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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3519/2018

ATA/1170/2018 du 02.11.2018 sur JTAPI/994/2018 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3519/2018-MC ATA/1170/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 novembre 2018

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Pierre Bayenet, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 octobre 2018 (JTAPI/994/2018)

 


EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______ 1995, a été reconnu comme ressortissant du Nigéria mais se dit ressortissant du Tchad.

2. Après avoir pénétré dans l'Union européenne par l'enclave espagnole au Maroc de Melilla, il a déposé le 19 juillet 2014 une demande d'asile en Suisse en se prétendant originaire du Tchad.

3. Par décision du 2 octobre 2014, le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) n'est pas entré en matière et, simultanément, a ordonné le renvoi de M. A______ en Espagne, État Dublin responsable. Le canton de Genève était responsable de l'exécution du renvoi.

4. Le 16 novembre 2014, le foyer B______ où résidait M. A______ a subi un incendie. Afin d'échapper aux flammes, M. A______ s'est défenestré du deuxième étage et s'est fracturé le crâne. Une autre personne est morte dans l'incendie.

5. Le 9 janvier 2015, M. A______ a été condamné, par ordonnance pénale du Ministère public de Genève, pour séjour illégal et violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires.

6. Le 26 mars 2015, M. A______ s'est opposé physiquement à son transfert en Espagne.

7. Il a été placé en détention administrative le 27 mars 2015, dans la perspective d'un vol spécial prévu le 30 mars 2015 à destination de Madrid.

À la suite de l'annulation de ce vol, en raison, notamment, de la situation médicale de M. A______ suite à l’incendie (cf. RTAPI/147/2015 du 2 avril 2015) - celui-ci a été mis en liberté par décision de l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) du 2 avril 2015, l'exécution de son renvoi n'étant plus assez prévisible.

8. Le 27 mars 2015 également, M. A______ s'est vu notifier une décision d'interdiction d'entrée en Suisse, valable jusqu'au 26 mars 2018.

9. Par décision du 26 mai 2015, et malgré sa précédente décision de non-entrée en matière du 2 octobre 2014, non mentionnée dans la décision, le SEM a rejeté la demande d'asile de M. A______ et a prononcé son renvoi de Suisse, sans mention d'un pays de destination, lui impartissant à cet égard un délai au 26 novembre 2015.

Le SEM a notamment relevé que M. A______ parlait anglais mais aucune langue du Tchad, dont il ignorait à peu près tout.

10. Le 2 juillet 2015, une demande de soutien à l'exécution du renvoi de M. A______ a été adressée au SEM.

11. Le 7 juillet 2015, les autorités du Nigéria ont reconnu M. A______ comme l'un de ses ressortissants mais, ce dernier se disant tchadien, elles ont demandé que M. A______ soit également présenté aux autorités tchadiennes afin que tout doute soit levé sur sa nationalité. Le SEM en a informé l'OCPM le 21 août 2015.

12. Le 3 septembre 2015, M. A______ a été reçu dans le cadre d'un entretien par l'OCPM. Lors de cet entretien, il s'est notamment engagé à se présenter auprès de la Mission permanente du Tchad, à Genève, en vue d'obtenir un document attestant de sa nationalité tchadienne. Il ne s'est toutefois jamais présenté auprès des autorités tchadiennes et a disparu dans la clandestinité le 18 septembre 2015.

13. Le 23 novembre 2015, une demande d'inscription au RIPOL, en vertu de l'art. 47 loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31), a été effectuée.

14. Le 27 mars 2018, M. A______ a été condamné par le Ministère public de Lausanne pour infractions à l'art. 115 al. 1 let. a et b loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20). Il était indiqué que M. A______ était entré en Suisse illégalement le 12 mars 2018.

15. Le 19 septembre 2018, le SEM a rejeté la demande de réexamen formée le 4 avril 2018 par M. A______. Sa décision du 25 mai 2015 était « entrée en force et exécutoire ».

M. A______ avait fait valoir à titre de faits nouveaux que son état de santé s'était dégradé dans le sens d'une aggravation des séquelles de l'accident dont il avait été victime lors de l'incendie du foyer B______ en 2014. Il avait produit à cet égard un rapport médical daté du 18 juin 2018 faisant état d'un status de
post-traumatisme crânien en novembre 2014, d'un syndrome de stress post-traumatique et d'une carence en vitamine D. Dans un rapport médical du 3 septembre 2018, son médecin traitant faisait état de son incapacité à établir un diagnostic à partir d'une seule évaluation.

Les problèmes de santé invoqués n'étaient pas d'une intensité qui nécessitait un traitement particulièrement lourd ou technique qui ne pourrait être assuré au Nigéria. Plus particulièrement, s'agissant du syndrome de stress post-traumatique, le standard des traitements psychiatriques dans ce pays était relativement élevé, et la plupart des maladies psychiatriques pouvaient y être traitées. Il y avait en outre des hôpitaux spécialisés dans ce domaine répartis sur l'ensemble du pays : les Federal Neuro Psychiatric Hospitals (FNPH) et les National Neuro Psychiatric Hospitals (NNPH). De plus, les médicaments qui lui étaient nécessaires ou des médicaments analogues étaient disponibles au Nigéria. Dès lors, les risques liés à une éventuelle interruption du traitement pouvaient être écartés. Pour ce qui était de la prise en charge des traitements sur place, la possibilité lui était offerte de déposer une demande d'aide médicale au retour, de façon à préparer son retour au Nigéria dans les meilleures conditions et à éviter toute interruption de traitement. Par ailleurs, la carence en vitamine D n'était pas une affection susceptible de constituer une mise en danger concrète au sens de l'art 83 al. 4 LAsi, et pouvait être prise en charge sur place, par exemple chez un médecin généraliste ou dans un des nombreux hôpitaux qui existaient au Nigéria. Il en allait de même du status de post-traumatisme crânien.

Il n'existait donc pas, dans le cas particulier et en l'état du dossier, de motifs susceptibles d'ôter à la décision du 25 mai 2015 son caractère de force de chose jugée.

16. Le 7 octobre 2018, M. A______ a fait l'objet d'un contrôle alors qu'il voyageait à bord du train régional assurant la liaison Genève-Vevey. Lors de l'ouverture des portes à l'arrêt en gare de Nyon, M. A______ a tenté de prendre la fuite en descendant du train. Lors de son audition, M. A______ a indiqué qu'il se rendait à Nyon pour y jouer au football et qu'il n'avait pas de domicile fixe en Suisse.

Le rapport d'interpellation mentionne que M. A______ a été interpellé à 10h59, et qu'il « est signalé dans les répertoires et bases de données informatisées de recherche pour renvoi LAsi » et « séjourne illégalement en Suisse en contrevenant à l'art. 115 LEtr ». Le document « droit d'être entendu en cas de mesures d'éloignement », sous la rubrique « constat », indique que l'intéressé n'est pas détenteur de documents de voyage valables, ni d'un visa ou d'une autorisation de séjour valable.

17. Le 8 octobre 2018, M. A______ a été acheminé par Jail Train Street à Genève et remis entre les mains des services de police.

18. Le même jour, le SEM a fait savoir que pour que les autorités nigérianes soient en mesure de délivrer un laissez-passer en faveur de M. A______, il était nécessaire que celui-ci soit présenté à une audition centralisée menée par les autorités tchadiennes, de manière à pouvoir exclure cette origine, précisant à cet égard qu'une telle audition pourrait être organisée dans le courant de
l'hiver 2018 / 2019. Il ressort par ailleurs de l'entretien téléphonique qui a eu lieu entre le SEM et l'OCPM que d'éventuelles démarches personnelles que M. A______ entreprendrait auprès des autorités tchadiennes permettraient d'accélérer la procédure.

19. Le 8 octobre 2018, à 19h40, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de six mois.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi au Nigéria et qu'il n'était pas en bonne santé, poursuivant un traitement médical pour des douleurs à la tête, à la nuque et au dos. Il n'avait effectué aucune démarche en vue de son départ de Suisse et souhaitait aviser le Consulat du Tchad.

20. Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le même jour.

21. Lors de l'audience du 11 octobre 2018 devant le TAPI, qui s'est terminée à 15h40, M. A______ a produit un chargé de pièces et a expliqué que la pièce 1 était une attestation de logement de Mme Helena VERISSIMO, attestant qu'elle serait prête à loger M. A______. Les pièces 2 à 4 étaient des certificats médicaux établis entre 2014 et le 18 juin 2018 attestant de l'état médical de M. A______. La pièce 5 était un procès-verbal du Tribunal de police du 7 octobre 2016 acquittant M. A______ et démontrant qu'il était revenu d'Espagne uniquement pour assister à l'audience. La pièce 7 était un rapport de l'OMS de 2011 sur la situation sanitaire au Tchad et faisant état de l'absence d'infrastructures en matière de santé psychique. Enfin, la pièce 7 était une ordonnance d'arrêt rendue le 7 juillet 2016 à l'encontre de M. A______ démontrant qu'il était en Espagne sans documents légaux.

M. A______ a à nouveau indiqué qu'il était ressortissant du Tchad, et non du Nigéria. Il n'était pas d'accord de retourner au Tchad car il était encore malade. Depuis l'incendie du foyer B______ en 2014, il n'était jamais vraiment redevenu lui-même. Lors de l'incendie, il s'était échappé par la fenêtre et était tombé en se cognant la tête. Il avait perdu le contrôle. Aujourd'hui, il avait toujours des douleurs, également en ce moment (au dos, à la tête et à la nuque). Il ne pouvait plus faire d'efforts et ne pouvait pas rester debout plus de deux heures en raison de son mal de dos. Il ne trouvait plus le sommeil et avait continuellement des cauchemars. Il était sous traitement médical : il consultait trois types de médecins, l'un pour les douleurs à la tête, l'autre pour les troubles psychologiques et du sommeil, et le dernier pour des massages et de la physiothérapie. Il ne sentait pas d'amélioration de son état depuis 2015. Il a encore exposé que lorsque l'OCPM avait décidé qu'il devait quitter la Suisse, il s'était rendu à Barcelone de 2015 à 2018. Quand la maladie avait empiré, il était revenu en Suisse, en avril 2018, chercher des médicaments à base d'herbes pour le guérir.

La représentante du commissaire de police a produit un courriel du SEM du jour même, faisant suite à un entretien téléphonique avec la Mission permanente de la République du Tchad, qui confirmait que M. A______ serait entendu par les autorités tchadiennes, sans qu'une date précise ait été fixée. Si M. A______ n'était pas reconnu par les autorités tchadiennes comme l'un de leurs ressortissants, il faudrait compter entre deux et trois semaines pour effectuer les démarches en vue de son renvoi au Nigéria (réservation d'un vol DEPU ou DEPA et obtention d'un laissez-passer). Elle a demandé la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative en cause.

M. A______ a souhaité encore rajouter qu'il n'était pas en bonne santé pour retourner en Afrique, mais que si telle était la décision des autorités, il ne se battrait pas et accepterait de monter dans l'avion qui serait organisé pour son renvoi. Après avoir plaidé notamment que le délai de 96 heures qu'avait le TAPI pour statuer était dépassé, il a conclu, principalement, à l'annulation de l'ordre de mise en détention et à une mise en liberté immédiate, subsidiairement à la réduction de la durée de la détention à un mois.

22. Par jugement du 11 octobre 2018, le TAPI a confirmé l'ordre de mise en détention.

S'agissant du délai de 96 heures, l'informalité était de très courte durée, de sorte que la portée de son non-respect devait être relativisée. Par ailleurs, même si M. A______ ne présentait pas une menace particulière pour l'ordre et la sécurité publics, son manque de collaboration et son peu de cas pour les décisions des autorités entraînait que la nécessité d'assurer son renvoi l'emportait sur son intérêt à être libéré.

M. A______ faisait l'objet d'une décision de renvoi définitive et exécutoire prononcée par le SEM le 26 mai 2015. La décision de renvoi n'avait pas été exécutée, car elle ne portait pas sur l'Espagne, État dans lequel M. A______ n'avait plus le droit de se rendre légalement, mais hors de l'Espace Schengen.

Les autres conditions légales étaient remplies. L'exécution du renvoi était exigible même compte tenu des problèmes de santé de l'intéressé.

23. Par acte posté le 22 octobre 2018, reçu le 24 octobre 2018, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à l'annulation de l'ordre de mise en détention administrative et à une libération immédiate, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

L'art. 80 al. 2 LEtr avait été violé. Il avait été arrêté par l'administration fédérale des douanes à Lausanne le dimanche 7 octobre 2018 à 10h59, pour un motif de droit des étrangers ; le TAPI avait rendu son jugement le jeudi 11 octobre 2018 à 18h07, soit plus de 7 heures après le délai impératif de 96 heures. Le TAPI n'avait pas tenu compte de la jurisprudence du Tribunal fédéral, puisque selon cette dernière, la violation de dispositions de procédure essentielles à la protection des droits de l'intéressé conduisaient à la levée de la détention sauf si des éléments suffisants indiquaient que l'étranger pouvait présenter un danger important pour l'ordre et la sécurité publics. Or, le TAPI reconnaissait un dépassement du délai impératif de 96 heures et admettait une absence de menace pour la sécurité et l'ordre publics, mais n'avait pas prononcé la levée de la détention.

Une détention en vue de renvoi ne pouvait se fonder sur la décision du SEM du 26 mai 2015, car celle-ci avait été exécutée. En effet, M. A______ s'était rendu en Espagne, où il avait séjourné plus d'un an, ce qu'il avait démontré devant le TAPI. Or, ce dernier n'en avait pas tenu compte, étant précisé que la décision de renvoi en cause ne mentionnait aucun pays de destination. La motivation du TAPI à ce sujet était incompréhensible.

M. A______ joignait notamment, en sus de l'ordonnance d'arrêt espagnole du 7 juillet 2016, la première page d'un compte rendu médical fait à Barcelone le 5 avril 2017, dans lequel il est indiqué que l'intéressé est un patient tchadien vivant en Espagne depuis deux ans, et aussi qu'il avait déjà fréquenté la consultation le 14 décembre 2016.

24. Le 20 octobre 2018, le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

Quand bien même le rapport d'arrestation de l'administration fédérale des douanes n'y faisait pas référence en tant que motif d'interpellation, M. A______ avait voyagé en train sans titre de transport valable et avait cherché à s'enfuir du convoi en se soustrayant au contrôle, se rendant donc coupable d'obtention frauduleuse de prestation et d'empêchement d'accomplir un acte officiel. Il avait de plus été emmené à la zone carcérale de la Blécherette, qui était un lieu de détention pénale et non administrative. Il fallait donc retenir qu'il avait été retenu à titre pénal jusqu'à son transfert à Genève le 8 octobre 2018, si bien que le TAPI n'avait pas dépassé le délai de 96 heures prévu par la loi.

Même si le délai devait être considéré comme dépassé, ce n'était que de quelques heures, si bien que l'informalité ne pouvait être considérée comme primant la nécessité de son renvoi au vu des éléments de son dossier.

S'agissant de l'exécution de la décision de renvoi, le raisonnement du TAPI était parfaitement clair et en accord avec la jurisprudence, à savoir que le renvoi ne pouvait être considéré comme exécuté dans la mesure où M. A______ n'avait pas le droit de se rendre en Espagne.

Par ailleurs, l'ordre de mise en détention confirmé par le TAPI respectait le principe de la proportionnalité.

25. Le 29 octobre 2018, M. A______ a indiqué vouloir préciser que ses conclusions incluaient de manière implicite une demande d'annulation du jugement entrepris en tant qu'il confirmait l'ordre de mise en détention litigieux.

26. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile – c’est-à-dire dans le délai de dix jours – devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d’application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 -
LaLEtr - F 2 10).

2. Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 24 octobre 2018 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

En outre, à teneur dudit art. 10 LaLEtr, elle est compétente pour apprécier l’opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l’étranger (al. 3 1ère phr.)

3. Le recourant se plaint tout d'abord de ce qu'il aurait dû être élargi, le délai de 96 heures prévu par l'art. 80 al. 2 LEtr ayant été dépassé.

4. a. À teneur de l'art. 80 al. 2 LEtr, la légalité et l'adéquation de la détention doivent être examinées dans un délai de 96 heures par une autorité judiciaire au terme d'une procédure orale. Si la détention en vue du renvoi ou de l'expulsion au sens de l'art. 77 a été ordonnée, la procédure d'examen se déroule par écrit.

b. La règle de l'art. 80 al. 2 LEtr s'adresse aux autorités de migrations (ATF 142 I 135 consid. 3.2). Il s'agit d'un délai impératif qui s'impose de manière contraignante aux autorités (ATF 137 I 23 consid. 2.4.5; arrêt du Tribunal fédéral 2C_356/2009 du 7 juillet 2009 consid. 5.4). Pour la computation du délai de 96 heures, les principes posés sous l'empire de l'ancienne législation demeurent applicables en lien avec l'art. 80 LEtr (arrêt du Tribunal fédéral 2C_935/2011 du 7 décembre 2011 consid. 5 et les arrêts cités). Ces délais se calculent à partir du moment où l'intéressé a effectivement été détenu pour des motifs de droit des étrangers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_168/2013 du 7 mars 2013 consid. 2.2), étant précisé que l'arrestation de l'étranger qui ne repose sur aucune autre infraction que celles découlant de la LEtr est assimilable à un motif tiré du droit des étrangers et doit être prise en compte pour le calcul du délai (Gregor CHATTON/Laurent MERZ, commentaire de l'art. 80 LEtr, in Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. II, 2017, n. 26 ad art. 80 LEtr). Si la détention administrative se recoupe avec une détention de nature pénale, le moment auquel le détenu est libéré sur le plan pénal est déterminant pour calculer le début de la détention administrative
(ATF 127 II 174 consid. 2b.aa ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_618/2011 du 1er septembre 2011 consid. 2.1 et 2C_206/2009 du 29 avril 2009 consid. 5.1.1). En revanche, si l'étranger est arrêté par les autorités policières en vue de son renvoi immédiat auquel il s'oppose, le délai de 96 heures commence à courir au moment de cette arrestation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_992/2014 du 20 novembre 2014 consid. 4.1).

c. S'agissant de la fin du délai, l'examen de la mise en détention doit également s'achever dans le délai de 96 heures, c'est-à-dire que l'autorité doit rendre sa décision encore dans ce délai (Gregor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 22 ad art. 80 LEtr).

d. En matière de mesures de contrainte de droit des étrangers, les garanties de procédure occupent une place fondamentale, et le Tribunal fédéral examine leur respect avec beaucoup de rigueur ; néanmoins, une violation des prescriptions de procédure ne conduit pas nécessairement à une mise en liberté. D'après la jurisprudence, il convient d'examiner la portée des dispositions violées pour le respect des droits de l'intéressés, tandis que la nécessité d'un maintien en détention peut s'opposer à une mise en liberté, ceci lorsque l'étranger met en danger la sécurité et l'ordre publics (ATF 122 II 154 consid. 3a ; 121 II 105 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1089/2012 du 22 novembre 2012 consid. 4.1).

5. En l'espèce, le recourant a été interpellé par des agents de l'administration fédérale des douanes le 7 octobre 2018 à 10h59. Les documents remplis par
ceux-ci ne mentionnent que des motifs liés au droit des étrangers, et rien dans le dossier ne vient étayer que des infractions au droit pénal fondamental pourraient lui avoir été reprochées.

L'audience du TAPI s'est achevée le 11 octobre 2018 à 15h40, si bien que le délai de 96 heures, qui expirait le 11 octobre 2018 à 10h59, a été dépassé de plusieurs heures. Ce délai légal constitue une garantie de procédure centrale selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1089/2012 précité consid. 3.2.1) ; par ailleurs, comme le TAPI l'a du reste reconnu, le recourant ne constitue pas une menace pour la sécurité et l'ordre publics, n'ayant à ce jour été condamné pénalement que pour des infractions en lien avec son séjour illégal. Dès lors, même si le recourant n'a pas été empêché de faire valoir ses droits de par le dépassement relativement court du délai, rien ne s'opposait en l'espèce à une application rigoureuse de l'art. 80 al. 2 LEtr, sans laquelle ce délai obligatoire pour les autorités risquerait de devenir lettre morte.

6. Le recourant invoque également que la décision de renvoi sur laquelle se fonde l'ordre de mise en détention a déjà été exécutée.

7. a. Selon l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1 et ch. 3 LEtr en lien avec l’art. 75 al. 1 let. h LEtr, après notification d’une décision de première instance de renvoi ou d’expulsion au sens de la LEtr ou une décision de première instance d’expulsion au sens notamment des art. 66a ou 66abis CP, l’autorité compétente peut, afin d’en assurer l’exécution, mettre en détention la personne concernée si des éléments concrets font craindre qu’elle entende se soustraire au renvoi ou à l’expulsion, ou si elle a été condamnée pour crime.

b. Lorsqu'un étranger a quitté la Suisse suite au prononcé d'un renvoi, puis qu'il revient ensuite en Suisse, une détention basée sur les art. 76, 77 et 78 LEtr nécessitera en principe une nouvelle décision de renvoi, puisque la première décision a été exécutée. Il convient que l'étranger rende vraisemblable qu'il ait quitté la Suisse (arrêts du Tribunal fédéral 2C_394/2007 du 15 août 2007 consid. 2.2 et 2A.133/2002 du 26 mars 2002 consid. 3.2 ; Gregor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 12 ad art. 76 LEtr).

c. La jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral distingue les renvois dits Dublin aux autres cas de renvoi. Ainsi, un renvoi en vertu des accords d'association à Dublin (art. 64a LEtr) peut être effectué par retour forcé ou par départ volontaire ; une fois le renvoi exécuté, il n'existe plus de raison de placer la personne en détention administrative. Un État membre qui conclut à la compétence d'un autre État membre pour l'examen d'une demande d'asile est tenu de transférer le demandeur à l'État responsable (art. 19 par. 1 et 2 du règlement Dublin). L'obligation de transfert ne cesse pas lors du passage de la frontière, mais existe jusqu'à l'arrivée du demandeur dans l'État de destination. Le règlement Dublin prévoit la possibilité d'un retour volontaire du demandeur. Il appartient aux autorités de déterminer, dans chaque cas particulier, les modalités appropriées à l'exécution du transfert, un départ volontaire ou un retour forcé, en fonction de la volonté du demandeur de retourner dans l'État de destination et du risque de passage à la clandestinité. Si, sur la base de l'ensemble des circonstances, une décision de renvoi ne peut être exécutée que par retour forcé et qu'un tel retour est prévu, le renvoi n'est exécuté que par le transfert du demandeur dans l'État de destination. Dès lors, dans le cas à trancher où l'étranger devait retourner en Hongrie, et avait brièvement quitté la Suisse pour se rendre en Allemagne, la décision de renvoi ne pouvait être considérée comme ayant été exécutée
(ATF 140 II 74 consid. 2.3).

L'ATA/364/2015 du 20 avril 2015 (consid. 5) ne constitue qu'une très légère variante de ce cas de figure, puisqu'il s'agissait d'un cas Dublin pour lequel la Suisse était l'État Dublin compétent, si bien que l'étranger ne pouvait pas, par un départ volontaire pour un pays limitrophe de la Suisse, faire en sorte que le renvoi soit exécuté.

d. Dans les cas où le renvoi a déjà exécuté, la jurisprudence précitée réserve la possibilité de notifier une décision de renvoi immédiate, c'est-à-dire sans annonce préalable. Celle-ci est prévue à l'art. 64 al. 2 in fine LEtr et suppose que des motifs de sécurité et d'ordre publics, de sécurité intérieure ou extérieure justifient un départ immédiat.

8. En l'espèce, le SEM a – de manière peu compréhensible – rendu deux décisions au sujet de la même demande d'asile, une décision de non-entrée en matière prévoyant un renvoi Dublin vers l'Espagne, puis une décision de rejet prévoyant un renvoi de Suisse sans mention d'une destination particulière.

Le recourant invoque par ailleurs qu'il s'est rendu en Espagne où il serait resté entre septembre 2015 et février 2018. Ce séjour espagnol a été rendu vraisemblable, puisque d'une part le dossier ne révèle aucune présence en Suisse du recourant durant cette période, et d'autre part celui-ci fournit au moins deux pièces qui confirment sa présence en Espagne, notamment en 2016.

Dans ces conditions, on doit admettre qu'il a quitté la Suisse de manière volontaire depuis la dernière décision de renvoi et s'est rendu dans l'État de destination Dublin qui lui avait initialement été assigné. Dès lors, que l'on considère la décision de non-entrée en matière du 2 octobre 2014 ou la décision de rejet du 26 mai 2015, le renvoi a été exécuté.

À cet égard, il n'y a pas lieu de prendre en compte la légalité de l'entrée volontaire de l'intéressé dans le pays tiers, contrairement à l'analyse qui doit être faite par l'autorité lorsqu'elle doit décider si elle doit ou non permettre un renvoi dans un autre pays que celui d'origine (art. 69 al. 2 LEtr et 5 al. 2 LaLEtr).

L'ordre de mise en détention se base sur l'art. 76 LEtr, et non 75. De plus, un renvoi immédiat au sens de l'art. 64 al. 2 LEtr n'est pas envisageable en l'espèce, puisque, comme il a été vu, le recourant ne présente pas une menace pour la sécurité et l'ordre publics.

Dès lors, en l'absence de l'une des conditions légales posées par l'art. 76 LEtr, la mise en détention administrative du recourant n'était pas possible. Le recours sera ainsi admis, le jugement du TAPI annulé et la mise en liberté immédiate du recourant prononcée.

9. Vu la nature et l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu
(art. 87 al. 1 LPA). Dans la mesure où le recourant obtient gain de cause, qu'il en a fait la demande et qu'il a eu recours aux services d'un avocat, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- lui sera allouée, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 octobre 2018 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 octobre 2018 ;

 

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 octobre 2018 ;

prononce la mise en liberté immédiate de Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Bayenet, avocat du recourant, au commissaire de police, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations, au secrétariat d'État aux migrations, ainsi qu'au centre Frambois LMC, pour information.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Junod, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. Cardinaux

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :