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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/18940/2015

ACJC/602/2017 du 22.05.2017 sur JTBL/1081/2016 ( OBL ) , RENVOYE

Descripteurs : BAIL À LOYER ; CALCUL ; RENDEMENT BRUT ; ACTION EN CONSTATATION ; LOYER INITIAL
Normes : CO.269;
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18940/2015 ACJC/602/2017

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 22 MAI 2017

 

Entre

E______, sis _____, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 17 novembre 2016, comparant par Me Pierre BANNA, avocat, rue Verdaine 15, 1204 Genève, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

Monsieur A______ et Madame B______, domiciliés _____, intimés, représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement du 17 novembre 2016, reçu par les parties le 25 novembre 2016, le Tribunal des baux et loyers a fixé à 39'420 fr., charges non comprises, dès le 16 août 2015, le loyer annuel de la villa de cinq pièces occupée par A______ et B______ sise C______ (ch. 1 du dispositif), condamné l'E______ à rembourser à A______ et B______ le trop-perçu de loyer en découlant (ch. 2), réduit la garantie bancaire à 9'855 fr. et ordonné la libération du solde en faveur de A______ et B______ (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 10 janvier 2017, l'E______ a formé appel de ce jugement dont il sollicite l'annulation, concluant à ce qu'il soit dit que le loyer annuel net de 54'000 fr. de la villa de cinq pièces sise C______ n'est pas abusif et que A______ et B______ soient déboutés de toutes leurs conclusions. Subsidiairement, l'E______ a conclu à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. Le 13 février 2017, A______ et B______ ont conclu à la confirmation du jugement entrepris.

c. Dans leurs réplique et duplique respectives, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

L'E______ a produit plusieurs pièces nouvelles.

d. Par avis du 31 mars 2017, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par contrat de bail à loyer du 22 mai 2015, l'E______ (le bailleur) a remis à bail à A______ et B______ (les locataires) une villa de cinq pièces sise C______.

Le bail a été conclu pour une durée initiale de cinq ans et un demi-mois, du 16 août 2015 au 31 août 2020. Il se renouvelle ensuite tacitement de cinq ans en cinq ans.

Le loyer annuel a été fixé à 54'000 fr. charges non comprises et indexé à l'indice suisse des prix à la consommation. Les charges représentent 2'400 fr. par an.

Une garantie de loyer de 13'500 fr. a été convenue.

b. Selon l'avis de fixation du loyer du même jour, le dernier loyer, depuis le 1er mai 2009, était de 54'192 fr., hors charges.

Le motif invoqué pour la fixation du loyer est le suivant : "Le nouveau loyer se situe dans les limites des loyers usuels du quartier, conformément à l'art. 269a let. a du CO".

c. La villa louée se situe sur la parcelle n° 1______ de la commune de Carouge d'une surface de XXXX m2.

Elle a été construite en 2008, dans le cadre d'un lotissement, nommé "______", comprenant XXXX villas contigües avec jardins, de cinq ou sept pièces pour des surfaces de XXXX, XXXX ou XXXX m2. Les loyers annuels nets des différentes villas s'échelonnent entre 54'000 fr. et 66'000 fr.

Le prix de la construction du lotissement s'est élevé à XXXX fr.

En audience, le bailleur a exposé n'avoir versé aucun honoraire de promotion, ayant effectué lui-même cette dernière.

La date et le mode d'acquisition du terrain sont litigieux.

d. Les locataires ont saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d'une requête en contestation du loyer initial déposée le 14 septembre 2015.

e. Non conciliée le 9 novembre 2015, l'affaire a été portée devant le Tribunal des baux et loyers le 9 décembre 2015.

Les locataires ont fait valoir que le loyer était abusif et conclu à ce que le Tribunal ordonne un calcul de rendement.

f. Par réponse du 26 février 2016, le bailleur a conclu à ce que le Tribunal constate que le loyer annuel net de 54'000 fr. n'est pas abusif.

Il a proposé un calcul de rendement et utilisé à cette fin un prix d'acquisition fondé sur la statistique pour déterminer la valeur de la parcelle n° 1______. Il n'a pas précisé quand et comment le terrain avait été acquis. Le bailleur a produit un document intitulé "Prix indicatifs zone villa 2015", mis à jour en janvier 2014 et édité par D______ Sàrl, société sise à ______. Selon ce document, à ______, le prix moyen du m2 de terrain en zone 5 (villa) se situe entre 1'300 fr. et 1'600 fr. L'E______ est donc parvenu à la conclusion qu'une valeur du terrain de XXXX fr.(XXXX m2 x 1'500 fr.) devait être retenue pour le calcul de rendement.

g. Par citation du 8 mars 2016, le Tribunal a convoqué les parties à une audience de débats.

h. Le 14 mars 2016, l'E______ a sollicité le report de l'audience en raison de l'absence de la directrice de son service immobilier et de la responsable de la gérance.

Le Tribunal a rejeté cette demande et autorisé le conseil de l'E______ à représenter ce dernier à l'audience.

i. A l'audience du 8 avril 2016, les locataires ont relevé que le mode d'acquisition de la parcelle était inconnu et souligné que seule une donation pouvait permettre le recours à des statistiques. L'E______, par l'entremise de son avocat, a déclaré : "Pour ce qui est du prix du terrain, il est le fruit d'une donation faite à l'E______, j'imagine peu avant la construction des immeubles. […] Je pense être en mesure de produire des pièces relatives à la donation du terrain." Les locataires ont requis la production de ces pièces.

j. Par ordonnance du 21 avril 2016, le Tribunal a invité le bailleur à produire les pièces nécessaires au calcul du rendement net de l'immeuble et, en particulier, l'acte d'acquisition de l'immeuble ou à défaut toute pièce permettant d'établir son prix d'achat, ses frais d'acquisition et son financement.

k. Le 25 mai 2016, l'E______ a invoqué que l'immeuble avait été acquis en 1913 pour un prix de 220'000 fr. A cet effet, il a produit un acte d'acquisition du 2 juillet 1913 portant sur les parcelles n° 2______, 3______, 4______, 5______ et 6______ de la commune de Carouge. L'E______ a mentionné qu'il ignorait laquelle de ces parcelles, qui n'existaient plus, était devenue la parcelle n° 1______ actuelle, tout en se mettant à disposition du Tribunal pour effectuer des recherches complémentaires en ce sens. Au surplus, l'E______ ignorait si les parties à la vente avaient à l'époque en vue une vente au prix juste ou une donation mixte.

l. Dans leurs dernières déterminations du 28 juin 2016, les locataires ont conclu à ce que leur loyer net soit fixé à 39'372 fr. par an dès le 16 août 2015, que la garantie soit réduite à trois mois de loyer ainsi fixé et que le bailleur soit condamné à restituer le trop-perçu de loyer.

Selon les locataires, les statistiques applicables pour déterminer la valeur du terrain étaient celles résultant du document "Enquêtes sur les transactions immobilières - Résultats 2008" de l'Office cantonal de la statistique (OCSTAT) qui détermine une moyenne de 1'368 fr. par m2 pour les terrains en 5ème zone. Ainsi, le coût d'acquisition du terrain aurait été de XXXX fr., s'il avait été acquis en 2008 par le bailleur.

m. Lors de l'audience du 6 septembre 2016, les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions respectives. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2; 4C.310/1996 du 16 avril 1997 = SJ 1997 p. 493 consid. 1).

S'agissant d'un contrat de bail reconductible tacitement, soit de durée indéterminée (ATF 114 II 165, consid. 2b), la valeur litigieuse déterminante doit être calculée en fonction de la baisse de loyer requise, fixée annuellement et multipliée par vingt (art. 92 al. 2 CPC; ATF 139 III 209 consid. 1.2; 137 III 580 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4C.169/2002 du 16 octobre 2002, reproduit in Pra 2003 n. 124 p. 661, consid. 1.1).

1.2 Dans leurs conclusions en première instance, les locataires ont sollicité une réduction de loyer annuelle de 14'628 fr. (54'000 fr. 39'372 fr.). En multipliant la somme précitée par vingt - et sans même tenir compte des autres conclusions des locataires-, la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr.
(14'628 fr. × 20 = 292'560 fr.), de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi
(art. 130, 131, 145 al. 1 let. a, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2314 et 2416; Rétornaz, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 349 ss, n. 121). S'agissant d'une procédure relative à la protection contre les loyers abusifs
(art. 269, 269a et 270 CO), la cause est soumise à la procédure simplifiée (art. 243 al. 2 let. c CPC) et la maxime inquisitoire sociale est applicable (art. 247 al. 2 let. a CPC).

Ainsi, conformément à la jurisprudence rendue sous l'empire des anciens art. 274d al. 3 et 343 al. 4 CO, en première instance, les parties doivent renseigner le juge sur les faits de la cause et lui indiquer les moyens de preuve propres à établir ceux-ci. De son côté, le juge doit les informer de leur devoir de coopérer à la constatation des faits et à l'administration des preuves. Il doit les interroger pour s'assurer que leurs allégués de fait et leurs offres de preuves sont complets s'il a des motifs objectifs d'éprouver des doutes sur ce point. Son rôle ne va toutefois pas au-delà (à propos de l'ancien art. 274d al. 3 CO, cf. ATF 136 III 74 consid. 3.1 p. 80; ATF 125 III 231 consid. 4a p. 238 s.; à propos de l'ancien art. 343 al. 4 CO, cf. ATF 107 II 233 consid. 2c).

C'est dans ce sens qu'il y a lieu de comprendre le "devoir du juge de rechercher des preuves" évoqué dans l'ATF 139 III 13 consid. 3.2; si le juge a des motifs objectifs de soupçonner que les allégués et offres de preuves d'une partie sont lacunaires, et qu'il a connaissance, sur la base des déclarations des parties et/ou du dossier, de moyens de preuve pertinents, "il n'est pas lié par l'offre de preuve" de cette partie. Toutefois, lorsque les parties sont représentées par un avocat, le tribunal peut et doit faire preuve de retenue, comme dans un procès soumis à la procédure ordinaire (Message CPC, p. 6956). Il n'appartient en effet pas au juge de fouiller le dossier pour tenter d'y trouver des moyens de preuve en faveur d'une partie (arrêt du Tribunal fédéral 4A_491/2014 du 30 mars 2015 consid. 2.6.1). Si, contrairement à ce qu'on serait en droit d'attendre d'elle, une partie ne collabore pas à l'administration des preuves, celle-ci peut être close. La maxime inquisitoire simple ne doit pas servir à étendre à volonté la procédure probatoire et à administrer tous les moyens de preuve possibles (arrêt 4A_491/2014 déjà cité consid. 2.6.1; ATF 141 III 569 consid. 2.3.2; ATF 125 III 231 consid. 4a).

Selon l'art. 153 al. 2 CPC, le juge peut administrer les faits d'office lorsqu'il existe des motifs sérieux de douter de la véracité d'un fait non contesté. Cette règle vaut non seulement en procédure ordinaire, mais également en procédure simplifiée, lorsque la contestation tombe sous le coup du devoir d'interpellation accru prévu à l'art. 247 al. 1 CPC (Note de Michel Heinzmann in CPC-Online Newsletter du 1er février 2017).

2. L'appelant a produit plusieurs pièces nouvelles à l'appui de sa réplique.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard
(let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, in CPC, Code de procédure civile commenté, 2011, n. 6 ad art. 317 CPC).

Cette règle s'applique aussi aux procédures simplifiées dans lesquelles le juge doit établir les faits d'office (ATF 138 III 625 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_415/2015 du 22 août 2016 consid. 3.5).

Le seul fait qu'une pièce ait été émise après le jugement de première instance n'est pas déterminant, la question à laquelle il faut répondre pour déterminer si la condition de l'art. 317 al. 1 CPC est remplie étant celle de savoir si le moyen de preuve n'aurait pas pu être obtenu avant la clôture des débats principaux de première instance (arrêts du Tribunal fédéral 5A_86/2016 du 5 septembre 2016 consid. 2.2; 5A_266/2015 du 24 juin 2015 consid. 3.2.3).

Les faits et moyens de preuve nouveaux présentés tardivement doivent être déclarés irrecevables (Jeandin, op. cit., n. 3 ad art. 317 CPC).

2.2 En l'espèce, les pièces produites à l'appui de la réplique de l'appelant, et les faits qui s'y rapportent, constituent des copies de documents établis très antérieurement à la clôture de la procédure de première instance. Par conséquent, ils ne sont pas recevables.

3. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir procédé à un calcul du rendement brut de la villa louée en usant de données statistiques, alors que l'acquisition de ce bien immobilier en 1913 rendait impossible un tel calcul.

3.1 Le contrôle de l'admissibilité du loyer initial ne peut être effectué qu'à l'aide de la méthode absolue, laquelle sert à vérifier concrètement que le loyer ne procure pas un rendement excessif au bailleur compte tenu des frais qu'il doit supporter et des prix du marché (ATF 120 II 240 consid. 2). Dans l'application de la méthode absolue, les deux critères absolus - le loyer fondé sur les coûts et le loyer fondé sur les loyers du marché - sont antinomiques, et partant, exclusifs l'un de l'autre (ATF 121 III 6 consid. 3c p. 11).

Le critère absolu du rendement net excessif, qui présuppose de déterminer les coûts d'investissement de l'immeuble financés par les fonds propres (principalement le prix d'acquisition de l'immeuble), d'y appliquer un taux de rendement admissible (qui est le taux d'intérêt hypothécaire de référence, augmenté de 0,5%) et d'y ajouter les charges immobilières annuelles, les charges courantes et les charges d'entretien, de les réévaluer en fonction de l'évolution de l'indice suisse des prix à la consommation et d'en ventiler le résultat à la chose louée (pour le calcul détaillé, cf. arrêts du Tribunal fédéral 4A_147/2016 du 12 septembre 2016 consid. 2 et les arrêts cités; 4A_465/2015 du 1er mars 2016 consid. 4) est prééminent par rapport au critère absolu des loyers usuels dans le quartier (ATF 124 III 310 consid.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_645/2011 du 27 janvier 2012 consid. 3.2 publié in SJ 2012 I 377).

Il n'est pas possible de substituer aux coûts d'investissement d'autres valeurs, plus ou moins abstraites, telles que la valeur vénale de l'immeuble, sa valeur fiscale ou sa valeur d'assurance-incendie, celles-ci se référant à des valeurs objectives liées au marché et non aux coûts concrets (individuels) liés à l'acquisition de l'immeuble (ATF 122 III 257 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_461/2015 du 15 février 2016 consid. 3.1.2). C'est donc le prix d'acquisition effectivement payé qui est en principe déterminant, fût-il inférieur à la valeur vénale, sauf circonstances particulières; ainsi, si l'immeuble a été acquis à un prix préférentiel dans le cadre d'une donation mixte ou du partage d'une succession, le bailleur sera en droit de se fonder sur le prix effectif du marché au moment de l'acquisition (arrêts du Tribunal fédéral 4A_147/2016 du 12 septembre 2016 consid. 2.1; 4A_198/2014 du 17 juillet 2014 consid. 4.4; 4C.285/2005 du 18 janvier 2006 consid. 2.5; 4C.234/1994 du 6 décembre 1994 consid. 3a).

Il appartient au locataire de prouver que le loyer convenu procure au bailleur un rendement excessif. Toutefois, selon les principes généraux tirés des règles de la bonne foi, la partie qui n'a pas la charge de la preuve, à savoir le bailleur, doit collaborer loyalement à l'administration des preuves et fournir les éléments qu'elle est seule à détenir (arrêt du Tribunal fédéral 4A_250/2012 du 28 août 2012 consid. 2.3, in SJ 2013 I p. 49). Une violation de cette obligation ne doit pas être admise à la légère; elle suppose que le locataire se trouve dans l'impossibilité d'apporter lui-même la preuve et que la bonne foi impose au bailleur de collaborer (ATF 142 III 568 consid. 2.1).

Si, sur la base des documents remis par les parties, le rendement net peut être établi, c'est en fonction de ce critère qu'il convient de déterminer si le loyer litigieux est abusif au sens de l'art. 269 CO. Lorsqu'aucun document n'est remis au juge ou que les pièces fournies sont insuffisantes pour établir le rendement net, il faut distinguer selon que cette carence est ou non imputable au bailleur (Ibid.)

Le bailleur qui, sans aucune justification, refuse ou néglige de produire les pièces comptables en sa possession (ou se défait de ces pièces afin de ne pas pouvoir les produire) viole son obligation de collaboration. De nature procédurale, celle-ci ne touche pas au fardeau de la preuve et n'implique pas un renversement de celui-ci. C'est dans le cadre de l'appréciation des preuves que le juge tirera les conséquences d'un refus de collaborer à l'administration de la preuve. En l'absence de tout autre élément de preuve, le refus du bailleur peut convaincre le juge de la fausseté complète ou partielle de ses allégations et l'amener à croire les indications de l'autre partie. Toutefois, s'il dispose de données statistiques cantonales ou communales, le juge ne peut se contenter de tirer les conséquences du refus du bailleur, mais doit faire intervenir ces données dans le cadre de l'appréciation globale des preuves. Ces statistiques, même si elles ne sont pas suffisamment différenciées au sens de l'art. 11 al. 4 OBLF, constituent, faute de mieux, un repère objectif pouvant être pris en compte pour fixer le loyer admissible. Le cas échéant, il s'agira de pondérer les chiffres figurant dans ces statistiques en fonction des caractéristiques concrètes de l'appartement litigieux, du loyer payé par le précédent locataire ou encore de l'expérience du juge (Ibid.).

En revanche, si le bailleur justifie le défaut de production, ce défaut est dénué de toute portée. Dans le cadre de l'appréciation des preuves, il s'agit alors de tenir compte des statistiques qui, faute de mieux, permettront d'établir le loyer admissible, le cas échéant en pondérant les chiffres en fonction des caractéristiques concrètes de l'appartement litigieux, du loyer payé par le précédent locataire ou de l'expérience du juge (Ibid.).

3.2 Toutefois, pour les immeubles anciens, soit les immeubles construits ou acquis il y a plusieurs décennies (140 III 433 consid. 3.1.1; 139 III 13 consid. 3.1.2), pour lesquels il peut s'avérer difficile voire impossible d'établir le rendement excessif faute de connaître les fonds propres entrant dans le calcul du loyer (les pièces comptables n'existent plus ou laissent apparaître des montants qui ne sont plus en phase avec la réalité économique), la hiérarchie des critères absolus est inversée (ATF 124 III 310 consid. 2) : il n'y a pas lieu de calculer le rendement net du logement, mais de déterminer sa valeur par référence aux loyers usuels du quartier, en comparant le loyer en cause avec le loyer moyen du quartier (art. 269a let. a CO) ou en établissant, par capitalisation de celui-ci, le prix de revient théorique de l'immeuble (ATF 140 III 433 consid. 3.1; 139 III 13 consid. 3.1.2).

Selon la jurisprudence, dans l'action en contestation du loyer initial d'un logement situé dans un immeuble ancien, le fardeau de la preuve des loyers usuels dans la localité ou dans le quartier incombe au locataire (ATF 139 III 13 consid. 3.1.3). En effet, selon la théorie des normes déduite de l'art. 8 CC, l'abus de droit, à savoir le loyer abusif, invoqué par le locataire est un fait dirimant, dont le fardeau de la preuve incombe à la partie adverse du titulaire du droit; ainsi quand le bailleur s'est prévalu des loyers usuels dans la formule officielle pour justifier le loyer convenu, il incombe au locataire de démontrer que le loyer est abusif
(à propos de la contestation du loyer initial qui a été augmenté par rapport à celui payé par le précédent locataire, cf. ATF 139 III 13 consid. 3.1.3).

Lorsque le loyer initial convenu a été sensiblement augmenté - à savoir, selon la jurisprudence, de 10% au moins (ATF 136 III 82 consid. 3.4) - par rapport au loyer du précédent locataire au sens de l'art. 270 al. 1 let. b CO, lequel se détermine en fonction du loyer effectivement payé par celui-ci (sans tenir compte de ce qu'il est ou non adapté, au vu de facteurs relatifs) -, il a été admis que le loyer convenu (augmenté de 43%, alors que tant le taux hypothécaire de référence que l'indice suisse des prix à la consommation n'avaient cessé de décroître) est présumé abusif, de sorte qu'il incombe au bailleur d'apporter des contre-preuves fondées sur des éléments comparatifs pour démontrer que, malgré les apparences, il s'agit d'un cas exceptionnel et que le loyer initial convenu n'est pas abusif
(ATF 139 III 13 consid. 3.1.4, 3.2 et 3.3).

En revanche, lorsque le loyer initial convenu est le même que le loyer payé par le précédent locataire, il ne saurait être présumé abusif sur la base de statistiques générales, cantonales ou communales. On ne peut pas non plus, comme lorsqu'il s'agit d'établir le rendement net de l'immeuble et que le bailleur dispose ou a disposé des pièces comptables nécessaires à cette fin (cf. en matière de diminution du loyer en cours de bail sur la base du critère du rendement, l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_559/2015 consid. 2.1 et 2.2, destiné à la publication; en matière de contestation du loyer initial sur la base du critère du rendement, l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_461/2015 du 15 février 2016 consid. 3.2 et 3.3), exiger, conformément aux règles de la bonne foi (art. 52 CPC, art. 2 CC), la collaboration du bailleur à l'administration des preuves, alors qu'il ne dispose pas lui-même de ces éléments de comparaison; en effet, comme le bailleur n'est pas chargé du fardeau de la preuve des loyers comparatifs, il ne peut être contraint de se procurer auprès de tiers des exemples de comparaison (ATF 117 II 113 consid. 2; cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2012 du 6 décembre 2012 consid. 2.4.3). Le juge ne saurait non plus, comme lorsque le loyer est nul, faute de communication de la formule officielle de notification du loyer initial, et qu'il doit alors compléter le contrat (art. 270 al. 2 CO; ATF 140 III 583 consid. 3.2 et 3.3), corriger le loyer convenu à l'aide de données statistiques générales ou en se basant sur son expérience du marché locatif (arrêts du Tribunal fédéral 4A_295/2016 du 29 novembre 2016 consid. 5.3.1; 4A_517/2014 du 2 février 2015 consid. 5.1 in fine et les arrêts cités).

3.3 Selon l'art. 26 al. 1 let. a ORF, toute personne a le droit, sans être tenue de rendre vraisemblable un intérêt, d'exiger de l'office du registre foncier un renseignement ou un extrait des données du grand livre ayant des effets juridiques concernant la désignation et l'état descriptif de l'immeuble, le nom et l'identité du propriétaire, la forme de propriété et la date d'acquisition (art. 970 al. 2 CC).

3.4 En l'espèce, le Tribunal, se fondant sur les déclarations du conseil de l'appelant, a retenu que le terrain sur lequel la villa louée se trouve avait été acquis par donation. Le prix correspondait donc à celui des statistiques officielles pour l'année de construction.

L'appelant reproche au Tribunal une violation de la maxime inquisitoire sociale et de la répartition du fardeau de la preuve. Il était arbitraire de retenir la valeur du terrain en 2008, si ce dernier avait été acquis en 1913. En raison de la date d'acquisition, la méthode des loyers comparatifs était applicable.

Le fardeau de la preuve, lors de la contestation du loyer initial, repose sur le locataire, quelle que soit la méthode applicable. En l'occurrence, avant de déterminer si la méthode fondée sur le rendement ou celle fondée sur les loyers usuels avait la prééminence, il s'imposait de déterminer si l'immeuble concerné avait été acquis ou construit récemment.

Or, si les déclarations du bailleur ont pu être fluctuantes, il ne faut pas perdre de vue que son devoir de collaboration se limitait à la production des pièces qu'il était seul à détenir. Ainsi, le mode et la date d'acquisition, soit des informations contenues dans le Registre foncier qui sont librement accessibles au public, voire pourraient être obtenues moyennant la démonstration d'un intérêt légitime ou sur ordonnance du Tribunal, ne faisaient pas partie des informations qui pouvaient être exigées du bailleur en vertu de son devoir de collaboration, puisqu'il n'est pas seul à les détenir.

De surcroît, le recours à des statistiques pour déterminer le prix du terrain dans la première écriture du bailleur et les déclarations de son conseil en audience ne pouvaient permettre de tenir pour établie l'existence d'une donation en 2008. En effet, lors de ladite audience, les locataires ont expressément souligné que l'on ignorait la date et le mode d'acquisition. Par ailleurs, l'admission d'un fait par une partie n'autorise pas davantage le Tribunal à le retenir pour établi s'il existe des motifs sérieux de le remettre en doute.

Ainsi, lorsque le bailleur a produit l'acte d'acquisition pour certaines parcelles datant de 1913, affirmant qu'il s'agissait de la parcelle litigieuse, il appartenait aux locataires de démontrer que ce n'était pas le cas. Mis en possession de ce document, le Tribunal avait des motifs sérieux de douter de la véracité d'une donation intervenue à une date vaguement déterminée dans les années 2000, ce d'autant plus que les déclarations de l'avocat en audience étaient sujettes à caution, en l'absence des organes du bailleur annoncée à l'avance. Il ne saurait être retenu contre le bailleur de n'avoir pas procédé à des recherches auprès de tiers, alors qu'il ne supporte pas le fardeau de la preuve. Certes, les parties étaient assistées d'un avocat, de sorte que la maxime inquisitoire sociale est atténuée, mais cela n'affranchissait pas pour autant le Tribunal de tenir compte desdits motifs sérieux et de poursuivre l'instruction à ce sujet. L'art. 153 al. 2 CPC était donc applicable.

A cela s'ajoute que le Tribunal avait un devoir d'interpeller les locataires, s'il ne s'estimait pas suffisamment renseigné sur la date d'acquisition, ce qui était le cas en l'occurrence.

Au vu du dossier, force est de constater que la date et le mode d'acquisition de la parcelle n'ont pas été démontrés. D'une part, la thèse selon laquelle la parcelle aurait été reçue en donation dans les années 2000 n'est soutenue par aucune pièce, alors que des preuves pourraient être obtenues auprès du Registre foncier. D'autre part, il n'a pas été clairement démontré que l'acte d'acquisition de 1913 portait sur la parcelle sur laquelle se trouve la villa, puisque les numéros de parcelle ne concordent pas.

En tous les cas, la solution à laquelle le Tribunal est parvenu consacre une violation du fardeau de la preuve, puisque l'absence de preuve de la date d'acquisition de l'immeuble ne saurait être retenue contre la thèse du bailleur.

Ainsi, il n'a pas été suffisamment déterminé si l'acquisition de la parcelle sur laquelle se trouve la villa loué est récente ou ancienne. Selon la réponse donnée à cette question, le choix de la méthode de calcul absolu prééminente devra être fait.

Il se justifie donc d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer la cause à l'autorité précédente pour qu'elle donne l'occasion aux locataires de produire les pièces idoines, avant de statuer à nouveau (art. 318 al. 1 let. c CPC).

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 10 janvier 2017 par l'E______ contre le jugement JTBL/1081/2016 rendu le 17 novembre 2016 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/18940/2015.

Au fond :

Annule le jugement entrepris.

Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Alain MAUNOIR, Monsieur Grégoire CHAMBAZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2.