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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/580/2018

ATA/1355/2018 du 18.12.2018 ( MARPU ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ADJUDICATION(MARCHÉS PUBLICS) ; PROCÉDURE D'ADJUDICATION ; QUALITÉ POUR RECOURIR ; INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION ; INTÉRÊT ACTUEL ; SOUMISSIONNAIRE ; CONCLUSION DU CONTRAT ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; MOTIVATION DE LA DÉCISION ; EXCLUSION(EN GENERAL) ; DOMMAGES-INTÉRÊTS
Normes : LPA.60.al1; Cst.29.al2; RMP.42; RMP.29; CO.951; CO.955; CO.956.al1; AIMP.18; L-AIMP.3.al3
Parties : ISS FACILITY SERVICES AG / SECURITAS SA, AEROPORT INTERNATIONAL DE GENEVE
Résumé : Recours contre une décision d'adjudication du lot no 1 d'un marché public par l'unique soumissionnaire évincé. Qualité pour recourir admise même si le contrat entre le pouvoir adjudicateur et l'adjudicataire est déjà conclu. Absence de violation du droit d'être entendue de la recourante. Violation du point 4.4 des conditions administratives de l'appel d'offres de par l'adjudication des lots nos 1 et 3 à des sociétés affiliées exerçant des activités identiques au sens de cette disposition. L'offre de l'adjudicataire aurait donc dû être exclue. Recours partiellement admis, constatation du caractère illicite de l'adjudication du lot no 1 à l'adjudicataire et allocation de dommages-intérêts à hauteur de CHF 33'000.- à la recourante.
En fait
En droit

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/580/2018-MARPU ATA/1355/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 décembre 2018

 

dans la cause

 

ISS FACILITY SERVICES AG, représentée par sa succursale de Genève
représentée par Me Patrick Malek-Asghar, avocat

contre

AÉRPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE

SECURITAS SA SOCIÉTÉ SUISSE DE SURVEILLANCE,représentée par sa succursale de Genève, appelée en cause
représentée par Me Robert Hensler, avocat

 


EN FAIT

1.1) a. Par annonce parue le 23 octobre 2017 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève et sur le site www.simap.ch, l’Aéroport International de Genève (ci-après : AIG) a lancé un appel d'offres en procédure ouverte soumis aux accords internationaux intitulé « prestations au profit du Département Sûreté », divisé en trois lots, dont l’exécution était prévue du 1er mai 2018 au 30 avril 2023 (points 2.2.1 des conditions administratives de l’appel d’offres communes aux trois lots [ci-après : CA]).

b. Le lot no 1 concernait la gestion des dispositifs des files d’attente devant les points de sûreté, l’accueil et la préparation des passagers et leurs affaires à l’entrée du poste d’inspection filtrage et le contrôle des titres de transports et autres documents donnant accès à la zone de sûreté à accès réglementé. Le lot no 2 consistait à assurer (1) des contrôles de sûreté sur des personnes, des véhicules et des fournitures aéroportuaires dans le but de détecter tout objet prohibé pouvant être introduit à bord des aéronefs ou en zone de sûreté à accès réglementé par le biais des personnes ou des passagers et (2) des rondes de sûreté dans les parkings de l’aéroport. Le lot no 3 visait les contrôles de sureté des bagages de soute, personnes et fournitures aéroportuaires dans le but de détecter tout objet prohibé pouvant être introduit à bord des aéronefs ou en zone de sûreté à accès réglementé par le biais des personnes ou des passagers (points 2.2.3 CA).

c. Mise en évidence à la fin du point 2.2.3, une disposition du CA prévoyait que le soumissionnaire ne pouvait déposer qu’une offre pour un seul lot parmi les trois lots, sous peine d’exclusion de ses offres. Le point 4.4 CA, intitulé « [o]ffres multiples », précisait que, s’agissant du lot no 1, les bureaux ou entreprises portant la même raison sociale et dont l’activité était identique ne pouvaient inscrire qu’un seul bureau, succursale ou filiale. Aucune des entités précitées n’était autorisée à déposer une offre pour les lots nos 2 et 3. Cela concernait aussi le(s) sous-traitant(s) du lot no 1. Le point 4.4 CA posait la même exigence s’agissant des lots nos 2 et 3, par rapport, respectivement aux lots nos 1 et 3 et aux lots nos 1 et 2.

d. Le marché était soumis à un cahier des charges commun aux trois lots et le lot no 1 était également soumis à un cahier des charges spécifique à ce lot.

2.2) En novembre 2017, l’AIG a répondu à une question écrite relative au point 4.4 CA. Des entreprises portant la même raison sociale et dont l’activité était identique ne pouvaient inscrire qu’un seul bureau, succursale ou filiale. De fait, les sociétés affiliées ne portant pas la même raison sociale et dont l’activité était différente pouvaient déposer chacune une offre pour un lot distinct.

16.3) a. La société ISS Facility Services AG (ci-après : ISS), dont le siège se trouve à Zurich, a une succursale à Genève, ISS Facility Services SA. Cette dernière effectuait depuis 2011 les activités visées par le lot no 1.

b. Securitas SA Société Suisse de Surveillance (ci-après : Securitas), située à Berne, a également une succursale de Genève, laquelle porte la même raison sociale.

c. Custodio AG (ci-après : Custodio), dont le siège est situé à Zurich, est aussi dotée d’une succursale genevoise, Custodio AG, succursale du Grand-Saconnex.

4.4) Le 4 décembre 2017, les succursales d’ISS et de Securitas ont chacune déposé une offre pour le lot no 1, respectivement pour des montants hors taxes de CHF 7'871'500.- et de CHF 8'217'500.-.

5.5) Par décision du 6 février 2018, accompagnée du tableau des résultats, l’AIG a adjugé le marché à Securitas, dont l’offre remplissait pleinement les conditions lui permettant d’être adjudicataire et avait été jugée économiquement la plus avantageuse. ISS avait été classée au deuxième rang sur les deux offres évaluées.

6.6) Le 8 février 2018, l’AIG a reçu ISS en entretien pour répondre à ses questions relatives à la décision d’adjudication, ensuite de quoi elle lui a confirmé ses réponses par courriel du 12 février 2018.

7.7) Par acte du 16 février 2018, ISS a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant principalement à l’annulation de la décision attaquée et à l’attribution du lot no 1 en sa faveur, subsidiairement à la constatation du caractère illicite de l’adjudication et à l’octroi d’un délai pour quantifier et motiver sa prétention en réparation de son dommage. Elle a demandé préalablement l’octroi de l’effet suspensif, ainsi que la production de l’ensemble du dossier d’adjudication et de la décision d’adjudication du lot no 3 à Custodio.

Son droit d’être entendue avait été violé, faute de motivation suffisante de la décision et d’explications postérieures à la décision complètes. Securitas et Custodio étaient notoirement affiliées (partenaires sociaux, presse, pouvoir décisionnel de Monsieur Hans WINZENRIED dans les deux sociétés, même organe de révision) et leurs activités étaient identiques, vu leur but statutaire respectif. L’AIG avait violé plusieurs conditions d’adjudication prévues dans l’appel d’offres et avait abusé de son pouvoir d’appréciation ainsi que violé le principe de la transparence dans l’évaluation de certains critères ou sous-critères.

Elle a notamment produit des pièces destinées à démontrer l’affiliation entre Securitas et Custodio.

8.8) Le même jour, la chambre administrative a ordonné l’appel en cause de Securitas.

9.9) Par réponse du 2 mars 2018, l’AIG a conclu au rejet du recours.

La décision était accompagnée du tableau de résultats et l’AIG avait fourni des explications claires et transparentes. ISS était forclose à faire valoir des griefs contre l’appel d’offres. La règle prévue pour les offres multiples était prévue exclusivement à l’art. 4.4 CA, le guide romand pour les marchés publics (ci-après : le guide romand) n’étant pas applicable. L’affiliation n’était pas pertinente, car Custodio n’avait pas participé à l’appel d’offres du lot no 1. Excepté le président du conseil d’administration, aucun administrateur, directeur ou détenteur de procuration de Securitas n’était membre de l’organe exécutif – y compris les délégataires – de Custodio, ce qui excluait tout contrôle décisionnel d’une société sur l’autre. Le lot no 1 relevait de la gestion courante et la compétence revenait probablement au comité de direction et non au conseil d’administration. Le fait d’avoir le même organe de révision n’était pas pertinent.

10.10) Les 5 et 29 mars 2018, Securitas a conclu au rejet du recours. Elle s’est préalablement opposée à la communication de son offre – demandant subsidiairement la communication de son offre caviardée – ainsi qu’à l’octroi de l’effet suspensif. Elle a développé une argumentation en substance similaire à celle de l’AIG.

Une éventuelle violation du droit d’être entendu serait réparée. Securitas et Custodio n’avaient pas la même raison sociale et ne déployaient pas les mêmes activités, cette dernière exerçant des activités très spécifiques, soumises à certification et surveillance par l’office fédéral de l’aviation civile (ci-après : OFAC). Les deux sociétés n’étaient pas affiliées.

Elle a notamment produit des attestations de l’OFAC, des autorisations délivrées par le département de la sécurité et de l’économie, devenu depuis lors le département de la sécurité (ci-après : DS), ainsi que le dossier de son offre en deux versions, dont la seconde était caviardée.

11.11) Par décision du 16 mars 2018, la chambre administrative a rejeté la requête d’effet suspensif.

12.12) Par décision du 3 avril 2018, la chambre administrative a autorisé ISS à avoir accès au dossier d’offre de Securitas caviardé s’agissant des informations confidentielles relevant du secret des affaires.

13.13) Par réplique du 7 mai 2018, ISS a persisté dans ses conclusions et son argumentation, demandant l’audition des parties et de témoins et chiffrant son dommage à CHF 100'000.-.

Elle a versé à la procédure de nouveaux documents destinés à démontrer l’affiliation de Securitas et Custodio.

14.14) Par dupliques séparées des 11 et 14 juin 2018, l’AIG et Securitas ont maintenu leurs conclusions et contesté le dommage allégué par ISS. L’AIG s’est en outre opposé aux auditions sollicitées.

15.15) Dans ses observations du 16 juillet 2018, ISS a persisté dans sa position.

16) Le 5 novembre 2018 a eu lieu une audience de comparution personnelle, laquelle a, entre autres, porté sur les liens entre Securitas et Custodio et leurs activités respectives. Il y sera revenu ci-après en tant que de besoin

17.17) Dans leurs observations respectives des 4 et 5 décembre 2018, les parties ont chacune persisté dans leurs conclusions.

18.18) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 15 al. 1, al. 1bis let. e et al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi du 12 juin 1997 autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’AIMP - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. e et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2.2) Le contrat ayant été conclu avec l’appelée en cause (art. 14 al. 1 AIMP et 46 RMP), se pose la question de l’intérêt digne de protection de la recourante au maintien du recours.

a. La qualité pour recourir en matière de marchés publics se définit en fonction des critères de l’art. 60 al. 1 let. a et b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), applicable sur renvoi de l’art. 3 al. 4 L-AIMP. Elle appartient aux parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée, chacune de celles-ci devant néanmoins être touchée directement par la décision et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. Tel est le cas de celle à laquelle la décision attaquée apporte des inconvénients qui pourraient être évités grâce au succès du recours, qu’il s’agisse d’intérêts juridiques ou de simples intérêts de fait (ATA/1019/2018 du 2 octobre 2018 consid. 3a et les références citées).

b. En matière de marchés publics, l’intérêt actuel du soumissionnaire évincé est évident tant que le contrat n’est pas encore conclu entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire, car le recours lui permet d’obtenir la correction de la violation commise et la reprise du processus de passation. Mais il y a lieu d’admettre qu’un soumissionnaire évincé a aussi un intérêt actuel au recours lorsque le contrat est déjà conclu avec l’adjudicataire, voire exécuté, car il doit pouvoir obtenir une constatation d’illicéité de la décision pour pouvoir agir en dommages-intérêts (art. 18 al. 2 AIMP ; art. 3 al. 3 L-AIMP ; ATF 137 II 313 consid. 1.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_24/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.2.1 ; ATA/516/2018 du 29 mai 2018 consid. 2b). Le recourant qui conteste une décision d’adjudication et déclare vouloir maintenir son recours après la conclusion du contrat conclut, au moins implicitement, à la constatation de l’illicéité de l’adjudication, que des dommages-intérêts soient réclamés ou non (arrêt du Tribunal fédéral 2P.307/2005 du 24 mai 2006 consid. 2).

c. En l’espèce, le contrat entre le pouvoir adjudicataire et l’adjudicataire a été conclu à la suite de la décision rejetant la requête d’effet suspensif. Les représentants de l’autorité intimée ont confirmé lors de l’audience du 5 novembre 2018 que le contrat avait été conclu avec effet au 1er juin 2018. En tant que soumissionnaire évincée, la recourante conserve toutefois un intérêt à obtenir la constatation de l’illicéité de l’adjudication pour obtenir une éventuelle indemnisation.

La recourante a, par conséquent, la qualité pour recourir et son recours sera déclaré recevable.

3.3) La recourante a demandé dans son acte de recours la production de la décision d’adjudication du lot no 3 à Custodio puis a conclu, dans ses déterminations des 7 mai et 16 juillet 2018, à l’audition de témoins.

a. Le droit de faire administrer des preuves découlant du droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_674/2015 du 26 octobre 2017 consid. 5.1). Le droit d’être entendu ne comprend pas le droit d'obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425  consid. 2.1 ; ATA/1001/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2a)

b. En l’espèce, l’adjudication du lot no 3 à Custodio n’est contestée par aucune des parties. Par ailleurs, la chambre administrative a mené une audience de comparution personnelle et les parties ont pu exprimer par écrit leur argumentation de manière circonstanciée, tant avant, qu’après ladite audience, et produire les pièces pertinentes à l’appui de leur position. La chambre de céans dispose ainsi d’un dossier complet lui permettant de trancher les griefs soulevés en toute connaissance de cause.

Il ne sera dès lors pas donné suite aux requêtes de production de la décision d’adjudication du lot no 3 à Custodio et d’audition de témoins de la recourante.

4.4) Sur le plan formel, la recourante reproche à l’autorité intimée une violation de son droit d’être entendue, la décision n’étant pas suffisamment motivée et les explications fournies postérieurement étant incomplètes.

a. Le droit d’être entendu comprend également le droit d’obtenir une décision motivée. L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_597/2013 du 28 octobre 2013 consid. 5.2 2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1 ; 136 I 184 consid. 2.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_832/2016 du 12 juin 2017 consid. 4.1).

b. En matière de marchés publics, cette obligation se manifeste par le devoir qu’a l’autorité d’indiquer au soumissionnaire évincé les raisons du rejet de son offre (Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, Le droit des marchés publics, 2002, p. 256). Ce principe est concrétisé par les art. 13 let. h AIMP et 45 al. 1 RMP, qui prévoient que les décisions d'adjudication doivent être sommairement motivées (ATA/492/2018 du 22 mai 2018 consid. 6b).

c. En l’espèce, la décision attaquée était accompagnée du tableau des résultats, lequel répertoriait les notes obtenues pour chaque sous-critère par les deux soumissionnaires, ainsi que leur note globale, plaçant la recourante au second rang. Par ailleurs, l’autorité intimée a répondu aux questions de la recourante par rapport à la notation, ceci tant lors d’une séance tenue à cet effet que par échange de courriels ultérieur.

Compte tenu de la jurisprudence précitée, le droit de la recourante à obtenir des explications sur les raisons du rejet de son offre a été satisfait. Aucune violation de son droit d’être entendue sous forme de manque de motivation de la décision attaquée ne saurait donc être retenue. Le grief sera écarté.

5.5) Dans un premier grief d’ordre matériel, la recourante affirme que le marché ne pouvait être adjugé à l’appelée en cause, affiliée à l’adjudicataire du lot no 3.

a. La législation en matière de marchés publics est fondée sur les principes énoncés à l’art. 1 AIMP. L’AIMP a pour but l’ouverture des marchés publics
(art. 1 al. 1 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

  b. L'offre est notamment écartée d'office lorsque le soumissionnaire  ne répond pas ou plus aux conditions pour être admis à soumissionner (art. 42 al. 1 let. b RMP). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L'autorité adjudicatrice rend une décision d'exclusion motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours (art. 42 al. 2 RMP).

c. L’autorité adjudicatrice répond dans les plus brefs délais aux questions ayant trait aux documents d’appel d’offres (art. 29 al. 1 RMP). Les renseignements importants pour l'élaboration des offres, transmis à un soumissionnaire, sont simultanément communiqués aux autres soumissionnaires (art. 29 al. 2 RMP). Les soumissionnaires ont l’obligation d’informer immédiatement l’autorité adjudicatrice de toute erreur manifeste dans les documents d’appel d’offres (art. 29 al. 3 RMP).

d. La raison de commerce d'une société commerciale ou d'une société coopérative doit se distinguer nettement de toute autre raison de commerce d'une société commerciale ou d'une société coopérative déjà inscrite en Suisse (art. 951 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911, livre cinquième : droit des obligations - CO - RS 220). Le préposé au registre du commerce doit inviter d'office les intéressés à se conformer aux dispositions concernant la formation des raisons de commerce (art. 955 CO). Dès que la raison de commerce d'un particulier, d'une société commerciale ou d'une société coopérative a été inscrite sur le registre et publiée dans la Feuille officielle suisse du commerce, l'ayant droit en a l'usage exclusif (art. 956 al. 1 CO).

6.6) a. En l’espèce, le point 2.2.3 CA prévoit que « [l]e soumissionnaire ne peut déposer qu’une offre pour un seul lot parmi les trois lots, sous peine d’exclusion de ses offres ». Le point 4.4 CA, intitulé « [o]ffres multiples », précise ensuite, s’agissant du lot no 1 (respectivement s’agissant du lot no 2/lot no 3), que « [l]es bureaux ou entreprises portant la même raison sociale et dont l’activité est identique ne peuvent inscrire qu’un seul bureau, succursale ou filiale. Aucune des entités précitées n’est autorisée à déposer une offre pour les lots nos 2 et 3 » (respectivement pour les lots nos 1 et 3/lots nos 1 et 2). La première de ces deux phrases est reprise du point 3.9 de l’annexe K2 du guide romand.

En réponse à une question écrite portant sur ce point – posée par la société Protectas, selon les indications des représentants de l’AIG lors de l’audience devant la chambre de céans –, l’autorité intimée a précisé que « [d]e fait, les sociétés affiliées ne portant pas la même raison sociale et dont l’activité était différente [pouvai]ent déposer chacune une offre pour un lot distinct ».

b. Selon la recourante, il découle de ce qui précède que les entreprises affiliées doivent avoir une raison sociale différente et une activité différente pour pouvoir présenter chacune une offre. Quant à l’appelée en cause, elle soutient que les critères sont cumulatifs et qu’il suffit donc d’avoir une raison sociale différente pour pouvoir déposer chacune une offre. L’autorité intimée affirme que la question d’une éventuelle affiliation n’est pas pertinente, car Custodio n’a pas participé « au présent appel d’offres ». Elle a ensuite précisé que l’appelée en cause et Custodio n’avaient ni la même raison sociale, ni des activités identiques.

c. Il ressort des CA que la volonté du pouvoir adjudicateur était de prohiber la participation des entités visées par le point 4.4 au même lot ou à plusieurs lots. Contrairement à ce qu’affirme l’autorité intimée, peu importe ainsi que Custodio n’ait pas formulé d’offre pour le même lot que l’appelée en cause, soit le lot no 1, puisqu’elle a déposé une offre pour le lot no 3, dont elle est l’adjudicataire.

Par ailleurs, l’appelée en cause ne peut être suivie lorsqu’elle affirme qu’il suffit d’avoir une raison sociale différente. Certes, le pouvoir adjudicateur n’a pas intégré dans l’appel d’offres l’entier du point 3.9 de l’annexe K2 du guide romand, lequel apporte la précision suivante, non reprise : « [l]es bureaux ou entreprises ne portant pas la même raison sociale, mais dont l’activité est identique et dont l’affiliation commerciale, juridique et décisionnelle peut être prouvée, ne pourront inscrire qu’un seul bureau, succursale ou filiale ». Néanmoins, le point 4.4 CA inclut la mention d’une filiale. Or, des sociétés affiliées sont des sociétés distinctes ayant chacune la personnalité juridique et ne peuvent avoir la même raison sociale, vu l’exclusivité des raisons de commerce et l’interdiction des raisons identiques prévalant en droit suisse. Dès lors, la mention des mêmes raisons sociales figurant au point 4.4 ne peut être interprétée comme étant applicables aux filiales. Ainsi, en relation avec les filiales, sont décisives, cumulativement, l’appartenance ou non à un même groupe de sociétés et l’identité ou la différence d’activités et, contrairement à ce qu’affirme l’appelée en cause, le fait d’avoir une raison sociale différente ne saurait suffire à lui seul à satisfaire aux conditions du point 4.4 CA, comme le confirme au demeurant la réponse donnée par le pouvoir adjudicateur à la question écrite à ce sujet.

Par conséquent, il convient d’examiner si l’appelée en cause et l’adjudicataire du lot no 3 doivent être considérées comme affiliées et si elles exercent des activités identiques au sens du point 4.4 CA.

d. S’agissant du premier point, la recourante a produit diverses pièces tendant à confirmer l’existence d’une affiliation entre Securitas et Custodio, dont les suivantes :

- les extraits du registre du commerce de ces deux sociétés, démontrant (1) que M. WINZENRIED est présent dans les deux conseils d’administration (depuis 1995 chez Securitas et depuis 1999 chez Custodio), avec signature individuelle, (2) qu’elles ont déjà par le passé eu d’autres membres communs (Monsieur Beat GLUTZ VON BLOTZHEIM, directeur avec signature collective à deux chez Securitas depuis 2001, lequel a également été administrateur avec signature collective à deux chez Custodio entre 2002 et 2005, et Monsieur Roger LAMM, directeur avec signature collective à deux chez Securitas entre 2001 et 2016 et doté d’une signature collective à deux chez Custodio de 1999 à 2009) et (3) qu’elles ont le même organe de révision, Dr. Röthlisberger AG (organe de révision de Securitas depuis 1995 et de Custodio depuis 2005),

- les articles de presse et d’un syndicat désignant Custodio comme une filiale de Securitas,

- des formulaires utilisés par Custodio portant l’en-tête « Securitas », et

- des formulaires de planning journaliers de pauses démontrant que des employés de Securitas avaient travaillé pour Custodio à l’aéroport.

Or, après avoir contesté, malgré ces éléments, toute affiliation dans ses écritures antérieures à l’audience du 5 novembre 2018, l’appelée en cause a reconnu, lors de ladite audience, que les deux sociétés faisaient partie du même groupe de sociétés, le Groupe Securitas, ce qui expliquait les formulaires, dont l’en-tête « Securitas » était celui de groupe, et la « collaboration » en matière de personnel.

Il ne fait par conséquent plus aucun doute que Securitas et Custodio doivent être considérées comme des sociétés affiliées.

e. Il convient à présent d’examiner si les activités de l’appelée en cause et de l’adjudicataire du lot no 3 doivent être qualifiées d’identiques au sens du point 4.4 CA.

En l’occurrence, lors de l’audience de comparution personnelle, les représentants de l’appelée en cause ont indiqué que toutes les sociétés du Groupe Securitas sont actives dans le même domaine, soit l’équipement technique et les services de sécurité.

Il ressort, en effet, des extraits du registre du commerce de Securitas et de Custodio que ces deux entreprises sont actives dans le domaine des services de sécurité. Le but social de l’appelée en cause est l’organisation de services de sécurité, sans plus de précisions, tandis que celui de sa succursale de Genève est d’organiser et d’effectuer des services de surveillance d’immeubles et de biens mobiliers, dans le but de prévenir des incendies, des effractions et les troubles de la possession en général, d’assurer le service d’ordre et de contrôle lors de manifestations de tout genre et d’accomplir des services confiés par des autorités publiques. Custodio et sa succursale de Genève ont quant à elles pour but social l’exécution de mandats de surveillance en tous genres et la fourniture de services de photo et de scanning ; elles peuvent participer à d'autres sociétés ainsi qu’acquérir, grever et vendre des biens immobiliers. À cela s’ajoute que Securitas et Custodio sont toutes deux au bénéfice d’une autorisation d’exploiter une entreprise de sécurité délivrée par le DS, les deux autorisations ayant la même teneur.

L’appelée en cause et le pouvoir adjudicateur mettent toutefois en évidence l’existence d’une activité spécifique de Custodio, apparaissant dans l’extrait du registre du commerce, soit l’activité de « screening » et « scanning » dans le domaine de la sécurité aéroportuaire.

Le site internet de l’adjudicataire du lot no 3 la décrit en effet comme une société prioritairement active dans le domaine de la sécurité aérienne et aéroportuaire (https://www.custodio.ch/start/français/services/, consulté le 12 décembre 2012), tandis que les pièces produites par l’appelée en cause démontrent que l’un des membres du conseil d’administration de Custodio, Monsieur Herbert HÖCK, est au bénéfice de deux certificats de l’OFAC, le premier d’instructeur de sécurité aérienne et le second de responsable de la sécurité et d’instructeur de sécurité aérienne au sein d’une structure soumise à l’OFAC.

Néanmoins, son but social et son site internet démontrent que Custodio n’est pas uniquement active dans le domaine de la sécurité aérienne, mais fournit également des services de sécurité en dehors de cette branche. Par ailleurs, le fait même que Securitas ait soumissionné au lot no 1 démontre qu’elle fournit également des services de sécurité dans le domaine de la sécurité aérienne. Le cahier des charges du lot no 1 précise d’ailleurs que l’adjudicataire doit se conformer à toutes les normes applicables en matière de sécurité et se soumettre à toutes les exigences imposées à l’AIG par l’OFAC (point 8, « sécurité »), tandis que les cahier des charges commun prévoit une formation initiale et continue commune aux trois lots (point 4.4.1 et 4.4.2). Le point sur la formation continue commune précise même que, dans les cas d’échecs à des contrôles ou à des tests ou si le taux de rotation du personnel excède celui fixé au point 8, les mesures de formation visant à améliorer les compétences des collaborateurs ou à disposer d’un effectif en adéquation avec le mandat seront entièrement à la charge du prestataire et devront être effectuées par des instructeurs validés par l’AIG et certifiés instructeurs de sécurité aéroportuaire par l’OFAC, cette disposition étant applicable tant pour le lot no 1 que pour le lot no 3 (point 4.4.2 § 4 du cahier des charges commun).

En outre, s’agissant plus spécifiquement de l’activité de « screening » et « scanning », il ressort de ses références que Securitas exerce également une activité de contrôle aux rayons X et à l’aide de portiques magnétiques. Certes, lors de l’audience de comparution personnelle du 5 novembre 2018, l’appelée en cause a distingué l’activité de « screening » du contrôle traditionnel aux rayons X, indiquant que le « screening » avait pour but de détecter et dépister des objets interdits, ce qui allait plus loin que le contrôle traditionnel. Or, s’il est évident que le domaine aérien nécessite d’assurer une sécurité accrue et implique le respect de normes spécifiques, le fait de détecter et dépister des objets interdits semble être de manière générale le but d’un contrôle aux rayons X et à l’aide de portiques de sécurité. Le cahier des charges commun indique d’ailleurs que les « x-ray » doivent être opérationnels aux heures où du personnel doit être fourni à l’AIG pour procéder aux contrôles de sûreté (point 2.8), ce qui tend à indiquer que le contrôle opéré à l’aéroport est également du contrôle aux rayons X. Par ailleurs, les représentants de Securitas ont reconnu lors de l’audience de comparution personnelle que celle-ci pouvait également avoir besoin de compétences de « screening » et « scanning » dans ses activités, une collaboration pouvant intervenir entre elle et Custodio lorsque la première a besoin des compétences de « screening » et « scanning » des employés de la seconde. Cela démontre que, même à retenir que le « screening » et « scanning » doit être distingué du contrôle aux rayons X traditionnel, Securitas exerce également des activités qui peuvent la mener à avoir besoin de telles compétences. À cela s’ajoute le fait que les représentants de l’appelée en cause ont reconnu lors de l’audience de comparution personnelle que Custodio recourait également au personnel de Securitas, comme l’indiquent les plannings journaliers des pauses versés à la procédure. Si elle a déclaré que les employés de Securitas venaient ponctuellement en renfort à Custodio uniquement pour des activités de fouille, il ressort desdits plannings que plusieurs employés de Securitas ont été affectés par Custodio au « contrôle X-Ray CBS ».

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la chambre administrative retiendra que Securitas et Custodio exercent des activités identiques au sens du point 4.4 CA.

f. Au surplus, il sera constaté que, lors de l’audience de comparution personnelle, les représentants du pouvoir adjudicateur ont indiqué que la règle de l’interdiction d’offres multiples pour les lots nos 1, 2 et 3 découlait du souhait de l’autorité de diminuer les risques opérationnels, par exemple qu’un mouvement social au sein d’une entreprise en charge d’un lot touche les entreprises en charge des autres lots. Or, vu l’appartenance des adjudicataires de lots no 1 et 3 au même groupe de sociétés, à laquelle s’ajoute leur « collaboration » en matière de personnel, de tels risques opérationnels apparaissent réalisés.

g. Dans ces circonstances, Securitas ne pouvait pas déposer une offre pour le lot n1 alors que Custodio déposait une offre pour le lot no 3, de sorte que l’autorité intimée aurait dû exclure l’offre de Securitas en application des points 2.2.3 et 4.4 CA et adjuger le marché à la recourante, seule autre soumissionnaire. Le grief sera dès lors admis.

7.7) L’admission de ce grief rend superflu l’examen des autres griefs soulevés par la recourante, de sorte que la chambre de céans se dispensera de se prononcer sur leur mérite.

8.8) a. Si le contrat n’est pas encore conclu, l’autorité de recours peut, soit statuer au fond, soit renvoyer la cause au pouvoir adjudicateur dont elle annule la décision, au besoin avec des instructions impératives (art. 18 al. 1 AIMP). Si le contrat est déjà conclu et que le recours est jugé bien fondé, l’autorité de recours constate le caractère illicite de la décision (art. 18 al. 2 AIMP).

b. En l’espèce, en l’absence d’effet suspensif du recours, l’autorité intimée a confirmé, lors de l’audience du 5 novembre 2018, avoir conclu le contrat avec l’appelée en cause avec effet au 1er juin 2018.

Par conséquent, la chambre administrative admettra partiellement le recours et constatera l’illicéité de la décision d’adjudication du 6 février 2018.

9.9) La recourante demande la réparation de son dommage à hauteur de CHF 100'000.-.

a. Une fois le caractère illicite de la décision constaté, le recourant peut demander devant l'autorité compétente la réparation de son dommage, limité aux dépenses qu'il a subies en relation avec les procédures de soumission et de recours. Le cas échéant, la chambre administrative donne un délai au recourant permettant à celui-ci de quantifier et de motiver sa prétention (art. 3 al. 3 L-AIMP).

b. Par dépenses « subies en relation avec les procédures de soumission et de recours » au sens de l’art. 3 al. 3 L-AIMP, le législateur visait les dépenses exposées par le soumissionnaire lésé ; les dépenses inutiles ou superflues, engagées par ce dernier du fait d’une mauvaise gestion ou de circonstances exorbitantes auxdites procédures en étaient exclues (ATA/1056/2015 du 6 octobre 2015 consid. 11b et les références citées). Du point du vue du droit de la responsabilité, il n’est en effet pas possible d’imputer à l’auteur du dommage – fût-ce une collectivité publique – une lésion qui ne se serait pas produite en présence d’une gestion normale et régulière de la société. Cette condition découle du principe de causalité adéquate qui exige qu’il existe un rapport raisonnable entre le dommage subi et l’illicéité de la décision (ATF 131 III 12 consid. 4 et les références citées).

c. La L-AIMP est calquée, de ce point du vue, sur la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 (LMP - RS 172.056.1) qui prévoit, à son art. 34 al. 2, une limitation de la responsabilité aux dépenses « nécessaires » engagées par le soumissionnaire en relation avec les procédures d’adjudication et de recours. Plus explicitement que dans la loi cantonale, mais de la même manière, la LMP exclut les dépenses subies par le soumissionnaire lésé qui sortent du cadre des dépenses ordinaires consenties par une société régulièrement administrée (ATA/1056/2015 précité consid. 11c et les références citées).

L’adjudicateur ne peut pas se réfugier derrière le principe de la gratuité des offres pour refuser l’indemnisation des frais de la procédure de soumission, les règles de marchés publics prévues à ce sujet n’étant valables que dans l’hypothèse où la procédure s’est déroulée normalement (Jean-Baptiste ZUFFEREY
/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, op. cit., p. 150). La réparation des frais relatifs à la procédure de recours au titre de la responsabilité spéciale en matière de marchés publics couvre la différence entre les frais encourus à ce titre et ceux couverts par les dépens. La couverture va au-delà des règles ordinaires en matière de responsabilité de l’État (Evelyne CLERC, L’ouverture des marchés publics : effectivité et protection juridique, 1997, p. 614).

d. Selon la jurisprudence de la juridiction de céans, le dommage que peut donc réclamer un recourant en se fondant sur l’art. 3 al. 3 L-AIMP est limité à la réparation des impenses engagées dans la procédure de soumission, inclut le remboursement de ses frais d’avocat, à défaut de la réparation du gain manqué, voire d’autres indemnités susceptibles d’être réclamées en raison notamment de la conclusion anticipée du contrat (ATA/476/2015 du 19 mai 2015 consid. 12c) ou de l’interruption de la procédure d’adjudication. Le montant du dommage subi, les frais allégués à ce titre par le recourant doivent être en lien avec la procédure, conformément au principe du lien de causalité (ATA/1056/2015 précité consid. 11d ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 564 n. 1660 ss ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 849 n. 6.2.1.2 ; Evelyne CLERC, op. cit., p. 618).

10.10) a. En l’espèce, la recourante a chiffré ses conclusions en réparation de son dommage le 7 mai 2018 à hauteur de CHF 100'000.- et a produit des pièces à l’appui de son préjudice les 7 mai et 16 juillet 2018. L’autorité intimée et l’appelée en cause contestent ce montant et soutiennent que la recourante n’a pas prouvé son dommage.

b. La recourante réclame une indemnité de CHF 49'608.- pour les frais engagés dans la procédure de soumission. L’autorité intimée remet en cause ce montant, estimant le temps alloué pour la constitution du dossier disproportionné, notamment au regard du nombre d’intervenants sur le dossier et de la connaissance approfondie de la recourante du marché au concours.

Selon la recourante, huit personnes ont travaillé sur la soumission (un jour étant comptabilisé comme 8,4 heures) :

- le « managing director » Romandie, un jour à un taux horaire de CHF 150.-, soit CHF 1'260.-, pour la revue et validation finale,

- le directeur des ventes, quinze jours à un taux horaire de CHF 120.-, soit CHF 15'120.-, pour la supervision,

- le « business consultant », quinze jours à un taux horaire de CHF 100.-, soit CHF 12'600.-, pour la rédaction,

- l’assistante de l’équipe ventes, dix jours à un taux horaire de CHF 80.-, soit CHF 6'720.-, pour le formatage et l’administratif,

- la conceptrice graphique et chargée marketing, quatre jours à un taux horaire de CHF 80.-, soit 2'688.-, pour le graphique et visuel,

- l’« account director, Genève Aéroport », cinq jours à un taux horaire de CHF 120.-, soit CHF 5'040.- pour le pilotage et le choix du contenu,

- le « site manager, agents d’accueil », deux jours à un taux horaire de CHF 100.-, soit CHF 1'680.-, pour les détails opérationnels, et

- la « HSE manager », trois jours à un taux horaire de CHF 100.-, soit CHF 5'520.-, pour la qualité, la santé et la sécurité.

Au travail de ces huit personnes, s’ajoutait CHF 1'770.- pour des classeurs, intercalaires et boîte, ainsi que CHF 210.- pour des brochures d’« executive summary », portant le total à CHF 49'608.-.

S’agissant de ce dernier point, la recourante ne produit aucun justificatif démontrant le nombre de classeurs et d’intercalaires utilisés et de brochures d’« executive summary » réalisées, ainsi que leur coût par pièce, de sorte que ces frais, d’un montant important – CHF 1'980.- – pour de simples fournitures de bureau et un résumé de son offre, ne seront pas admis.

Par ailleurs, s’agissant de l’activité déployée par son personnel pour la sousmmission, la recourante s’est contentée de produire un tableau exposant de manière générale l’activité de chaque personne et n’a produit aucun explicatif détaillé des activités de chacune d’entre elles, ni du nombre d’heures consacré à chacune de ces activités. Rien ne permet dès lors d’évaluer précisément le caractère justifié du temps consacré à la soumission par chacun des huit intervenants.

De plus, la recourante n’a pas produit les fiches de salaire des personnes concernées et n’a pas expliqué sur quels éléments elle s’est fondée pour fixer les différents tarifs horaires retenus.

En outre, le décompte effectué en journée de travail, comptabilisée chacune à 8,4 heures, apparaît exagéré. Une journée de travail de 8,4 heures ne comporte en effet que rarement 8,4 heures de travail effectif facturable.

À cela s’ajoute que la recourante exerçait les activités visées par le lot no 1 depuis 2011 au moment de la préparation de son offre, ce qui ne pouvait que lui faciliter ladite préparation.

Dans ces circonstances, l’intervention de huit personnes pour cinquante-cinq jours de travail ou quatre cent soixante-deux heures pour un total de CHF 47'628.- pour la réalisation de l’offre semble excessive.

Néanmoins, l’offre de la recourante comporte une brochure d’« executive summary », le dossier du dépôt de l’offre, les différentes attestations requises, les annexes A à J remplies, ainsi que cinq dossiers, consacrés à l’organisation et la gestion des activités (seize pages), à la formation (quatorze pages), à « HSE » (dix-sept pages), à la transition et l’implémentation (quatre pages) et aux innovations (huit pages). Le dossier complet remplit un classeur A4 de taille moyenne en entier et est doté d’une présentation travaillée et soignée.

Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent et de l’importance de la procédure d’adjudication en cause – l’offre de la recourante s’élevant à CHF 7'871'500.- –, le travail fourni par la recourante sera évalué en équité à CHF 15'000.-, correspondant à cent cinquante heures à un tarif horaire moyen de CHF 100.-.

c. La recourante sollicite par ailleurs un montant global de CHF 50'000.- pour les honoraires engagés pour sa défense, montant que l’autorité intimée et l’appelée en cause contestent.

Après avoir estimé de 35'000.- à CHF 50'000.-, hors taxes, les frais et honoraires dans sa réplique du 7 mai 2018, la recourante a produit, le 16 juillet 2018, à l’appui de sa prétention, une note de frais et honoraires du 4 mai 2018, d’un montant total avec taxes de CHF 54'388.50 (à l’exclusion de l’avance de frais versée à la chambre administrative). Cette note de frais comprend cependant à la fois l’assistance pour le présent litige mais également l’assistance concernant la reprise par Securitas de son personnel employé à l’accueil passagers à l’aéroport. Les activités pour ces deux volets sont certes détaillées (pour le premier volet : examen de la situation, avis juridique, établissement des faits, collecte des pièces, recherches juridiques approfondies, préparation d’un acte de recours et des bordereaux de pièces, travail sur la suite de la procédure au fond, suivi de la procédure, conférences et entretiens téléphoniques, correspondance par courrier et par courriel). Toutefois, aucune indication quant aux nombre d’heures consacrées à chaque activité, ni même à chacun des deux volets n’est fournie, pas plus que le tarif horaire appliqué.

La recourante, représentée par son avocat, a produit dans la présente procédure plusieurs écritures détaillées, soit un recours de vingt-deux pages, une réplique de vingt-cinq pages, des observations de quatorze pages et des observations finales de vingt-sept pages. Elle a par ailleurs été assistée par son avocat lors de l’audience de comparution personnelle, qui a duré près de trois heures. Il sera néanmoins constaté que les écritures de la recourante comportent de nombreuses redites.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, un montant de CHF 18'000.- sera admis pour ce poste, correspondant à quarante heures de travail au tarif horaire de CHF 450.-, étant précisé qu’il est, à Genève, notoire que le tarif usuel pour un avocat varie entre CHF 400.- et CHF 450.-.

d. En définitive le montant admis du préjudice subi par la recourante est composé des frais engagés dans la procédure de soumission à hauteur de CHF 15'000.- et des frais d’avocat à hauteur de CHF 18'000.-, pour un total de CHF 33'000.-.

11.11) En conclusion, le recours sera admis, l’illicéité de la décision d’adjudication sera constatée et l’autorité intimée sera condamnée à verser à la recourante, à titre de dommages-intérêts, une indemnité de CHF 33'000.-, sans intérêts moratoires, en l’absence de conclusions sur ce point (art. 69 al. 1 LPA).

12.12) Aucun émolument ne sera mis à la charge de l’AIG, au motif qu’il s’agit d’une autorité défendant sa propre décision (art. 87 al. 1 LPA). Par contre, l’appelée en cause, qui succombe partiellement, sera astreinte à un émolument réduit de CHF 1'000.-. Aucune indemnité de procédure ne sera mise à la charge de l’AIG ni de l’appelée en cause en faveur de la recourante, dans la mesure où le présent arrêt indemnise d’ores et déjà celle-ci pour les frais d’avocat qu’elle a encourus dans la procédure (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/476/2015 précité consid. 17).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 février 2018 par ISS Facility Services AG, représentée par sa succursale de Genève, contre la décision de l’Aéroport International de Genève du 6 février 2018 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

constate l’illicéité de la décision d’adjudication du 6 février 2018 ;

condamne l’Aéroport International de Genève à verser à ISS Facility Services AG, à titre de dommages-intérêts, une indemnité de CHF 33'000.- ;

met à la charge de Securitas SA, représentée par sa succursale de Genève, un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Patrick Malek-Asghar, avocat de la recourante, à l'Aéroport International de Genève, à Me Robert Hensler, avocat de l'appelée en cause, ainsi qu'à la commission de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Thélin, Mme Junod, M. Pagan, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :