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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4727/2006

ATA/80/2007 du 20.02.2007 ( DI ) , ADMIS

Descripteurs : ; AGENT DE SECURITE ; AUTORISATION D'EXERCER ; HONNEUR
Normes : CES.9.al1.letc; CES.9.al1.letd
Résumé : Garantie d'honorabilité concernant la sphère d'activité envisagée (rappel de jurisprudence). Dans son appréciation, le département doit tenir compte de l'évolution de celui qui, ayant commis des actes d'incivilités et des contraventions quelques années auparavant, souhaite exercer la profession d'agent de sécurité privé.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4727/2006-DI ATA/80/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 20 février 2007

dans la cause

 

Monsieur F______
représenté par Me Pascal Junod, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS


 


EN FAIT

1. Le 8 novembre 2006, l’entreprise de sécurité X______ S.A. à Genève a saisi le département des institutions (ci-après : le département) d’une demande d’autorisation d’engager en qualité d’agent de sécurité Monsieur F______, né le ______ 1985, originaire de Genève et domicilié dans ce canton. Il ressortait des pièces annexées à la formule de requête que l’intéressé ne figurait pas au casier judiciaire central.

2. Par arrêté du 8 décembre 2006, le département a refusé l’autorisation sollicitée, la police ayant formulé un préavis négatif concernant l’engagement de la personne précitée. Au cours des trois ans précédant la requête, M. F______ avait fait l’objet :

- d’une interpellation, le 15 janvier 2004, pour conduite d’un scooter sans permis de conduire, sanctionnée par une contravention de CHF 320.- le 15 juillet 2004 ;

- d’un rapport d’arrestation le 18 février 2004, pour avoir fabriqué des chablons destinés à faire des graffitis, s’être soustrait au contrôle de police et avoir été en possession d’armes prohibées, affaire finalement classée par le Ministère public ;

- d’une interpellation, le 8 avril 2005, pour violation de domicile et arme interdite, sanctionnée par une contravention de CHF 360.- pour arme illégale le 16 août 2005 et de travaux d’intérêt privé en guise de dédommagement pour l’introduction sur le site d’une entreprise qui a renoncé à déposer plainte pour violation de domicile.

Indépendamment de toute qualification pénale, les infractions et incivilités précitées démontraient, tant par leur nature que par leur répétition, que l’intéressé n’avait pas la maturité nécessaire pour exercer une profession à haut risque et n’offrait pas, par son comportement, toute garantie d’honorabilité concernant la sphère d’activité professionnelle envisagée.

3. Par acte posté le 15 décembre 2006, M. F______ a recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision susmentionnée, concluant en substance à son annulation.

Les trois inscriptions figurant dans les renseignements de police étaient des erreurs qu’il avait faites. La conduite du scooter sans permis résultait d’un oubli, son permis d’élève conducteur étant échu depuis quelques jours. Dans le deuxième cas, il avait été arrêté pour un graffiti qu’il n’avait pas fait et des chablons qu’il n’avait pas fabriqués. Il avait couvert les autres, ignorant les conséquences jusqu’à la présente affaire. Il s’était soustrait au contrôle de police sans désobéir à aucune injonction de s’arrêter et les gendarmes s’étaient présentés à 04h00 à son domicile. Il avait accepté qu’ils visitent l’appartement et ils avaient trouvé deux sprays au poivre neufs à la cave. Le dernier cas remontait en fait au 23 décembre 2004. Avec des amis, il avait voulu monter sur le toit d’un bâtiment de la zone industrielle Zimeysa, par des escaliers accessibles et ne comportant aucune interdiction. Il n’avait aucun dessein de commettre une incivilité. En fouillant la voiture, les gendarmes avaient trouvé un petit couteau pliable comme beaucoup de gens en ont. Tout cela s’était donc passé en 2004, époque où il connaissait quelques difficultés scolaires puisqu’il n’avait obtenu son certificat de maturité qu’en 2005. Il avait ensuite effectué son école de recrues en tant que soldat sanitaire et avait appris à sauver des vies. Il avait été très motivé dans cette activité et voulu devenir cadre. Il avait alors suivi l’école d’officiers et avait, dans ce contexte, subi un contrôle de sécurité élargi. Il avait été questionné sur les faits susmentionnés par les inspecteurs analystes. Ceux-ci lui avaient fait confiance et il avait pu devenir chef de section avec plus de quarante hommes et femmes sous ses ordres. Cette fonction était infiniment plus à haut risque que la profession d’agent de sécurité. Il avait la maturité nécessaire pour l’emploi qu’il briguait et était sûr d’offrir par son comportement, toute garantie d’honorabilité dans la sphère d’activité professionnelle envisagée. Ce travail lui permettrait de financer les études de droit qu’il allait entreprendre à l’université de Genève dès septembre 2007.

Les pièces produites par M. F______ à l’appui de son recours faisaient apparaître que suite à l’intrusion du 23 décembre 2004, en accord avec l’entreprise concernée, l’intéressé et ses amis avaient accepté d’effectuer des travaux d’intérêt privé « en guise de dédommagement », que l’audition de sécurité par les autorités militaires remontait à juillet 2006 et que le brevet de lieutenant des troupes sanitaires lui avait été décerné en septembre 2006.

4. Dans ses observations du 12 janvier 2007, le département s’est opposé au recours. Le recourant tentait de minimiser les faits qui lui étaient reprochés. Les infractions et incivilités récentes qui lui étaient imputées n’étaient pas admissibles de la part d’une personne qui souhaitait exercer une profession à hauts risques et qui devait offrir, par ses antécédents, son caractère et son comportement, toute garantie d’honorabilité. Les faits survenus le 15 janvier 2004 démontraient une très grande négligence et insouciance du recourant qui n’avait pas hésité à conduire un scooter sans être titulaire du permis de conduire nécessaire. Les faits survenus le 18 février 2004 étaient établis par le rapport de gendarmerie. L’intéressé avait notamment reconnu qu’il avait le dessein de peindre sur les murs. Après avoir été contacté par téléphone, il n’avait pas donné suite à l’injonction de se présenter au poste de gendarmerie et avait coupé la communication, car il ne savait pas comment réagir. Il avait admis avoir eu l’intention de faire un tag sur le mur d’un collège après en avoir effectué à l’Uni-Bastions, à l’Uni-Mail et sur un muret dans un parking. Un spray lacrymogène de grosse contenance, des artifices fumigènes de l’armée suisse et un couteau interdit avaient été découverts à son domicile. Enfin, lors des faits du 23 décembre 2004, avec deux amis, vêtus de noir, il avait pénétré sur le site d’une entreprise, soi-disant pour montrer sur le toit. Les amis en cause avaient nié avoir utilisé des cagoules pour se cacher le visage et que l’intéressé était à nouveau porteur d’un couteau prohibé. Sous l’angle de l’intérêt public, il tombait sous le sens qu’une personne ayant ces antécédents ne devait pas pouvoir être engagée dans une entreprise de sécurité. Une telle mesure était conforme au principe de la proportionnalité, une nouvelle requête pouvant être déposée d’ici un à deux ans, pour autant que dans l’intervalle, son comportement n’ait donné lieu à aucun fait nouveau.

5. Il ressort des pièces produites par le département les éléments suivants :

S’agissant des faits de février 2004, les gendarmes avaient précisé qu’à la suite de leur enquête, ils n’avaient pu identifier les endroits où des graffitis auraient été faits et qu’aucune plainte n’avait été déposée. Selon les vérifications faites par le juge rapporteur, la procédure, ouverte exclusivement pour dommages à la propriété, a été classée vu l’absence de plainte, par ordonnance du 19 février 2004, le jour de son enregistrement au Parquet.

A l’occasion des faits du 23 décembre 2004, la police n’avait constaté aucune trace d’effraction dans l’enceinte de l’entreprise et n’avait enregistré formellement aucune déclaration aux intéressés auxquels il n’avait pas été reproché de porter de cagoule. Aucune plainte n’avait été déposée. Les personnes en cause avaient effectué des travaux extérieurs de nettoyage pour l’entreprise le 28 février 2005 et s’étaient montrés coopératifs à cette occasion.

6. Une audience de comparution personnelle des parties a été convoquée le 9 février 2007. Aucun représentant du département n’était présent ni excusé. M. F______ a confirmé son recours. Il a précisé que son activité d’agent de sécurité devait consister en rondes non armées. Il n’avait fait l’objet que d’une seule contravention pour arme prohibée, soit suite à l’affaire de décembre 2004. On lui avait expliqué que le couteau était interdit, car il était manipulable à une main. A l’issue de l’audience, la cause a été gardée à juger.

7. Le même jour, en fin d’après-midi, le représentant du département a informé le juge délégué qu’accaparé par une séance de travail et un dossier urgent à traiter, il n’avait pu assister à l’audience de la matinée.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Directement concerné par la décision attaquée, M. F______ a qualité pour agir (art. 60 litt. b LPA). Le Tribunal administratif a reconnu cette qualité à l’employé même si l’employeur requérant n’a pas recouru (ATA/419/2006 du 26 juillet 2006 ; ATA/444/2005 du 21 juin 2005 et les références citées).

3. A teneur de l’article 9 alinéa 1er du règlement d’application de la loi fédérale sur le commerce des armes et des munitions du 27 mars 1969 (I 2 18; ci-après : le concordat), « l’autorisation d’engager du personnel n’est accordée que si l’agent de sécurité ou le chef de succursale :

a) est de nationalité suisse, ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ou de l’Association européenne de libre échange ou, pour les ressortissants d’autres Etats étrangers, titulaire d’un permis d’établissement ou d’un permis de séjour depuis 2 ans au moins ;

b) a l’exercice des droits civils ;

c) offre, par ses antécédents, par son caractère et son comportement, toute garantie d’honorabilité concernant la sphère d’activité envisagée. La Commission concordataire édicte des directives à cet égard ;

d) est solvable ou ne fait pas l’objet d’actes de défaut de biens définitifs ».

4. Selon l’exposé des motifs, la nouvelle exigence d’honorabilité, critère figurant déjà dans l’ancienne législation genevoise sur les entreprises de sécurité, doit permettre d’examiner si le comportement de l’intéressé est compatible avec l’activité dont l’autorisation est requise, même si le candidat concerné n’a pas été condamné pénalement (ATA/68/2006 du 7 février 2006 ; ATA/972/2004 du 14 décembre 2004 ; ATA/686/2004 du 31 août 2004).

5. La notion d’actes incompatibles avec la sphère d’activités envisagée ou d’honorabilité fait régulièrement l’objet d’arrêts du tribunal de céans (ATA/191/2005 du 5 avril 2005 et les références citées). En substance, le Tribunal administratif tient compte, à cet égard, de l’importance des infractions commises, de la nature de l’atteinte portée ou de la sphère d’intérêts touchée. En règle générale, le fait de commettre des actes de violence justifie le refus de l’autorisation de travailler en qualité d’agent de sécurité. Seules des circonstances particulières, comme une activité professionnelle sans reproche pendant de nombreuses années, peuvent permettre de s’écarter de cette règle. Il résulte aussi de la jurisprudence du Tribunal administratif que celui-ci tient compte de la répétition éventuelle des faits reprochés à l’intéressé (ATA/68/2006 précité).

En l’espèce, tous les faits reprochés au recourant se sont déroulés en 2004. Ils n’ont pas révélé de comportement violent de la part de celui-ci, et ne revêtent pas la gravité dont le département les a parés, s’agissant soit de contraventions, soit d’éventuels éléments constitutifs objectifs d’infractions poursuivables uniquement sur plainte et qui n’ont pas donné lieu à plainte ni provoqué de dommages à des tiers. En outre, le département a méconnu, dans son appréciation, tant le règlement des deux contraventions que l’exécution des travaux d’intérêt privé conformément à l’engagement pris. De même a-t-il ignoré l’évolution de l’intéressé, qui a suivi son école de recrues puis une école d’officiers et obtenu son brevet de lieutenant, grade impliquant des responsabilités dans l’instruction et la conduite des personnes incorporées sous ses ordres (art. 56 al. 2 de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire du 3 février 1995 - LAAM - RS 510.10 ; art. 9 et ss, not. 12, 16, 24, 30 et 79 du règlement de service de l’armée suisse du 22 juin 1994 - RS04 - RS 510.107.0). Si les faits de 2004 peuvent être évocateurs d’un certain manque de maturité à l’époque - ce qui n’a rien d’exceptionnel pour un jeune homme de 18-19 ans - le comportement du recourant au cours des années suivantes permet de retenir qu’il offre désormais les garanties d’honorabilité suffisantes concernant la sphère d’activité envisagée.

6. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. La décision attaquée sera annulée et le dossier renvoyé au département pour qu’il délivre l’autorisation sollicitée si les autres conditions fixées par la loi sont remplies.

Un émolument de CHF 750.- sera mis à la charge du département. Aucune indemnité ne sera allouée, faute d’avoir été demandée (art. 87 LPA).

 

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 décembre 2006 par Monsieur F______ contre la décision du département des institutions du 8 décembre 2006 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du département des institutions du 8 décembre 2006 ;

renvoie la cause au département des institutions pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

met à la charge du département des institutions un émolument de CHF 750.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal Junod, avocat du recourant ainsi qu’au département des institutions.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste  adj. a.i. :

 

 

P. Pensa

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :