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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1559/2022

ATA/813/2022 du 17.08.2022 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 19.09.2022, rendu le 04.05.2023, IRRECEVABLE, 2C_757/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1559/2022-EXPLOI ATA/813/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 août 2022

1ère section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me François Bellanger, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI
représenté par Me David Hofmann, avocat



EN FAIT

1) La société A______ (ci-après : la société ou A______) est inscrite au registre du commerce du canton de Genève (ci-après : RC) depuis le 12 juin 2002.

Elle a pour but la détention et l’exploitation d’hôtels, notamment à proximité de l’aéroport international de Genève, ainsi que toutes activités liées à ce but, à l’exception d’opérations soumises à la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE - RS 211.412.41).

Elle détient les hôtels A______, B______ et C______ qui, ensemble forment un complexe hôtelier à proximité de l’aéroport international de Genève.

2) L'hôtel A______, exploité par la société depuis 2014, a été surélevé et rénové entre mai et décembre 2019, en vertu de l’autorisation de construire
DD 1______, obtenue le 7 janvier 2014. Le nombre de chambres est ainsi passé de cent cinquante à cent septante-trois.

3) Le 28 février 2021, A______ a formé auprès du département du développement économique, devenu depuis lors le département de l’économie et de l’emploi (ci-après : DEE ou le département), une demande d’aide financière pour cas de rigueur en raison de la crise sanitaire.

Elle indiquait dans le formulaire, un chiffre d’affaires (ci-après : CA) de CHF 9'213'515.- pour 2018, CHF 8'053'708.- pour 2019 et de CHF 2'273'597.- pour 2020.

4) Par décision du 18 mars 2021, le DEE a accordé à A______ une aide financière extraordinaire basée sur la loi relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (12'863) du 29 janvier 2021, entrée en vigueur le 1er janvier 2021 (ci-après : aLAFE-2021).

Le montant alloué, de CHF 750'000.-, correspondait au maximum de l’indemnité conformément à l’art. 8 al. 2 de l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 du 25 novembre 2020 (ordonnance Covid-19 cas de rigueur 2020, OMCR 20 - RS 951.262 ; ci-après : ordonnance Covid-19), dans sa teneur au 14 janvier 2021. Le département retenait comme CA CHF 3'512'582.-, des coûts totaux de CHF 5'434'587.- et des coûts fixes de CHF 2'885'058.30.

Cette décision indiquait que la société était potentiellement éligible à une aide complémentaire conformément à l’art. 8 al. 2bis de l’ordonnance Covid-19, car elle s’était vu allouer le montant d’aide maximum.

5) Le 22 avril 2021, A______ a déposé une seconde demande d’aide financière en ligne, indiquant les mêmes chiffres d’affaires pour 2018, 2019 et 2020, que ceux figurant dans sa demande en ligne de février 2021.

6) Par décision du 12 novembre 2021, le département a informé l’entreprise que sa demande satisfaisait aux conditions requises pour bénéficier d’une indemnisation en vertu de la loi relative aux aides financières extraordinaires de l'État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l'épidémie de coronavirus, pour l'année 2021 (12938), du 30 avril 2021 - version consolidée (modifiée par les lois 12'991, du 2 juillet 2021, 13'029, du 7 octobre 2021, et 13'072, du 24 février 2022 ;
ci-après : LAFE-2021) et du règlement d'application de la loi 12'938 relative aux aides financières extraordinaires de l'État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l'épidémie de coronavirus, pour l'année 2021, du 5 mai 2021 - version consolidée (modifié par règlements des 7 juillet 2021, 2 février 2022 et 2 mars 2022 ; ci-après : RAFE-2021).

Toutefois, il existait des divergences entre les chiffres mentionnés dans le formulaire de demande en ligne et les éléments présentés dans les documents comptables, de telle sorte que l’examen s’était fondé sur ces derniers uniquement, seuls habilités à faire foi selon l’art. 15 al. 4 LAFE-2021.

En retenant des CA pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2018 et 2019 de respectivement CHF 9'679'417.00 et CHF 3'809'328.- et de CHF 2'186'599.00 pour l'année 2020, l’aide financière octroyée s’élevait à CHF 389'443.-.

7) Le 13 décembre 2021, la société a formé réclamation auprès du département à l’encontre de la décision précitée. Pour l’année 2019, le CA découlant de la variante no 4, soit CHF 9'834'867.15 devait être pris en compte, subsidiairement les variantes no 1 à 3 représentant des CA de respectivement CHF 9'600'011.76, CHF 9'378'183.12, et CHF 9'242'255.44.

De mai à décembre 2019, l’hôtel avait été fermé pour des travaux de rénovation et de surélévation. Le CA 2019 était donc largement inférieur à ceux des années précédentes. D______ (ci-après : la fiduciaire) avait effectué plusieurs calculs afin de déterminer « quel aurait été le chiffre d’affaires pour l’année 2019 si l’hôtel n’avait pas dû fermer en raison des travaux, en remplaçant les chiffres effectifs par les chiffres et moyennes des années précédentes », à savoir :

Variantes

CA moyen (CHF)

Recul du CA (CHF)

Montant de l’aide financière (CHF)

Méthode de calcul

Variante 1

9'600'011.76

7'413'412.79 (recul de 77.2 %)

1'103'353.20

(7'413'412.79 x 25 %)-(CHF 750'000 déjà versés)

Variante 2

9'378'183.12

7'191'584.12 (recul de 76,7 %)

1'047'896.03

(7'191'584.12 x 25 %)-(CHF 750'000 déjà versés)

Variante 3

9'242'255.44

7'055'656.44 (recul de 76,3 %)

1'013'914.11

(7'055'656.44 x 25 %)-(CHF 750'000 déjà versés)

Variante 4

9'834'867.15

7'648'268.15 (recul de 77,8 %)

1'162'067.04

(7'648'268.15 x 25 %)-(CHF 750'000 déjà versés)

Le département avait à tort retenu le CA effectif ressortant des pièces comptables, soit CHF 9'679'417.- pour 2018, CHF 3'809'328.- pour 2019 et CHF 2'186'599.- pour 2020. Or, les différentes variantes calculées par sa fiduciaire démontraient que l’indemnité versée par le département était largement inférieure aux CA des autres années, non pas en raison d’une moindre attractivité de l’hôtel mais à cause des travaux de transformation. Sa situation avait donc été péjorée en raison de circonstances « qui visaient en premier lieu à augmenter la disponibilité et l’attractivité de son activité ».

En prenant en considération le CA issu de ses comptes, le département traitait sa situation de la même manière qu’une société qui aurait ouvert en 2019 ou 2020, soit juste avant ou pendant la crise sanitaire, et qui aurait donc réalisé un CA bas. Or, le principe de l’égalité de traitement imposait de traiter la société différemment. En s’appuyant sur un tel CA, le DEE pénalisait les sociétés qui avaient réalisé des travaux avant la survenance de la crise sanitaire par rapport à des sociétés qui avaient « profité de la fermeture forcée de leurs établissements durant la crise ».

Enfin, les éléments retenus pour calculer le montant d’aide financière accordée n’étaient pas détaillés dans la décision.

8) Par décision du 30 mars 2022, le département, soit pour lui la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation
(ci-après : DG DERI) a rejeté la réclamation.

Seule l’activité réelle de la société était prise en compte dans la détermination de l’indemnité versée, conformément à la LAFE-2021. Il avait fondé son examen sur les documents comptables transmis à l’appui de la demande, seuls habilités à faire foi, ceux-ci reflétant « la situation réellement vécue par l’hôtel ».

Le CA généré avant et pendant la période durant laquelle les travaux avaient été effectués au titre de rénovation et de surélévation devait être évalué en accord avec les états financiers fournis par la société pour cette période et ne pouvait être modifié, en simulant une situation où de tels travaux n’auraient pas eu lieu. Partant, la période du 28 février 2019 au 31 décembre 2019 devait être prise en considération, même si la société n’avait pas réalisé le même volume de CA que les années précédentes.

Ainsi, la période de référence pertinente était celle du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2019, sans interruption. Cette interprétation avait été confirmée par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) dans un arrêt du 1er février 2022 (ATA/86/2022). La date de création retenue par le département était celle de l'inscription au registre du commerce, soit le 12 juin 2002.

Les éléments retenus dans le calcul de l’aide octroyée étaient les suivants : un CA de CHF 9'679'417.44 pour 2018, de CHF 3'809'328.27 pour 2019 et de CHF 2'186'599.- pour 2020. Le taux forfaitaire applicable était de 25 % et l’aide précédemment perçue de CHF 750'000.-. Le CA de référence s’élevait à CHF 6'744.373.-, le recul du CA à CHF 4'557'774.-, soit 67,58 %. Le calcul de l’aide pour cas de rigueur se faisait selon l’équation (recul du CA en francs x le taux forfaitaire) - (aide précédemment perçue), ce qui représentait, en chiffres : (4'557'774.- x 25%) – (750'000.-), soit CHF 389'443.-.

9) Par acte du 16 mai 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, concluant principalement à son annulation, de même qu'à celle de la décision du 12 novembre 2021, et au renvoi de la cause au DEE pour nouvelle décision, en prenant comme référence le CA annualisé réalisé entre le 1er janvier 2018 et le 30 avril 2019, subsidiairement les variantes no 1, no 2, no 3 ou no 4.

La notion de CA de référence utilisée dans les normes fédérales et cantonales était fondamentale, car elle déterminait le montant total de l’aide financière qui pouvait être octroyé à la société. Le CA retenu par le DEE pénalisait la recourante, en la traitant comme si son activité « avait été de moindre qualité ou de moindre attractivité l’année précédant la survenance de la pandémie » alors que la société avait réalisé le même chiffre d’affaires en 2018 qu’en 2019, sur la même période, de janvier à avril.

Les chiffres retenus par le département ne reflétaient donc pas la situation de l’hôtel, qui avait été fermé pour travaux entre mai et décembre 2019, ce qui était exceptionnel. Si la baisse avait reflété un changement durable d’activité de l’hôtel, ce qui n'était pas le cas, il aurait été justifié de lui allouer une aide financière plus faible, proportionnelle à la diminution durable de ses coûts fixes. La fermeture en cause ne visait pas à diminuer l’activité de l’hôtel mais au contraire à l’accroître grâce à la création de vingt-trois chambres.

Le montant octroyé de CHF 389'443.- était « dérisoire en comparaison des CHF 2'885'058.30 de coûts fixes pour l’année 2020 ».

Le département aurait donc dû prendre en compte un CA moyen correspondant à l’activité habituelle de l’hôtel, soit en se fondant sur le CA annualisé réalisé entre le 1er janvier 2018 et le 30 avril 2019, soit une période de seize mois reportée sur une période de douze mois, de manière conforme aux dispositions légales, soit en procédant selon les quatre variantes, déjà présentées dans sa réclamation.

L’application de la loi faite par le département créait une inégalité de traitement, car elle était traitée de la même manière qu’une société qui aurait ouvert des hôtels en 2019 ou 2020, juste avant la crise sanitaire, et qui aurait donc réalisé un CA très bas. De telles sociétés ne pouvaient en effet pas bénéficier d’aides importantes, pour des raisons évidentes. En revanche, elle-même exploitait ses hôtels depuis de nombreuses années et son CA était, jusqu’à la fermeture partielle des hôtels pour travaux, constant d’année en année. Les travaux de 2019 étaient prévus de longue date et faisaient partie d’un plan de grande envergure d’agrandissement et de rénovation de son complexe hôtelier. Se fonder sur l’année 2019 ne reflétait donc pas l’activité habituelle qu’elle exerçait et revenait à la pénaliser, alors qu’elle jouait un rôle fondamental dans l’économie du secteur de l’aéroport et à pénaliser les entreprises qui comme elle avait réalisé des travaux d’amélioration avant le Covid-19.

Elle a joint à son recours un chargé de pièces contenant notamment les calculs des différentes variantes, ainsi que les extraits des autorisations de construire issues du site SAD-Consult.

10) Dans sa réponse du 16 juin 2022, le département a conclu au rejet du recours, et à la condamnation de la recourante aux frais de la procédure.

La situation de A______ était identique à celle déjà traitée dans l’ATA/86/2022 précité.

La recourante ne critiquait pas les chiffres d’affaires effectifs retenus par le département pour 2018, 2019 et 2020, qui étaient identiques à ceux de sa fiduciaire.

Aucune des variantes présentées ne reposait sur une base légale ou réglementaire. L’imagination « aurait aussi permis de créer des variantes supplémentaires : pourquoi ne pas combler les mois de mai à décembre par les chiffres 2017 ou prendre en compte la moyenne de 2015 à 2018 ? ». Les variantes présentées en ch. 1 à 3 étaient des « tentatives mathématiques » de la recourante pour augmenter – artificiellement – son CA et ne correspondaient pas à la réalité de la période avant le Covid-19. Le législateur fédéral avait fait le choix de sélectionner une moyenne entre 2018 et 2019 pour le CA, en vue d’éviter une période trop brève. À l’inverse, il n’avait pas souhaité que les entreprises créées avant le 31 décembre 2017 puissent sélectionner librement leur période de référence. La recourante n’expliquait pas pourquoi, dans la variante 4, il aurait fallu anticiper le CA futur réalisé après travaux pour la période avant travaux. Cette hypothèse n’était pas plausible.

L'annualisation du CA ou son calcul sur douze mois n’était possible selon le texte de l’art. 3 al. 2 ordonnance Covid-19, que pour les entreprises dont la création était postérieure au 31 décembre 2017, ce qui n’était pas le cas de la recourante. Les règles pour les entreprises créées avant cette date étaient claires : il fallait comparer le CA réalisé pendant la période Covid-19 avec celui de la période antérieure, constitué de la moyenne 2018-2019, conformément à l’art. 5 al. 1 et à l’art. 8b ordonnance Covid-19.

Il avait pris en compte les chiffres réels résultant de l’activité/inactivité de 2018 et 2019, avec « les aléas économiques d’avant la pandémie et les choix entrepreneuriaux et commerciaux qui [avaient] été faits par la recourante ». Ces choix avaient nécessité la fermeture partielle de l’hôtel pour travaux et ne résultaient pas d’une décision étatique imposant de facto une indemnisation.

Le grief de la violation de l’égalité de traitement devait être écarté. La législation faisait une distinction entre les sociétés créées avant le 31 décembre 2017, celles créées entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020 et celles créées après le 1er mars 2020. Or, la recourante, par son argumentation mais sans l’écrire clairement, souhaitait en réalité pouvoir déterminer son CA de référence, au même titre qu’une société nouvellement créée, ce qu’elle n’était pas. La chambre administrative avait déjà retenu dans l’ATA/86/2022 précité, que le fait qu’il n’existait pas de normes spéciales ou d’exception pour les entreprises créées avant le 31 décembre 2017 était un silence qualifié du législateur.

Enfin, la recourante ne mentionnait aucune entreprise qui aurait été traitée différemment d’elle-même.

Le calcul concret et détaillé du montant versé était mathématiquement et juridiquement correct.

11) Dans sa réplique du 18 juillet 2022, A______ a ajouté que la jurisprudence citée par le département n’avait certes pas été contestée au Tribunal fédéral (ci-après : TF), mais que l’ATA/501/2022 du 15 mai 2022, qui reprenait le même raisonnement, l'avait été. Il n’existait donc pas de jurisprudence définitive quant à la problématique.

La volonté parlementaire fédérale était favorable à une période de référence plus large qu’une année ou deux. L’approche du département, trop stricte, entrait en contradiction avec l’interprétation historique de la loi Covid-19 (RS 818.102), élaborée dans l’urgence. Il convenait donc d’interpréter les dispositions de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur conformément à la volonté parlementaire, à l’esprit de la loi et au principe d’équité. Le département, en faisant une interprétation littérale du texte, sans respecter la volonté du législateur, avait violé « le but et l’esprit de la règle, ainsi que le principe de la légalité ».

En outre, l’annualisation du CA avait été prévue pour les entreprises qui ne comprenaient pas deux années entières de CA avant le début de l’épidémie de Covid-19, ce qui était son cas, vu la fermeture de l'hôtel entre mai et décembre 2019, interrompant sans sa faute toute activité économique. Faute d'annualiser son CA entre le 1er janvier 2018 et le 30 mai 2019, elle serait doublement pénalisée. Les variantes proposées étaient mathématiquement exactes et conformes au but de la loi.

12) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur le bien-fondé de la décision du DEE du 30 mars 2022 fixant le montant de l’aide financière complémentaire « cas de rigueur » allouée sur la LAFE-2021.

3) La recourante estime dans un premier grief que le CA retenu par le département, tel que ressortant des documents comptables fournis, serait erroné. Le département aurait dû prendre en considération un autre CA, hypothétique, reflétant l’activité de la société si des travaux n’avaient pas eu lieu, selon les diverses variantes calculées par sa fiduciaire.

a. Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi Covid-19.

À son art. 12, celle-ci prévoit des mesures destinées aux entreprises. Dans sa teneur antérieure au 19 décembre 2020, la disposition prévoyait que dans des cas de rigueur, la Confédération pouvait, à la demande d’un ou de plusieurs cantons, soutenir financièrement les entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en raison de la nature même de leur activité économique, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages ainsi que les entreprises touristiques pour autant que les cantons participent pour moitié au financement. Un cas de rigueur existe si le CA annuel est inférieur à 60 % de la moyenne pluriannuelle. La situation patrimoniale et la dotation en capital globales doivent être prises en considération (al. 1). Le soutien n’est accordé que si les entreprises étaient rentables ou viables avant le début de la crise du
Covid-19 et à condition qu’elles n’aient pas déjà bénéficié d’autres aides financières de la Confédération. Le Conseil fédéral règle les détails dans une ordonnance (al. 4). Dès le 19 décembre 2020, la comparaison avec le CA pluriannuel pour la détermination du cas de rigueur a été reprise dans un nouvel al. 1bis de l’art. 12 loi Covid-19. La condition de la rentabilité et de la viabilité de l’entreprise bénéficiaire avant l’apparition du Covid-19 a, quant à elle, été reprise dans un nouvel al. 2bis.

La loi Covid-19 a été modifiée à de nombreuses reprises entre la session de printemps 2021 de l’Assemblée fédérale et la session d’hiver 2021 (RO 2021 n153, RO 2021 no 354, RO 2021 no 762), sans que cette notion de moyenne pluriannuelle ne soit modifiée.

b. Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance Covid-19.

Conformément aux principes généraux du droit intertemporel, lorsqu'un changement de droit intervient au cours d'une procédure administrative contentieuse ou non contentieuse, la question de savoir si le cas doit être tranché sous l'angle du nouveau ou de l'ancien droit se pose. En l'absence de dispositions transitoires, s'il s'agit de tirer les conséquences juridiques d'un événement passé constituant le fondement de la naissance d'un droit ou d'une obligation, le droit applicable est celui en vigueur au moment dudit événement. Dès lors, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste en principe celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (ATA/918/2018 du 11 septembre 2018 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 403 ss).

Selon l’ordonnance Covid-19, dans sa version applicable au moment du dépôt de la demande le 22 avril 2021, soit celle du 1er avril 2021 jusqu’au 18 juin 2021, la Confédération participe aux coûts et aux pertes que les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises occasionnent à un canton (art. 1 al. 1) à certaines conditions.

L’entreprise a la forme juridique d’une entreprise individuelle, d’une société de personnes ou d’une personne morale ayant son siège en Suisse (art. 2 al. 1) et elle a un numéro d’identification des entreprises (art. 2 al. 2).

L’ancien art. 3 prévoyait avant le 1er avril 2021, au nombre des exigences pour bénéficier du soutien financier, l’entreprise doit établir notamment qu’elle s’est inscrite au RC avant le 1er mars 2020, ou, à défaut d’inscription au RC, a été créée avant le 1er octobre 2020 (art. 3 al. 1 let. a), et a réalisé en 2018 et en 2019 un CA moyen d’au moins CHF 50'000.- (art. 3 al. 1 let. b). Si elle a commencé son activité commerciale le 1er janvier 2020 ou plus tard, ou si elle a été créée en 2018 ou en 2019 et présente ainsi un exercice d’une durée supérieure à une année civile, le CA moyen est celui qui a été réalisé entre le 1er janvier 2018 et le 29 février 2020, calculé sur douze mois (art. 3 al. 2).

Dès le 1er avril 2021, l’art. 3 a été modifié. Selon l’al. 1 let. a, l’entreprise doit s’être inscrite au RC avant le 1er octobre 2020, ou, à défaut d’inscription au registre du commerce, avoir été créée avant le 1er octobre 2020 et elle a réalisé pour les exercices 2018 et 2019 un CA moyen d’au moins 50'000 francs (let. b). Selon l’al. 2 par CA annuel moyen des exercices 2018 et 2019, on entend, (a) pour une entreprise qui a été créée entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020, (1) le CA moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 29 février 2020, calculé sur douze mois, ou (2) le CA moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois, et (b) pour une entreprise qui a été créée entre le 1er mars 2020 et le 30 septembre 2020, le CA moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois.

L’entreprise doit également établir que son CA 2020 est inférieur à 60 % du CA moyen des exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie (art. 5 al. 1).

Les entreprises qui ont enregistré un recul du CA pendant plus de douze mois peuvent ajouter le recul du CA pour les mois de janvier à juin 2021 si ceux-ci ne sont pas déjà pris en compte dans le calcul visé à l’art. 5 ; le recul du CA est calculé par rapport au CA moyen des périodes correspondantes pour les exercices 2018 et 2019 (art. 8b al. 2 ordonnance Covid-19).

c. Aux termes du commentaire de l’ordonnance Covid-19 établi le 18 juin 2021 par l’administration fédérale des finances (ci-après : commentaire AFF, accessible à l’adresse https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67163.pdf, consulté le 11 août 2022), ladite ordonnance comportait une série de prescriptions contraignantes concernant les conditions d’éligibilité, le calcul des contributions, les plafonds applicables, les prestations propres, la participation aux bénéfices, les justificatifs et le traitement des prêts, cautionnements et garanties s’agissant des entreprises dont le CA annuel dépassait CHF 5'000'000.-, que les cantons devaient reprendre sans y déroger, afin qu’une réglementation uniforme s’applique dans l’ensemble du pays (p. 3).

