Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/594/2018

ATA/116/2019 du 05.02.2019 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/594/2018-PROF ATA/116/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 février 2019

1ère section

 

dans la cause

 

M. A_______

contre

COMMISSAIRE DE POLICE



EN FAIT

1. M. A______, de nationalité suisse, né le ______ 1973 à Genève, canton dans lequel il est domicilié, a été, entre 1992 et 2009, interpellé à plusieurs reprises par la police genevoise pour infractions aux législations sur les stupéfiants et la circulation routière.

2. a. Le 25 novembre 2015, M. A______ a été arrêté provisoirement dans le cadre d’un important trafic de cocaïne portant sur plus de 1’403 gr, d’un taux de pureté situé entre 57,7 et 80,3 %.

b. Le 30 juin 2016, le Tribunal correctionnel a condamné M. A______ à une peine privative de liberté de trois ans sans sursis à raison de huit mois et l’a, pour le surplus, mis au bénéfice d’un sursis partiel en fixant le délai d’épreuve à trois ans.

L’intéressé avait été reconnu coupable de trafic de stupéfiants avec circonstance aggravante de la quantité importante de la drogue saisie et du taux élevé de pureté de celle-ci. Il avait aussi été reconnu coupable de consommation de stupéfiants.

3. Le 15 janvier 2018, M. A______ a requis du commissaire de police la délivrance d’un certificat de bonne vie et mœurs (ci-après : CBVM).

Il souhaitait s’établir comme chauffeur indépendant d’une voiture de transport avec chauffeur (ci-après : VTC).

4. Par décision du 17 janvier 2018, le commissaire de police a refusé la délivrance du CBVM requis.

L’extrait du casier judiciaire de l’intéressé faisait état notamment d’une condamnation pénale, incompatible avec l’obtention d’un CBVM. Les renseignements de police disponibles mentionnaient, quant à eux, notamment une arrestation à la suite d’un trafic de stupéfiants et des infractions à la législation sur les armes. Ces éléments n’étaient pas non plus compatibles avec l’obtention du certificat sollicité.

5. Par acte expédié le 16 février 2018, M. A______ a recouru contre la décision précitée auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) en concluant à ce que « la décision prise par la police soit reconsidérée ».

Il était certes sous le coup d’une condamnation pénale, mais il fournissait des efforts pour se réinsérer dans la vie professionnelle et ne plus dépendre de l’aide sociale. Il souhaitait travailler comme chauffeur de limousine indépendant. Il lui fallait alors fournir au service compétent un CBVM. La décision de la police l’empêchait d’entreprendre son activité.

6. Les 19 février et 2 mars 2018, le juge délégué a requis de M. A______ de lui faire parvenir une copie de la décision attaquée qui n’était pas annexée à son recours.

7. Le 20 mars 2018, M. A______ a persisté dans les conclusions de son recours.

L’extrait de son casier judiciaire ne contenait aucune condamnation pénale relative à une infraction contre la législation sur les armes. Il possédait une arme de collection qui ne nécessitait pas une inscription au registre des armes à feu. Il regrettait d’avoir enfreint la législation sur les stupéfiants. Ce fait ne devait pas constituer un motif d’un acharnement à son égard. L’inscription de sa condamnation pénale du 30 juin 2016 devait être radiée du casier judiciaire le 29 juin 2019.

8. Le 9 avril 2018, le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

L’intéressé sollicitait la délivrance d’un CBVM en vue d’obtenir une carte professionnelle de chauffeur de VTC. Sa condamnation pénale du 30 juin 2016 n’était pas de peu de gravité. En outre, selon le dossier de police, l’intéressé était un consommateur de stupéfiants de longue date, ses premières arrestations remontant à sa minorité. Il avait par ailleurs fait l’objet de plusieurs plaintes relatives à la législation sur la circulation routière.

9. a. Le 14 juin 2018, le juge délégué a requis du Tribunal correctionnel de lui faire parvenir le jugement du 30 juin 2016.

b. Le 15 juin 2018, le Tribunal correctionnel a fait parvenir à la chambre administrative le jugement requis.

10. Par courrier du 18 juin 2018, reçu le 19 juin 2018 par l’intéressé, le juge délégué a mis le jugement précité à la disposition des parties pour consultation dès le 3 juillet 2018, sous réserve d’une objection de M. A______ à la consultation de ce jugement par le commissaire de police.

11. Par courrier du 17 octobre 2018, le juge délégué à impartit à M. A______ un délai au 7 novembre 2018 pour formuler d’éventuelles observations.

12. L’intéressé n’ayant pas utilisé la possibilité offerte, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige porte sur le bien-fondé du refus de délivrer un CBVM au recourant.

3. Le recourant reproche à l’autorité intimée d’avoir ignoré que sa condamnation pénale serait radiée du casier judiciaire dès le 29 juin 2019.

a. Quiconque justifie de son identité et satisfait aux exigences du chapitre IV de la loi peut requérir la délivrance d’un CBVM (art. 8 de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 - LCBVM - F 1 25). Le CBVM est délivré par un commissaire de police (art. 15 LCBVM). Il est refusé notamment à celui dont le casier judiciaire contient une condamnation à une peine privative de liberté. L’autorité compétente apprécie librement, eu égard aux circonstances, si certaines condamnations de peu de gravité peuvent ne pas être retenues. Il peut en être de même des condamnations en raison d’une infraction non intentionnelle (art. 10 al. 1 let. a LCBVM) ; à celui dont l’honorabilité peut être déniée avec certitude en raison soit d’une ou plusieurs plaintes fondées concernant son comportement, soit de contraventions encourues par lui à réitérées reprises, notamment pour ivrognerie ou toxicomanie, ou encore s’il s’agit d’un failli inexcusable (art. 10 al. 1 let. b LCBVM). Les faits de peu d’importance ou ceux qui sont contestés et non établis ne sont pas pris en considération (art. 10 al. 2 LCBVM).

b. Celui qui tombe sous le coup de l’art. 10 al. 1 let. a LCBVM peut néanmoins recevoir un certificat de bonne vie et mœurs si la moitié de la durée déterminante pour l’élimination de l’inscription en vertu de l’art. 369 du code pénal suisse (CP - RS 311.0) est écoulée (art. 11 al. 1 LCBVM). Selon cette dernière disposition, les jugements qui prononcent une peine privative de liberté avec sursis, une privation de liberté avec sursis, une peine pécuniaire, un travail d’intérêt général ou une amende comme peine principale sont éliminés d’office après dix ans (art. 369 al. 3 CP). Le délai [d’élimination de l’inscription] court à compter du jour où le jugement est exécutoire, pour les jugements visés notamment à l’al. 3 (art. 369 al. 6 let. a CP).

c. Celui qui tombe sous le coup de l’art. 10 al. 1 let. b LCBVM peut recevoir un certificat de bonne vie et mœurs si dans les deux ans qui précèdent la demande, sa conduite n’a donné lieu à aucun fait pouvant porter atteinte à son honorabilité (art. 11 al. 2 LCBVM).

L’art. 10 al. 1 let. b LCBVM a été introduit dans le but de saisir les comportements relevant du droit pénal dès leur commission, et de permettre au commissaire de police d’en tenir compte avant la fin de l’instruction pénale et le prononcé judiciaire (MGC 1977/V 4774). Celui qui a fait l’objet de plaintes, même si elles sont encore en cours d’instruction, peut ainsi faire l’objet d’un refus de délivrance d’un CBVM (ATA/332/2018 du 10 avril 2018 et les références citées).

d. Le CBVM vise à assurer la constatation de la bonne réputation de l’intéressé à l’égard des tiers dans certaines situations où il est requis, par exemple pour la prise d’un emploi. L’exclusion d’un tel certificat est attachée à l’existence d’un comportement répréhensible par rapport aux critères éthiques adoptés par la majorité de la population. La bonne réputation peut se définir comme le fait de ne pas avoir enfreint les lois régissant la vie des hommes en société, ni heurté au mépris d’autrui les conceptions généralement répandues, conçues comme des valeurs et formant la conscience juridique de la majorité de la population (ATA/1028/2018 du 2 octobre 2018 et les références citées). De plus, selon une jurisprudence déjà ancienne, mais constante, pour apprécier si une personne peut se voir délivrer un CBVM, il faut prendre en considération l’usage qu’il entend faire du certificat. L’honorabilité d’un requérant, ou les conséquences qu’il faut tirer de son inconduite, doivent être appréciées plus ou moins gravement selon l’emploi qu’il entend faire du certificat, c’est-à-dire suivant l’activité professionnelle envisagée (ATA/737/2016 du 30 août 2016 et les références citées).

e. L’exigence d’honorabilité doit permettre d’examiner si le comportement de l’intéressé est compatible avec l’activité pour laquelle l’autorisation est requise, même si le candidat concerné n’a pas été condamné pénalement (ATA/1226/2017 du 22 août 2017 et les références citées).

f. Les dispositions précitées doivent être interprétées dans le respect du principe de la proportionnalité, qui se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3 ; 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c : ATA/1328/2018 du 11 décembre 2018).

g. La décision de délivrer ou non un CBVM ne relève pas de l’opportunité, mais repose sur des éléments objectifs et d’autres relevant du pouvoir d’appréciation de l’autorité, dont l’excès et l’abus sont revus par la chambre de céans avec plein pouvoir d’examen (art. 61 al. 1 let. a et al. 2 LPA ; ATA/14/2019 du 8 janvier 2019).

4. a. À teneur de l’art. 5 al. 2 let. e de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31), la carte professionnelle est délivrée par le département lorsque le requérant n’a pas fait l’objet, dans les cinq ans précédant la requête, de décisions administratives ou de condamnations incompatibles avec l’exercice de la profession, telles que définies par le Conseil d’État. Par ailleurs, tout chauffeur est tenu par un devoir général de courtoisie. Il doit avoir une conduite et une tenue correctes (art. 17 al. 1
phr. 1 LTVTC). Il veille à appliquer les principes généraux de la sécurité routière et de la conduite écologique (al. 2 phr. 2).

b. En vertu de l’art. 5 al. 1 du règlement d’exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 21 juin 2017 (RTVTC - H 1 31 01), les documents nécessaires à l’instruction de la requête en délivrance de la carte professionnelle sont notamment un extrait original du casier judiciaire suisse datant de moins de trois mois (let. g) et un CBVM datant de moins de trois mois (let. h). Aux termes de l’art. 6 al. 1 RTVTC, le service ne délivre pas la carte professionnelle de chauffeur au requérant ayant fait l’objet, dans les cinq ans précédant le dépôt de sa requête, d’une décision administrative ou d’une condamnation pénale incompatible avec l’exercice de la profession de chauffeur ; peuvent être considérées comme telles les décisions et condamnations prononcées pour infractions au droit pénal commun, suisse ou étranger, en particulier celles contre la vie, l’intégrité corporelle, l’intégrité sexuelle ou le patrimoine (let. a), infractions aux règles de la circulation routière ou inaptitude à la conduite ayant mené à un retrait du permis de conduire en application des articles 15d, 16b, 16c, 16cbis ou 16d de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01). Le service tient notamment compte de la gravité des faits ou de leur réitération, du temps écoulé depuis le prononcé de la décision, respectivement de la condamnation, ainsi que du risque de récidive (art. 6
al. 2 RTVTC).

Selon l’exposé des motifs du projet de loi du 26 août 2015 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (PL 11709 ; PL 11710), les clients d’un transporteur s’en remettent à lui lorsqu’ils montent dans son véhicule. Il n’est pas d’usage de contrôler la probité d’un chauffeur avant de faire appel à lui. Pour ces raisons, il apparaît nécessaire qu’avant la délivrance de la carte professionnelle l’autorité procède à quelques vérifications. Il est plus objectif d’exiger l’absence de condamnations ou de décisions administratives incompatibles avec l’exercice de la profession. Il s’agira principalement de condamnations liées à des infractions routières graves et/ou répétées, ou des condamnations liées à des actes portant atteinte à l’intégrité physique et sexuelle (PL 11709, p. 27 accessible sur http://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL11709.pdf, consulté le 29 janvier 2019).

5. En l’occurrence, le recourant a été condamné pénalement le 30 juin 2016 par le Tribunal correctionnel à une peine privative de liberté de trois ans, dont huit mois fermes, pour crime contre la législation sur les stupéfiants. Cette dernière condamnation pour crime, infraction la plus grave du CP, portant sur des faits reconnus par le recourant, qui est, à ce jour, toujours inscrite au casier judiciaire, réalise à elle seule un motif de refus de la délivrance d’un CBVM. Contrairement à l’affirmation du recourant, ce n’est pas la date de la radiation de sa condamnation pénale de l’extrait du casier judiciaire destiné aux particuliers qui est déterminante pour apprécier si l’art. 11 al. 1 LCBVM lui est applicable, mais la moitié de la durée déterminante pour l’élimination de l’inscription en vertu de l’art. 369 al. 3 CP. Or, celle-ci n’est pas encore écoulée, l’entrée en force de la condamnation du recourant datant du 30 juin 2016. La moitié de la durée déterminante sera atteinte le 29 juin 2021.

Usant de son pouvoir d’appréciation, le commissaire de police a mis la condamnation précitée du recourant en perspective des autres éléments ressortant de son dossier de police notamment les interpellations par la police entre 1992 et 2009. Ces éléments ne sont néanmoins pas pertinents en l’espèce, compte tenu notamment de leur ancienneté.

Ainsi, les faits retenus par le commissaire de police relatifs à la condamnation de 2016 et reconnus par le recourant sont incompatibles avec l’exigence de probité requise dans l’exercice de la profession de chauffeur de VTC. Le législateur genevois a, en effet, voulu exiger de celui-ci un devoir général de courtoisie, une conduite correcte et un respect des principes généraux de la sécurité routière. La condamnation pour trafic de stupéfiants et consommation de drogue n’est pas compatible avec le but recherché de protéger les usagers qui pourraient s’en remettre à lui et monter dans son VTC, étant rappelé que pour apprécier si une personne peut se voir délivrer un CBVM, il faut prendre en considération l’usage qu’il entend faire du certificat. Le législateur cantonal a voulu qu’un contrôle de probité soit assuré avant la délivrance d’une carte professionnelle de chauffeur de VTC. La décision attaquée participe à ce processus de vérification. Les allégations du recourant qui soutient regretter avoir enfreint la législation sur les stupéfiants ne sont pas propres à rendre la décision attaquée disproportionnée, ce dernier n’ayant pas apporté la preuve d’un comportement méritoire.

Compte tenu de ce qui précède, la décision attaquée, qui considère que les faits pour lesquels le recourant a été condamné en 2016 ne permettent pas de lui décerner un CBVM, est conforme au droit.

Le grief du recourant sera dès lors écarté.

6. Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

7. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 février 2018 par M. A______ contre la décision du commissaire de police du 17 janvier 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de M. A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à M. A______, ainsi qu’au commissaire de police.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

 

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :