu d’assister son partenaire dans l’accomplissement de son obligation d’entretien et dans l’exercice de l’autorité parentale (art. 27 al. 1 LPart). Si ses parents venaient à se séparer, C______ ne se trouverait pas dans une situation financière plus précaire que celle d’enfants vivant dans une famille monoparentale.

Il ressort des considérations qui précèdent que les différences factuelles entre la présente situation et celle ayant donné lieu à l’ATF 141 III 312 ne justifient pas de trancher cette affaire différemment.

g. Au vu de ce qui précède, les intérêts supérieurs de C______ n’ont pas été violés par la décision querellée.

12. a. Les recourants font enfin valoir que de telles différences entre frère et sœur (au niveau de la nationalité et de la sécurité financière) et l’impossibilité pour ceux-ci d’être reconnus comme frères et sœurs légaux, alors qu’ils ont la même mère génétique, ne seraient pas compatibles avec l’interdiction de discrimination.

b. Une norme viole le principe de l’égalité de traitement consacré à l’art. 8 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer, ou lorsqu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 138 I 225 consid. 3.6.1 ; 138 I 265 consid. 4.1). La question de savoir s’il existe un motif raisonnable pour une distinction peut recevoir des réponses différentes suivant les époques et les idées dominantes. Le législateur dispose toutefois d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de ces principes et de l’interdiction de l’arbitraire (ATF 133 I 249 consid. 3.3 ; 131 I 1 consid. 4.2). Le Tribunal fédéral n’intervient que si, sur des points importants, les assimilations ou distinctions effectuées s’avèrent clairement injustifiées et insoutenables (ATF 136 I 297 consid. 6.1). Comme précédemment mentionné, l’interdiction de discrimination contenue à l’art. 2 CDE oblige les États membres à protéger les enfants contre toute forme de discrimination. Par conséquent, une inégalité de traitement doit être soigneusement justifiée et ne doit pas être contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

c. En l’espèce, même si C______ et son frère devaient avoir la même mère génétique et être donc demi-frère et sœur, ils ont un père biologique différent. Ce simple fait, qui a été voulu par les recourants – chacun ayant souhaité avoir « son » enfant biologique – justifie qu’ils soient traités différemment, que ce soit du point de vue de leur nationalité ou de leurs droits successoraux.

Par ailleurs, même si les enfants partageaient effectivement pour moitié les mêmes gènes du fait que la donneuse d’ovocytes ait été la même – fait qu’ils n’ont au demeurant pas démontré par le biais d’un test ADN –, aucun des deux n’a de lien juridique avec ladite donneuse anonyme. Ils ne peuvent donc pas prétendre à être reconnus comme frère et sœur légaux sur cette base.

13. a. Les recourants prétendent également que M. A______ serait discriminé par rapport à son partenaire enregistré, en tant qu’il aurait été « puni » plus sévèrement que ce dernier en raison de la même fraude à la loi qu’ils ont tous deux commise : M. B______ a pu faire reconnaître un lien de filiation avec sa fille, mais pas son partenaire enregistré.

b. Ce grief ne résiste pas à l’examen : la différence de traitement est justifiée par le lien biologique existant entre M. B______ et sa fille et qui est inexistant entre cette dernière et M. A______. Par ailleurs, comme l’a à juste titre relevé le DSE, M. B______ n’a pas non plus été reconnu comme étant le deuxième parent de H______, fils biologique de son partenaire enregistré.

14. Enfin, c’est en vain que les recourants font valoir qu’ils seraient discriminés en raison de leur orientation sexuelle. Si M. A______ n’est à l’heure actuelle pas en mesure d’établir un lien de filiation avec C______, c’est parce que le législateur n’a jusque récemment pas voulu donner la possibilité aux partenaires enregistrés d’adopter l’enfant de leur partenaire.

15. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et la décision confirmée. Un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge conjointe et solidaire de MM. A______ et B______, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 décembre 2016 par Monsieur A______, Monsieur B______, agissant pour lui-même et en qualité de représentant de sa fille mineure C______, et Madame D______ contre la décision du département de la sécurité et de l’économie du 9 novembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge conjointe et solidaire de Messieurs A______ et B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière civile ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Karin Hochl, avocate des recourants, au département de la sécurité et de l'économie, ainsi qu’à l’office fédéral de l’état civil et à l’office fédéral de la justice.

Siégeant : Mme Junod, présidente, M. Thélin, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, Mme Krauskopf, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente :

 

 

Ch. Junod

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière