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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11844/2017

ACPR/363/2020 du 02.06.2020 sur ONMMP/4487/2019 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ABUS DE CONFIANCE;GESTION DÉLOYALE;GÉRANT DE FORTUNE;BANQUE;COMPLICITÉ;BLANCHIMENT D'ARGENT;RESPONSABILITÉ DE L'ENTREPRISE
Normes : CP.26; CP.138; CP.158; CP.305bis; CP.102

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11844/2017ACPR/363/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 2 juin 2020

Entre

 

A_____ LTD, p.a. c/o B_____SA, _____ Luxembourg, comparant par Me Kami HAERI, avocat, étude QUINN EMANUEL URQUHART & SULLIVAN, LLP, 6 rue Lamennais, 75008 Paris, France,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 19 décembre 2019 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           a. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 30 décembre 2019, A_____ LTD recourt contre l'ordonnance du 19 précédent, notifiée le lendemain, aux termes de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les faits décrits dans sa plainte pénale complémentaire du 18 décembre 2019.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, à l'annulation de cette décision, la cause devant être renvoyée au Procureur pour qu'il instruise lesdits faits.

b. La société a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. A_____ LTD, société de droit des îles Vierges britanniques créée en 2005, a été détenue, successivement, par C_____LTD, entité singapourienne, puis par le politicien et homme d'affaires _____ D_____ (dès le 3 mai 2013).

a.b. Le 10 mars 2005, A_____ LTD a ouvert un compte de dépôt de titres n° 1_____ auprès de E_____ SA (ci-après également la banque), subdivisé en plusieurs sous-relations.

Entre 2005 et 2013, F_____ LTD était signataire autorisé sur ce compte; la correspondance bancaire devait être envoyée à C_____LTD. Par la suite, le droit de signature a été conféré à D_____ et la documentation idoine, adressée à ce dernier.

a.c. À Genève, les chargés de relation de A_____ LTD ont été, du printemps 2005 à l'été 2006, G_____, puis H_____ (jusqu'en 2015).

b.a. Le 9 mars 2016, A_____ LTD a déposé une plainte pénale contre le dernier nommé, des chefs de gestion déloyale (art. 158 CP), abus de confiance (art. 138 CP) et escroquerie (art. 146 CP).

En substance, elle a exposé avoir été, depuis sa création, (in)directement détenue par D_____, ayant droit économique des valeurs déposées sur son compte auprès de E_____ SA.

En avril 2005, elle avait confié au gérant externe I_____, "homme de confiance" de D_____, des pouvoirs limités - essentiellement d'ordre administratif - sur deux de ses sous-comptes [relations dont les trois derniers chiffres étaient 2_____ et 3_____; ci-après uniquement cités au moyen de ces numéros]. La procuration signée à cet effet - tant par I_____ que par la banque - excluait expressément le pouvoir de transférer des fonds et/ou titres. Ce nonobstant, I_____ avait effectué - à son insu et sans disposer de l'accord d'une personne autorisée -, tant sur les deux sous-comptes précités que sur d'autres sous-relations, un peu plus de sept cents transactions (achats et ventes de titres) entre fin août 2005 et novembre 2008, opérations qui avaient totalisé USD 1,2 milliard. Ces titres avaient été acquis/vendus via un intermédiaire, la société tessinoise J_____ SA, devenue ensuite K_____ SA (ci-après uniquement désignée sous cette dernière appellation), sur la base de prix convenus d'avance (DVP [delivery versus payment]/RVP [receive versus payment]). Ce modus operandi lui avait causé un dommage conséquent. En effet, nombre d'actions avaient été achetées à un prix supérieur, respectivement vendues à un prix inférieur, à leur valeur boursière; de surcroît, quantité d'opérations n'avaient été ordonnées que pour justifier le paiement de commissions (barattage ou "churning"). Elle avait appris récemment ces agissements.

H_____ "éta[n]t en charge" de son compte - sur lequel il ne disposait ni d'une procuration ni d'un droit de signature -, il "n'était pas insensé de conclure [qu'il] avait couvert" I_____. En validant des transactions qu'il savait ne pas être autorisées et préjudiciables à ses intérêts, respectivement en lui dissimulant l'existence d'opérations DVP/RVP, le prénommé avait commis l'une et/ou l'autre des trois infractions préalablement citées.

b.b. Á l'appui de sa plainte, A_____ LTD a produit diverses pièces, parmi lesquelles : une copie de la procuration sus-évoquée, dont la teneur correspond à celle décrite dans la dénonciation; les relevés bancaires des sous-comptes concernés par les transactions - documents qui listent, entre autres mouvements, les achats/ventes litigieux (sans toutefois préciser qu'ils ont été effectués via K_____ SA sur une base DVP/RVP) -; divers tableaux récapitulant les opérations dénoncées - i.e. six cent quarante environ sur la sous-relation 3_____ et septante-cinq sur quatre autres sous-comptes (4_____, 5_____, 6_____ et 7_____) -.

c. Divers actes d'instruction ont été diligentés dans le cadre de la procédure ouverte à cette suite (référencée sous cote P/8_____/2015, puis P/11844/2017).

c.a. Entendue en qualité de témoin, G_____ a déclaré que D_____ gérait personnellement certains de ses avoirs déposés auprès de E_____ SA ("mandat «advisory»"). Elle avait rencontré ce dernier à plusieurs reprises ainsi que I_____; celui-ci semblait avoir une forte influence sur celui-là. "[U]ne partie du portefeuille sous mandat «advisory»" était gérée par I_____ auprès de K_____ SA. Ce dernier avait "mis sur un pied un système compliqué de" DVP/RVP. "Pour [elle], il [était] clair que" D_____ connaissait tant l'existence de ce système que la quantité des transactions effectuées via K_____ SA; elle ne pouvait toutefois pas exclure que D_____ ait pu être trompé par I_____. Elle n'avait pas particulièrement surveillé la manière dont la gestion s'effectuait, le client ayant acquiescé au système DVP. Elle n'avait jamais remarqué "d'opérations «farfelues» ou d[e] churning" (pièces 500'842 et ss de la P/9_____/2015).

c.b. Auditionné en qualité de prévenu, H_____ a contesté toute implication dans les faits dénoncés. Les achats/ventes litigieux avaient tous été effectués, soit par D_____, soit par I_____ en accord avec ce dernier. Son assistante se contentait de "rentrer les données dans le système" de la banque. Pour chaque transaction, E_____ SA recevait un "fax de couverture" de I_____; un document de K_____ SA était joint à ce fax. Ni E_____ SA ni lui-même n'avaient bénéficié de commissions sur ces transactions; les "fees" étaient perçues par la société tessinoise, laquelle ne lui avait jamais rien (re)versé (pièces 500'184 et ss, 500128 et ss ainsi que 500'844 et ss de la P/9_____/2015).

c.c. D_____ a, quant à lui, déclaré que I_____ "avait reçu un mandat de sa part pour effectuer des transactions sur le compte advisor", à concurrence de "quelques dizaines de millions par année"; jamais il n'avait été informé, ni n'aurait accepté, que les opérations totalisent USD 1.2 milliard. Pour lui, toutes les transactions effectuées étaient illicites, la procuration conférée à I_____ ne l'autorisant nullement à les ordonner (pièces 500'844 et ss).

c.d. I_____ n'a, à ce jour, pas été auditionné.

c.e. D'après les informations fournies par le "liquidateur FINMA" de K_____ SA au Ministère public, I_____ avait été un partenaire externe de cette société. L'"associé" du prénommé, L_____, était salarié de la banque. Celle-ci avait versé à I_____ des commissions pour les opérations qu'il lui avait permis de réaliser avec le concours de L_____. Lui-même avait appris que, dans le cadre de la procédure pénale n° 10_____ actuellement pendante au Tessin contre K_____ SA et ses dirigeants, "un dossier" avait été ouvert contre I_____ (pièce 205'902 de la P/9_____/2015).

c.f. L'on ignore, à teneur des correspondances échangées entre les Ministères publics genevois et tessinois - pour obtenir la documentation de K_____ SA relative aux transactions litigieuses - si la cause n° 10_____ a effectivement été étendue à I_____, le cas échéant pour quels actes et infractions (cf. en particulier les pièces 206'200-206'201 de la P/9_____/2015).

Il résulte d'un tableau récapitulatif établi par les autorités pénales tessinoises, que K_____ SA et A_____ LTD ont effectué, entre août 2005 et novembre 2008, six cent quarante-six transactions (achats et ventes de titres), pour un montant total de USD 1,3 milliard - ce document ne détaille pas les sous-comptes concernés par les opérations -; quantité de titres achetés ont été revendus (en tout ou partie) quelques jours après leur acquisition. La société tessinoise a prélevé, sur l'ensemble de ces achats/ventes, des rétro-commissions à hauteur de CHF 6,5 millions.

c.g. Le 9 décembre 2019, le Ministère public a joint une cause (P/11_____/2019) à la P/11844/2017, au motif que toutes deux étaient dirigées contre I_____.

La Chambre de céans a rejeté, le 2 juin 2020, les recours interjetés par A_____ LTD et une autre recourante contre cette décision (cf. ACPR/362/2020).

c.h. Le 18 décembre 2019, A_____ LTD a déposé une plainte pénale complémentaire (P/11844/2017).

En substance, elle a fait valoir - à bien la comprendre - que H_____ n'était pas le seul employé de E_____ SA à avoir rendu possible la commission, par I_____, des actes décrits à la lettre B.b.a ci-dessus; en effet, ces actes avaient débuté en été 2005, soit une année environ avant que H_____ ne s'occupe de son compte; l'exécution des transactions avait, de surcroît, vraisemblablement nécessité la coopération, active ou passive, de plusieurs protagonistes, qu'elle-même n'avait aucun moyen d'identifier. En ayant donné suite à chacune des instructions de I_____, ordres qui étaient aussi bien illicites - l'intéressé ne bénéficiant d'aucun pouvoir de disposition sur son compte - qu'insolites - au vu de la nature, fréquence et volume des transactions litigieuses -, les employés de E_____ SA, subsidiairement cette dernière (art. 102 al. 1 CP), avaient contrevenu à l'art. 158 CP. Il n'était pas exclu que ces protagonistes aient agi dans un dessein d'enrichissement illégitime.  

La banque s'était, en outre, rendue coupable de blanchiment d'argent aggravé, à défaut d'avoir pris, en son sein, les mesures qui s'imposaient pour empêcher la commission des opérations illicites (art. 305bis al. 2 cum 102 al. 1 ou 2 CP).

Á l'appui de ses allégués, elle a produit un communiqué de presse publié par la FINMA le 17 septembre 2018, aux termes duquel des manquements dans la lutte contre le blanchiment d'argent avaient été constatés chez E_____ SA, en particulier l'absence de contrôle suffisant "d'un conseiller clientèle performant".

C. Dans sa décision déférée - rendue immédiatement après le dépôt de la seconde plainte -, le Ministère public a considéré que les faits décrits dans cet acte étaient "tous liés aux infractions qui auraient été commises par I_____ via K_____ SA", société qui était poursuivie au Tessin depuis de nombreuses années; ils faisaient donc "déjà l'objet de l'enquête ouverte" dans ce canton. Par ailleurs, rien ne permettait d'inférer la commission d'éventuels actes de gestion déloyale par des employés de E_____ SA, respectivement d'actes de blanchiment d'argent - au demeurant non spécifiés dans la plainte - par la banque. En tout état, la plupart des faits dénoncés étaient prescrits, à défaut, pour A_____ LTD, d'avoir rendu vraisemblable la réalisation des circonstances aggravantes prévues aux art. 158 ch. 1 al. 3 et 305bis al. 2 CP. Une non-entrée en matière s'imposait donc (art. 310 al. 1 let. a et let. b CPP).

D. a. À l'appui de ses recours et réplique - auxquels sont jointes diverses pièces nouvelles -, A_____ LTD soutient que les actes dénoncés dans sa plainte complémentaire, exclusivement commis au sein de E_____ SA et non de K_____ SA, étaient susceptibles de réaliser les éléments constitutifs des art. 158 et 305bis CP, chacun dans sa forme aggravée.

Concernant la première de ces infractions, les employés de E_____ SA, subsidiairement cette dernière, avaient illicitement exécuté les instructions de I_____. Il était très probable, au vu des montants concernés, qu'ils aient agi aux fins de s'enrichir; elle ne disposait toutefois d'aucun moyen pour enquêter sur cet aspect. Alternativement, les faits dénoncés pouvaient être qualifiés d'abus de confiance (art. 138 CP; § 13 du recours).

S'agissant de la seconde, le crime préalable consistait dans chacune des sept cents transactions ordonnées à son détriment; la banque ne pouvait ignorer, en donnant suite aux instructions de I_____, qu'elle transférait des valeurs (titres/argent) obtenues illicitement; le cas était manifestement grave, puisque ces opérations représentaient "le volume stupéfiant" de USD 1,2 milliard et avaient généré des profits de CHF 6,5 millions.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public persiste, pour l'essentiel, dans les termes de sa décision.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), à l'encontre d'une ordonnance de non-entrée en matière sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2 cum art. 322 al. 2 CPP; art. 393 al. 1 let. a CPP).

Il émane de la plaignante (art. 104 al. 1 let.  b CPP), partie à la procédure qui dispose d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de cette décision (art. 382 al. 1 CPP), tant en ce qui concerne l'infraction à l'art. 138/158 CP - en effet, rien ne permet de considérer, à ce stade, que E_____ SA aurait intégralement indemnisé la société du prétendu dommage occasionné sur le compte, de sorte que la recourante semble être directement touchée dans ses droits (arrêt du Tribunal fédéral 1B_190/2016 du 1er septembre 2016 consid. 2.2 et 2.3) - que l'infraction à l'art. 305bis CP - la plaignante s'estimant lésée par le crime préalable, commis contre ses intérêts individuels (ATF 133 III 323 consid. 5.1 in fine) -.

Il est donc recevable.

1.2. Il en va de même des pièces nouvelles produites par la recourante (arrêts du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.1 et 3.2 ainsi que 1B_768/2012 du 15 janvier 2013 consid. 2.1).

2. La recourante soutient qu'il existe une prévention suffisante d'infraction à l'art. 138 ou 158 CP contre divers employés de la banque, subsidiairement contre cette dernière.

2.1.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la plainte que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réalisés. Cette condition s'interprète à la lumière de la maxime "in dubio pro duriore", selon laquelle une non-entrée en matière ne peut généralement être prononcée que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1047/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.1).

2.1.2. Commet un abus de confiance (art. 138 CP), celui qui, sans droit, aura, intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime, employé à son profit ou au profit d'un tiers des valeurs patrimoniales qui lui avaient été confiées.

L'infraction suppose que l'auteur ait acquis la possibilité de disposer de telles valeurs, mais que, conformément à un accord, il ne puisse en faire qu'un usage déterminé, en d'autres termes, qu'il les ait reçues à charge pour lui d'en disposer au gré d'un tiers, notamment de les conserver, de les gérer ou de les remettre. Le comportement délictueux consiste à utiliser ces valeurs contrairement aux instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.4 et les références citées).

Lorsque des valeurs sont confiées à une société et que le devoir de les conserver incombe à cette dernière, l'art. 29 let. c CP permet de punir le collaborateur qui les a utilisées sans droit, pour autant qu'il dispose d'un pouvoir de décision indépendant dans le secteur d'activité dont il est chargé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 précité, consid. 3.9.1 in limine).

2.1.3. L'art. 158 CP (gestion déloyale) punit le gérant d'affaires qui, en agissant avec (ch. 1 al. 1) ou sans mandat (ch. 1 al. 2), viole les devoirs auxquels il est tenu et, ce faisant, porte atteinte aux intérêts pécuniaires du tiers pour le compte duquel il intervient. L'auteur encourt une peine plus élevée s'il a agi dans un dessein d'enrichissement illégitime (ch. 1 al. 3).

Le gérant est punissable s'il transgresse les obligations spécifiques qui lui incombent en vertu de son devoir de gestion (arrêt du Tribunal fédéral 6B_787/2016 du 2 mai 2017 consid. 2.3.1). Constitue notamment une telle violation le fait de prendre des risques financiers accrus comparativement à ceux qu'encourrait un gérant avisé dans les mêmes circonstances, respectivement le fait de déployer une activité de négoce excessive en réinvestissant les actifs confiés à une fréquence disproportionnée (barattage ou "churning"; ATF 142 IV 346 consid. 3.2 et 3.3).

Le tiers qui participe à l'infraction sans toutefois intervenir en qualité de gérant peut être poursuivi au titre de complice (art. 26 CP; A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 7 ad art. 158). Agit comme tel celui qui prête intentionnellement assistance à l'auteur pour commettre un crime ou un délit (art. 25 CP). La contribution du complice à la réalisation de l'infraction doit avoir été causale, de telle sorte que les événements ne se seraient pas déroulés de la même manière sans elle. Il n'est pas nécessaire que l'assistance de l'intéressé ait été une condition sine qua non de la réalisation de l'infraction; il suffit qu'elle l'ait favorisée. Cette assistance peut être matérielle, intellectuelle ou consister en une simple abstention (ATF 132 IV 49 consid. 1.1).

Le devoir d'information d'une banque à l'égard de son client est plus ou moins étendu selon le type de contrat qui les lie - gestion de fortune, conseil en placement ou simple compte/dépôt bancaire - (arrêt du Tribunal fédéral 4A_54/2017 du 29 janvier 2018 consid. 5.1.2 à 5.1.4). Dans ce dernier cas de figure (execution only), la banque n'a pas, en présence d'un gérant externe au bénéfice d'une procuration donnée par le client, à rendre attentif ce dernier aux risques élevés qu'il encourt, ni à requérir son autorisation avant d'exécuter les opérations demandées par le gérant; en effet, le banquier n'est pas le tuteur de son client et il doit, en principe, exécuter les ordres licites qui lui sont donnés; il n'y a de devoir d'information que dans des situations exceptionnelles, soit lorsque la banque, en faisant preuve de l'attention requise, a reconnu ou aurait dû reconnaître que le client n'a pas identifié un danger lié au placement, ou lorsqu'un rapport particulier de confiance s'est développé dans le cadre d'une relation d'affaires durable, en vertu duquel le client peut, sur la base des règles de la bonne foi, attendre conseil et mise en garde de la banque, même s'il n'a rien demandé (ATF 133 III 97 consid. 7.1.1 et 7.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 4C.366/2004 du 4 novembre 2005 consid. 3.1).

2.1.4. En vertu de l'art. 102 al. 1 CP - d'une teneur identique à l'art. 100quater al. 1 aCP, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2006 -, la responsabilité subsidiaire de l'entreprise peut être engagée, lorsqu'une infraction aux art. 138 ou 158 CP a été commise en son sein, mais que l'auteur ne peut être identifié en raison de son manque d'organisation.

2.2.1. La non-entrée en matière doit également être ordonnée lorsqu'il existe un empêchement définitif de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), par exemple la prescription de l'action pénale (L. MOREILLON/ A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale - Petit commentaire, Bâle 2016, 2ème éd., n. 13 ad art. 310).

2.2.2. Les infractions contre le patrimoine qui ont été commises entre 2005 et 2008 se prescrivent par sept ans si elles sont constitutives de gestion déloyale dite simple (art. 158 ch. 1 al. 1 CP; art. 97 al. 1 let. c aCP, norme qui s'applique au titre de lex mitior pour les délits : art. 2 al. 2 CP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_122/2017 du 8 janvier 2019 consid. 18.2) ou par quinze ans s'il s'agit de crimes (art. 97 al. 1 let. b CP, dont la teneur est demeurée inchangée depuis 2005), tels que l'abus de confiance (art. 138 CP) ou la gestion déloyale aggravée (art. 158 ch. 1 al. 3 CP).

2.3. En l'espèce, les plaintes initiale et complémentaire déposées par la recourante portent toutes deux sur des faits similaires : des employés de E_____ SA - H_____ dans la première et d'autres collaborateurs dans la seconde - auraient indûment validé/exécuté, entre 2005 et 2008, des transactions ordonnées par I_____ (achats/ventes de titres via K_____ SA) sur certains de ses sous-comptes.

Au vu de cette connexité, le choix du Ministère public de refuser d'ouvrir une procédure contre certains des mis en cause mais de poursuivre l'instruction s'agissant d'autres - i.e. H_____ et I_____ (en effet, le Procureur a étendu la procédure à ce dernier [cf. à cet égard lettre B.c.g]) - ne pouvait reposer que sur des circonstances propres à chacun de ces protagonistes.

Or, tel n'a pas été le cas en l'occurrence. En effet, l'un des motifs avancés pour justifier la non-entrée en matière - les faits dénoncés seraient d'ores et déjà instruits au Tessin - est également susceptible de s'appliquer à H_____ et I_____. Quant à l'autre - absence de soupçons suffisants de la commission d'un crime -, il n'est assorti d'aucune explication permettant de comprendre pourquoi le résultat (provisoire) de l'enquête en cours justifierait de traiter différemment, sous l'angle de la prévention, les mis en cause.

L'ordonnance entreprise est, de ce point de vue, critiquable.

2.4. Elle est, par ailleurs, infondée à un double titre.

2.4.1. Tout d'abord, rien ne permet de considérer - à ce stade tout au moins - que la procédure tessinoise porterait sur la commission, par des employés de E_____ SA et/ou I_____, d'infraction(s) contre le patrimoine de la recourante.

Serait-ce le cas que cela ne justifierait nullement le prononcé de la décision attaquée, mais, tout au plus, le transfert (éventuel) de la plainte complémentaire aux autorités compétentes ratione loci (art. 33 et 38 CPP).

2.4.2. Ensuite, l'éventuelle commission, par des employés de E_____ SA, d'une infraction à l'art 138/158 CP ne peut, en l'état, être exclue.

En effet, les actes dénoncés, en admettant qu'ils soient avérés - il n'appartient pas à la Chambre de céans, dans la mesure où l'instruction se poursuit contre I_____ et H_____, de préjuger le résultat, au demeurant provisoire, de l'enquête -, sont susceptibles de tomber sous le coup de l'une ou l'autre de ces normes.

Ainsi, à supposer que les collaborateurs de la banque (art. 29 let. c CP) aient validé/exécuté les ordres de I_____, alors que ce dernier ne bénéficiait pas du pouvoir de disposer des fonds/titres litigieux, une infraction à l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP pourrait être envisagée. En effet, ils devaient obtenir le consentement de la recourante avant d'exécuter chacun desdits ordres - il n'a jamais été prétendu qu'eux-mêmes auraient joui d'une procuration sur le compte qui les aurait dispensés d'obtenir un tel accord -. Une utilisation sans droit des valeurs confiées (à la banque) ne peut donc être exclue.

S'il s'avère, en revanche, que I_____ disposait des pouvoirs nécessaires, l'exécution de ses instructions pourrait alors contrevenir aux art. 25 cum 158 CP, pour autant que le précité se soit rendu coupable de gestion déloyale et que la banque ait eu, au regard du rapport juridique/de confiance effectif qui la liait à la recourante, un devoir de mise en garde.

Dans chacun de ces deux cas de figure, le comportement dénoncé est susceptible d'avoir causé un dommage à la plaignante.

Sur le plan subjectif, seule l'analyse des circonstances ayant entouré la commission des actes illicites - non avérés, à ce stade - permettra de déterminer si les employés de E_____ SA ont agi intentionnellement, respectivement dans un dessein d'enrichissement illégitime, en vue de réaliser un gain pour eux-mêmes et/ou un tiers (I_____, E_____ SA, etc.).

Enfin, lesdits actes, qui constituent potentiellement des crimes (art. 138 al. 1 ou 158 ch. 1 al. 3), ont débuté à la fin du mois d'août 2005, de sorte qu'ils ne sont, à ce jour, pas prescrits.

Au vu des considérations qui précèdent, l'existence d'une infraction commise par des employés de E_____ SA, subsidiairement par cette dernière (art. 102 al. 1 CP), ne peut être niée.

3. La recourante estime qu'il existe une prévention suffisante d'infraction de blanchiment d'argent qualifié contre la banque (art. 305bis al. 2 cum 102 al. 2 CP).

3.1. En vertu de l'art. 305bis al. 1 CP - norme qui constitue un délit -, celui qui, intentionnellement, aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime se rend coupable de blanchiment d'argent.

L'infraction peut également être réalisée lorsque l'auteur blanchit des valeurs patrimoniales qu'il a lui-même obtenues par la commission d'un crime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_829/2019 du 21 octobre 2019 consid. 3.1).

Le comportement délictueux consiste à entraver l'accès de l'autorité pénale au butin d'un crime, en rendant plus difficile l'établissement du lien de provenance entre la valeur patrimoniale et l'infraction (ibidem). Le point de savoir si tel est le cas doit être examiné au regard des circonstances de l'espèce. Une simple prolongation du "paper trail" ne permet en principe pas de retenir un acte de blanchiment, par exemple par un transfert d'un compte à un autre en Suisse, tant qu'il n'y a pas d'autres actes de dissimulation et que les valeurs patrimoniales sont encore confiscables "là-bas" (ATF 144 IV 172 consid. 7.2.2 = JdT 2018 IV 314).

3.2. L'art. 305bis al. 2 CP - qui constitue un crime - réprime les cas graves.

Ainsi en va-t-il lorsque le délinquant réalise un chiffre d'affaires ou un gain important en faisant métier de blanchir de l'argent (let. c). L'auteur doit, partant, avoir agi au moins deux fois, dans le dessein d'en tirer des revenus (A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 57 ad art. 305bis). Est important un chiffre d'affaires de CHF 100'000.-, respectivement un bénéfice de CHF 10'000.- (arrêt du Tribunal fédéral 6B_993/2017 du 20 août 2019 consid. 4.2.3, paru in SJ 2019 I 451).

L'art. 305bis ch. 2 CP n'énumère pas de manière exhaustive les cas considérés comme graves. D'autres situations peuvent être qualifiées de la sorte, pour autant qu'elles soient d'une gravité comparable à celle des exemples donnés par la norme. Le Tribunal fédéral a notamment admis que le comportement d'un avocat en vue d'encaisser en faveur d'un client trois chèques d'un nominal d'environ CHF 1'000'000.- chacun pouvait constituer un cas grave générique. Par la suite, il a jugé que le comportement d'un auteur, quand bien même il avait procédé à de nombreux actes portant sur un million de francs environ, n'atteignait pas le seuil de gravité exigé. Dans une autre affaire, il a souligné que l'absence de gain et le fait que les actes de blanchiment n'avaient pas été effectués dans un cadre professionnel permettaient, dans l'occurrence, d'écarter l'aggravante, alors même que les actes, commis sur une longue période et de manière répétée avaient porté sur une somme à sept chiffres. Il a admis la réalisation de cette aggravante dans le cas de blanchiment commis par une association de trois prévenus, portant sur plusieurs millions de francs suisses provenant de divers crimes, pendant plusieurs années et impliquant de nombreuses opérations (arrêt du Tribunal fédéral 6B_993/2017 précité, consid. 4.2.4 et 4.2.5).

3.3. L'art. 102 al. 2 CP - respectivement l'art. 100quater al. 2 aCP - permet d'imputer à l'entreprise une infraction à l'art. 305bis CP commise en son sein, s'il peut lui être reproché de ne pas avoir pris toutes les mesures d'organisation raisonnables et nécessaires pour l'empêcher. Sa responsabilité peut être engagée parallèlement - et non subsidiairement comme c'est le cas pour l'alinéa 1 - à celle de l'auteur (ATF 142 IV 333 consid. 4.2).

3.4. En l'espèce, il a été jugé supra que l'on ne pouvait d'emblée exclure la commission, par des employés de E_____ SA, d'un crime, en ayant validé/exécuté plusieurs centaines d'opérations (achats/ventes de titres) sur des sous-relations de la recourante.

Ont été débités de ces sous-comptes, pour effectuer de nouvelles transactions, les produits (argent/actions) résultant de précédentes opérations (potentiellement illicites). D'éventuels pretia sceleris ont donc été transférés à K_____ SA, valeurs que cette dernière a, soit intégré à son propre patrimoine - avant (probablement) de les réinvestir/revendre -, soit directement remises à des tiers - en exécution de transactions, tiers qui s'en sont peut-être, à leur tour, dessaisis -. Les transferts examinés apparaissent donc - sans préjuger du fond - propres à entraver l'identification des fonds/titres litigieux et, partant, leur confiscation. L'existence d'actes de blanchiment ne peut donc, à ce stade, être niée.

Les questions de savoir si de tels actes ont été commis intentionnellement, respectivement dans le dessein d'en retirer des revenus, ne pourront être résolues qu'une fois connues les circonstances ayant entouré leur commission, aspect qui est actuellement en cours d'instruction - les actes de blanchiment se confondant avec l'exécution des transactions litigieuses -.

Enfin, il n'est pas exclu, au vu du communiqué de presse publié par la FINMA le 17 septembre 2018, qu'il puisse exister, au sein de E_____ SA, des manquements dans la lutte contre le blanchiment d'argent.

Au vu de ce qui précède, une infraction à l'art. 305bis al. 2 CP - crime qui se prescrit par quinze ans -, respectivement à l'art. 102 al. 2 CP, ne peut, en l'état, être exclue.

4. En conclusion, le recours se révèle fondé et doit être admis.

La décision de non-entrée en matière déférée sera donc annulée et la cause renvoyée au Procureur pour qu'il instruise les faits dénoncés dans la plainte complémentaire.

5. 5.1. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par la société lui seront donc restituées.

5.2. La recourante, partie plaignante représentée par un conseil, n'a pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, la décision de non-entrée en matière déférée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Restitue à A_____ LTD les sûretés versées en CHF 2'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).