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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2099/2018

ATA/1028/2018 du 02.10.2018 ( PROF ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2099/2018-PROF ATA/1028/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 octobre 2018

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Anne-Laure Diverchy, avocate

contre

COMMISSAIRE DE POLICE



EN FAIT

1. Monsieur A______, de nationalité suisse, a fait l’objet, en Italie, de trois condamnations pénales pour trafic de stupéfiants, respectivement les 23 avril 2009 (peine privative de liberté de trois ans et quatre mois), 7 octobre 2009 (peine privative de liberté de dix ans) et 17 février 2011 (peine privative de liberté d’un an).

2. Par décision du 10 octobre 2011, rectifiée par nouvelle décision du 28 mars 2012, le procureur général de la République auprès de la Cour d’appel de Gênes a constaté que M. A______ avait été incarcéré depuis le 25 février 2009, de sorte que la fin des peines privatives de liberté était fixée au 16 septembre 2019.

3. Le 23 juillet 2013, le transfèrement de M. A______ a eu lieu, à sa demande, de la prison de Palerme à Champ-Dollon. À compter du 3 octobre 2014, il a séjourné à la section ouverte des Établissements de Bellechasse, puis a exécuté sa peine sous forme de travail externe à l’Établissement de Montfleury.

Le préavis du 19 novembre 2015 de ce dernier établissement souligne l’attitude irréprochable de l’intéressé, qui avait fourni beaucoup d’efforts afin de mener à bien ses projets de formation. Il avait fait montre d’une grande rigueur professionnelle et minutie dans son travail, était ponctuel et régulier. Il avait entrepris une formation – financée par ses soins – d’assistant de vie auprès des personnes âgées. En outre, ayant échoué à l’examen de cafetier, il entendait se présenter une seconde fois.

4. À la suite de sa libération conditionnelle, ordonnée le 10 février 2016, il a trouvé un emploi de chauffeur de personnes à mobilité réduite au sein de la fondation B______.

5. M. A______ a remboursé le prêt octroyé par le Service de probation et d’insertion, et soldé l’ensemble de ses poursuites.

6. Souhaitant obtenir une carte professionnelle de chauffeur VTC, il a passé avec succès les examens de conduite, le 12 janvier 2018, et, le 27 avril 2018, celui théorique prévu par la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31). Il dispose par ailleurs du certificat de capacité civile, établi le 16 mai 2018.

7. Par décision du 22 mai 2018, le commissaire de police a refusé de lui délivrer le certificat de bonne vie et mœurs, au motif qu’il avait fait l’objet d’une peine privative de liberté de 10 ans, 9 mois et 19 jours.

8. Par acte expédié le 19 juin 2018 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre cette décision, concluant, celle-ci étant mise à néant, à la délivrance du certificat précité.

Il a fait valoir qu’en prenant en compte la date de son incarcération, le 25 février 2009, la moitié de la durée déterminante pour l’inscription de sa peine sera écoulée le 25 février 2019. Par ailleurs, son comportement tant durant sa détention que depuis sa libération conditionnelle avait été irréprochable. Il sollicitait ainsi qu’au regard de son comportement particulièrement méritoire, la délivrance du certificat de bonne vie et mœurs (ci-après : CBVM) lui soit accordée.

Il a, notamment, joint une attestation du service de probation et d’insertion du 13 juin 2018, qui souligne sa bonne collaboration, le fait qu’il se présentait ponctuellement, produisait les attestations et documents demandés dans les délais et faisait preuve d’initiative et d’autonomie, notamment en se formant en vue d’optimiser sa réinsertion professionnelle.

9. Le commissaire de police a conclu au rejet du recours, en se référant à sa décision.

10. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Est litigieuse la question de savoir si le refus d’établir un CBVM en faveur du recourant est conforme au droit.

a. Le CBVM vise à assurer la constatation de la bonne réputation de l'intéressé à l'égard des tiers dans certaines situations où il est requis, par exemple pour la prise d'un emploi. L'exclusion d'un tel certificat est attachée à l'existence d'un comportement répréhensible par rapport aux critères éthiques adoptés par la majorité de la population (ATA/675/1997 du 4 novembre 1997 et la référence citée). La bonne réputation peut se définir comme le fait de ne pas avoir enfreint les lois régissant la vie des hommes en société, ni heurté au mépris d'autrui les conceptions généralement répandues, conçues comme des valeurs et formant la conscience juridique de la majorité de la population (RDAF 1976 p. 68).

b. La décision de délivrer ou non un CBVM ne relève pas de l'opportunité, mais repose sur des éléments objectifs et d'autres relevant du pouvoir d'appréciation de l'autorité, dont l'excès et l'abus sont revus par la chambre de céans avec plein pouvoir d'examen (art. 61 al. 1 let. a et al. 2 LPA).

c. Le CBVM est refusé à celui dont le casier judiciaire contient une condamnation à une peine privative de liberté. L’autorité compétente apprécie librement, eu égard aux circonstances, si certaines condamnations de peu de gravité peuvent ne pas être retenues. Il peut en être de même des condamnations en raison d’une infraction non intentionnelle (art. 10 al. 1 let. a de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 ; LCBVM - F 1 25). Le CBVM est également refusé à celui dont l'honorabilité peut être déniée avec certitude en raison soit d'une ou de plusieurs plaintes fondées concernant son comportement, soit de contraventions encourues par lui à réitérées reprises, notamment pour ivrognerie ou toxicomanie, ou encore s'il s'agit d'un failli inexcusable (art. 10 al. 1 let. b LCBVM). Les faits de peu d'importance ou ceux qui sont contestés et non établis ne sont pas pris en considération (art. 10 al. 2 LCBVM).

d. Celui qui tombe sous le coup de l’art. 10 al. 1 let. a LCBVM peut néanmoins recevoir un CBVM si la moitié de la durée déterminante pour l'élimination de l'inscription en vertu de l'art. 369 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) est écoulée (art. 11 al. 1 LCBVM). Selon l’art. 369 al. 1 let. a CP, les jugements qui prononcent une peine privative de liberté de cinq ans au moins sont éliminés d'office après 20 ans. Le délai court à compter du jour où le jugement est exécutoire (art. 369 al. 6 let. a CP).

En outre, celui qui tombe sous le coup de l’art. 10 al. 1 let. b LCBVM peut recevoir un certificat de bonne vie et mœurs si dans les deux ans qui précèdent la demande, sa conduite n’a donné lieu à aucun fait pouvant porter atteinte à son honorabilité (art. 11 al. 2 LCBVM). Enfin, les délais prévus à l’art. 11 LCBVM peuvent être abrégés si la conduite méritoire de l’intéressé le justifie (art. 13 LCBVM).

e. Les dispositions précitées doivent être interprétées dans le respect du principe de la proportionnalité, qui commande à l'administration de ne se servir que des moyens adaptés au but que la loi vise : d'une part, le moyen utilisé doit être propre à atteindre la fin d'intérêt public recherchée et, d'autre part, il faut qu'il existe un rapport raisonnable entre le but d'intérêt public visé, le moyen choisi pour l'atteindre et la liberté impliquée (ATA/111/2018 du 6 février 2018 consid. 3d ; ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017).

f. En l’espèce, il apparaît que la moitié de la durée déterminante pour l'élimination de l'inscription en vertu de l'art. 369 al. 1 let. a CP n’est pas encore écoulée, que l’on retienne comme point de départ la date de la première condamnation (23 avril 2009), celle de la condamnation à la peine la plus élevée (7 octobre 2009) ou celle de l’incarcération du recourant (25 février 2009), comme celui-ci le propose. Dans l’hypothèse la plus favorable à l’intéressé, la moitié de la durée déterminante pour l’élimination d’office du casier judiciaire n’arriverait à échéance que le 25 février 2019.

Il convient ainsi d’examiner si, comme le fait valoir le recourant, sa conduite est méritoire au sens de l’art. 13 LCBVM, de sorte qu’il se justifie d’abréger de quelques mois le délai de dix ans prévu par l’art. 11 al. 1 LCBVM.

Il ressort du dossier qu’à la suite de son transfèrement en Suisse, le recourant a saisi les occasions qui lui étaient offertes d’entreprendre une formation et de travailler, dans le cadre de l’exécution de sa peine. Il a ainsi entrepris une formation d’assistant auprès de personnes âgées, formation qu’il a financée par ses propres moyens. Il s’est investi dans le travail en cuisine et s’est présenté, toutefois sans succès, à l’examen de cafetier. Ses maîtres d’atelier ont relevé sa grande rigueur professionnelle, sa ponctualité, la régularité et la minutie dans son travail. Le service de probation et d’insertion a attesté, le 13 juin 2018, de la bonne collaboration de l’intéressé, qui s’est, depuis sa libération, toujours présenté ponctuellement et a présenté les attestations et documents demandés dans les délais. Il avait fait preuve d’initiative et d’autonomie, notamment en se formant en vue d’optimiser sa réinsertion professionnelle. Par ailleurs, le recourant a un travail fixe de chauffeur de personnes à mobilité réduite depuis plus de deux ans auprès de la fondation AGIR. Il a remboursé le prêt octroyé par le service précité et soldé ses dettes. Le 27 avril 2018, il a passé avec la note maximale les examens en vue de l’obtention de la carte professionnelle de chauffeur et réussi également l’examen de conduite le 12 janvier 2018.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient de retenir que la détermination du recourant à effectuer une réinsertion réelle et définitive et à se conformer à l’ordre juridique suisse est méritoire. Celui-ci a fait preuve depuis sa libération conditionnelle d’un comportement irréprochable. Sa collaboration avec le service de probation et d’insertion est exemplaire, et la volonté du recourant de se former en vue d’optimiser ses chances sur le marché du travail est démontrée, notamment, par les examens de conduite et de théorie passés avec succès ce printemps. Son travail actuel comporte d’ailleurs déjà le transport de personnes, de sorte que son projet d’obtenir la carte professionnelle de chauffeur de taxi s’inscrit dans le prolongement de son activité actuelle.

Par conséquent, en refusant au recourant la délivrance d’un CBVM, le commissaire de police a abusé du pouvoir d’appréciation que lui conférait l’art. 13 LCBVM. Un tel refus ne respecte pas le principe de la proportionnalité, car il n’est pas propre à atteindre le but visé par les dispositions régissant l’exercice de la profession de chauffeur de taxi (ATA/111/2018 précité).

Le recours sera ainsi admis, la décision attaquée annulée et la cause retournée au commissaire de police afin qu'il délivre le CBVM sollicité.

3. Il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de CHF 1'000.- à la charge de l’État de Genève sera allouée au recourant qui obtient gain de cause (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 juin 2018 par Monsieur A______ contre la décision du commissaire de police du 22 mai 2018 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision précitée ;

renvoie la cause au commissaire de police pour qu’il délivre le certificat sollicité ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Anne-Laure Diverchy, avocate du recourant, ainsi qu'au commissaire de police.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mme Junod, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :


la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :