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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1082/2019

ACST/25/2019 du 07.08.2019 ( INIT )

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1082/2019-INIT ACST/25/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 7 août 2019

dans la cause

 

ENSEMBLE à GAUCHE

et

Monsieur A______

et

Monsieur B______

et

Monsieur C______
représentés par Me François Membrez, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



 


Attendu, en fait, que :

1) Par arrêté du 13 février 2019 publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 15 février 2019, le Conseil d'État a déclaré nulle l'initiative 171 (ci-après : IN 171) visant la Banque cantonale de Genève (ci-après BCGE) et intitulée « La BCGE doit rembourser les 3,2 milliards prêtés par l'État ».

Ladite initiative, qui demandait notamment l'introduction dans la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) d'un art. 189 al. 3 nouveau selon lequel « La banque rembourse le coût intégral en capital, intérêts et frais supportés par l'État de Genève pour son sauvetage en 2000 et pendant la période consécutive », était contraire au principe constitutionnel de clarté et, partant, à la liberté de vote garantie par l'art. 34 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Les trois alinéas non touchés directement par ce constat ne pouvant pas subsister indépendamment du reste de l'initiative, celle-ci devait être entièrement invalidée.

Il ressort de l'arrêté précité que la BCGE avait été interpellée pendant la procédure par le Conseil d'État et qu'elle avait pu se déterminer au sujet de la validité de l'IN 171.

2) Par acte du 18 mars 2018 (recte : 2019), l'association Ensemble à Gauche ainsi que trois membres du comité d'initiative, soit Messieurs A______, B______ et C______, ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre l'arrêté précité, concluant à son annulation, à ce qu'il soit dit que l'IN 171 était valide et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

3) Par acte du 18 mars 2019, Messieurs D______, E______ et F______ ont déposé une « demande d'intervention » (sic), concluant à leur appel en cause dans la procédure pendante devant la chambre constitutionnelle, ainsi que, au fond, au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêté attaqué.

Étant tous trois de nationalité suisse, âgés de plus de 18 ans et domiciliés dans le canton de Genève, ils avaient la qualité pour recourir en matière de droits politiques, et pouvaient dès lors être appelés en cause dans la procédure.

De plus, en tant qu'actionnaires et employés de la BCGE, ils étaient particulièrement touchés par l'IN 171 et subiraient une atteinte à leurs droits de propriété ainsi qu'un dommage du fait de sa mise en oeuvre.

Pour le surplus, ils abordaient, tant au sujet des faits que du droit, le fond de l'affaire.

4) Le 3 avril 2019, les recourants ont conclu au rejet de la demande d'appel en cause.

L'avocat de MM. D______, E______ et F______ - qui étaient des directeurs de la BCGE à teneur du registre du commerce (ci-après : RC) - était aussi celui de la BCGE elle-même, sans qu'il se considère dans une situation de conflit d'intérêts. En réalité, les demandeurs agissaient au nom et pour le compte de la BCGE, et n'étaient que des prête-noms dans la mesure où la BCGE n'avait pas elle-même qualité pour intervenir dans une procédure en matière de droits politiques. La demande était dès lors constitutive d'un abus de droit.

5) Le 5 avril 2019, le Conseil d'État s'en est rapporté à justice sur la requête d'appel en cause.

6) Le 11 juin 2019, MM. D______, E______ et F______ ont persisté dans leurs conclusions.

Leur demande n'était pas constitutive d'un abus de droit, dès lors notamment qu'en matière de droits politiques, tout citoyen appelé à prendre part à la votation avait la qualité pour recourir.

7) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la requête d'appel en cause.

 

Considérant, en droit, que :

1) Les demandeurs ont intitulé leur écriture « demande d'intervention ». Cet outil procédural, qui est prévu notamment en procédure civile suisse aux art. 73 ss du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), n'existe pas en procédure administrative genevoise ; leur demande sera donc examinée - ainsi du reste qu'ils y concluent - comme requête d'appel en cause au sens de l'art. 71 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

2) a. L'autorité peut ordonner, d'office ou sur requête, l'appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d'être affectée par l'issue de la procédure. La décision leur devient dans ce cas opposable (art. 71 al. 1 LPA). L'appelé en cause peut exercer les droits qui sont conférés aux parties (art. 71 al. 2 LPA).

b. Selon la jurisprudence cantonale, cette disposition doit être interprétée à la lumière de celles relatives à la qualité pour recourir en procédure contentieuse. L'institution de l'appel en cause ne doit ainsi pas permettre à des tiers d'obtenir des droits plus étendus que ceux donnés aux personnes auxquelles la qualité pour agir est reconnue (ATA/664/2012 du 2 octobre 2012 consid. 3a ; ATA/281/2012 du 8 mai 2012 consid. 7). Elle a pour but, notamment, de sauvegarder le droit d'être entendu des personnes n'étant pas initialement parties à la procédure (ATA/822/2015 du 11 août 2015 consid. 2b).

c. Ce dernier but est reconnu par la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 1C_505/2008 du 17 février 2009 consid. 4.2) ; ainsi - et conformément du reste à ce que prévoit expressément l'art. 71 al. 1 LPA -, il peut aussi s'agir d'étendre au tiers l'autorité de chose jugée, afin que le jugement lui soit opposable par la suite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_373/2016 du 17 novembre 2016 consid. 2.1).

d. Par ailleurs, selon la jurisprudence fédérale, il n'existe pas de droit à être appelé en cause (ATF 131 V 133 c. 13).

3) a. Selon l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais aussi toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

b. La jurisprudence a précisé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/253/2013 du 23 avril 2013 consid. 2b ; ATA/193/2013 du 26 mars 2013 ; ATA/343/2012 du 5 juin 2012 ; ATA/98/2012 du 21 février 2012 et les références citées). L'exemple le plus évident concerne la partie à la procédure qui a obtenu le plein de ses conclusions au stade antérieur de la procédure, et n'est dès lors pas lésée par la décision ou le jugement de première instance (ATA/68/2012 du 31 janvier 2012 consid. 2).

c. L'intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (MGC 1984 I 1604 ss ; MGC 1985 III 4373 ss ; ATA/1059/2015 du 6 octobre 2015 consid. 3a ; ATA/77/2009 du 17 février 2009 ; ATA/208/2005 du 12 avril 2005).

L'intérêt digne de protection consiste en principe en l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 133 II 249 consid. 1.3.1 ; 131 II 649 consid. 3.1). L'existence d'un intérêt digne de protection présuppose que la situation de fait ou de droit du recourant puisse être influencée par l'annulation ou la modification de la décision attaquée, ce qu'il lui appartient d'établir (ATF 120 Ib 431 consid. 1).

d. La qualité pour recourir est par ailleurs reconnue, dans les recours pour violation des droits politiques, à toute personne physique ayant le droit de vote dans l'affaire en cause, aux partis politiques - pour autant qu'ils soient constitués en personnes morales, exercent leurs activités dans la collectivité publique concernée par la votation populaire en cause et recrutent leurs membres principalement en fonction de leur qualité d'électeurs -, ainsi qu'aux organisations à caractère politique formées en vue d'une action précise comme le lancement d'une initiative ou d'un référendum, indépendamment du point de savoir s'ils ont un intérêt personnel à l'annulation ou la modification de l'acte attaqué (ACST/14/2019 du 25 mars 2019 consid. 2d ; ACST/7/2019 du 11 mars 2019 consid. 2c ; ACST/8/2016 du 3 juin 2016 consid. 3a ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 735).

4) En l'espèce, contrairement à ce qu'ils allèguent, les requérants ne possèdent pas la qualité pour recourir contre l'acte attaqué. Certes, celle-ci est, comme exposé ci-dessus, ouverte à toute personne physique ayant le droit de vote dans l'affaire en cause, ce qui est le cas ici des trois requérants. L'absence, en matière de droits politiques, de l'exigence d'un intérêt personnel à recourir doit être comprise comme l'expression d'une présomption que les citoyens et les entités assimilées sont réputés, ès qualités, être titulaires d'un intérêt à contester des actes affectant les droits politiques, mais non comme l'admission qu'ils peuvent recourir, respectivement « intervenir » ou exiger d'être appelés en cause, pour défendre des actes qu'ils approuvent. Or, en l'espèce, la décision attaquée correspond entièrement aux conclusions des requérants. À cet égard, le fait que la motivation de l'arrêté attaqué ne satisfasse pas les requérants ne leur est d'aucun secours, pas plus que leur position au service de la BCGE : quoi qu'il en soit, ils n'auraient pas pu interjeter recours contre l'arrêté attaqué puisque le résultat de celui-ci va intégralement dans leur sens.

L'absence de jurisprudence en matière d'appel en cause dans le domaine des droits politiques, qu'ils soulignent, est du reste probablement due à la large définition de la qualité pour recourir en la matière, qui fait que toutes les personnes qui souhaitent contester une décision peuvent le faire en interjetant recours. Encore faut-il, une fois encore, que le ou les intéressés aient un intérêt à contester ladite décision. On notera du reste que les arrêts cités par les requérants concernent des procédures dans lesquelles cet aspect ne pose pas problème, la décision attaquée n'allant précisément pas dans le sens souhaité par le ou les recourants.

Admettre l'appel en cause des requérants ne trouverait par ailleurs pas de justification dans les buts classiques de l'institution de l'appel en cause, tels que rappelés plus haut ; en tant que citoyens appelés à voter, l'arrêt de la chambre de céans leur sera de toute façon « opposable » (et, s'il leur était défavorable, ils regagneraient l'intérêt à recourir à son encontre, sans préjudice des autres conditions de recevabilité des recours au Tribunal fédéral), et l'on ne saurait admettre qu'il y ait lieu de sauvegarder leur droit d'être entendu du fait qu'ils n'aient pas participé à l'instance précédente. L'admission de la requête aurait par contre pour effet, d'une part de permettre à des tiers d'obtenir des droits plus étendus que ceux donnés aux personnes auxquelles la qualité pour agir est reconnue, ce qui est on l'a vu prohibé par la jurisprudence, et d'autre part de conférer aux requérants un statut d'« amicus curiae », institution qui est connue de certains tribunaux internationaux (en particulier la Cour européenne des droits de l'Homme - ci-après : CourEDH -, sur la base de l'art. 36 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101, tel qu'interprété par la jurisprudence ; voir le document « Les organisations non gouvernementales dans la jurisprudence de la CourEDH », accessible à l'adresse https://www.echr.coe.int/Documents/Research_report_NGOs_FRA.PDF, p. 19 ss), mais non de la procédure administrative genevoise.

Il s'ensuit que la demande d'appel en cause sera rejetée, les écritures des requérants sur le fond de l'affaire seront écartées du dossier. La question d'une éventuelle fraude à la loi, telle que plaidée par les recourants, n'a dès lors pas à être examinée.

5) Vu l'issue de la requête, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge solidaire des requérants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée sur appel en cause (art. 87 al. 2 LPA). Le sort des frais de la cause sera pour le surplus réservé jusqu'à l'issue de celle-ci.

 

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse l'appel en cause de Messieurs D______, E______ et F______ ;

met à la charge solidaire de Messieurs D______, E______ et F______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure sur appel en cause, et réserve pour le surplus le sort des frais de la cause jusqu'à l'issue de celle-ci ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt, en copie, à Me Rashid Bahar, avocat des requérants, à Me François Membrez, avocat des recourants, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Galeazzi et Payot Zen-Ruffinen, M. Martin, Mme Tapponnier, juges

Au nom de la chambre constitutionnelle :

 

la greffière :

 

Christine Ravier

 

le président siégeant :

 

Jean-Marc Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiqué aux parties.

 

Genève, le la greffière :