4) a. Au plan cantonal, le Grand Conseil a adopté le 29 janvier 2021
l’aLAFE-2021 qui avait pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l'épidémie de coronavirus (Covid-19) pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi et à l’ordonnance Covid-19 (art. 1 al. 1), en atténuant les pertes subies par les entreprises dont les activités avaient été interdites ou réduites en raison même de leur nature entre le 1er janvier et le 31 décembre 2021 (art. 1 al. 2), et en soutenant par des aides cantonales certaines entreprises ne remplissant pas les critères de l’ordonnance Covid-19 en raison d’une perte de chiffre d’affaire insuffisante et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes dans les limites prévues à l’art. 12 (art. 1 al. 3).

Peuvent prétendre à une aide les entreprises qui, en raison des mesures prises par la Confédération ou le canton pour endiguer l'épidémie de Covid-19, doivent cesser totalement ou partiellement leur activité selon les modalités précisées dans le règlement d'application (art. 3 al. 1 let. a), ou dont le CA a subi une baisse substantielle selon les dispositions de l’ordonnance Covid-19 (art. 3 al. 1 let. b). L’indemnité est notamment versée aux entreprises dont l’activité est interdite par décision des autorités fédérales ou cantonales (art. 7 et 8), dont le CA est inférieur à 60 % du CA antérieur (art. 9 à 11).

b. Le 3 février 2021, le Conseil d’État a adopté le règlement d’application de l’aLAFE-2021 (ci-après : aRAFE-2021).

Sont bénéficiaires de l’aide les entreprises qui répondent aux exigences de l’ordonnance Covid-19 définies dans ses sections 1 et 2 (art. 3 al. 1).

Selon l’art. 11 al. 1 aRAFE-2021, peuvent prétendre à une aide financière les entreprises qui peuvent démontrer que leur CA 2020 est inférieur à 60 % du CA moyen des exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de lutter contre l’épidémie de COVID-19. Si l’entreprise a commencé son activité commerciale le 1er janvier 2020 ou plus tard, ou si elle a été créée en 2018 ou en 2019 et présente ainsi un exercice d’une durée supérieure à une année civile, le CA moyen visé à l'al. 1 est celui qui a été réalisé entre le 1er janvier 2018 et le 29 février 2020, calculé sur douze mois (art. 11 al. 2 aRAFE-2021).

c. Le 30 avril 2021, le Grand Conseil a adopté la LAFE-2021, qui a abrogé l’aLAFE-2021 (art. 23), tout en en reprenant le dispositif pour l’essentiel.

Selon l’art. 3 al. 1, qui fixe le principe de l’indemnisation, l’aide financière extraordinaire consiste en une participation à fonds perdu de l’État de Genève, destinée à couvrir les coûts fixes non couverts de l’entreprise, en application des dispositions de l’ordonnance Covid-19. L’activité réelle de l’entreprise est prise en compte dans la détermination de l’indemnité (art. 3 al. 3 LAFE-2021).

Les modalités concrètes pour les entreprises réalisant un CA supérieur à CHF 5'000'000.- sont prévues au chapitre II de la loi, plus spécifiquement aux art. 11 à 13 LAFE-2021, non modifiés par la loi 12'991 du 2 juillet 2021 ni par la loi 13'029 du 7 octobre 2021. Le titre du chapitre est « Entreprises dont le chiffre d’affaires moyen 2018-2019 est supérieur à 5 millions de francs ».

Selon l’art. 11 LAFE-2021, peuvent prétendre à une aide financière, les entreprises qui démontrent que leur CA, généré sur une période de douze mois comprise entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021, est inférieur à 60 % du CA moyen déterminé selon les modalités prévues par l’art. 3 de l’ordonnance COVID-19 cas de rigueur. Les documents justificatifs à fournir sont notamment les comptes annuels 2018, 2019 et 2020 (art. 24 al. 2 let. a LAFE-2021).

d. Le 5 mai 2021, le Conseil d’État a adopté le RAFE-2021.

Situé dans le chapitre II de la loi, intitulé « Entreprises avec un chiffre d’affaires moyen 2018-2019 supérieur à 5 millions de francs », l’art. 19 al. 1
RAFE-2021 prévoit que peuvent prétendre à une aide financière les entreprises qui démontrent que leur CA, généré sur une période de douze mois comprise entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021 est inférieure à 60 % du CA moyen déterminé selon les modalités prévues par l’art. 3 de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur. Le montant de l’indemnité correspond au recul du CA tel que prévu à l’art. 5 de l’ordonnance Covid-19, multiplié par une part de coûts fixes forfaitaires déterminée selon le domaine d’activité (art. 20 al. 1 RAFE-2021).

e. Un canton est tenu, lorsqu'il octroie des subventions, de se conformer aux principes généraux régissant toute activité administrative, soit notamment le respect de la légalité, de l'égalité de traitement, de la proportionnalité et de la bonne foi ainsi que l'interdiction de l'arbitraire (ATF 138 II 91 consid. 4.2.5 ; 136 II 43 consid. 3.2 ; 131 II 306 consid. 3.1.2).

5) a. À teneur de l’art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit est la base et la limite de l’activité de l’État. Le principe de la légalité se compose de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l’exigence de la base légale. Le premier signifie que l’autorité doit respecter l’ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes. Le second implique que l’autorité ne peut agir que si la loi le lui permet, son action devant avoir un fondement dans une loi (ATA/43/2022 du 18 janvier 2022 consid. 5).

Le principe de la légalité exige donc que les autorités n’agissent que dans le cadre fixé par la loi (ATF 147 I 1 consid. 4.3.1). Il implique qu’un acte étatique se fonde sur une base légale matérielle qui est suffisamment précise et qui a été adoptée par l’organe compétent (ATF 141 II 169 consid. 3.1). L’exigence de la densité normative n’est pas absolue, car on ne saurait ordonner au législateur de renoncer totalement à recourir à des notions générales, comportant une part nécessaire d’interprétation. Cela tient à la nature générale et abstraite inhérente à toute règle de droit et à la nécessité qui en découle de laisser aux autorités d’application une certaine marge de manœuvre lors de la concrétisation de la norme. Pour déterminer quel degré de précision on est en droit d’exiger de la loi, il faut tenir compte du cercle de ses destinataires et de la gravité des atteintes qu’elle autorise aux droits fondamentaux (ATF 140 I 381 consid. 4.4 et les références citées ; ATA/358/2022 du 5 avril 2022 consid. 5b).

b. La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; ATF 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4.1 ; ATF 133 III 175 consid. 3.3.1).

L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune. Une lacune authentique (ou proprement dite) suppose que le législateur s'est abstenu de régler un point alors qu'il aurait dû le faire et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. En revanche, si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante ou objectivement insoutenable (ATA/317/2020 du 31 mars 2020 consid. 2d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 440). D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en principe interdit, selon la conception traditionnelle qui découle notamment du principe de la séparation des pouvoirs, de corriger les silences qualifiés et les lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire d'une violation de la Constitution (ATF 139 I 57 consid. 5.2 ; 138 II 1 consid. 4.2). Lorsqu'il apparaît que c'est à dessein que la loi ne réglemente pas une situation donnée, ce silence qualifié doit en principe être respecté. Il n'y a alors pas de place pour un quelconque comblement de lacune (ATA/317/2020 précité consid. 2d ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 441).

6) a. L’art. 12 al. 1 de la loi Covid-19, entrée en vigueur le 26 septembre 2020, devenu l’art. 1bis dès le 19 décembre 2020, mentionne expressément la référence à la « moyenne pluriannuelle ». Le message du Conseil fédéral du 12 août 2020 (FF 2020 6363) n’en fait pas mention et celui du 18 novembre 2020 (FF 2020 8505) se limite à indiquer que la teneur de l’art. 12 al. 1 est reprise dans le nouvel al. 1bis. La référence à la moyenne pluriannuelle du CA apparaît d’abord lors des débats au Conseil National en septembre 2020. Une période de référence est proposée et s’étend alors de 2017 à 2019 (BOCN 2020 1333). Elle réapparaît, sans plus mentionner de période, lors des débats au Conseil des États le 16 septembre 2020 (BOCE 2020 876). Le 21 septembre 2020, au Conseil des États, les débats portent également sur la rigueur du seuil de 60 % mais non sur la moyenne pluriannuelle ou son principe (BOCE 2020 951 s). La période de référence n’est plus évoquée. La conférence de conciliation propose le 23 septembre 2020 la formulation suivante « Un cas de rigueur existe si le CA annuel est inférieur à 60 % de la moyenne pluriannuelle » (BOCE 2020 1013 ; BOCN 2020 1764). Le rapporteur de majorité au Conseil National considère le même jour qu’il s’agit d’un critère suffisant (BOCN 2020 1765). Le texte est adopté par le plénum de chaque chambre le 25 septembre 2020, sans débat. Les travaux préparatoires montrent ainsi que lorsque le débat a porté sur la période de référence, une réduction de cette durée ou une extrapolation du CA n’ont été évoqués que pour les entreprises créées durant celle-ci et non pour des entreprises déjà existantes.

b. Le texte de l’ordonnance Covid-19 est ainsi clair. Les exceptions à la prise en compte du CA de référence moyen des années 2018-2019 sont limitées aux entreprises fondées après le 31 décembre 2017. Ainsi pour une entreprise créée entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020, soit avant la mise en œuvre des mesures de restriction, le CA moyen qui sert de référence est celui qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 29 février 2020, calculé sur 12 mois ; ou le CA moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur 12 mois. Le CA pris en considération est celui qui permet à l’entreprise de recevoir l’aide la plus importante (art. 3 al. 2 let. a de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur). Cette règle garantit que les entreprises qui ont été créées en 2018 ou 2019, mais qui n’ont réalisé des CA plus élevés qu’à partir de 2020, ne soient pas défavorisées par rapport à celles qui ont été créées après le 29 février 2020 et qui ont réalisé des CA en été 2020 (commentaire AFF p. 6).

Par comparaison, le législateur ne paraît pas avoir envisagé d’exception à la prise en compte du CA moyen de 2018 et 2019 pour les entreprises créées jusqu’au 31 décembre 2017. La différence de traitement entre cette règle stricte, d’une part, et la possibilité de modifier d’autre part la période de référence pour les entreprises créées dès 2020, peut trouver son fondement dans les effets des vagues successives de la pandémie, et justifier aussi bien l’extrapolation de CA même inférieurs à un an ou le glissement de l’exercice de référence pour tenir compte par exemple d’une saison d’hiver. L’extrapolation de CA durant la période de référence 2018-2019 ne se justifie quant à elle que si l’entreprise a été créée durant cette période.

c. À titre exemplatif, la chambre de céans a jugé dans un cas récent que l’ouverture d’un hôtel le 1er mars 2019 pour développer son activité par une entreprise inscrite au RC depuis 2002, qui exploitait déjà en mars 2019 deux autres établissements, résultait d’un choix économique de cette société, antérieur à la survenance de la pandémie, que le législateur tant fédéral que cantonal n’avait pas entendu prendre en compte dans l’octroi des aides Covid-19. Cette expansion n’était pas comparable à la création d’une nouvelle entreprise (ATA/501/2022 du 11 mai 2022).

La chambre de céans a récemment refusé d’extrapoler le CA à la reprise de l’activité dans le cas de l’exploitation d’un restaurant interrompue par des travaux (ATA/154/2022 du 10 février 2022 consid. 3b).

Dans un autre cas, concernant des travaux de rénovation d’un hôtel, elle a jugé que la loi ne comportait pas de lacune permettant de prétendre à l’extrapolation du CA réalisé durant le second semestre 2019 seulement au titre de la période de référence (ATA/86/2022 précité consid. 4c).

La chambre de céans a aussi jugé qu’une société inscrite au RC depuis 2012, qui avait entrepris l’exploitation d’un restaurant dès juillet 2020, changé sa raison sociale au 1er octobre 2020 et dont le CA moyen des exercices 2018 et 2019 était nul, réalisait la condition d’inscription au RC avant le 1er mars 2020, laissant ouverte la question de l’applicabilité de l’art. 3 al. 2 let. b de l’ordonnance Covid- 19 entrée en vigueur le 1er avril 2021, soit après la décision litigieuse (ATA/1055/2021 du 12 octobre 2021 consid. 7).

d. À titre comparatif, la IIIe Cour administrative du Tribunal cantonal fribourgeois a rejeté le 30 juillet 2021 le recours d’un entrepreneur qui expliquait avoir choisi de réduire de moitié son activité en 2018 et 2019, ce qui avait empêché son revenu annuel moyen d’atteindre le seuil de CHF 50'000.-, et observé que les exceptions prévues par la loi pour les entreprises créées entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020, respectivement entre le 1er mars et le 30 septembre 2020 ne s’appliquaient pas (arrêt 603 2021 80 du 30 juillet 2021 consid. 3).

Dans un arrêt du 25 novembre 2021, la même IIIe Cour a jugé que l’autorité avait à bon droit écarté l’argument de l’exploitante d’une boulangerie-tea-room selon lequel d’importants travaux effectués dans la zone entre 2017 et 2019 avaient rendu son commerce inaccessible ou difficilement accessible et avaient notablement réduit son CA, de sorte qu’il fallait prendre en compte l’exercice 2016. Bien que l’argument fût compréhensible, les dispositions légales mentionnaient expressément le CA moyen des années 2018 et 2019, de sorte que les autorités ne pouvaient appliquer d’autres années de référence (arrêt 603 2021 78 du 25 novembre 2021 consid. 3.2).

7) En l’espèce, la recourante n’a été créée ni en 2018 ni en 2019 mais en 2002, et n’a pas commencé son activité commerciale dès le 1er janvier 2020 mais en tout cas avant 2018, de sorte qu’elle ne remplit pas les conditions de l’exception prévue à l’art. 3 al. 2 ordonnance Covid-19 auquel renvoie l’art. 19 al. 1 RAFE-2021, qui permet de calculer dans certains cas précis, pour des entreprises créées postérieurement au 31 décembre 2017, le CA moyen en comparaison sur une période d’activité réduite. L’art. 11 al. 1 aRAFE-2021 établissait déjà comme comparant le CA moyen des années 2018 et 2019.

La recourante fait valoir que l’interruption de son activité pour cause de travaux de rénovation et surélévation constituerait un cas particulier, qui devrait exclure de comptabiliser la période de fermeture dans l’exercice et conduire à l’annualisation du CA réalisé dès la réouverture.

La mesure de la baisse du CA par comparaison avec un exercice précédent pluriannuel trouve son fondement dans la loi Covid-19 et l’ordonnance Covid-19, lesquelles précisent qu’il s’agit du CA moyen des exercices 2018 et 2019. La base de comparaison est ainsi reprise à l’identique du droit fédéral, comme le relève l’intimé. L’argumentation selon laquelle les cantons conserveraient dans ce cadre un pouvoir d’appréciation tombe à faux, dès lors que la loi a strictement repris le droit fédéral sur ce point, afin qu’une réglementation uniforme s’applique à ce type de sociétés dans l’ensemble du pays (commentaire AFF, p. 3). On ne peut conclure, dans le cas d’espèce, que le législateur se serait abstenu de régler un point alors qu'il aurait dû le faire et qu'aucune solution ne se dégagerait du texte ou de l'interprétation de la loi (lacune proprement dite). Si la solution à laquelle aboutit l’application des normes tant fédérales que cantonales peut certes paraître insatisfaisante à la recourante, elle n’est toutefois ni arbitraire ni objectivement insoutenable, de sorte qu’il n’appartient pas au juge de combler ce silence qualifié.

La recourante fait grand cas des divers travaux parlementaires, qui auraient évoqué plusieurs variantes pluriannuelles à prendre en considération pour les entreprises. À cet égard il sera souligné qu'à rigueur de texte, prendre en considération 2018 et 2019 représente déjà le choix d’une moyenne « pluriannuelle », soit qui s’étend sur plusieurs années. Certes, les travaux parlementaires démontrent que plusieurs variantes ont été envisagées, sans être toutefois retenues, ce qui est le propre de l’élaboration des actes législatifs en Suisse. Si le législateur avait souhaité étendre ces années de référence, il aurait modifié de facto tant la loi que l’ordonnance Covid-19, ce qu’il n’a pas fait, nonobstant les éventuelles difficultés liées à l’application temporelle de telles modifications. L’argumentation de la recourante sur ce point ne peut être suivie.

Enfin, il ne peut, au vu de ce qui précède, être soutenu de bonne foi comme le fait la recourante que l’application littérale de la loi, qui ne prévoit aucune exception pour le calcul du CA moyen de référence pour les entreprises fondées avant le 31 décembre 2017, violerait le but et l’esprit de la règle, ainsi que le principe de la légalité.

Par conséquent, ce grief doit être écarté.

8) Dans un second grief, la recourante se plaint d’une inégalité de traitement résultant de l’application stricte faite par le département. En particulier, elle estime que « sa situation est traitée de la même manière qu’une société qui aurait ouvert des hôtels en 2019 ou 2020, soit juste avant la crise sanitaire et qui aurait donc effectué un CA très bas », mais elle demande, à l’instar des sociétés nouvellement créées, que l’aide soit calculée sur une extrapolation du CA, selon des modalités (variantes 1 à 4) qu’elle a calculées.

a. Aux termes de l’art. 8 al. 1 Cst., tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Une décision ou un arrêté viole cette garantie lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. Il y a notamment inégalité de traitement lorsque l’État accorde un privilège ou une prestation à une personne, mais les dénie à une autre qui se trouve dans une situation comparable (ATF 140 I 201 consid. 6.5.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_223/2014 du 15 janvier 2015 consid. 4.5.1).

La protection de l’égalité (art. 8 Cst.) et celle contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) sont étroitement liées. Une décision ou un arrêté est arbitraire lorsqu’il ne repose sur aucun motif sérieux et objectif ou n’a ni sens ni but (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 136 II 120 consid. 3.3.2 ; 133 I 249 consid. 3.3 ; 131 I 1 consid. 4.2 ; 129 I 113 consid. 5.1). Selon le Tribunal fédéral, l’inégalité de traitement apparaît comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable ou inversement (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 129 I 1 consid. 3 ; 127 I 185 consid. 5 ; 125 I 1 consid. 2b.aa).

Le principe de l’égalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique, déduit des art. 27 et 94 Cst., prohibe les mesures qui ne sont pas neutres sur le plan de la concurrence entre les personnes exerçant la même activité économique (ATF 145 I 183 consid. 4.1.1). On entend par concurrents directs les membres de la même branche économique qui s’adressent avec les mêmes offres au même public pour satisfaire les mêmes besoins. L’égalité de traitement entre concurrents directs n’est pas absolue et autorise des différences, à condition que celles-ci reposent sur une base légale, qu’elles répondent à des critères objectifs, soient proportionnées et résultent du système lui-même ; il est seulement exigé que les inégalités ainsi instaurées soient réduites au minimum nécessaire pour atteindre le but d’intérêt public poursuivi (ATF 143 II 598 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_244/2021 du 8 juillet 2021 consid. 3.1).

b. En l’espèce, la recourante n’expose pas pour quels motifs des travaux de rénovation et surélévation, dont on suppose qu’ils ont fait l’objet d’une planification financière attentive, même s’ils entraînent momentanément la diminution ou même l’interruption des recettes, devraient être distingués d’autres choix entrepreneuriaux ou même de fluctuations économiques et faire l’objet d’un traitement particulier qui aurait échappé au législateur.

Ceux-ci s’inscrivent au contraire – à l’instar par exemple d’un sinistre, de difficultés de planification, d’approvisionnement, de financement ou d’exploitation, d’un changement de mode ou d’une baisse de fréquentation de la clientèle, ou encore de toute décision de modifier ou de réduire l’activité – dans la durée de la vie normale d’une entreprise et il n’apparaît pas arbitraire que la réglementation, qui répond à une situation particulière de pandémie et a choisi de prendre en compte les deux exercices les plus récents, n’en tienne pas compte. Contrairement aux affirmations de la recourante, le département ne « pénalise » pas les sociétés effectuant des travaux en appliquant la législation, qui ne tient pas compte de tels événements mais impose de prendre en considération, objectivement pour toutes les sociétés créées avant le 31 décembre 2017, les années 2018 et 2019 pour calculer le CA de référence. En outre, le financement des travaux et la perte ou la réduction momentanée du CA ne sauraient affecter en eux-mêmes la rentabilité ou la viabilité de l’entreprise, sous peine pour elle de ne plus remplir la condition figurant aujourd’hui à l’art. 12 al. 2bis loi Covid-19.

En particulier, le CA durant l’exercice de comparaison 2018-2019 n’a pas été, par principe, affecté par la pandémie. Ses éventuelles fluctuations durant cette période et leurs causes dépendent de la vie économique ordinaire des entreprises et des aléas de la conjoncture et sont ignorées par la réglementation tant fédérale que cantonale, qui ne fait pas de distinctions pour les entreprises créées avant le 31 décembre 2017.

Dès lors, la situation de la recourante ne se différencie pas sensiblement de celle de ses concurrents qui n’ont pas accompli de travaux durant la même période, de sorte qu’elle ne saurait reprocher à la décision ou à la réglementation sur laquelle celle-ci se fonde d’avoir traité de la même manière deux situations nécessitant un traitement distinct et omis de faire les distinctions qui s’imposaient vu les circonstances. Elle ne cite aucun cas concret qui aurait été traité différemment du sien alors que la situation ne l’imposait pas. L’analyse de la jurisprudence démontre au contraire que le département a traité les cas similaires à celui de la recourante de manière identique. Le grief de violation du principe d’égalité de traitement sera écarté.

La recourante ne saurait ainsi modifier la manière de calculer le CA de référence telle qu’elle est prévue par la loi et proposer comme elle le fait dans son recours quatre possibilités hypothétiques différentes de calcul, alors même que les comptes qu’elle produit à l’appui de sa demande indiquent des CA de CHF 9'679'417.- pour 2018 et CHF 3'809'328.- pour 2019, soit une moyenne de CHF 6'744'373.-. Cette moyenne bisannuelle reflète correctement, en l’espèce, l’évolution de l’activité économique effective de la recourante entre 2018 et 2019, marquée par des travaux de rénovation et surélévation d’un de ses hôtels entre mai et décembre 2019.

C’est ainsi conformément à la loi que l’aide complémentaire accordée par décision du 12 novembre 2021 a été calculée. Pour le surplus, mis à part la période à prendre en compte pour le CA de référence, la recourante ne conteste pas les chiffres retenus par le département, qui ressortent d’ailleurs de sa comptabilité, ni le mode de calcul de l’indemnité.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

9) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au département qui, bien que plaidant par un avocat, dispose d’un service juridique (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/1738/2019 du 3 décembre 2019).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mai 2022 par A______ contre la décision sur réclamation de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation du 30 mars 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me David Hofmann, avocat de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Meyer

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :