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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1564/2015

ATA/1038/2016 du 13.12.2016 sur JTAPI/383/2016 ( LDTR ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; POUVOIR D'EXAMEN ; VENTE ; AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL) ; PESÉE DES INTÉRÊTS ; INTÉRÊT PUBLIC ; LOGEMENT ; MARCHÉ LOCATIF
Normes : LDTR.2 ; LDTR.39.al2 ; LDTR.39.al4 ; RDTR.11.al1 ; RDTR.13.al1 ; RDTR.13.al3
Parties : SCHWAPER SA ET RIGEL SA, RIGEL SA / DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE- OCLPF, ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES- ASLOCA
Résumé : Le département a maîtrisé les potentielles conséquences de la vente, en assortissant l'autorisation délivrée de conditions et a procédé à une juste pesée des intérêts en présence. Dès lors que le maintien dans le parc immobilier locatif était assuré, aucun motif ne justifiait une restriction à la liberté du propriétaire de disposer de ses biens, étant rappelé, conformément à la jurisprudence précitée, qu'une telle limitation ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l'exige le but d'intérêt public recherché.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1564/2015-LDTR ATA/1038/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 décembre 2016

 

dans la cause

 

SCHWAPER SA et RIGEL SA
représentées par la régie Zimmerman SA, mandataire

contre

ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES (ASLOCA)

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE- OCLPF

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 avril 2016 (JTAPI/383/2016)


EN FAIT

1) L'immeuble situé au 14, rue Marignac, parcelle n° 1'660, feuillet n° 69 de la commune de Genève-Plainpalais, est soumis au régime de la propriété par étage (ci-après : PPE) depuis le 16 décembre 1984.

2) L'immeuble comporte trente-et-un appartements. Les lots nos 3.04 et 3.05 sont la propriété de Schwaper SA (ci-après : Schwaper ou la société).

3) Schwaper les a acquis dans le cadre de la liquidation de la société immobilière SI Marignac-Parc en liquidation SA, en janvier 1999. Elle était cependant déjà antérieurement économiquement propriétaire de ceux-ci, à titre d'actionnaire-locataire.

4) Schwaper est une société anonyme sise 19, rue de Richemont, dont l'administrateur président est Monsieur Pierre ZIMMERMANN. Ce dernier l'a acquise de Monsieur Patrick SCHWARZ le 23 avril 2003.

5) Le 22 janvier 2010, Schwaper, représentée par Messieurs ZIMMERMANN et Dan MEYER, a requis l'autorisation de vendre le lot n° 3.04, soit un appartement de trois pièces, à Madame Maya BAICHI pour le prix de CHF 360'000.-. Celle-ci était locataire de l'appartement depuis le 1er août 2004. La vente était motivée par un besoin de liquidités de Schwaper et l'acheteuse désirait en faire sa résidence principale.

L'autorisation accordée par le département compétent ayant été contestée, la chambre administrative a, à l'issue de la procédure, rejeté le recours de Schwaper, ce que le Tribunal fédéral a confirmé (1C_497/2012). La recourante, qui possédait un lot de trois appartements locatifs au 14, rue Marignac, avait déjà obtenu du département l'autorisation de céder l'un d'entre eux, le 3.03, laquelle était entrée en force. Si l'autorisation requise était accordée, cela reviendrait à individualiser non seulement l'appartement concerné par l'autorisation attaquée, mais également le troisième appartement, ce qui augmenterait le risque que celui-ci soit lui aussi soustrait à une affectation locative, en contradiction d'une application stricte de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). De son côté, la recourante n'établissait pas la nécessité qu'elle avait de céder les parts de PPE liées à l'appartement. Elle avait certes invoqué un besoin d'assainissement - à tort, puisqu'un tel motif ne pouvait être invoqué qu'en cas de vente d'appartements en bloc (art. 39 al. 4 LDTR in fine) - qu'elle n'avait aucunement démontré précisément. Son intérêt n'allait donc pas au-delà d'un simple intérêt économique. Quant à l'acheteuse de l'appartement n° 3.04, si son intérêt était certain, il demeurait de pure convenance personnelle. Dans ces circonstances, l'intérêt public au maintien du statu quo était indéniable. C'était donc à juste titre que le TAPI avait admis le recours de l'Association genevoise des locataires (ci-après : ASLOCA) et annulé l'autorisation VA 10'911 délivrée par le département compétent (ATA/569/2012 du 24 août 2012).

6) Le 25 septembre 2014, Schwaper a requis, par l'intermédiaire de son mandataire, la régie Zimmermann SA (ci-après : la régie), l'autorisation de vendre les lots nos 3.04 et 3.05, soit deux appartements de trois pièces au premier étage, en faveur de Rigel SA (ci-après : Rigel) pour un prix de vente total de
CHF 433'000.-. Elle invoquait un besoin de liquidités pour un autre investissement.

7) Par arrêté du 13 mars 2015 (VA 12'391), le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (ci-après : DALE) a accordé l'autorisation d'aliéner lesdits appartements.

Ils faisaient l'objet de contrats de bail distincts et l'acquéreur, soit Rigel, s'engageait à reprendre les droits et obligations découlant de ceux-ci.

La prise en compte du principe de proportionnalité, auquel le département devait se référer dans la pesée d'intérêts à laquelle il devait procéder dans chaque cas d'espèce, conduisait à délivrer l'autorisation d'aliéner sollicitée dans la mesure où les seuls appartements détenus par la requérante dans l'immeuble étaient cédés en une seule opération et que l'acquéreur reprenait les droits et obligations découlant des contrats de bail en cours. Il était toutefois précisé que l'autorisation ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation individualisée de deux appartements en application de l'art. 39 al. 4 let. d LDTR. L'autorisation (VA 12'391) était ainsi délivrée sur la base de l'art. 39 al. 2 LDTR et de l'art. 13 al. 1 du règlement d'application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 29 avril 1996
(RDTR - L 5 20.01).

8) Cette autorisation a fait l'objet d'une publication dans la
Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 27 mars 2015.

9) Le 11 mai 2015, l'ASLOCA, sous la plume de son mandataire, a recouru contre cette autorisation auprès du Tribunal administratif de première instance
(ci-après : TAPI).

Le département avait fait preuve d'arbitraire et n'avait pas motivé les arguments l'ayant conduit à exclure l'intérêt public au maintien du parc locatif existant. Les intérêts privés des sociétés étaient de pure convenance et ne pouvaient en aucun cas être privilégiés.

10) Le 10 juin 2015, Schwaper et Rigel (ci-après : les sociétés) se sont opposées au recours.

Les restrictions de droit public à la propriété devaient être compatibles avec la garantie des droits individuels concrets du propriétaire. Dès lors qu'il n'existait aucun risque de démantèlement du parc locatif, c'était à bon droit que le DALE avait délivré à Schwaper l'autorisation d'aliéner ses biens immobiliers, ce d'autant plus que de son côté elle avait besoin de liquidités pour la construction d'un autre projet immobilier.

Par surabondance de moyens, Schwaper rappelait que l'immeuble avait été soumis dès sa construction à une forme analogue à la PPE, soit à une « SIAL PPE ». Le TAPI pouvait facilement le constater en consultant le Registre foncier. De plus, il avait été soumis au régime de la PPE en décembre 1984, soit avant le
30 mars 1985. Le 29 janvier 1999, la SI Marignac-Parc SA en liquidation avait cédé la pleine propriété des parts correspondant aux appartements à Schwaper, si bien que ces derniers avaient déjà fait l'objet une fois au moins d'une aliénation. Par conséquent, l'autorisation aurait également pu être délivrée sur la base de l'art. 39 al. 4 let a ou b LDTR.

11) Le 16 juin 2015, l'ASLOCA a dupliqué en relevant le caractère spéculatif de l'opération. Schwaper avait acquis les trois lots pour CHF 399'000.-. Les deux lots devaient être vendus au prix de CHF 433'000.-. Le premier avait été acquis par un particulier pour la somme de CHF 430'000.- en 2011.

12) Le 14 juillet 2015, le département a conclu au rejet du recours et persisté dans les termes de sa décision du 23 mars 2015.

13) a. Dans sa duplique du 30 juillet 2015, la société a indiqué s'être adressée sans succès au Registre foncier afin d'obtenir une copie des statuts de la
SI Marignac-Parc SA. Selon ce dernier, tous les documents en sa possession avaient été transmis aux archives de l'État, la société ayant été radiée plus de dix ans auparavant.

Les statuts de la SI Marignac-Parc SA faisaient mention de l'achat en copropriété avec la SI Crosnier-Parc, d'un immeuble formant la parcelle no 1'661, alors que le bâtiment objet de la présente procédure se situait sur la parcelle no 1'660. De plus, deux immeubles y figuraient alors que seul un bâtiment était érigé sur la parcelle no 1'660. Par conséquent, l'immeuble mentionné dans les statuts n'était pas celui dont la société était propriétaire.

La date de construction de l'immeuble n'avait pas pu être retrouvée.

Pour ces motifs, le TAPI devait ouvrir les enquêtes, entendre
Monsieur William INGOGLIA, administrateur de la SI Marignac-Parc SA avant sa liquidation et solliciter l'entraide administrative.

Le TAPI pouvait cependant également confirmer l'autorisation pour d'autres raisons. En effet, dès lors que la société vendait en bloc les appartements dont elle était propriétaire, cette aliénation ne pouvait lui être refusée. De plus, ces derniers avaient déjà fait l'objet d'une vente par le passé, dès lors que
la SI Marignac-Parc SA en liquidation avait cédé la pleine propriété des parts correspondant aux appartements.

b. Les statuts de la SI Marignac-Parc SA étaient annexés à cette écriture.

14) Les parties ont encore brièvement répliqué et persisté dans leurs conclusions.

15) Par jugement du 14 avril 2016, le TAPI a admis le recours et annulé l'autorisation de vente litigieuse.

La société n'avait pas démontré la réalisation d'un des cas de figure envisagés par l'art. 39 al. 4 LDTR. Le TAPI refusait de mettre en oeuvre l'entraide administrative sollicitée afin d'éviter de prolonger la procédure et jugeait non pertinents les actes d'instruction demandés.

La vente équivalait en réalité à une cession sans bénéfice entre deux sociétés, avec vraisemblablement les mêmes actionnaires ou ayants-droits économiques. Une autre forme de financement de Schwaper paraissait possible et la viabilité à long terme de l'acquisition par Rigel n'était pas démontrée.

Il existait un risque de voir sortir les appartements du marché locatif. Les deux appartements se trouvant sur le même étage, il était possible de les réunir en un seul appartement, opération qui était contraire à la LDTR. L'intérêt privé de la société n'était ainsi pas prépondérant face à l'intérêt public

16) Par acte du 17 mai 2016, les sociétés ont interjeté recours contre la décision précitée auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) et ont conclu préalablement à ce que l'entraide administrative du registre foncier soit requise, à l'ouverture des enquêtes par témoins et à l'audition de M. INGOGLIA. Principalement, elles ont conclu à l'annulation du jugement précité, à l'exception des points 1, 6 et 7 du dispositif, puis au rejet du recours formé le 11 mai 2015 par l'ASLOCA et par conséquent à la confirmation de l'autorisation de vente VA 12'391 octroyée par le DALE par arrêté du 23 mars 2015. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée au TAPI afin qu'il prenne une nouvelle décision dans le sens des considérants de l'arrêt de la chambre administrative. Les conclusions étaient prises « sous suite de frais et dépens ».

a. En refusant les actes d'enquêtes demandés, le TAPI avait violé leur droit d'être entendues. Ces demandes étaient pertinentes et impératives pour la résolution du litige. Elles avaient tout mis en oeuvre afin de démontrer que l'immeuble était, dès sa construction, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue (soit une SIAL) et déterminer la date de construction de l'immeuble, allant même jusqu'à se rendre aux archives de l'État et requérir l'aide d'un notaire, mais leurs démarches étaient restées sans succès. De plus, la propriété de l'immeuble concerné par la SI Marignac-Parc SA n'était pas claire à teneur des pièces produites et trouvées aux archives de l'État.

L'audition de M. INGOGLIA aurait permis de déterminer clairement et définitivement la date de construction de l'immeuble, son statut
(SI ou SIAL) et qui était alors la réelle société propriétaire de l'immeuble.

Enfin, le TAPI avait définitivement versé dans l'arbitraire, en concluant que l'immeuble était une SI, au seul motif que les sociétés n'avaient pas réussi à déterminer la date de sa construction. Aucun fait probant ne permettait d'aboutir à cette conclusion.

b. Schwaper vendait à Rigel tous les appartements dont elle était propriétaire dans l'immeuble. Si la LDTR pouvait empêcher un propriétaire de vendre séparément l'un ou quelques-uns de ses appartements, elle ne pouvait lui refuser l'aliénation de l'ensemble des biens qu'il avait dans celui-ci, au risque de violer la garantie de propriété. En annulant l'autorisation, le TAPI la contraignait à rester indéfiniment propriétaire.

Pour ces mêmes raisons, la question des besoins d'assainissement de Schwaper ne se posait pas.

Conformément à l'analyse faite par le département, l'aliénation n'était pas contraire à l'intérêt public, si bien que la décision du TAPI violait le principe de la proportionnalité.

Il était particulièrement choquant qu'une juridiction procède à des procès d'intention ou à des supputations, en invoquant le risque que les deux appartements soient par la suite réunis ou en considérant que les actionnaires ou les ayant-droits économiques des deux sociétés étaient vraisemblablement les mêmes. Il aurait suffi de requérir ces informations auprès d'elles, afin de ne pas tomber dans l'arbitraire.

c. Enfin, l'immeuble avait été soumis à une forme analogue à la PPE dès sa construction, soit à une SIAL. Par conséquent, si le dossier n'était pas renvoyé au TAPI en raison de la violation du droit d'être entendu, la juridiction saisie devait procéder aux mesures d'instructions requises permettant de démontrer que l'autorisation délivrée était également justifiée sur la base de l'art. 39 al. 4
let. a LDTR.

17) Le 23 mai 2016, la TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observation.

18) Le 17 juin 2016, le DALE a conclu à l'admission du recours et a adhéré aux arguments et conclusions des sociétés. Il se référait à ses observations devant le TAPI.

19) Dans sa réponse du 20 juin 2016, l'ASLOCA a conclu au rejet du recours.

Les actes d'instruction requis n'étaient pas aptes à établir des faits pertinents à l'appréciation du litige.

L'immeuble avait été construit entre 1961 et 1970 et les statuts de
la SI Marignac-Parc SA démontraient qu'elle n'était pas constituée en SIAL en 1962. Dès lors que les sociétés ne prétendaient plus que les appartements étaient soumis au 30 mars 1985 au régime de la PPE ou à une autre forme de propriété analogue et qu'ils avaient déjà été cédés de manière individualisée, aucun des motifs d'autorisation de l'art. 39 al. 4 LDTR n'était réalisé.

Aucun intérêt privé des sociétés ne pouvait primer l'intérêt public au maintien du parc locatif. Schwaper n'avait pas démontré la véracité de son besoin de liquidités et le seul motif invoqué par Rigel était son souhait de réaliser un investissement, intérêt privé qui, en soi, ne revêtait pas le moindre poids au regard de l'intérêt public poursuivi par la LDTR.

20) a. Le 20 juin 2016, les sociétés ont brièvement répliqué.

L'immeuble avait été constitué en SIAL dès sa construction, comme le démontreraient les actes d'enquête sollicités.

Les besoins de liquidités étaient réels. Celles-ci devaient servir à poursuivre les travaux de rénovation commencés dans l'immeuble sis à la rue Jean-Jaquet 15 à Genève. Ceux-ci ne constituaient en tous les cas pas une condition à l'octroi de l'autorisation.

C'était afin de contredire les supputations arbitraires du TAPI, selon lesquelles les actionnaires ou les ayants-droit économiques des deux sociétés étaient identiques, qu'elles avaient mentionné les noms de leurs actionnaires respectifs. Dans ce même but, les sociétés versaient au dossier l'acte constitutif de Rigel démontrant que Monsieur Anton SUSSLAND était bien le seul actionnaire et ayant-droit économique de celle-ci. Madame Christine ZIMMERMANN était actionnaire et unique ayant-droit économique de Schwaper.

La loi, tout en visant à préserver le parc locatif du canton, ménageait précisément quelques espaces dans lesquels la liberté de la propriété et la liberté économique pouvaient s'exprimer, ce qui était le cas lorsqu'un propriétaire souhaitait vendre l'ensemble des lots dont il était propriétaire dans un immeuble constitué en PPE. L'autorisation devait être délivrée dans la mesure où Schwaper vendait à Rigel l'ensemble des lots dont elle était propriétaire dans cet immeuble. Le TAPI avait également violé leur droit d'être entendues en ne discutant pas ce grief.

Enfin, la vente autorisée ne mettait pas en péril le maintien de l'affectation locative des appartements loués, étant notamment rappelé que celle-ci était faite d'une société anonyme à une autre et que Rigel n'avait aucune intention de se séparer des locataires en place, celle-ci s'étant engagée à reprendre les baux en cours et à les maintenir.

b. Était joint à la réplique l'acte constitutif de Rigel, attestant de sa création devant notaire le 22 avril 2013, par M. SUSSLAND. Les administrateurs nommés de la société étaient M. SUSSLAND, M. ZIMMERMANN et un tiers.

21) Le 1er juillet 2016, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ -
E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b ; art. 61 al. 1 LPA). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

3) Le litige porte sur la conformité au droit de l'arrêté rendu par le département le 23 mars 2015 (VA 12'391) autorisant l'aliénation de deux appartements de trois pièces nos 3.04 et 3.05 se trouvant au premier étage de l'immeuble
sis 14, rue Marignac, à Genève. Dès lors que l'autorisation a été délivrée sur la base des art. 39 al. 2 LDTR et 13 al. 1 RDTR, il convient de déterminer le
bien-fondé de cette décision avant d'entrer en matière sur la réalisation des conditions prévues à l'art. 39 al. 4 LDTR.

4) a. L'aliénation, sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions, de parts sociales), d'un appartement à usage d'habitation jusqu'alors offert en location est soumise à autorisation dans la mesure où l'appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR).

Les catégories de logements où sévit la pénurie sont déterminées chaque année par arrêté du Conseil d'État en fonction du nombre de pièces par appartement (art. 11 al. 1 RDTR).

Le Conseil d'État a constaté, en 2015 et 2016, qu'il y avait pénurie, au sens de l'art. 25 et 39 LDTR, dans toutes les catégories des appartements d'une à sept pièces inclusivement (arrêtés du Conseil d'État déterminant les catégories de logement où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 LDTR
du 15 janvier 2015 et du 13 janvier 2016 - ArAppart - L 5 20.03).

b. En l'espèce, les appartements - situés dans un immeuble d'habitation en deuxième zone de construction et donc assujettis à la LDTR (art. 2 LDTR) - sont offerts à la location et comportent trois pièces Ils entrent en raison de leur type dans la catégorie de logements où sévit la pénurie, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté. Ils sont à ce titre soumis à autorisation d'aliéner en vertu de cette loi et la chambre de céans est compétente ratione materiae pour contrôler la conformité à la loi des opérations d'aliénation en question.

5) a. Le DALE refuse l'autorisation lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose. L'intérêt public et l'intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l'affectation locative des appartements loués (art. 39 al. 2 LDTR).

Dans le cadre de l'examen de la requête en autorisation, le DALE procède à la pesée des intérêts publics et privés en présence (art. 13 al. 1 RDTR). L'intérêt privé est présumé l'emporter sur l'intérêt public lorsque le propriétaire doit vendre l'appartement par nécessité de liquider un régime matrimonial ou une succession (let. a), par nécessité de satisfaire aux exigences d'un plan de désendettement
(let. b) ou du fait de la prise d'un nouveau domicile en dehors du canton
(let. c ; art. 13 al. 3 RDTR). Ces cas constituent des exemples, de sorte que d'autres circonstances peuvent justifier que l'intérêt privé l'emporte sur l'intérêt public au maintien de l'affectation locative de l'appartement (
ATA/999/2014 du 16 décembre 2014 ; Emmanuelle GAIDE et Valérie DEFAGO GAUDIN, La LDTR : démolition, transformation, changement d'affectation et aliénation. Immeubles de logement et appartements, 2014, p. 436 n. 4.7.5)

b. Selon l'art. 39 al. 4 LDTR, le département autorise l'aliénation d'un appartement si celui-ci a été, dès sa construction, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue (let. a) ; s'il était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu'il avait déjà été cédé de manière individualisée (let. b) ; s'il n'a jamais été loué (let. c) ; ou s'il a fait une fois au moins l'objet d'une autorisation d'aliéner en vertu de la LDTR (let. d). L'autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d'assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d'habitation ayant été mis en PPE et jusqu'alors offerts en location, avec pour condition que l'acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l'obtention d'une autorisation individualisée. L'hypothèse visée à la lettre a n'exige pas l'individualisation de l'appartement, mais sa soumission au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue dès sa construction (ATA/799/2013 du 10 décembre 2013).

c. En cas de réalisation de l'une des hypothèses de l'art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner (ATA/215/2013 du
9 avril 2013 ; ATA/784/2012 du 20 novembre 2012 et les références citées), ce qui résulte d'une interprétation tant littérale (le texte indique que l'autorité « accorde » l'autorisation, sans réserver d'exception) qu'historique (l'art. 9
al. 3 aLDTR, dont le contenu est repris matériellement à l'art. 39 al. 4 LDTR, prévoyait expressément que l'autorité ne pouvait refuser l'autorisation) du texte légal. Il n'y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR. Les conditions posées à l'art. 39 al. 4 LDTR sont par ailleurs alternatives, ce qui résulte notamment de l'incompatibilité entre les let. a et b de cette disposition (ATA/701/2016 du 23 août 2016 ; ATA/80/2014 précité consid. 8 ; ATA/215/2013 du 9 avril 2013 consid. 7).

d. À l'inverse, au vu de la marge d'appréciation dont elle dispose, et lorsqu'aucun des motifs d'autorisation expressément prévus par
l'art. 39 al. 4 LDTR n'est réalisé, l'autorité doit rechercher si l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt privé du recourant à aliéner l'appartement dont il est propriétaire (arrêts du Tribunal fédéral 1C_137/2011, 1C_139/2011, 1C_141/2011 et 1C_143/2011 du 14 juillet 2011).

6) a. La politique prévue par la LDTR procède d'un intérêt public important (arrêt du Tribunal fédéral 1C_143/2011 du 14 juillet 2011). Le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose n'est pas contraire au principe de la proportionnalité, dès lors qu'il est consécutif, de la part de l'autorité administrative, à une pesée des intérêts en présence et à une évaluation de l'importance du motif de refus envisagé au regard des intérêts privés en jeu. En effet, la restriction à la liberté individuelle ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l'exige le but d'intérêt public recherché (ATF 113 Ia 126 ss
consid. 7b/aa p. 137 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.19/2003 du 8 avril 2003
consid. 2.1 ; ATA/355/2009 du 28 juillet 2009).

b. Les intérêts qui s'opposent en l'espèce sont, d'une part, les intérêts privés des sociétés à la vente et l'achat de l'appartement et, d'autre part, l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois.

7) Le département a procédé à une pesée des intérêts admissible. Celle effectuée par le TAPI n'apparaît pas suffisante pour la renverser. En effet, le département a délivré l'autorisation sur la base de l'art. 39 al. 2 LDTR en tenant compte des intérêts en présence et du principe de proportionnalité. L'engagement de l'acquéreur de maintenir et respecter les contrats de bail existants devrait pallier le risque de voir l'appartement soustrait au parc locatif. La chambre de céans partage cette analyse, ce d'autant plus que le prix de la transaction apparaît raisonnable et ne devrait pas pouvoir justifier une augmentation du prix des loyers. L'intérêt public au maintien des logements destinés à la location n'est ainsi pas menacé par la vente des deux lots en PPE.

Le département s'est également assuré que cette aliénation ne puisse être utilisée dans le futur pour détourner le but de la LDTR. Il a en effet assorti l'autorisation d'une condition, soit qu'elle « ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation individualisée de deux appartements en application de l'art. 39 al. 4 let. d LDTR », lequel prévoit que la vente d'un appartement qui a déjà fait l'objet une fois au moins d'une autorisation d'aliéner en vertu de la LDTR doit être autorisée.

Le département a maîtrisé les potentielles conséquences de cette vente, en assortissant l'autorisation délivrée de conditions et a procédé à une juste pesée des intérêts en présence. Dès lors que le maintien dans le parc immobilier locatif était assuré, aucun motif ne justifiait une restriction à la liberté du propriétaire de disposer de ses biens, étant rappelé, conformément à la jurisprudence précitée, qu'une telle limitation ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l'exige le but d'intérêt public recherché.

La décision du département est ainsi conforme au droit.

8) Le grief relatif à la violation du droit d'être entendu pourra souffrir de rester ouvert. En effet, le but des mesures d'instruction sollicitées était de déterminer si les conditions de l'art. 39 al. 4 LDTR étaient réalisées. Or, les recourantes ne concluent qu'à titre subsidiaire à ce que l'autorisation leur soit délivrée en vertu de cette disposition, mais principalement à la confirmation de l'arrêté du
23 mars 2015.

9) Ce qui précède conduit à l'admission du recours.

Partant, le jugement du TAPI qui annule l'arrêté du DALE du 23 mars 2015 n'est pas conforme au droit. Il sera annulé et l'arrêté rétabli.

10) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de l'ASLOCA, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée aux recourantes, prises conjointement et solidairement, à la charge de l'ASLOCA, dès lors qu'elles y ont conclu et qu'elles ont eu recours aux services d'un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 mai 2016 par Schwaper SA et Rigel SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 avril 2016 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance 14 avril 2016 ;

rétablit l'arrêté pris par le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie le 23 mars 2015 ;

met à la charge de l'association genevoise des locataires un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à Schwaper SA et Rigel SA, prises conjointement et solidairement, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'ASLOCA ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à la régie Zimmermann SA, mandataire de Schwaper SA et Rigel SA, à l'Association genevoise des locataires, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot
Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :