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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/25904/2017

AARP/38/2019 du 14.02.2019 sur JTCO/111/2018 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 07.03.2019, rendu le 29.03.2019, IRRECEVABLE, 6B_329/2019
Descripteurs : MESURE THÉRAPEUTIQUE INSTITUTIONNELLE ; EXPULSION(DROIT PÉNAL) ; RESPONSABILITÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : CP.59; CP.66abis; CP.51
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25904/2017AARP/38/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 14 février 2019

 

Entre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

appelant,

intimé sur appel joint,

 

contre le jugement JTCO/111/2018 rendu le 27 septembre 2018 par le Tribunal correctionnel,

 

et

A______, actuellement détenu à la Prison B______, chemin ______, comparant par Me G______, avocat, _______ (Genève),

intimé,

appelant sur appel joint.


EN FAIT :

A. a. Par déclaration à l'audience du Tribunal correctionnel du 27 septembre 2018, le Ministère public a annoncé appeler du jugement du même jour, dont les motifs lui ont été notifiés le 1er octobre 2018, par lequel le tribunal de première instance a constaté que A______ avait commis les faits décrits dans la demande de mesure pour prévenu irresponsable du 10 juillet 2018 en état d'irresponsabilité, a ordonné qu'il soit soumis à un traitement institutionnel (art. 59 du code pénal [CP – RS 311.0]), sous imputation de 285 jours de détention avant jugement et a ordonné son maintien en détention pour des motifs de sûreté.

b. Par acte du 22 octobre 2018, le Ministère public conclut à l'annulation du jugement entrepris et à ce que la Chambre pénale d'appel et de révision (ci-après : CPAR) ordonne l'expulsion de Suisse de A______ pour une durée de cinq ans. Il a précisé à l'audience du 11 février 2019 qu'il conclut pour le surplus à la confirmation du jugement entrepris.

c. Par lettre du 14 novembre 2018, A______ a déclaré former un appel joint, concluant à ce que le jugement soit réformé en tant qu'il prononce un traitement institutionnel et ordonne son maintien en détention pour des motifs de sûreté.

d. Le 8 janvier 2018, la CPAR a déclaré irrecevable, pour cause de tardiveté, l'appel principal formé par A______ contre le jugement du 27 septembre 2018, et a constaté la recevabilité de l'appel principal et de l'appel joint du prévenu (AARP/4/2019).

e. Par demande de mesure pour prévenu irresponsable du 10 juillet 2018, le Ministère public a décrit les actes reprochés à A______, qualifiés de fausse alerte (art. 128bis CP) et de menaces alarmant la population (art. 258 CP), et a saisi le Tribunal correctionnel en concluant à l'irresponsabilité du prévenu et au prononcé d'une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l'art. 59 CP. Selon cette demande, le 17 décembre 2017, A______ avait faussement dénoncé à la police la présence d'un individu en possession d'explosifs au C______, affirmant que celui-ci, dont il a montré une photographie et qu'il disait connaître, s'apprêtait à faire exploser un thermos rempli d'explosifs. Cette dénonciation avait occasionné un important dispositif policier et de secours afin d'interpeller la personne dénoncée, impliquant notamment un bouclage du quartier, l'évacuation d'un restaurant et d'un abri PC, et des perquisitions. La personne dénoncée par A______ n'était pas en possession d'explosifs et n'avait pas l'intention de s'en prendre à qui que ce soit.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.    Le 17 décembre 2017, A______ s'est présenté à la police de la navigation pour signaler qu'un homme se trouvait au C______, qu'il était porteur d'explosifs dissimulés dans un thermos dans son sac à dos. Un important dispositif de bouclage a été rapidement mis en place. L'homme signalé a été interpellé à la sortie de la C______, dont les fidèles avaient été invités à sortir en petits groupes. Le groupe spécialisé de la police pour la neutralisation, l'enlèvement et la détection d'engins explosifs (NEDEX) a procédé à des contrôles, endommageant les effets de l'homme dénoncé. L'abri PC où celui-ci logeait avait été évacué et perquisitionné. Aucun explosif ni aucun autre matériel susceptible de porter atteinte à l'intégrité n'a été trouvé.

b.    L'homme dénoncé et A______ ont tous deux été auditionnés le soir-même par la police. Le premier s'est dit très surpris des accusations portées à son encontre, et a renoncé à déposer plainte contre le second. Pour sa part, A______ a déclaré avoir été persuadé que cet homme détenait des explosifs. Ses propos à cette occasion sont qualifiés de délirants. Il a été arrêté par la police et un Commissaire a ordonné qu'il soit mis à la disposition du Ministère public.

c.     Le 18 décembre 2017, au MP, A______ a confirmé ses précédentes déclarations. Il s'est excusé du trouble occasionné et a expliqué qu'il avait été forcé d'agir par le "Prevent Program" anglais, dirigé par le Premier Ministre britannique, comparable à la Gestapo. Il était venu demander l'asile en Suisse. Il n'était jamais en sécurité, faisant l'objet d'insultes, de calomnies et de harcèlement. Il a été placé en détention à l'issue de cette audience.

d.    Selon le rapport d'expertise du 6 mars 2018 des docteurs D______ et E______, A______ présente un grave trouble mental, à savoir un trouble délirant persistant (psychose paranoïaque) et une personnalité paranoïaque pré-morbide. Ce trouble peut être qualifié de sévérité élevée. Du fait de son trouble, A______ ne possédait pas la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ni de se déterminer d'après cette appréciation. Au moment des faits, le prévenu était irresponsable. L'évaluation standardisée de la dangerosité permettait de retenir un risque faible. A______ ne présentait aucun signe d'hétéroagressivité, hormis une violence verbale motivée par un stress intense. Celui-ci présentait un risque non négligeable de commettre à nouveau des infractions essentiellement de même type, en particulier en cas d'interruption de son traitement. Le risque de passage à l'acte hétéroagressif, avec l'advenue de violence physique, semblait faible. L'acte punissable était en rapport avec l'état mental du prévenu. Un traitement médical et des soins institutionnels pouvaient diminuer le risque de récidive. Cette mesure devait être exécutée en milieu fermé, compte tenu de l'attitude opposante aux soins de A______, son instabilité, son absence de prise de conscience des troubles et des comportements très méfiants et accusateurs que le prévenu avait pu présenter. Les experts recommandaient une prise en charge, dans un premier temps tout au moins, dans un établissement tel que ______ [Institution pénitentiaire].

Les experts relèvent que le "Prevent Program" existe réellement, et qu'il s'agit d'un programme britannique de prévention de la radicalisation. La principale plainte du prévenu est centrée sur le fait d'être pourchassé par cette organisation, quand bien même il n'arrive pas à exprimer sur un plan logique la raison des velléités de meurtre à son égard, et est incapable de critiquer cette conviction ou de la mettre en doute. A______ présente ainsi une pathologie délirante, soit un délire chronique non schizophrénique de type délire paranoïaque. L'adhésion au délire est totale, la conviction inébranlable.

e.     A la demande du prévenu, le MP a ordonné l'apport de son dossier médical à la prison B______. Il en ressort que A______ a consulté le service médical le 11 janvier 2018 pour une agression par un codétenu. Le constat établi le jour-même confirme la présence de différentes lésions; le médecin relève aussi une suspicion de trouble délirant, son patient ayant fait état de surveillances et de tentatives d'homicide à son encontre par le programme Prevent. Le médecin conclut qu'une consultation psychiatrique doit être organisée. Le lendemain, une consultation infirmière aboutit à la même conclusion. Deux consultations infirmières du 13 janvier 2018 mentionnent également des propos persécutoires, une attitude menaçante à l'égard de l'infirmière qui est accusée de chercher à tuer le patient. La consultation médicale du lendemain fait à nouveau le constat d'une suspicion de trouble délirant. Le 15 janvier 2018, A______ est admis au service de médecine psychiatrique pénitentiaire; le motif est l'hypothèse d'un trouble délirant persistant. Pendant son séjour à l'unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire (UHPP à Curabilis), il a fait l'objet d'un ordre de médication sous contrainte pour des neuroleptiques, dans le cadre d'un placement à des fins d'assistance (PAFA), qui n'a pas fait disparaître les idées délirantes, mais en a diminué l'intensité. Il a quitté l'UHPP le 19 mars 2018; les notes de suite du service médical de la prison ne font plus mention d'idées persécutoires.

f.     Il ressort également du dossier médical que le prévenu a régulièrement fait grève de la faim, notamment en raison de sa crainte d'un empoisonnement, et à titre de protestation.

g.    Devant le MP, le 31 mai 2018, les experts ont confirmé les conclusions de leur rapport. Le traitement pris par le prévenu pendant son incarcération semblait réduire son niveau de stress. Les faits reprochés au prévenu étaient en lien avec son délire paranoïaque plus qu'avec les hallucinations psychiques. Ce délire paranoïaque était difficilement traitable par les médicaments qu'il prenait, mais une évolution favorable pouvait être espérée en poursuivant ce traitement. Une prise en charge en milieu ouvert pouvait être envisagée en cas d'évolution, mais sinon il risquait de se soustraire au traitement, et un traitement en milieu ouvert n'avait que très peu de chances de succès (l'expertise les qualifie d'illusoires). Le traitement ne permettrait pas la disparition du délire, mais un enkystement, soit une certaine acceptation de la maladie et une disparition des hallucinations psychiques. Il serait nécessaire de procéder à un bilan après six mois de traitement.

A cette audience, A______ a déclaré souhaiter prendre son traitement à l'extérieur de la prison.

h.    A l'audience de jugement de première instance, A______ a déclaré que la situation du 17 décembre 2017 avait été manipulée par le "Prevent Program"; l'homme qu'il avait dénoncé à la police était chargé par ce programme de le surveiller. Il a expliqué avoir, en prison, donné le nom de son fils à une infirmière, et que son fils était mort une semaine plus tard, selon ce qu'il avait appris dans un rêve. Il ne s'agissait pas d'hallucinations, son fils était réellement mort. Les psychiatres, son avocat et le procureur collaboraient avec le "Prevent Program" pour détruire sa vie.

C. Aux débats d'appel, A______ a produit une expertise du Dr. F______, mandaté par le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE) dans le cadre du PAFA sus-évoqué. Il en ressort que cet expert a posé un diagnostic de trouble délirant (F.22) et confirmé que la mesure de placement du prévenu à ______ [Institution pénitentiaire] (objet de sa mission) était justifiée. Le prévenu soutient néanmoins que l'avis exprimé par ce psychiatre diffère de celui de l'expert, même s'il n'a pas fourni de réponse intelligible lorsque la Cour lui a fait remarquer que leurs conclusions semblaient sensiblement les mêmes. S'il était venu à Genève en novembre 2017 c'était pour demander l’asile car sa vie était en danger en Angleterre. Il a persisté à se dire en danger de mort, et a contesté la validité de l'expertise qui n'était qu'un "tissu de mensonges digne de la poubelle". Il n'avait pas mis quiconque en danger. Son expulsion en Angleterre conduirait à sa mort certaine car les personnes qui le persécutaient le tueraient. Dès que celles-ci auraient été arrêtées il rentrerait en Angleterre, pays où il avait toutes ses attaches. Il était sans nouvelle de sa famille.

D. S'agissant de sa situation personnelle, A______ est né le ______ 1964 à ______, au Kosovo. Ses parents sont décédés et il est enfant unique. Il dit avoir quitté le Kosovo pour l'Angleterre le ______ 1996. Il s'est installé dans un quartier périphérique de Londres et a obtenu la nationalité britannique. Il soutient avoir un enfant de 10 ans, qui vivrait avec sa mère en Albanie.

Il ne dispose d'aucune source de revenus et dormait dans un abri PC au jour de son arrestation.

A______ n'a pas d'antécédents judiciaires.

E. Me G______, défenseur d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, comptabilisant 11 heures d'activité de chef d'étude, correspondant à cinq conférences avec son client à la prison (5 heures), 2 heures pour "appel / observations ", 2 heures pour "étude /analyse procédure d'appel / préparation audience" et 2 heures pour l'audience d'appel, auxquelles s'ajoutent des frais de déplacement (CHF 100.-) et un forfait de 20 %.

EN DROIT :

1.                   1.1. Selon l'art. 374 du Code de procédure pénale, du 5 octobre 2007 (CPP ; RS 312.0), si le prévenu est irresponsable et que la punissabilité au sens de l'art. 19, al. 4, ou 263 CP n'entre pas en ligne de compte, le Ministère public demande par écrit au tribunal de première instance de prononcer une mesure au sens des art. 59 à 61, 63, 64, 67, 67b ou 67e CP, sans prononcer le classement de la procédure pour irresponsabilité du prévenu (al. 1). Les dispositions régissant la procédure de première instance sont applicables (al. 2). La rédaction d'un acte d'accusation n'est alors pas nécessaire ni même une appréciation de la qualification juridique des faits (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2016, n. 2, 4 et 9 ad art. 374 CPP et les références). Cette disposition est le reflet de l'art. 19 al. 1 CP, selon lequel l'auteur n'est pas punissable si, au moment d'agir, il ne possédait pas la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation.

Le tribunal saisi de la demande ordonne les mesures proposées ou d'autres mesures lorsqu'il considère la participation du prévenu et son irresponsabilité comme établies et qu'il tient ces mesures pour nécessaires, auquel cas le prononcé des mesures est rendu sous la forme d'un jugement (art. 375 al. 1 et 2 CPP).

1.2. L'appel est ouvert contre ce jugement, quand bien même il ne peut, par définition, consacrer aucune condamnation du prévenu irresponsable, afin de lui permettre de faire valoir ses droits relatifs au prononcé de la mesure (A. KUHN / Y. JEANNERET [éds], Commentaire Romand: code de procédure pénale suisse, Bâle 2011 n. 9 ad art. 375). La recevabilité du présent appel a au surplus déjà été constatée dans l'arrêt AARP/4/2019 du 8 janvier 2019.

1.3. La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP). Seule sont ainsi litigieuses en l'espèce la mesure prononcée et son corollaire la détention pour motifs de sûreté, ainsi que le refus, par le premier juge, de prononcer l'expulsion. Le verdict d'irresponsabilité est acquis.

2.                   2.1. Selon l'art. 56 al. 1 CP, une mesure doit être ordonnée si une peine seule ne peut écarter le danger que l'auteur commette d'autres infractions (let. a), si l'auteur a besoin d'un traitement ou que la sécurité publique l'exige (let. b) et si les conditions prévues aux art. 59 à 61, 63 ou 64 sont remplies (let. c). Le prononcé d'une mesure suppose en outre que l'atteinte aux droits de la personnalité qui en résulte pour l'auteur ne soit pas disproportionnée au regard de la vraisemblance qu'il commette de nouvelles infractions et de leur gravité (art. 56 al. 2 CP ; ATF 134 IV 121 consid. 3.4.4 p. 131). Pour ordonner une des mesures prévues aux art. 59 à 61, 63 et 64 CP ou en cas de changement de sanction au sens de l'art. 65 CP, le juge se fonde sur une expertise. Celle-ci se détermine sur la nécessité et les chances de succès d'un traitement, sur la vraisemblance que l'auteur commette d'autres infractions et sur la nature de celles-ci ainsi que sur les possibilités de faire exécuter la mesure (art. 56 al. 3 let. a à c CP).

Selon l'art. 56 al. 2 CP, l'atteinte aux droits de la personnalité qui résulte pour l'auteur du prononcé de la mesure ne doit pas être disproportionnée au regard de la vraisemblance qu'il commette de nouvelles infractions et de leur gravité. Ce principe vaut tant pour le prononcé d'une mesure que pour sa prolongation (arrêts du Tribunal fédéral 6B_109/2013 du 19 juillet 2013 consid. 4.4.1 ; 6B_826/2013 du 12 décembre 2013 consid. 2.8.1). La pesée des intérêts doit s'effectuer entre, d'une part, le danger que la mesure veut prévenir et, d'autre part, la gravité de l'atteinte aux droits de la personne concernée. L'importance de l'intérêt public à la prévention d'infractions futures doit se déterminer d'après la vraisemblance que l'auteur commette de nouvelles infractions et la gravité des infractions en question. Plus les infractions que l'auteur pourrait commettre sont graves, plus le risque qui justifie le prononcé d'une mesure peut être faible, et inversement. Quant à l'atteinte aux droits de la personnalité de l'auteur, elle dépend non seulement de la durée de la mesure, mais également des modalités de l'exécution. Plus la durée de la mesure – et avec elle la privation de liberté de la personne concernée – est longue, plus strictes seront les exigences quant au respect du principe de la proportionnalité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1167/2014 du 26 août 2015 consid. 3.1 ; 6B_109/2013 du 19 juillet 2013 consid. 4.4.4 ; 6B_826/2013 du 12 décembre 2013 consid. 2.8.1). D'autre part, l'art. 56a CP rappelle que si plusieurs mesures s'avèrent appropriées, mais qu'une seule est nécessaire, le juge ordonne celle qui porte à l'auteur les atteintes les moins graves (arrêts du Tribunal fédéral 6B_950/2009 du 10 mars 2010 consid. 4 ; 6B_457/2007 du 12 novembre 2007 consid. 5.2 ; cf. déjà ATF 118 IV 108 consid. 2a p. 113 et les références citées).

Le principe de la proportionnalité recouvre trois aspects. Une mesure doit être propre à améliorer le pronostic légal chez l'intéressé (principe de l'adéquation). En outre, elle doit être nécessaire. Elle sera inadmissible si une autre mesure, qui s'avère également appropriée, mais porte des atteintes moins graves à l'auteur, suffit pour atteindre le but visé (principe de la nécessité ou de la subsidiarité). Enfin, il doit exister un rapport raisonnable entre l'atteinte et le but visé (principe de la proportionnalité au sens étroit). La pesée des intérêts doit s'effectuer entre, d'une part, la gravité de l'atteinte aux droits de la personne concernée et, d'autre part, la nécessité d'un traitement et la vraisemblance que l'auteur commette de nouvelles infractions (arrêts du Tribunal fédéral 6B_608/2018 du 28 juin 2018 consid. 1.1 ; 6B_1317/2018 du 22 mai 2018 consid. 3.1 ; 6B_277/2017 du 15 décembre 2017 consid. 3.1 ; 6B_343/2015 du 2 février 2016 consid. 2.2.2 ; 6B_596/2011 du 19 janvier 2012 consid. 3.2.3). S'agissant de l'atteinte aux droits de la personnalité de l'auteur, celle-ci dépend non seulement de la durée de la mesure, mais également des modalités de l'exécution (arrêts du Tribunal fédéral 6B_438/2018 du 27 juillet 2018 consid. 3.1 ; 6B_1317/2017 du 22 mai 2018 consid. 3.1 ; 6B_277/2017 du 15 décembre 2017 consid. 3.1 ; 6B_1167/2014 du 26 août 2015 consid. 3.1 ; 6B_26/2014 du 24 juin 2014 consid. 3.1).

Par sa nature, une mesure thérapeutique ne dépend pas de la culpabilité de l'intéressé, et n'est pas limitée de façon absolue dans le temps. Sa durée dépend, en fin de compte, des effets de la mesure sur la diminution du risque de récidive, la privation éventuelle de liberté de l'intéressé ne pouvant excéder la durée justifiée par la dangerosité qu'il présente (ATF 142 IV 105 c. 5.4 p. 112). Le principe de proportionnalité peut toutefois commander, dans certaines circonstances, de limiter la durée de la mesure et de fixer celle-ci en-deçà de la durée légale usuelle (arrêt du Tribunal fédéral 6B_636/2018 du 25 juillet 2018, consid. 4.2).

2.2. Pour ordonner une des mesures prévues aux articles 59 à 61, 63 et 64 CP, le juge se fonde sur une expertise. Celle-ci se détermine sur la nécessité et les chances de succès d'un traitement, sur la vraisemblance que l'auteur commette d'autres infractions et sur la nature de celles-ci ainsi que sur les possibilités de faire exécuter la mesure (art. 56 al. 3 let. a à c CP). À cet égard, les rapports de thérapeutes ne suffisent pas (ATF 134 IV 246 consid. 4.3).

L'expert se détermine ainsi sur l'ensemble des conditions de fait de la mesure, étant gardé à l'esprit qu'il incombe au juge de déterminer si une mesure doit être ordonnée et, cas échéant, laquelle. En effet, ce n'est pas à l'expert, mais bien au juge qu'il appartient de résoudre les questions juridiques qui se posent, dans le complexe de faits faisant l'objet de l'expertise (ATF 118 Ia 144 consid. 1c p. 145 ss et les références ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1160/2017 du 17 avril 2018 consid. 2.1 ; 6B_1348/2017 du 22 janvier 2018 consid. 1.1.3 ; 6B_1297/2015 du 22 mars 2017 consid. 3.1 ; 6B_346/2016 du 31 janvier 2017 consid. 3.2 ; 6B_513/2015 du 4 février 2016 consid. 3.4 non publié in ATF 142 IV 56 et les références).

2.3. Le prononcé d'une mesure thérapeutique institutionnelle selon l'art. 59 CP suppose un grave trouble mental au moment de l'infraction, lequel doit encore exister lors du jugement. Selon la jurisprudence, toute anomalie mentale du point de vue médical ne suffit pas. Seuls certains états psychopathologiques d'une certaine importance et seules certaines formes relativement lourdes de maladies mentales au sens médical peuvent être qualifiés d'anomalies mentales au sens juridique (arrêts du Tribunal fédéral 6B_31/2015 du 26 mai 2015, consid. 2.1; 6B_784/2010 du 2 décembre 2010 consid. 2.1). En d'autres termes, il faut que la structure mentale de l'intéressé s'écarte manifestement de la moyenne par rapport aux autres sujets de droit, mais plus encore par rapport aux autres criminels (Message du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse [dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal] et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 p. 1812). La référence à la gravité du trouble mental ne correspond pas à une description quantitative du dérangement psychique, mais signifie uniquement que le trouble mental doit être significatif sur le plan psychiatrique comme sur le plan juridique (arrêt 6B_31/2015 susmentionné, consid. 2.1 et les références citées).

Outre l'exigence d'un grave trouble mental, le prononcé d'un traitement institutionnel selon l'art. 59 al. 1 CP suppose que l'auteur ait commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble (let. a) et qu'il soit à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce dernier (let. b). Le traitement ne peut se limiter à "la simple administration statique et conservatoire des soins", mais doit viser un "impact thérapeutique dynamique". Il doit être suffisamment vraisemblable que celui-ci entraînera, dans les cinq ans de sa durée normale, une réduction nette du risque que l'intéressé commette de nouvelles infractions. La seule possibilité vague d'une diminution du danger ne suffit pas (ATF 141 IV 1 consid. 3.2.4 p. 8 s. ; ATF 134 IV 315 consid. 3.4.1 p. 321 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_130/2018 du 27 juin 2018 consid. 3.1.1 ; 6B_1397/2017 du 26 avril 2018 consid. 1.1.2).

La gravité de l'infraction qui donne lieu à la mesure ne constitue pas une condition de cette dernière. C'est l'état de santé mental du recourant qui détermine sa nécessité. Les actes commis ne constituent que des indices de la dangerosité que l'expert doit apprécier (arrêt du Tribunal fédéral 6B_950/2009 du 10 mars 2010 consid. 3.3.2 avec référence à l'ATF 127 IV 1 consid. 2c/cc p. 8).

2.4. En l'espèce, il ressort clairement de l'expertise – datant de moins d'une année – que le prévenu présente une pathologie nécessitant des soins et une prise en charge adéquate. La question essentielle est ainsi celle de la proportionnalité de la mesure préconisée par les experts.

2.4.1. Comme relevé ci-dessus, la CPAR est appelée à procéder à une pesée des intérêts divergents en présence, c'est-à-dire entre la gravité du danger que la mesure cherche à éviter et l'importance de l'atteinte aux droits du prévenu inhérente à la mesure.

2.4.2. Il est établi par l'expertise que la mesure préconisée est propre en l'espèce à améliorer le pronostic légal du prévenu; en effet, même si les experts retiennent qu'une guérison est illusoire, le traitement préconisé serait de nature à permettre une réduction des risques et notamment une prise de conscience, par le prévenu, de la nature de son trouble. Le principe de l'adéquation est respecté.

2.4.3. L'expertise retient également que, dans un premier temps en tout cas, aucune autre mesure ne permettrait d'atteindre le but visé. Les experts décrivent en effet pourquoi ni un placement en milieu ouvert, ni une mesure ambulatoire, ne seraient à même de permettre une prise en charge adéquate, en raison de la méfiance exacerbée du prévenu, de son anosognosie et de son attitude opposante. Le principe de subsidiarité est également respecté.

2.4.4. Enfin, la CPAR doit examiner le respect du principe de proportionnalité au sens strict, ce qui commande de procéder à une pesée des intérêts entre, d'une part, la gravité de l'atteinte aux droits du prévenu (en tenant compte des modalités d'exécution de la mesure) et, d'autre part, la nécessité d'un traitement et la vraisemblance que l'auteur commette de nouvelles infractions. Les experts retiennent un risque faible de récidive d'actes hétéro-agressifs, mais un risque "non négligeable" de commission de nouvelles infractions du genre de celles qui ont conduit à la présente procédure. Sous cet angle, au vu également de la nature des biens juridiques concernés par le risque de récidive, une mesure thérapeutique institutionnelle qui se poursuivrait en milieu fermé pendant toute la durée légale (cinq ans) serait vraisemblablement disproportionnée. Néanmoins, les experts laissent clairement entendre que dans le cas du prévenu, la mesure en milieu fermé serait susceptible, après six mois, de faire l'objet d'une nouvelle évaluation, et devrait conduire, à terme, à la transformation en une mesure en milieu ouvert, voire à une libération conditionnelle assortie d'une mesure de traitement ambulatoire.

2.4.5. Selon la jurisprudence, c'est l'autorité d'exécution qui a la compétence de choisir le lieu d'exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle (ATF 142 IV 1 consid. 2.5 p. 10 s.). Cela étant, si un placement en milieu fermé apparaît déjà nécessaire au moment du prononcé du jugement, le juge peut et doit l'indiquer dans les considérants en traitant des conditions de l'art. 59 al. 3 CP (ATF 142 IV 1 consid. 2.4.4 p. 9 et 2.5 p. 10 s.). Dans ces circonstances, il est souhaitable que le tribunal s'exprime dans les considérants de son jugement – mais non dans son dispositif – sur la nécessité d'exécuter la mesure en milieu fermé et recommande une telle modalité d'exécution, de manière non contraignante, à l'autorité d'exécution (ATF 142 IV 1 consid. 2.5 p. 10 s). Les circonstances de la présente cause commandent que la CPAR s'exprime sur ce point.

2.4.6. Ainsi, et afin de respecter le principe de proportionnalité au sens strict, il apparaît nécessaire que la mesure thérapeutique institutionnelle ordonnée à l'encontre du prévenu soit exécutée, dans un premier temps, en milieu fermé; seul ce mode d'exécution paraît à même de permettre la prise en charge initiale adéquate du prévenu afin de réduire le danger de récidive. Il apparaît néanmoins tout aussi nécessaire de recommander que cette mesure fasse très rapidement, et si possible encore avant le contrôle annuel instauré par l'art. 62d CP, l'objet d'une réévaluation afin d'examiner quand un transfert en milieu ouvert sera envisageable. Ce n'est qu'à la condition que la privation de liberté induite par la mesure demeure raisonnable que celle-ci sera encore proportionnée dans le cas d'espèce.

2.4.7. Pour les mêmes raisons, et compte tenu notamment du risque faible risque de passage à l'acte hétéroagressif que présente le prévenu aux dires des experts, il importe également de limiter la durée de la mesure thérapeutique institutionnelle. En effet, la poursuite d'une telle mesure pendant cinq ans apparaît d'emblée disproportionnée. La durée de la mesure doit en conséquence être limitée à trois ans, durée qui doit suffire puisque les experts eux-mêmes ont invoqué une durée de six mois pour procéder à une première évaluation. A cet égard, il sera rappelé que la privation de liberté entraînée par le traitement institutionnel au sens de l'art. 59 al. 4 1re phrase CP inclut aussi la privation de liberté subie entre le prononcé, entré en force et exécutoire, de la mesure et le début effectif du traitement (ATF 142 IV 105 consid. 4 et 5), et que la durée de la mesure se calcule à partir de la date d'entrée en force du jugement qui l'ordonne (arrêt du Tribunal fédéral 6B_691/2018 du 19 décembre 2018, destiné à la publication, consid. 2.6, 2.7 et 3). Néanmoins, la détention subie par le prévenu avant le jugement doit, en l'espèce, aussi être déduite de la durée de la mesure, faute de pouvoir être imputée sur une peine (ATF 141 IV 236, consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1203/2017, du 1er novembre 2017, consid. 4.1.3, certes pour un cas de mesure au sens de l'art. 60 CP, critiqué in M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht I : Art. 1-136 StGB, 4e éd., Bâle 2019, n. 129f ad art. 59 CP). Il importe dès lors que l'autorité d'exécution procède avec célérité pour mettre en oeuvre le traitement ordonné.

2.4.8. Le jugement entrepris doit donc être réformé, en tant qu'il ordonne le prononcé d'une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l'art. 59 CP à l'encontre du prévenu, en ce sens que la durée de cette mesure doit être limitée à trois ans.

3.                   Le Ministère public conclut au prononcé de l'expulsion facultative du prévenu, selon l'art. 66abis du code pénal.

3.1.  Conformément à l'art. 66abis CP, le juge peut expulser un étranger du territoire suisse pour une durée de trois à quinze ans si, pour un crime ou un délit non visé à l'art. 66a, celui-ci a été condamné à une peine ou a fait l'objet d'une mesure au sens des art. 59 à 61 ou 64 CP.

3.2.  Cette mesure prévue par la loi qui, par essence, s'ajoute à la peine proprement dite, fait partie intégrante de la sanction à prononcer (ATF 143 IV 168 consid. 3.2 = SJ 2017 I 433). L'expulsion judiciaire pénale de l'art. 66abis CP – qui ne diffère pas fondamentalement de l'expulsion prescrite en son temps par l'art. 55 al. 1 aCP (ATF 123 IV 107 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_607/2018 du 10 octobre 2018 consid. 1.1 ; 6B_770/2018 du 24 septembre 2018 consid. 1.1) – ne contredit pas l'interdiction de la double peine qui découle notamment de l'art. 6 CEDH (AARP/202/2017 du 16 juin 2017 consid. 2.5).

3.3.  Il s'agit d'une Kann-Vorschrift (G. MÜNCH / F. DE WECK, Die neue Landesverweisung, in Art. 66a ff. StGB, Revue de l'avocat 2016, p. 163 ; G. FIOLKA / L. VETTERLI, Landesverweisung nach Art. 66a StGB als strafrechtliche Sanktion, cahier spécial, Plädoyer 5/16, p. 86 ; AARP/185/2017 du 2 juin 2017 consid. 2.2 ; AARP/179/2017 du 30 mai 2017 consid. 3.1.2). Le juge est donc libre, sans autre justification, de renoncer à l'expulsion facultative (M. BUSSLINGER / P. UEBERSAX, Härtefallklausel und migrationsrechtliche Auswirkungen der Landesverweisung, cahier spécial, Plaidoyer 5/2016, p. 98).

3.4.  A la différence de l'expulsion obligatoire, l'expulsion facultative ne semble pas être subordonnée au prononcé d'une peine. Une mesure au sens des articles 59 à 61 CP ou un internement au sens de l'article 64 CP devraient suffire (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 2 ad art. 66abis CP; S. GRODECKI / Y. JEANNERET, L'expulsion judiciaire, in Droit pénal - évolutions en 2018, CEMAJ, Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel, Bâle 2017, n. 56; Fabienne Germanier, Einige Ungereimtheiten der Landesverweisung (Art. 66a ff. StGB), in Jusletter 21 novembre 2016; Karl Kümin, Darf eine Aufenthaltsbewilligung widerrufen werden, nachdem von einer Landesverweisung abgesehen wurde?, in : Jusletter 28 novembre 2016). La possibilité de prononcer une expulsion non-obligatoire en cas de prononcé d'une mesure vise en première ligne les personnes irresponsables, au sens de l'art. 19 CP (M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht I : Art. 1-136 StGB, 4e éd., Bâle 2019, n. 5 ad art. 66abis CP). L'absence de mention, à l'art. 19 al. 3 CP et à l'art. 374 al. 1 CPP, de la possibilité de prononcer une expulsion, n'y fait pas obstacle, cette absence ne constituant pas un silence qualifié mais plutôt une omission du législateur (S. GRODECKI / Y. JEANNERET, op. cit., n. 56).

3.5.  A la lecture des textes français et italiens de l'article 66abis CP, la condition selon laquelle les faits de la cause portent sur "un crime ou un délit non visé à l’art. 66a CP" s'applique également en cas de prononcé d'une mesure pour personne irresponsable ("Le juge peut expulser un étranger du territoire suisse pour une durée de trois à quinze ans si, pour un crime ou un délit non visé à l’art. 66a, celui-ci a été condamné à une peine ou a fait l’objet d’une mesure au sens des art. 59 à 61 ou 64"; "Il giudice può espellere dal territorio svizzero per un tempo da tre a quindici anni lo straniero condannato a una pena o nei confronti del quale è pronunciata una misura ai sensi degli articoli 59-61 o 64 per un crimine o un delitto non previsto nell'articolo 66a"). Toutefois, et quand bien même le texte allemand ne résout pas cette ambiguïté de façon absolue, tel ne peut avoir été l'intention du législateur. En effet, il serait complètement illogique que seul le prévenu irresponsable faisant l'objet d'une mesure en raison d'une infraction n'entrant pas dans la liste des infractions de l'art. 66a CP (qui comprend les infractions les plus graves du code), et dont les faits seraient donc d'une gravité relative, puisse faire l'objet d'une expulsion facultative. Selon une interprétation à la lettre du texte, un prévenu ayant occasionné, en état d'irresponsabilité, des lésions corporelles graves au sens de l'art. 122 CP, voire un homicide au sens de l'art. 111 CP, ne pourrait pas faire l'objet d'une mesure d'expulsion, l'art. 122 CP figurant à l'art. 66a al. 1 lit. b CP, qui ne permet l'expulsion qu'en cas de prononcé d'une peine, alors que si les faits ne devaient être qualifiés "que" de lésions corporelles simples au sens de l'art. 123 CP, l'art. 66abis CP pourrait conduire au prononcé d'une expulsion. Les comparaisons pourraient se multiplier à l'absurde, et démontrent que, nonobstant la teneur française et italienne de l'art. 66abis CP, le législateur a bel et bien souhaité introduire, par cette disposition, la possibilité de prononcer une mesure d'expulsion pour les personnes reconnues irresponsables, sans égard à la nature des faits (remplissant les éléments constitutifs de crimes ou de délits) qui leur sont imputés, et non la réserver aux seules infractions ne faisant pas partie du catalogue de l'art. 66a CP (dans le même sens : M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, op. cit., n. 4 ad art. 66abis CP).

3.6.  La doctrine qui a examiné cette question souligne unanimement que le prononcé d'une expulsion pour un prévenu reconnu irresponsable doit être guidé par le respect du principe de proportionnalité, et renvoient aux principes et à la jurisprudence développés pour l'examen de la clause de rigueur de l'art. 66a al. 2 CP (M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, op. cit. n. 13 ad art. 66abis CP; S. GRODECKI / Y. JEANNERET, op. cit. n. 57-58). Il convient ainsi d'examiner si l'intérêt public à l'expulsion l'emporte sur l'intérêt privé de la personne à demeurer en Suisse. Une telle pesée des intérêts répond également aux exigences découlant de l'art. 8 par. 2 CEDH concernant les ingérences dans la vie privée et familiale (arrêt du Tribunal fédéral 6B_371/2018 du 21 août 2018 consid. 3.2; M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, op. cit., n. 6 ad art. 66abis CP).

3.7.  Le prononcé d'une expulsion facultative doit être décidé en fonction des circonstances d'espèce concrète, et en tenant compte de l'intérêt personnel de la personne concernée et de sa famille. Ainsi, selon la doctrine, le prononcé d'une expulsion facultative à l'encontre d'un prévenu irresponsable au bénéfice d'une autorisation de séjour en Suisse devrait en principe être considéré comme disproportionné, puisqu'il n'est pas possible de lui reprocher une infraction en raison de son irresponsabilité. Une telle mesure entre bien plus en ligne de compte pour des personnes de passage (M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, op. cit., n. 13 et 16 ad art. 66abis CP).

3.8.  En l'espèce, il est constant que le prévenu est citoyen anglais, et n'était arrivé en Suisse que depuis quelques jours, tout au plus semaines au moment des faits. Le dossier ne contient aucune information sur la demande d'asile qu'il a déposée; cela étant, les motifs de cette demande apparaissent intimement liés à son délire de persécution, sans ancrage dans la réalité; la Grande-Bretagne figure d'ailleurs dans la liste des Etats sûrs au sens de l'art. 6a lit. e de la loi sur l'asile (cf. annexe 2 de l Ordonnance 1 sur l'asile, OA 1 [RS 142.311]). En tout état de cause, d'éventuels motifs d'asile ne font pas obstacle au prononcé de l'expulsion, mais uniquement à son exécution (art. 66d CP).

3.9.  Le prévenu ne parle aucune des langues nationales; il n'a aucune attache en Suisse. Ses seuls liens semblent être plus avec son pays d'origine, où vivraient son fils et la mère de celui-ci, qu'avec l'Angleterre dont il est ressortissant, mais qu'il a quitté en raison de sa crainte du "Prevent Program". Il n'en demeure pas moins qu'il n'a aucune perspective d'intégration en Suisse, et que ses motifs de se trouver dans ce pays sont biaisés par sa maladie. En réalité, et nonobstant l'entité anglaise qu'il vise dans ses plaintes persécutoires, ses chances de rétablissement, de stabilisation voire de guérison, semblent plus sérieuses en Angleterre, voire au Kosovo, qu'en Suisse, pays dans lequel il n'a aucune perspective, aucune racine, aucun repère et aucune attache. Le prévenu a d'ailleurs lui-même déclaré qu'il souhaitait pouvoir rentrer dans son pays, tout en renonçant à le faire en raison des menaces qu'il y perçoit.

3.10.   Par ailleurs, le prévenu a démontré, par ses actes, une mise en danger de l'intérêt public, notamment des services de sécurité et de secours ainsi que de la paix publique. Cette mise en danger doit être relativisée, aucun bien individuel n'ayant été atteint, et l'atteinte aux biens collectifs étant somme toute demeurée peu grave, nonobstant l'effroi et le tumulte que ses propos ont pu, temporairement, occasionner aux autorités policières. Si le prévenu avait eu un quelconque intérêt à séjourner en Suisse, il est manifeste que cet intérêt aurait fait obstacle à une expulsion facultative, en l'absence de faute qui lui soit imputable. Tel n'est toutefois pas le cas. Néanmoins, le principe de proportionnalité commande, en l'espèce, de prononcer une expulsion pour une durée de trois ans, soit le minimum prévu par la loi.

3.11.   Ainsi, et bien qu'il s'agisse d'un cas limite au vu des intérêts juridiques en jeu, les conditions au prononcé d'une expulsion facultative sont réunies. Cette mesure sera par conséquent ordonnée.

4.                   Lors du prononcé du jugement en appel, la juridiction doit, à l'instar du tribunal de première instance, se prononcer sur la question de la détention. En effet, si l'autorité d'appel entre en matière, son jugement se substitue à celui de première instance (art. 408 CPP) ; il y a lieu dès lors d'appliquer mutatis mutandis l'art. 231 CPP et de décider si le condamné doit être placé ou maintenu en détention pour garantir l'exécution de la peine ou de la mesure, ou en prévision d'un éventuel recours, pour autant que les conditions de l'art. 221 CPP soient satisfaites. La juridiction d'appel peut ainsi prononcer le maintien de la détention pour des motifs de sûreté, ou ordonner une mise en détention en se fondant sur l'art. 232 CPP (ATF 139 IV 277 consid. 2.2 p. 280 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_60/2016 du 7 mars 2016 consid. 2.1). La détention ne peut ainsi être ordonnée que si cela est nécessaire à l'exécution de la peine et de la mesure et qu'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu se soustraie à l'exécution de la mesure (risque de fuite, art. 221 al. 1 let. a CPP), ou qu'il compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre (risque de réitération, art. 221 al. 1 let. c CPP); l'autre motif de l'art. 221 CPP (risque de collusion, art. 221 al. 1 let. b CPP) n'entrant en l'espèce pas en ligne de compte.

Il ressort en l'espèce clairement de l'expertise que le prévenu présente à la fois un risque de réitération, lié à sa conviction profondément ancrée quant à la réalité de son délire, et d'autre part un risque de fuite puisqu'il se considère sain d'esprit et nie toute nécessité d'un traitement.

Les motifs ayant conduit les premiers juges à prononcer, par ordonnance séparée du 27 septembre 2018, le maintien du prévenu en détention pour des motifs de sûreté sont ainsi toujours d'actualité, de sorte que la mesure sera reconduite.

5.                   Selon l'art. 419 CPP, si la procédure a fait l’objet d’une ordonnance de classement en raison de l’irresponsabilité du prévenu ou si celui-ci a été acquitté pour ce motif, les frais peuvent être mis à sa charge si l’équité l’exige au vu de l’ensemble des circonstances.

En l'espèce et au vu de l'impécuniosité manifeste du prévenu, il ne sera pas perçu de frais.

6.                   6.1. Les frais imputables à la défense d'office ou à l'assistance juridique gratuite pour la partie plaignante sont des débours (art. 422 al. 2 let. a CPP) qui constituent des frais de procédure (art. 422 al. 1 CPP) et doivent, conformément à l'art. 421 al. 1 CPP, être fixés par l'autorité pénale dans la décision finale au plus tard (ATF 139 IV 199 consid. 5.1 p. 201 s. = JdT 2014 IV 79). La juridiction d'appel est partant compétente, au sens de l'art. 135 al. 2 CPP, pour statuer sur l'activité postérieure à sa saisine.

6.2. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit (cf. art. 138 al. 1 CPP) est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. S'agissant d'une affaire soumise à la juridiction cantonale genevoise, l'art. 16 du règlement sur l'assistance juridique du 28 juillet 2010 (RAJ ; E 2 05.04) s'applique.

À teneur de la jurisprudence, est décisif pour fixer la rémunération de l'avocat, le nombre d'heures nécessaires pour assurer la défense d'office du prévenu. Pour fixer cette indemnité, l'autorité doit tenir compte de la nature et de l'importance de la cause, des difficultés particulières que celle-ci peut présenter en fait et en droit, du temps que l'avocat lui a consacré, de la qualité de son travail, du nombre des conférences, audiences et instances auxquelles il a pris part, du résultat obtenu ainsi que de la responsabilité assumée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_810/2010 du 25 mai 2011 consid. 2 et les références citées).

6.3. En l'espèce, l'annonce et la déclaration d'appel ne seront pas rémunérées séparément, ces actes étant couverts par le forfait pour activités diverses, étant rappelé que la déclaration d'appel n'a pas à être motivée, et que le jugement de première instance a été motivé verbalement à l'audience de jugement. Par ailleurs, la durée de l'audience d'appel sera réduite de 15 minutes au vu de sa durée effective.

L'indemnité sera arrêtée à CHF 2'200.-, correspondant à 8h45 au tarif horaire de CHF 200.- (CHF 1'750.-), plus forfait 20% (CHF 350.-) et frais de déplacement (CHF 100.-).

7.                   Compte tenu des modifications apportées au jugement entrepris, celui-ci sera intégralement annulé et remplacé par le présent jugement (art. 408 CPP).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet l'appel formé par le Ministère public contre JTCO/111/2018 rendu le 27 septembre 2018 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/25904/2017.

Admet partiellement l'appel joint formé par A______ contre ce jugement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Constate que A______ a commis en état d'irresponsabilité les faits décrits dans la demande de mesure pour prévenu irresponsable du 10 juillet 2018 (art. 19 CP et 375 al. 1 CPP).

Ordonne que A______ soit soumis à un traitement institutionnel (art. 59 CP).

Dit que la durée de ce traitement institutionnel est limitée à trois ans, sous imputation de 425 jours de détention avant jugement (art. 51 CP).

Ordonne l'expulsion de Suisse de A______ pour une durée de 3 ans (art. 66abis CP).

Dit que l'exécution du traitement institutionnel prime celle de l'expulsion (art. 66c al. 2 CP).

Ordonne le maintien de A______ en détention pour des motifs de sûreté.

Fixe à CHF 5'255.75 l'indemnité de procédure due à Me G______, défenseur d'office de A______ (art. 135 CPP) pour la procédure de première instance.

Fixe à CHF 2'200.- l'indemnité de procédure due à Me G______, défenseur d'office de A______ (art. 135 CPP) pour la procédure d'appel.

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP).

Ordonne la transmission du jugement de première instance, du présent jugement, des procès-verbaux d'audience de jugement de première instance et d'appel, du rapport d'expertise psychiatrique du 6 mars 2018 et du procès-verbal de l'audition de l'expert du 31 mai 2018 au Service d'application des peines et mesures.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel, à la Prison B______, au Service d'application des peines et mesures et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

Siégeant :

Madame Gaëlle VAN HOVE, présidente; Mesdames Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE et Verena PEDRAZZINI RIZZI, juges; Monsieur Julien RAMADOO, greffier-juriste.

 

La greffière :

Joëlle BOTTALLO

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération du 19 mars 2010 (LOAP; RS 173.71), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).