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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/21994/2017

ACJC/1562/2019 du 28.10.2019 sur JTBL/173/2019 ( OBL ) , JUGE

Recours TF déposé le 29.11.2019, rendu le 07.12.2020, CONFIRME, 4A_582/19
Normes : CO.270a.al1; CO.269; CPC.318.ala.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21994/2017 ACJC/1562/2019

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 28 OCTOBRE 2019

 

Entre

Monsieur A______ et Madame B______, domiciliés ______ [GE], appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 28 février 2019, représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile,

et

C______, sise ______ [LU], intimée, comparant par Me Pierre BANNA, avocat, rue Verdaine 15, case postale 3015, 1211 Genève 3, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/173/2019 rendu le 28 février 2019, notifié aux parties le
15 mars 2019, le Tribunal des baux et loyers a débouté A______ et B______ de toutes leurs conclusions en diminution de loyer (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 5 avril 2019, A______ et B______ ont formé appel de ce jugement et conclu à son annulation. Cela fait, ils ont conclu à ce que le loyer annuel de leur appartement sis avenue 1______
[no.] ______ à Genève (ci-après : l'appartement) soit fixé à 14'627 fr. 40,
provisions pour chauffage et eau chaude non comprises, depuis le 1er janvier 2018 et à la condamnation de la bailleresse à rembourser le trop-perçu de loyer. Subsidiairement, ils ont conclu à ce que la Cour renvoie le dossier au Tribunal pour qu'il ordonne à C______ et à sa régie, D______, de produire les charges d'exploitation pour les années 2014 à 2016, qu'il procède au calcul de rendement net de la chose louée, fixe le loyer annuel de l'appartement à 14'627 fr. 40, provisions pour chauffage et eau chaude non comprises, depuis le 1er janvier 2018 et condamne la bailleresse à rembourser le trop-perçu de loyer.

b. C______ a conclu au déboutement de A______ et B______ de toutes leurs conclusions et à la confirmation du jugement entrepris, par substitution de motifs.

Elle a produit des pièces nouvelles.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, et persisté dans leurs conclusions.

d. Par avis du 21 août 2019, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. Le bâtiment locatif sis au [no.] ______ de l'avenue 1______ à Genève a été construit en 1996 et comprend 17 logements de 5 pièces, 5 boxes et 12 places de parking intérieurs. Il a été classé en catégorie 2 HLM de la loi générale sur le logement et la protection des locataires (LGL; I 4 05) pour une durée de 20 ans soit jusqu'au 31 décembre 2017. A cette date, il est donc sorti du contrôle de l'Etat.

b. Par arrêté du 16 septembre 1996, le Conseil d'Etat a fixé l'état locatif provisoire du bâtiment à 393'924 fr. par an.

c. Le 28 mai 1999, E______ & CIE et F______ SA, propriétaires, et A______ et B______, locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de cinq pièces au 2ème étage de l'immeuble.

Le bail a été conclu pour une durée initiale d'un an et quinze jours, du 16 juin 1999 au 30 juin 2000, et s'est renouvelé ensuite tacitement.

Le loyer annuel a été initialement fixé à 18'792 fr., soit 1'566 fr. mensuels. Les charges relatives au chauffage et à l'eau chaude ont été fixées annuellement à 1'800 fr., soit 150 fr. par mois.

d. L'immeuble est devenu la propriété de C______ [entité publique] le
1er novembre 2005 pour un prix de quelque 7'904'000 fr. entièrement financé par des fonds propres.

e. Après avoir accordé une exonération fiscale sur l'immeuble par arrêté du
13 décembre 2000, le Conseil d'Etat a, par arrêtés successifs des 30 janvier 2002, 18 septembre 2002 et 21 juin 2006, alloué une subvention d'une durée de vingt ans dès le 1er janvier 1997 aux propriétaires, fixé un état locatif à 401'808 fr., admis un rendement brut annuel de 521'771 fr. (soit l'état locatif additionné de la subvention annuelle en 119'963 fr.) calculé à un taux de 6.68% et un rendement annuel net de 109'270 fr. calculé à un taux de 7% et reporté les effets des arrêtés précités en faveur de C______ suite à l'acquisition de l'immeuble par celle-ci.

f. Par décision du 7 novembre 2012 de l'Office du logement, considérant que la subvention octroyée était réduite d'1/9ème dès le 1er janvier 2013 et que le budget des charges d'exploitations était porté à 122'000 fr. dès la même date, l'état locatif maximum autorisé a été porté à 468'036 fr. dès le 1er janvier 2013.

Par avis de modification de loyer du 14 novembre 2012 consécutif à cette décision, le loyer annuel de l'appartement a été fixé à 23'064 fr. dès le 1er janvier 2013.

g. Selon un document intitulé "Calcul des réserves pour entretien", daté du
29 septembre 2014 et concernant l'immeuble sis avenue 1______ [no.] ______, les charges courantes annuelles, hors travaux extraordinaires, ont été de 114'944 fr. en 2008, de 116'721 fr. en 2009, de 119'085 fr. en 2010, de 130'239 fr. en 2011, de 115'819 fr. en 2012 et de 134'366 fr. en 2013, soit une moyenne annuelle de 121'862 fr.

Les travaux extraordinaires ont représenté 20'191 fr. en 2008, 37'267 fr. en 2009, 34'351 fr. en 2010, 37'581 fr. en 2011, 41'998 fr. en 2012 et 37'973 fr. en 2012, soit une moyenne de 34'894 fr. par an. Il n'est pas allégué que ces travaux extraordinaires auraient occasionné une plus-value à l'immeuble.

h. Par décision du 17 octobre 2014, l'Office cantonal du logement et de la planification foncière (OCLPF), considérant que la subvention était réduite d'1/9ème dès le 1er janvier 2015 et que le budget des charges d'exploitation était porté à 142'000 fr. dès la même date, a fixé l'état locatif maximum autorisé de l'immeuble à 502'572 fr. dès le 1er janvier 2015.

Par avis de modification de loyer du 11 novembre 2014 consécutif à cette décision, le loyer annuel de l'appartement a été fixé à 24'936 fr., dès le 1er janvier 2015.

i. Le 4 décembre 2014, les locataires ont déposé une réclamation auprès de l'OCLPF à l'encontre de l'avis de modification de loyer du 11 novembre 2014.

Par décision sur réclamation du 24 mars 2015, l'OCLPF a rejeté la réclamation des locataires et maintenu le loyer prévu par le dernier avis de majoration de loyer. A l'appui de sa décision, il a, notamment, explicité le calcul du budget des charges d'exploitation en relevant que la moyenne des charges pour les trois derniers exercices comptables était de 126'808 fr. (soit 130'239 fr. en 2011, 115'819 fr. en 2012 et 134'366 fr. en 2013).

Par arrêt du 22 novembre 2016 (ATA/989/2016), la Chambre administrative de la Cour de Justice a, sur recours de A______ et B______, annulé la décision de l'OCLPF du 24 mars 2015 et renvoyé le dossier à ce dernier pour nouvelle décision, au motif que la hausse apparaissait excessive et que l'office devait donc expliciter les critères utilisés pour ses calculs.

Par nouvelle décision du 7 juin 2017, l'OCLPF a fixé, à nouveau, l'état locatif maximum autorisé de l'immeuble à 502'572 fr. dès le 1er janvier 2015.

Le 7 juillet 2017, les locataires ont formé une réclamation à l'encontre de la décision de l'OCLPF du 7 juin 2017.

Par décision du 26 février 2018, l'OCLPF a rejeté sur le fond la réclamation des locataires et confirmé la décision du 7 juin 2017 fixant l'état locatif de l'immeuble.

Par arrêt du 22 janvier 2019 (ATA/59/2019), la Chambre administrative de la Cour de justice a rejeté le recours de A______ et B______ contre la décision susmentionnée.

j. Par courrier du 29 août 2016, C______ a informé A______ et B______ que la sortie du contrôle de l'Etat de l'immeuble en cause entraînerait des modifications de leur contrat de bail : les conditions générales pour les baux subventionnés seraient remplacées par des conditions générales s'appliquant aux loyers libres, l'échéance trimestrielle serait modifiée par une échéance annuelle et fixée au
31 janvier de chaque année. Au surplus, C______ proposait d'appliquer une baisse de loyer de 15.25% pour l'appartement, résultant principalement de la baisse du taux hypothécaire observée les années précédentes, laquelle impactait le calcul de rendement net admissible de l'immeuble, selon l'art. 269 CO.

Un avis de baisse de loyer ou d'autres modifications du bail était joint au courrier. Le loyer annuel indiqué était de 19'548 fr. dès le 1er janvier 2017.

k. Par courrier du 28 septembre 2016 à A______ et B______, C______ a exposé que la sortie du contrôle des loyers était fixée non pas au 31 décembre 2016, mais au 31 décembre 2017. L'avis de baisse qui leur avait été adressé pour le 1er janvier 2017 leur serait applicable uniquement à partir du 1er janvier 2018.

l. Le 31 octobre 2016, A______ et B______ ont déposé une requête en diminution de loyer par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, concluant à ce qu'il leur soit donné acte qu'ils acceptaient la baisse de loyer du
28 septembre 2016 à titre d'acompte et que le loyer soit réduit de 40% dès le
1er janvier 2018.

Lors de l'audience du 11 janvier 2017 devant l'autorité de conciliation, les parties ont convenu que l'avis de baisse de loyer du 28 septembre 2016 était retiré, ainsi que la requête en diminution de loyer du 31 octobre 2016.

m. Par courrier du 11 août 2017 à la bailleresse, A______ et B______ ont sollicité une baisse de loyer de 40% dès le 1er janvier 2018, en raison de la sortie de l'immeuble du contrôle de l'Etat dès cette date. Ils souhaitaient obtenir la détermination de la bailleresse dans les 30 jours. Au surplus, ils ont demandé d'obtenir le dernier état locatif agréé, le compte de réserve pour travaux, ainsi que les charges d'exploitation pour les années 2012 à 2016, en cas de refus total ou partiel de C______.

n. Par courrier du 28 août 2017, C______ a informé A______ et B______ qu'elle refusait la baisse de loyer demandée.

o. Par requête en diminution de loyer déposée le 26 septembre 2017 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, non conciliée le
20 novembre 2017 et portée devant le Tribunal le 5 janvier 2018, A______ et B______ ont conclu, préalablement, à ce que C______ produise toutes les pièces permettant d'effectuer un calcul de rendement au sens de l'art. 269 CO, à savoir notamment les comptes d'exploitation pour les années 2012 à 2016 et, principalement, à ce que le Tribunal fixe le loyer annuel de l'appartement à 14'992 fr., provisions pour chauffage et eau chaude non comprises, dès le
1er janvier 2018, à la condamnation de la bailleresse à rembourser le trop-perçu de loyer et au déboutement de celle-ci de toutes autres conclusions.

p. Par mémoire-réponse du 26 mars 2018, C______ a conclu au rejet de la demande de diminution du loyer.

q. Lors de l'audience du 23 mai 2018, les parties ont persisté dans leurs conclusions et le Tribunal a clôturé la phase d'administration des preuves, les parties ne sollicitant pas de mesures probatoires.

r. Par ordonnance du 5 juin 2018, le Tribunal, estimant un calcul de rendement possible et devant être ordonné, a réouvert la phase d'administration des preuves et fixé un délai au 13 juillet 2018 à C______ pour qu'elle produise le calcul de rendement et qu'elle dépose toutes les pièces requises. Un délai au 10 septembre 2018 a été fixé aux locataires pour se déterminer sur le calcul de rendement.

s. Par déterminations du 11 juillet 2018, la bailleresse a persisté dans ses conclusions du 26 mars 2018 et refusé de produire des pièces. L'état locatif n'avait pas varié entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2017.

t. Lors de l'audience du 28 novembre 2018, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions. La cause a été gardée à juger à l'issue de celle-ci.

D. Dans le jugement entrepris, le Tribunal, après avoir admis que la méthode de calcul du rendement absolue devait être appliquée, a considéré que la bailleresse n'avait pas versé les documents permettant un tel calcul. Les décomptes des années 2011 à 2013 étant trop anciens et le refus de la bailleresse fautif, il s'imposait de prendre en compte les statistiques cantonales pour déterminer si le loyer était abusif. Se référant aux statistiques applicables aux nouveaux locataires d'un logement à loyer libre de cinq pièces en ville de Genève dans un immeuble construit entre 1991 et 2000, le Tribunal est parvenu à la conclusion que le loyer de l'appartement était inférieur et donc que les locataires ne pouvaient pas prétendre à une baisse.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1; 4A_241/2010 du 10 août 2010 consid. 1.1).

S'agissant d'un contrat de bail reconductible tacitement, soit de durée indéterminée (ATF 114 II 165 consid. 2b), la valeur litigieuse déterminante doit être calculée en fonction de la baisse de loyer requise, fixée annuellement et multipliée par vingt (art. 92 al. 2 CPC; ATF 139 III 209 consid. 1.2; 137 III 580 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4C_169/2002 du 16 octobre 2002, reproduit in Pra 2003 n. 124
p. 661 consid. 1.1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel s'élève à 24'936 fr. et les appelants ont conclu à la fixation du loyer à 14'292 fr., soit une différence de 10'644 fr. La valeur litigieuse s'élève donc à 212'880 fr. (10'644 fr. x 20), de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.3 Selon l'art. 311 CPC, l'appel écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier.

L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi. Il est ainsi recevable.

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

1.5 La cause est soumise à la procédure simplifiée (art. 243 al. 2 let. c CPC), s'agissant d'une procédure relative à la protection contre les loyers abusifs
(art. 269, 269a et 270 CO) et la maxime inquisitoire est applicable (art. 247 al. 2 let. a CPC).

1.6 Les pièces nouvelles produites en appel sont recevables, car établies postérieurement à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger (art. 317 al. 1 let. b CPC), respectivement car elles portent sur une argumentation juridique.

2. Les appelants reprochent au Tribunal d'avoir refusé de procéder à un calcul de rendement leur permettant de bénéficier d'une baisse de loyer.

2.1
2
.1.1 Aux termes de l'art. 270a al. 1 CO, le locataire peut contester le montant du loyer et en demander la diminution pour le prochain terme de résiliation s'il a une raison d'admettre que la chose louée procure au bailleur un rendement excessif au sens des art. 269 et 269a CO, à cause d'une notable modification des bases de calcul, résultant en particulier d'une baisse des frais. Selon une jurisprudence bien établie, une demande de diminution du loyer en cours de bail s'apprécie à l'aide de la méthode relative, en ce sens que le locataire ne peut invoquer que les facteurs de baisse qui se sont réalisés depuis la dernière fixation du loyer (ATF 142 III 568 consid. 1.2; 133 III 61 consid. 3.2.2.2). Le bailleur peut toutefois exciper de la méthode absolue pour contrer une demande de baisse de loyer fondée sur la méthode relative (ATF 141 III 569 consid. 2.1.2 et les arrêts cités).

La jurisprudence a admis qu'exceptionnellement la partie qui demande une modification de loyer puisse invoquer la méthode absolue. Tel est notamment le cas lorsque le précédent loyer résulte d'un bail à loyers échelonnés ou indexés. La sortie d'un immeuble du contrôle cantonal des loyers constitue une autre exception, que la jurisprudence a justifiée d'une part par le fait que les dispositions relatives à la contestation du loyer abusif ne s'appliquent pas à l'immeuble tant que les loyers sont soumis au contrôle de l'autorité (art. 253b al. 3 CO), et d'autre part par le fait que les modalités spécifiques de fixation du loyer par l'autorité administrative ne sont pas de nature à éveiller chez le locataire la confiance, propre à la méthode relative, qu'il s'acquitte d'un loyer suffisant (ATF 142 III 568 consid. 1.3; 129 III 272 consid. 2.1; 123 III 171 consid. 6a). Dans un arrêt non publié du 9 juillet 2002, le Tribunal fédéral s'est demandé dans quelle mesure l'égalité de traitement postulait que le locataire puisse, à l'instar du bailleur, invoquer des facteurs absolus à l'appui d'une demande de baisse de loyer en cours de bail. Il a conclu que seuls des cas exceptionnels pouvaient l'autoriser, en particulier lorsque le précédent loyer résultait d'un bail échelonné ou indexé. Dans un obiter dictum, il a relevé qu'en principe, seul le bailleur pouvait se prévaloir de la méthode absolue en cas de sortie de l'immeuble du contrôle cantonal des loyers, car il était vraisemblable qu'un calcul de rendement aboutirait généralement à la fixation d'un loyer supérieur à celui soumis au contrôle administratif. Il a néanmoins ajouté, sans plus amples explications, que si tel ne devait pas être le cas, rien ne saurait alors interdire au locataire d'invoquer la méthode absolue pour justifier une demande de baisse de loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4C_291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 2b/gg et 2c). Plus récemment, le Tribunal fédéral s'est demandé si la méthode absolue s'imposait réellement après le passage d'un régime à l'autre ou si l'habituelle méthode relative n'était pas suffisamment appropriée, puisqu'elle permettait au juge civil de tenir compte de toutes les évolutions intervenues depuis la dernière fixation du loyer par l'autorité administrative, y compris l'éventuelle perte de certaines prestations publiques par le bailleur (ATF 142 III 568). Dans une note publiée à propos de cet arrêt, Dietschy Martenet a relevé que la possibilité d'invoquer la méthode absolue au sortir d'un contrôle étatique était justifiée, au motif notamment que le bailleur devait pouvoir augmenter le loyer en cas de rendement insuffisant (Dietschy Martenet, in Newsletter bail.ch d'octobre 2016).

2.1.2 Pour déterminer si la chose louée procure au bailleur un rendement net excessif (art. 269 CO), il est nécessaire de connaître le rapport entre les fonds propres réellement investis dans la chose remise à bail et le loyer, après déduction des charges d'exploitation et des intérêts débiteurs sur les capitaux empruntés. Pour déterminer le montant des fonds propres investis, il faut partir du coût de revient effectif de l'immeuble, sauf si le prix d'acquisition est manifestement exagéré, et soustraire le montant des fonds étrangers (emprunts garantis ou non par hypothèque). En règle générale, il convient d'effectuer le calcul du rendement net des fonds propres investis le jour où le locataire sollicite une baisse de loyer (Lachat, Le bail à loyer, 3ème éd. 2019, p. 563). L'adaptation au renchérissement des fonds propres investis est limité à concurrence de 40% au plus du prix de revient (ATF 120 II 100 consid. 5b).

Les charges immobilières comprennent les charges financières (en particulier les intérêts hypothécaires dus sur les emprunts), les charges courantes ou d'exploitation (impôt, prime d'assurance, frais de gérance, etc.) et les charges d'entretien (ATF 141 III 245 consid. 6.3 i.f.). Il faut procéder à une moyenne des charges encourues les cinq dernières années - cas échéant au moins les trois dernières années - précédant le calcul de rendement. Cette règle est susceptible d'adaptations, notamment lorsque les comptes d'un exercice comportent des chiffres anormalement bas ou hauts, qui reflètent donc mal la moyenne des coûts d'entretien. Les frais consentis pour l'entretien extraordinaire - remplacement d'installations telles que chaudière, ascenseur, toiture, prise d'eau - doivent être répartis sur plusieurs exercices en fonction de la durée de vie des installations concernées. La quote-part correspondante est intégrée chaque année dans les charges d'entretien jusqu'à amortissement complet; l'on y ajoute un intérêt sur le capital non amorti (ATF 141 III 245 consid. 6.5 et 6.6 et les références citées; cf. ATF 111 II 378 consid. 2).

Selon la jurisprudence (ATF 141 III 245 consid. 6.6), il faut par ailleurs admettre que la distinction entre coûts d'investissement (coûts de revient) et charges est essentielle dans le modèle du rendement net. Cela implique de rechercher dans quelle proportion les fonds propres investis dans des travaux apportent une plus-value à la chose louée, respectivement servent à son entretien. En tant que coûts d'investissement, les fonds propres contribuant à l'acquisition de la chose louée ou à sa plus-value sont pris en compte indéfiniment dans le temps, sans égard à leur date d'investissement; ils sont au moins partiellement indexés sur le coût de la vie. Le rendement admissible de ces fonds est déterminé par le taux hypothécaire de référence, augmenté de 0,5%.

2.1.3 Il appartient au locataire de prouver que le loyer convenu procure au bailleur un rendement excessif. Toutefois, selon les principes généraux tirés des règles de la bonne foi, la partie qui n'a pas la charge de la preuve, à savoir le bailleur, doit collaborer loyalement à l'administration des preuves et fournir les éléments qu'elle est seule à détenir (ATF 142 III 568 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_250/2012 du 28 août 2012 consid. 2.3, in SJ 2013 I p. 49). Le bailleur n'est aucunement tenu de se procurer les pièces auprès de tiers afin de les verser à la procédure. Il appartient cas échéant au locataire de requérir en procédure que le juge ordonne à ces tiers de produire les pièces dont il a besoin afin d'être en mesure de prouver les faits pour lesquels il doit supporter le fardeau de la preuve (ATF 142 III 568 consid. 2.2). Une violation de l'obligation de collaboration ne doit pas être admise à la légère; elle suppose que le locataire se trouve dans l'impossibilité d'apporter lui-même la preuve et que la bonne foi impose au bailleur de collaborer (ATF 142 III 568 consid. 2.1; WALTER, in Berner Kommentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch, vol. I/1, 2012, nos 318 ss ad art. 8 CC).

Si, sur la base des documents remis par les parties, le rendement net peut être établi, c'est en fonction de ce critère qu'il convient de déterminer si le loyer litigieux est abusif au sens de l'art. 269 CO. Lorsqu'aucun document n'est remis au juge ou que les pièces fournies sont insuffisantes pour établir le rendement net, il faut distinguer selon que cette carence est ou non imputable au bailleur. Le bailleur qui, sans aucune justification, refuse ou néglige de produire les pièces comptables en sa possession (ou se défait de ces pièces afin de ne pas pouvoir les produire) viole son obligation de collaboration. De nature procédurale, celle-ci ne touche pas au fardeau de la preuve et n'implique pas un renversement de celui-ci. C'est dans le cadre de l'appréciation des preuves que le juge tirera les conséquences d'un refus de collaborer à l'administration de la preuve. En l'absence de tout autre élément de preuve, le refus du bailleur peut convaincre le juge de la fausseté complète ou partielle de ses allégations et l'amener à croire les indications de l'autre partie. Toutefois, s'il dispose de données statistiques cantonales ou communales, le juge ne peut se contenter de tirer les conséquences du refus du bailleur, mais doit faire intervenir ces données dans le cadre de l'appréciation globale des preuves. Ces statistiques, même si elles ne sont pas suffisamment différenciées au sens de l'art. 11 al. 4 OBLF, constituent, faute de mieux, un repère objectif pouvant être pris en compte pour fixer le loyer admissible. Le cas échéant, il s'agira de pondérer les chiffres figurant dans ces statistiques en fonction des caractéristiques concrètes de l'appartement litigieux, du loyer payé par le précédent locataire ou encore de l'expérience du juge. En revanche, si le bailleur justifie le défaut de production, ce défaut est dénué de toute portée. Dans le cadre de l'appréciation des preuves, il s'agit alors de tenir compte des statistiques qui, faute de mieux, permettront d'établir le loyer admissible, le cas échéant en pondérant les chiffres en fonction des caractéristiques concrètes de l'appartement litigieux, du loyer payé par le précédent locataire ou de l'expérience du juge (ATF 142 III 568 consid. 2.1). Ces principes, retenus dans un arrêt récent concernant une contestation du loyer initial (arrêt du Tribunal fédéral 4A_461/2015 du 15 février 2016 consid. 3.2 et 3.3), s'appliquent dans une cause portant sur la diminution, en cours de bail, d'un loyer précédemment soumis au contrôle de l'autorité administrative (ATF 142 III 568 consid. 2.1).

2.1.4 Selon l'art. 318 al. 1 let. b CPC, l'instance d'appel, si elle ne confirme pas la décision attaquée, peut statuer à nouveau.

2.2
2.2.1 
En l'occurrence, contrairement à ce que soutient l'intimée, il découle des considérants qui précèdent que la jurisprudence n'exclut pas en soi la possibilité pour le locataire de se prévaloir de la méthode absolue en cas de sortie de l'immeuble du contrôle cantonal de loyers. Le Tribunal fédéral a, tout au plus, relevé le caractère inapproprié de cette méthode pour le locataire, étant précisé qu'un calcul de rendement aboutit généralement à la fixation d'un loyer supérieur à celui soumis au contrôle administratif. Il a néanmoins ajouté que si tel ne devait pas être le cas, rien ne saurait alors interdire au locataire d'invoquer la méthode absolue pour justifier une demande de baisse de loyer. Ce raisonnement n'a jamais été confirmé, ni expressément infirmé dans la jurisprudence ultérieure du Tribunal fédéral.

L'intimée objecte cependant que l'application de l'art. 269 CO aux loyers contrôlés par l'Etat permettait déjà aux locataires de se prévaloir, en cours de bail et alors que leurs loyers étaient contrôlés par l'Etat, de la méthode absolue, de sorte que l'invocation de celle-ci au moment où le contrôle de l'Etat touchait à sa fin était exclue. Le régime applicable à ces deux périodes ne différait d'ailleurs pas.

Il est vrai qu'il pourrait paraître à première vue curieux de soumettre un contrat de bail à loyer identique aux contrôles de deux instances judiciaires successives, l'une administrative, l'autre civile, qui appliqueraient des normes équivalentes. Cependant, ainsi que le relève à juste titre l'intimée, si, par principe, les juridictions administratives tiennent compte de l'art. 269 CO pour calculer le rendement admissible des immeubles soumis au contrôle de l'Etat, il n'en demeure pas moins que ces juridictions procèdent à un calcul qui diffère de celui imposé aux juridictions civiles.

Il s'ensuit que les locataires concernés ne peuvent pas se prévaloir à deux reprises et devant deux juridictions différentes d'un calcul identique. L'on relèvera par ailleurs, au vu de la présente espèce, l'utilité du contrôle subséquent fondé sur le droit privé uniquement, qui aboutit à un loyer d'un montant largement inférieur à celui calculé par l'autorité de droit public.

Ainsi, il se justifie d'appliquer la méthode absolue à la demande de diminution de loyers des appelants.

2.2.2 Reste à savoir si, comme s'accordent à dire les parties, le Tribunal s'est
à tort fondé exclusivement sur les statistiques cantonales pour établir le loyer admissible.

En l'occurrence, dès avant l'introduction de la requête, puis durant la procédure judiciaire, les appelants ont requis de l'intimée la production de toutes les pièces nécessaires à l'établissement d'un calcul de rendement. L'intimée a cependant refusé d'obtempérer à l'ordonnance du Tribunal du 5 juin 2018 au motif que
l'état locatif actuel était déjà en possession des appelants, ainsi que toutes les autres pièces nécessaires qu'ils avaient obtenues durant la procédure de droit administratif. Ces pièces permettaient un calcul de rendement et avaient été produites durant la procédure civile.

Force est de constater que l'intimée ne remet pas en cause la thèse des appelants selon lesquels le dossier contient tous les éléments permettant de procéder à un calcul de rendement, puisqu'elle se limite à affirmer, à tort comme on l'a vu, que l'application de la méthode de calcul est prohibée in casu. Le Tribunal a refusé de procéder à ce calcul en affirmant que les données fournies étaient trop anciennes, puisque portant sur une période antérieure à 2013, tout en constatant, pourtant, que le refus de l'intimée de produire des pièces plus récentes était indu. S'il est vrai qu'en règle générale, il faut procéder à une moyenne des charges encourues lors des cinq dernières années, l'intimée doit se laisser opposer les conséquences de son refus de collaborer, refus qui ne doit pas porter préjudice aux locataires. Les données disponibles doivent donc être considérées comme conformes à la situation actuelle, ce qu'a d'ailleurs laissé entendre l'intimée.

La cause étant en état d'être jugée, il convient donc de procéder au calcul de rendement. Dans la mesure où l'intimée n'a pas spécifiquement contesté les montants retenus par les appelants dans leur calcul de rendement, la Cour se fondera sur le calcul opéré par eux, en tenant compte également des pièces au dossier. Sur la base de l'ensemble de ces éléments, la Cour retiendra que le loyer annuel net admissible pour l'appartement litigieux s'élève à environ 17'290 fr., comme cela résulte du calcul ci-après.

A

Prix de revient de l'immeuble

7'904'000

Admis par les parties

 

B

Emprunt hypothécaire 1er rang

0

Admis par les parties

 

C

Emprunt hypothécaire 2e rang

0

Admis par les parties

 

D

Fonds propres initiaux avant réévaluation

7'904'000

Admis par les parties

 

E

Maximum de fonds propres pouvant être réévalué

3'161'600

40% du prix de revient (40% x A)

 

F

ISPC lors de l'acquisition (mai 2000 = 100)

105.4

ISPC de novembre 2005

 

G

ISPC actuel (mai 2000 = 100)

107.6

ISPC de décembre 2017 (examen du loyer au 1er janvier 2018)

 

H

Majoration de l'indice en %

2.1

 

I

Réévaluation des fonds propres d'origine

7'970'394

(D - E) + (E x H /100)

 

J

Remboursement de l'emprunt hypothécaire 1er rang

 

Admis par les parties

 

K

Remboursement de l'emprunt hypothécaire de 2ème rang

 

Admis par les parties

 

L

Réévaluation des emprunts remboursés

 

(J + K)

 

M

Fonds propres totaux après réévaluation

7'970'394

I + J + K + L

 

N

Taux hypothécaire de référence au moment de la demande de baisse de loyer en %

1.5

Fait notoire

 

O

Rendement admissible des fonds propres réévalués

159'408

M x (N + 0.5%)

P

Intérêts sur prêt hypothécaire 1er rang

 

 

Q

Intérêts sur prêt hypothécaire 2ème rang

 

 

R

Charges financières totales

 

P + Q

S

Charges courantes et charges d'entretien

134'534

(moyenne annuelle de 2008 à 2013; pas de renchérissement depuis 2013)

T

Etat locatif admissible

293'942

O + R + S

U

Part en % des logements dans l'état locatif

100%

Arrêté du Conseil d'Etat du 30 janvier 2002 p. 3

V

Etat locatif admissible pour les appartements

293'934

T x U / 100

W

Nombre de pièces de l'immeuble

85

Arrêté du Conseil d'Etat p. 3

X

Nombre de pièces dans l'appartement litigieux

5

 

Y

Loyer annuel net admissible pour l'appartement litigieux

17'291

V / W x X

L'argument des locataires selon lesquels il ne faudrait pas prendre en compte certains logements de l'immeuble, car ils n'étaient pas subventionnés, n'est pas pertinent puisque le calcul de rendement a lieu précisément suite à la fin du contrôle de l'Etat et du versement de la subvention.

2.3
2.3.1
Au vu de ce qui précède, le jugement querellé sera annulé et le loyer annuel de l'appartement fixé à 17'292 fr. (montant divisible par douze), charges non comprises.

Le loyer annuel fixé par le bail (24'936 fr., charges non comprises) étant supérieur à celui qui a été jugé admissible, l'intimée sera condamnée à restituer le trop-perçu en découlant.

Dans le cadre d'une diminution de loyer, le Tribunal fédéral a considéré que malgré la créance en restitution du surplus de loyer versé par le locataire - qui a pour objet l'enrichissement illégitime du bailleur et prend effet de manière rétroactive à la date du dépôt de la demande - les intérêts doivent courir à la date du jugement, faute d'exigibilité de la créance avant la fin de la procédure, conformément aux règles générales du Code des obligations (art. 102 al. 1 et 104 al. 1 CO) et de l'art. 270e CO (arrêt du Tribunal fédéral 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 6c et références citées).

La bailleresse sera condamnée à rembourser aux locataires le trop-perçu des loyers découlant de la baisse accordée, les intérêts moratoires courant dès l'entrée en force du présent arrêt.

2.4 Au vu des considérants qui précèdent et de l'issue du litige, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur les griefs de violation du droit à un procès équitable soulevés par les appelants.

3. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 5 avril 2019 par A______ et B______ contre le jugement JTBL/173/2019 rendu le 28 février 2019 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/21994/2017.

Au fond :

Annule ce jugement et, statuant à nouveau :

Fixe à 17'292 fr., charges non comprises, dès le 1er janvier 2018, le loyer annuel de l'appartement de 5 pièces au 2ème étage de l'immeuble sis avenue 1______ [no.] ______ à Genève occupé par A______ et B______.

Condamne C______ à verser à A______ et B______, solidairement entre eux, le trop-perçu de loyer en découlant, avec intérêts à 5% l'an dès l'entrée en force du présent arrêt.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges, Madame Laurence CRUCHON, Madame Silvia FENIELLO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.