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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4528/2017

ATA/1563/2017 du 05.12.2017 ( FPUBL ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4528/2017-FPUBL ATA/1563/2017

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 5 décembre 2017

sur effet suspensif et mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Robert Assael, avocat

contre

COMMUNE DE CHÊNE-BOUGERIES
représentée par Me Thomas Barth, avocat

 



Attendu, en fait, que :

1) Monsieur A______, né le ______ 1974, a été engagé par la commune de Chêne-Bougeries (ci-après : la commune) le 29 novembre 2010 en tant que chef de poste des agents de police municipale (ci-après : APM) de la commune, avec effet au 1er mars 2011.

2) Le vendredi 22 septembre 2017, M. A______ a été convoqué à un entretien avec une délégation du conseil administratif (ci-après : CA) de la commune (composée de deux des trois conseillers administratifs), qui aurait lieu le lundi 25 septembre 2017 à 10h00, au sujet de « la gravité et de la teneur éminemment désagréable de certains écrits que vous avez récemment échangés par courriels avec divers membres du personnel de l'administration municipale, en particulier avec Madame B______ ».

3) Le 25 septembre 2017, un avocat s'est constitué pour M. A______, demandant le report de la séance afin qu'il puisse y assister son client et consulter au préalable le dossier de celui-ci.

4) Le 28 septembre 2017, un avocat s'est constitué pour la commune. Il a indiqué au conseil de M. A______ que le CA souhaitait auditionner ce dernier à la suite d'un « vif différend né au sein du personnel communal à l'occasion de l'organisation du festival Vibes & Juices ».

M. A______ était dès lors convoqué à la mairie le 4 octobre 2017 à 09h30.

5) Le procès-verbal d'entretien a été communiqué à M. A______ le 18 octobre 2017, par l'intermédiaire de l'avocat de la commune.

Le principal point traité était la gestion de la sécurité du festival Vibes & Juices du 2 septembre 2017. L'existence de difficultés interpersonnelles récurrentes entre M. A______ et Mme B______, chef du service prévention et sécurité, a été brièvement évoquée.

6) M. A______ a formulé des propositions de corrections dudit procès-verbal le 31 octobre 2017, tout en constatant que la situation s'était « globalement apaisée » et en sollicitant la clôture du dossier.

7) Le 2 novembre 2017, l'avocat de la commune s'est adressé par courrier – à l'en-tête de l'Étude – à celui de M. A______. Le CA avait décidé d'ouvrir une enquête à l'encontre de M. A______ sur la base d'une plainte, jointe en annexe, formulée par Mme B______ le 30 octobre 2017 et accusant M. A______ de harcèlement psychologique. L'enquête avait été confiée à Madame C______, ancienne juge à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), et débuterait le 6 novembre 2017. Cette décision était exécutoire immédiatement.

8) Le 7 novembre 2017, la commune a communiqué à M. A______ le procès-verbal définitif de l'entretien du 4 octobre 2017.

9) Le 9 novembre 2017, M. A______ a répondu à l'avocat de la commune. C'était le CA qui était compétent pour ouvrir une enquête, et devait le faire par le biais d'une décision formelle avec indication de la voie et du délai de recours. Le courrier du 2 novembre 2017 ne valait dès lors pas ouverture d'une enquête.

Au surplus, il contestait catégoriquement les accusations proférées par Mme B______ dans son courrier du 30 octobre 2017.

10) Par acte posté le 13 novembre 2017, M. A______ a formé par-devant la chambre administrative une demande en constatation de nullité, concluant principalement à la constatation de la nullité de la « décision » d'ouverture d'enquête, et préalablement à l'octroi de l'effet suspensif à la demande.

Si l'effet suspensif n'était pas accordé, l'enquête se déroulerait et la demande en constatation de nullité deviendrait sans objet, sauf à prendre le risque que le travail que pourrait faire l'enquêtrice soit inutile.

11) Le 23 novembre 2017, la commune a conclu au refus de l'octroi de l'effet suspensif à la demande, tout en estimant que la demande elle-même était irrecevable en tant qu'elle contestait l'ouverture d'une enquête administrative, qui était une décision incidente pour laquelle le recours n'était pas ouvert.

L'effet suspensif avait été valablement retiré. Il n'y avait pas lieu de le restituer, dans la mesure où la teneur de la plainte de Mme B______ justifiait que l'enquêtrice puisse procéder dans les meilleurs délais à l'éclaircissement de la situation, les relations professionnelles des intéressés souffrant inéluctablement de cette situation de blocage.

Était jointe une « attestation » signée le 13 novembre 2017 par un conseiller administratif de la commune « au nom du CA », et selon laquelle « lors de sa séance du 18 octobre 2017, le CA de la Ville de Chêne-Bougeries a pris la décision d'ouvrir une enquête administrative (…) à l'encontre de Monsieur A______ ». Cette attestation avait été envoyée le 14 novembre 2017 à l'intéressé.

12) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) La recevabilité comme le bien-fondé éventuel de la demande en constatation de nullité ne pouvant être examiné par un juge unique, ces questions seront examinées le cas échéant dans l'arrêt au fond. Il sied à ce stade seulement de préciser que la procédure ne concerne pas un recours contre l'ouverture d'une enquête administrative, mais une demande de constat de nullité concernant la décision d'ouverture d'enquête, qui serait selon le demandeur affecté de vices formels particulièrement graves.

2) Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (art. 66 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (art. 66 al. 3 LPA).

3) L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HAENER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3).

5) L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsogliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, RDS 1997 II 253-420, p. 265).

6) a. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

b. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

7) a. Selon la jurisprudence et la doctrine, un effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d’une prestation ou d'une autorisation. La fonction de l’effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l’objet du contentieux judiciaire n’existait pas, l’effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant d’être mis au bénéfice d’un régime juridique dont il n’a jamais bénéficié (ATF 127 II 132 ; 126 V 407 ; 116 Ib 344 ; ATA/354/2014 du 14 mai 2014 consid. 4 ; ATA/87/2013 du 18 février 2013 ; Ulrich HÄFELIN/ Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., 2010, n. 1800 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2010, n. 5. 8. 3. 3 p. 814).

b. Lorsqu’une décision à contenu négatif est portée devant la chambre administrative et que le destinataire de la décision sollicite la restitution de l’effet suspensif, il y a lieu de distinguer entre la situation de celui qui, lorsque la décision intervient, disposait d’un statut légal qui lui était retiré de celui qui ne disposait d’aucun droit. Dans le premier cas, la chambre administrative pourra entrer en matière sur une requête en restitution de l’effet suspensif, aux conditions de l’art. 66 al. 3 LPA, l’acceptation de celle-ci induisant, jusqu’à droit jugé, le maintien des conditions antérieures. Elle ne pourra pas en faire de même dans le deuxième cas, vu le caractère à contenu négatif de la décision administrative contestée. Dans cette dernière hypothèse, seul l’octroi de mesures provisionnelles, aux conditions cependant restrictives de l’art. 21 LPA, est envisageable (ATA/70/2014 du 5 février 2014 consid. 4b ; ATA/603/2011 du 23 septembre 2011 consid. 2 ; ATA/280/2009 du 11 juin 2009 et ATA/278/2009 du 4 juin 2009).

8) En l'espèce, la procédure vise à faire constater que l'ouverture d'enquête administrative n'a pas été valablement prononcée et que la décision qui a été notifiée à M. A______, par le biais de l'avocat de la commune, n'en est pas une. Il ne s'agit du reste pas d'un recours proprement dit, si bien que l'on ne peut guère envisager une restitution de l'effet suspensif.

La demande de restitution de l'effet suspensif au recours doit ainsi s'examiner comme une demande de mesures provisionnelles au sens de l'art. 21 LPA.

9) À cet égard, il convient de constater qu'en l'absence de telles mesures, l'objet du litige serait largement vidé de sa substance, ou du moins mènerait le cas échéant à la répétition de l'ensemble du travail fourni par l'enquêtrice. Par ailleurs, il apparaît à première vue, dans le cadre d'un examen prima facie qui prévaut à ce stade, que la délégation à un avocat – hors de toute procédure judiciaire – d'une prérogative de puissance publique telle qu'une mesure de gestion du personnel communal, ou du moins de l'exécution de celle-ci, constitue un mode de faire des plus douteux, et que l'attestation signée par un conseiller administratif ne saurait a priori valoir décision du CA, si bien que la demande n'apparaît pas dénuée de chances de succès. Enfin, s'il est certes expédient que la situation de conflit interpersonnel entre M. A______ et Mme B______ puisse faire l'objet d'un traitement rapide, il semble durer depuis plusieurs années, si bien qu'un gel de l'enquête durant quelques semaines ne saurait aggraver notablement la situation.

10) Les mesures provisionnelles sollicitées seront dès lors accordées. Il sera ainsi fait interdiction à la commune, et en tant que de besoin à l'enquêtrice, de faire procéder ou de procéder à des actes d'enquête administrative à l'encontre de M. A______ jusqu'à droit jugé sur sa demande en constatation de nullité.

11) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

Vu la demande formée le 13 novembre 2017 par Monsieur A______ contre la « décision » de la commune de Chêne-Bougeries du 2 novembre 2017 ;

vu l’art. 66 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ;

vu l’art. 9 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 26 septembre 2017 ;


 

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet la demande de restitution de l'effet suspensif au recours, traitée comme demande de mesures provisionnelles ;

fait interdiction à la commune de Chêne-Bougeries, et en tant que de besoin à l'enquêtrice, de faire procéder ou de procéder à des actes d'enquête administrative à l'encontre de Monsieur A______ jusqu'à droit jugé sur sa demande en constatation de nullité ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Robert Assael, avocat du recourant, ainsi qu’à Me Thomas Barth, avocat de la commune de Chêne-Bougeries ;

communique le dispositif de la présente décision, en copie, à l’enquêtrice désignée, pour information.

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

Ch. Junod

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :