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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2805/2023

JTAPI/371/2024 du 19.04.2024 ( LDTR ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : LOYER ÉCHELONNÉ;LOYER CONTRÔLÉ
Normes : LDTR.10; LDTR.11.al1; LDTR.11.al3; LDTR.14
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2805/2023 LDTR

JTAPI/371/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 avril 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, B______, C______ et D______ et Monsieur E______, représentés par MOSER VERNET & CIE, avec élection de domicile

Monsieur F______, mineur, représenté par Me Albert RIGHINI, curateur, représenté par MOSER VERNET & CIE, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Mesdames A______, B______, C______ et D______ et Messieurs E______ et F______ (ci-après : consorts G______) sont copropriétaires de l’immeuble sis 1______ H______, sur la commune de Genève.

2.             Monsieur I______ est locataire de l’appartement n°42 de 6 pièces situé au 4è étage de l’immeuble.

Selon un avenant au bail d’avril 2015, le loyer de l’appartement a été échelonné, soit une augmentation du loyer chaque 1er mai, de 2017 à 2026.

3.             Le ______2015, les consorts G______ ont déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département ou DT) une demande d’autorisation de construire portant sur la transformation et la rénovation de l’appartement de 6 pièces du 4ème étage.

4.             Dans le cadre de l’instruction de cette requête, tous les préavis recueillis étaient favorables.

En particulier, le préavis de l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) du 21 juin 2023, favorable sous conditions, mentionnait que le loyer de l’appartement de 6 pièces situé au 4ème étage n’excéderait pas après travaux son niveau actuel, soit CHF 21'480.- par an, soit CHF 3'580.- la pièce par an. Ce loyer serait appliqué pour une durée de trois ans à dater de la remise en location après la fin des travaux.

5.             Le ______ 2023, le département a délivré l’autorisation sollicitée (APA 2______), laquelle retenait en particulier que les conditions figurant dans les préavis devaient être strictement respectées et faisaient partie intégrante de l’autorisation, soit notamment le préavis de l’OCLPF du 21 juin 2023.

6.             Par acte du 5 septembre 2023, les consorts G______, par l’intermédiaire de la Régie MOSER VERNET & Cie ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette autorisation, concluant préalablement au retrait de l’effet suspensif et, au fond, à l’annulation du préavis de l’OCLPF du 21 juin 2023 et à la modification de la décision en ce sens que le loyer après travaux devait être fixé à CHF 21'480.- / an jusqu’au 30 avril 2024, CHF 21'720.- / an du 1er mai 2024 au 30 avril 2025 et CHF 21'960.- / an du 1er mai 2025 jusqu’à la fin de la période de contrôle, à la rectification de la décision en ce sens qu’elle devait être destinée aux consorts G______, sous suite de frais dépens.

Les travaux autorisés n’étant pas contestés, le recours ne portant que sur la question du montant du loyer bloqué après travaux ; dès lors, aucun intérêt ne s’opposait à ce que lesdits travaux soient retardés par le recours ; ils sollicitaient donc le retrait de l’effet suspensif au recours.

Sur le fond, le loyer échelonné du locataire avait été fixé contractuellement avant la demande de travaux de la part du locataire en 2023 - demande de l’installation d’une nouvelle cuisine. Il devait donc continuer à s’appliquer dans la période de contrôle, soit CHF 1'790.- / mois (CHF 21'480.- / an) jusqu’au 30 avril 2024, CHF 1’810.- / mois (CHF 21'720.- / an) du 1er mai 2024 au 30 avril 2025 et CHF 1'830.- / mois (CHF 21'960 / an) du 1er mai 2025 jusqu’à la fin de la période de contrôle. En effet, lorsque ce loyer (fixé) avant transformation ou rénovation dépassait le plafond des besoins prépondérants de la population (ci-après: BPP) – comme c’était le cas en l’espèce – il était maintenu « au même niveau », à savoir au niveau de ses échelons prévus avant les travaux qui devaient entrer en vigueur comme prévu avant les travaux.

Raisonner autrement découragerait les propriétaires à accepter des travaux en cours de bail, ou les encouragerait à attendre la fin de l'échelonnement ou de la période d'indexation prévue pour ne faire les travaux que plus tard. Ce ne serait pas dans l'intérêt du locataire qui se verrait refuser des travaux à plus-value (en l'occurrence ici une cuisine complète comme il y en a dans tous les immeubles neufs, y compris sociaux) qu'il avait demandés et qui était, en l'occurrence, protégé contre l'augmentation de loyer « Fracheboud » grâce à l'échelonnement ou l'indexation prévue dans son bail avant sa demande.

Enfin, lorsque les travaux portaient sur un immeuble entier ou presque, les procédures d'autorisation duraient actuellement en moyenne deux ans. Pendant cette période, certains locataires déménageaient inévitablement. L'OCLPF exigeait des propriétaires requérants qu'ils déposassent leurs derniers calculs de loyers peu avant la synthèse et la délivrance de l'autorisation de construire. A leur sens, dans ce cas, des calculs de loyers réactualisés avec des nouveaux calculs de hausse devraient être effectués après la fin des travaux, de façon similaire à ce qui se fait dans le cadre de l'application de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05). Cela permettrait de tenir compte des loyers effectivement existant avant travaux et des coûts effectifs des travaux exécutés (qui étaient souvent différents de ceux estimés dans le cadre de la procédure d'autorisation de construire). Dans le cas d'un appartement isolé comme ici, on ne savait également pas quand commençaient les travaux ni quand ils finissaient.

7.             Le 21 septembre 2023, le département s’en est rapporté à justice sur la requête de retrait de l’effet suspensif.

8.             Par décision du ______ 2023 (DITAI/3______) le tribunal a retiré l’effet suspensif au recours.

9.             Le département s’est déterminé sur le fond du recours le 13 novembre 2023, concluant à son rejet, sous suite de frais. Il a produit son dossier.

Comme la jurisprudence l’a rappelé, le département devait considérer comme loyer de référence le dernier loyer brut appliqué ; les échelons futurs n’avaient donc pas à être pris en considération dans le cadre de la fixation du loyer après travaux.

Il était indéniable qu’en suivant la position des recourants, il contreviendrait au but poursuivi par la LDTR et viderait même ladite loi d'une partie de sa substance. En effet, si un tel procédé devait par impossible être validé, cela reviendrait à permettre aux propriétaires de contourner la LDTR, en anticipant, lors de la conclusion du bail, la répercussion de travaux sur le loyer par le biais d'échelons. En effet, dès lors que des travaux de rénovation ou de transformation dans un appartement étaient susceptibles d'être prévus, il suffirait aux propriétaires de prévoir systématiquement un bail échelonné afin de permettre une/des augmentation/s du loyer (selon l’/les échelon/s conclu/s) après les travaux, s'affranchissant, ainsi, de la période de contrôle voulue par la LDTR. Cela constituerait non seulement un abus de droit mais irait, de plus, à l'encontre de l’intérêt public poursuivi par la LDTR.

En l’espèce, le loyer avant travaux était, selon le contrat de bail de CHF 3'580.- la pièce/an, soit supérieur à la fourchette LDTR de CHF 3'528.-. C’était donc à juste titre, en conformité de l’art. 11 al. 3 LDTR qu’il avait maintenu in casu ce loyer après travaux autorisés pour une période de trois ans sans tenir compte des échelons postérieurs conclus.

Il ne saurait au demeurant être retenu le montant du loyer convenu après le 30 avril 2024 dans l'éventualité où les travaux ne commenceraient qu'après cette date. En effet, ainsi que l'énonce l'art. 10 al. 1 LDTR, le département fixe, comme condition de l'autorisation le montant maximum des loyers. Ladite fixation de loyer intervenait donc dans le cadre de l'instruction de la requête sur la base d'une situation d'espèce précise et du loyer appliqué à ce moment-là. Elle ne dépendait donc pas de la date à laquelle les travaux étaient réellement effectués. Si les recourants estimaient que les circonstances s’étaient modifiées, il leur appartenait de déposer une nouvelle demande d'autorisation de construire ou une demande complémentaire, laquelle serait instruite de manière complète. Il n'incombe donc pas à la juridiction de se substituer à l'examen du département et de modifier le montant du loyer fixé.

Par ailleurs, l'art. 14 LDTR énonçait que pendant la période de contrôle, les loyers et les prix de vente fixés par le département ne pouvaient être dépassés (al. 1). Lorsque l'évolution des critères de fixation de loyers au sens des art. 269 et suivants de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) le justifiait, une demande de modification des loyers ou des prix pouvait lui être présentée et il statuait en regard des articles précités (al. 2). Ce n'était donc, à teneur de loi, que postérieurement à la fixation des loyers qu'une demande pouvait être déposée au département. Toutefois, au vu de ce qui avait été développé ci-avant, et notamment du fait que l'art. 11 al. 1 let. d LDTR n'était appliqué que de manière secondaire par rapport aux lettres a à c, il soulignait qu'une telle modification n'intervenait qu'exceptionnellement.

10.         Les recourants ont répliqué le 8 décembre 2023.

Les travaux allaient se dérouler en janvier 2024.

Le fond du litige était de savoir si un échelonnement de loyers parfaitement valable du point de vue civil convenu contractuellement entre le bailleur et le locataire en application d’une des méthodes de calcul civile – soit la réadaptation aux loyers du quartier – avant que le locataire demandât des travaux à plus-value pouvait être poursuivi une fois les travaux terminés.

Aucune des jurisprudences citées par le DT ne traitait expressément de la question litigieuse.

L’art. 10 al. 1 LDTR prévoyait que le département fixait le loyer après travaux comme condition de l’autorisation mais n’indiquait pas que ce loyer devrait être celui applicable au moment de l’instruction de la demande d’autorisation de construire, comme le soutenait le DT. Pour savoir quel loyer avant travaux prendre en considération, il fallait appliquer l’art. 11 al. 3 LDTR dont la lettre d tenait compte de tous les types de loyers des art. 269 ss CO, donc y compris le loyer échelonné de l’art. 269c CO et du loyer indexé de l’art. 269b CO. Comme les travaux allaient se terminer en hiver 2024, le loyer après travaux devait être fixé, pendant trois ans, dès la fin de ceux-ci, à CHF 1'790.- / mois (CHF 21'480.- / an) jusqu’au 30 avril 2024, CHF 1’810.- / mois (CHF 21'720.- / an) du 1er mai 2024 au 30 avril 2025 et CHF 1'830.- / mois (CHF 21'960 / an) du 1er mai 2025 jusqu’à la fin de la période de contrôle.

Il était par ailleurs inadmissible que le département exigeât le dépôt d’une autorisation de construire, une fois les travaux faits, pour que le service LDTR changeât son préavis uniquement au niveau de l’échelon du moment du bail en cours ; d’une part, c’était un gaspillage de temps et d’argent, d’autre part les conditions de l’art. 10A al. 2 du règlement d'application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RALCI - L 5 05.01) n’étaient pas remplies et, enfin, on ne se trouvait pas dans un cas de circonstances qui auraient été inconnues ou inexistantes avant la délivrance de l’autorisation puisque l’échelonnement était connu.

Enfin, une demande de modification de loyer en application de l’art. 14 LDTR n’était pas possible car à nouveau il fallait se trouver en face de vrais novas alors que l’échelonnement était connu.

Pour terminer, le département admettait ne pas appliquer les dispositions légales de la LDTR qui n’allaient pas dans le sens de sa politique puisqu’il appliquait les lettres a à c de l’art. 11 al. 3 LDTR que de manière secondaire par rapport à la lettre d.

11.         Le département a dupliqué le 10 janvier 2024, persistant dans ses conclusions.

Les tribunaux ne semblaient pas encore avoir été amenés à se déterminer précisément sur la question litigieuse. Il ressortait des jurisprudences citées certaines idées et principes utiles, raison pour laquelle elles avaient été citées.

L’arrêt 4A_598/2018 retenait une fraude à la loi dans le fait de conclure un contrat de bail avec un échelon qui tomberait après la période de fin de contrôle des loyers au sens de la LDTR. Dès lors, il allait de soi que de prendre en compte un échelon dans la fixation du loyer aurait le même résultat.

Si un tel procédé était validé cela reviendrait à permettre aux propriétaires de contourner allègrement la LDTR en anticipant, lors de la conclusion du bail, la répercussion des travaux sur le loyer par le biais d’échelons. En effet, dès lors que des travaux de rénovation ou de transformation dans un appartement seraient prévus, il suffirait aux propriétaires de prévoir systématiquement un bail échelonné afin de permettre l’augmentation du loyer selon l’/les échelon/s conclu/s malgré les travaux.

Si les propriétaires estimaient que les circonstances s’étaient modifiées, la voie de l’autorisation complémentaire devrait être privilégiée. L’augmentation du loyer constituait bien un changement de circonstances dans la mesure où il ne correspondait plus au montant du loyer appliqué au moment de sa fixation.

12.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

4.             Les arguments formulés par les parties à l'appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 4.1 ; 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 5.1 ; 1C_304/2016 du 5 décembre 2016 consid. 3.1 ; 1C_592/2015 du 27 juillet 2016 consid. 4.1 ; 1C_229/2016 du 25 juillet 2016 consid. 3.1 et les arrêts cités), étant rappelé que, saisi d'un recours, le tribunal applique le droit d'office et que s'il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA ; cf. not. ATA/1024/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1 et les références citées ; ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b; cf. aussi ATF 140 III 86 consid. 2 ; 138 II 331 consid. 1.3 ; 137 II 313 consid. 1.4).

5.             L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. Il correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/504/2023 du 16 mai 2023 consid. 3.2 et les arrêts cités). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/504/2023 précité consid. 3.2 et l'arrêt cité).

6.             En l'espèce, aucune des parties ne conteste la soumission des travaux autorisés à la LDTR ou leur qualification juridique, de sorte que seule la question de la fixation des loyers, en particulier la conformité des conditions du préavis de l'OCLPF du 21 juin 2023 et le rapport avec l'échelonnement du loyer prévu entre les parties avant travaux sur la base des règles du CO, est litigieuse.

7.             La LDTR a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l’habitat, notamment dans la troisième zone de construction (art. 1 al. 1 et 2 al. 1 let. a LDTR ; art. 19 al. 1 let. c de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30).

Elle prévoit en son art. 10 al. 1 qu’en cas de démolitions ou de transformations, le département fixe, comme condition de l’autorisation, le montant maximum des loyers des logements après travaux.

8.             Pour ce faire, le département doit, conformément à l’art. 11 al. 1 LDTR, prendre en considération l’ensemble des travaux à effectuer, sous déduction des subventions éventuellement octroyées, en tenant compte du rendement équitable des capitaux investis pour les travaux, calculé, en règle générale, sur les 70% au maximum de leur coût et renté à un taux de 0,5 point au-dessus de l’intérêt hypothécaire de premier rang pratiqué par la Banque cantonale de Genève; le taux de rendement est fonction de l’incidence dégressive des amortissements (let. a), de l’amortissement calculé en fonction de la durée de vie des installations, en règle générale dans une fourchette de 18 à 20 ans, soit de 5,55% à 5% (let. b), des frais d’entretien rentés en règle générale à 1,5% des travaux pris en considération (let. c) et des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération selon les art. 269 ss CO (let. d).

Lorsque les logements répondent aux BPP quant à leur genre, leur typologie, leur qualité, leur prix de revient, le nombre de pièces ou leur surface, le loyer après transformation doit répondre aux BPP (art. 11 al. 2 LDTR). Si le loyer avant transformation ou rénovation dépasse le niveau des loyers répondant aux BPP, il est maintenu par le département au même niveau lorsqu’il apparaît qu’il permet économiquement au propriétaire de supporter le coût des travaux sans majoration de loyer (art. 11 al. 3 LDTR).

9.             Selon l’arrêt relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population du 12 janvier 2022 (aArLoyers – L 5 20.05), les loyers correspondant aux BPP, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2018, sont compris entre CHF 2'627.- et CHF 3'528.- la pièce par année.

10.         Les critères de calcul retenus à l’art. 11 LDTR s’inspirent déjà des règles de droit fédéral contenues à l’article 269a CO en matière de fixation de loyer dans la mesure où ils font intervenir des éléments liés au rendement des fonds investis dans les travaux par le propriétaire (Alain MAUNOIR, La nouvelle LDTR au regard de la jurisprudence, les démolitions et les transformations, RDAF 1996. p. 327). La finalité de l’art. 11 LDTR est cependant différente : il s'intègre dans un dispositif légal mis en place pour assurer le maintien en faveur de toutes les catégories de la population d’un parc de logements dont les caractéristiques et les loyers correspondent à leur besoin. Elle impose un contrôle des loyers pour une durée limitée, dont l’objectif est de contenir l’augmentation des loyers, des logements les plus fortement recherchés en période de pénurie pour qu’il en subsiste sur le marché (ATA/502/2008 du 30 septembre 2008 consid. 7d).

11.         Ainsi, les loyers des logements supérieurs à la fourchette LDTR avant travaux sont présumés être abusivement élevé (au sens de la LDTR) et déjà correspondre à ce qui serait admissible après transformation. Cette présomption peut être renversée par le propriétaire. Par ailleurs, si les travaux sont considérables, les loyers devraient aussi pouvoir être augmentés. Ce blocage au niveau du loyer avant travaux au-dessus du plafond LDTR a deux conséquences pour le département. Celui-ci peut s'abstenir de faire le calcul de hausse de loyer fondé sur les coûts de l'art. 11 al. 1 LDTR mais, en revanche, il ne peut pas réduire le loyer après travaux au plafond LDTR : tout au plus, peut-il le bloquer au montant du loyer avant travaux. Du point de vue du propriétaire, ce blocage du loyer empêche tout rendement sur travaux, voir implique un rendement négatif sur travaux (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d’affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 308 et les références citées).

12.         Dans deux cas les loyers avant travaux supérieurs aux BPP peuvent être augmentés, à savoir si les travaux permettent de réduire la consommation énergétique ou si les loyers ne permettent pas au propriétaire de supporter économiquement les coûts des travaux (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 309).

13.         En l'occurrence, les recourants ne prétendent pas que les travaux autorisés viseraient une amélioration énergétique du bâtiment. Au surplus, il est évident que ceux-ci, consistant en la réfection de la cuisine, ne visent pas une telle amélioration, mais uniquement une amélioration de confort, de sorte que seule se pose la question du coût économiquement supportable des travaux pour le propriétaire.

14.         Le loyer fixé doit permettre au bailleur de couvrir tous les frais découlant d'une exploitation normale de l'immeuble. Par conséquent, si le niveau du loyer avant travaux n'est économiquement pas supportable après travaux, il convient de faire un calcul de hausse du loyer. Cette réserve de calcul de loyer au-delà de la fourchette LDTR permet donc à l'autorité de respecter le principe de proportionnalité dans l'application de l'art. 11 al. 3 LDTR (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 315).

15.         Dans la situation décrite à l’art. 11 al. 3 LDTR, il appartient au requérant de démontrer, par toutes pièces utiles, que le propriétaire n’est pas en mesure de supporter économiquement le coût des travaux sans majoration de loyer. Par pièces utiles, le département fait prioritairement référence à un calcul de rendement de l’immeuble. Subsidiairement, il peut être recouru à une étude comparative entre les loyers de l’immeuble et ceux résultant des statistiques publiées chaque année par le canton, étant précisé qu’à année de construction égale, la limite au-delà de laquelle le propriétaire est présumé pouvoir supporter économiquement le coût des travaux sans majoration de loyer est fixée, sauf exception, au 3e quartile. Le département tient compte, dans son appréciation, des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération au sens des articles 269 ss CO (art. 5 al. 4 RDTR). La jurisprudence retient cependant que la méthode de calcul des coûts prime celle des loyers comparatifs (ATA/502/2008 précité consid. 7d).

16.         Si le propriétaire ne produit pas les pièces permettant d'effectuer un calcul de rendement, voire d'appliquer la méthode des loyers du quartier ou la méthode relative, le département doit refuser sa demande de validation de hausse de loyer (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 316).

17.         En l’espèce, le loyer avant travaux est, selon le contrat de bail, de CHF 3'580.- la pièce/an (CHF 21'480.-/an), soit supérieur à la fourchette LDTR de CHF 3'528.-, ce qu'aucune des parties ne conteste à juste titre. Dès lors que le montant de CHF 21'480.- était supérieur au loyer maximal correspondant aux BPP, de CHF 21'168.- , c’est conformément à la loi, en particulier à l'art. 11 al. 3 LDTR, que le DT a fixé le loyer à CHF 21'480.- dans la décision querellée.

Au surplus, la recourante n’a pas soutenu, en encore moins démontré, que le coût des travaux serait insoutenable sans majoration des loyers, de sorte qu'aucune des exceptions permettant une augmentation des loyers supérieurs au loyer maximal correspondant aux BPP n'est donnée en l'espèce.

Le blocage du loyer imposé par le département selon l'art. 11 al. 3 LDTR, lequel ne restreint au demeurant que temporairement l'échelonnement des loyers contractuel, n'apparait ainsi pas manifestement disproportionné.

18.         Les recourants se plaignent encore d'une violation de la primauté du droit fédéral en tant que le département avait fait primer l'art. 10 al. 3 LDTR sur les règles du droit du bail en effectuant un contrôle des loyers alors que ceux-ci avaient été fixés et échelonnés conventionnellement entre les parties au contrat de bail.

19.         Selon l'art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Ce principe constitutionnel de la primauté du droit fédéral fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (ATF 137 I 167 consid. 3.4; 131 I 333 consid. 2.1 et les arrêts cités). Il est ainsi interdit aux cantons d'intervenir dans les rapports directs entre les parties au contrat de bail, réglés exhaustivement par le droit fédéral (ATF 131 I 333 consid. 2.2).

20.         La jurisprudence admet qu'il est interdit aux cantons d'intervenir dans les rapports directs entre les parties au contrat de bail, réglés exhaustivement par le droit fédéral. Les cantons demeurent cependant libres d'édicter des mesures proportionnées destinées à combattre la pénurie sur le marché locatif, par exemple en soumettant à autorisation la démolition, la transformation et la rénovation de maisons d'habitation. Le Tribunal fédéral a ainsi rappelé à de multiples reprises que les dispositions cantonales qui soumettent à une autorisation les aliénations de logements offerts à la location ou imposent un contrôle des loyers ne sont en principe pas contraires aux règles du droit civil fédéral qui régissent les rapports entre bailleurs et locataires (ATF 149 I 25 consid. 4.2.2; 146 I 70 consid. 5.2.2 et les arrêts cités; voir aussi arrêts 1C_235/2023 du 11 mars 2024 et 1C_110/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.1).

Ces normes poursuivent un but d'intérêt public évident, suffisamment important pour justifier des restrictions au droit de propriété, à la liberté économique et à l'application de certaines règles de droit civil fédéral (ATF 137 I 135 consid. 2.5.2 ; 135 I 233 consid. 8.2 ; 131 I 333 consid. 2; ATF 113 Ia 126 consid. 7a). La jurisprudence a ainsi expressément confirmé que les règles de contrôle temporaire des loyers prévues par la LDTR/GE respectaient le principe de primauté du droit fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 1C_184/2013 du 8 janvier 2014 consid. 2.1; 1C_496/2012 du 12 février 2013 consid. 2.2; 4A_185/2008 du 24 septembre 2008, consid. 2.3 ; ATF 131 I 333 consid. 2.2; ATA/512/2010 du 3 août 2010 consid. 2b ; ATA/86/2006 du 14 février 2006 consid. 4b). En cas de procédure par-devant la juridiction des baux et loyers, il existe une sorte de double contrôle des loyers, fondé toutefois sur des règles différentes. Lorsque ces juges civils fixent un loyer en application des règles du CO, il est possible que le loyer LDTR fixé par les autorités administratives soit inférieur. Ce dernier doit être alors respecté (Emmanuelle GAIDE/ Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. pp. 331 et 332 et les réf. citées).

21.         En l’espèce, vu les développements qui précèdent, il est clair que nonobstant l'accord des parties au contrat de bail, le département restait en droit de fixer le montant du loyer, afin que ce dernier n’échappe pas à son contrôle et respecte le but de préservation de l’habitat que vise la LDTR (cf. ATA/512/2010 précité ; ATA/86/2006 précité consid. 4b où l'accord des parties avait été entériné par un jugement du Tribunal des baux et loyer en force). Le fait que les travaux aient été exécutés sur demande de la locataire n'y change rien.

22.         Dans ces circonstances, la décision querellée ne peut qu'être confirmée et le recours rejeté.

23.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1’500.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 5 septembre 2023 par Mesdames A______, B______, C______ et D______ et Messieurs E______ et F______ contre la décision du département du territoire du ______2023 ;

2.             le rejette;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’500.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Diane SCHASCA, Romaine ZÜRCHER, François HILTBRAND et Jean-Michel KARR, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière