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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2602/2009

ATA/512/2010 du 03.08.2010 ( LDTR ) , ADMIS

Descripteurs : ; LOYER ; LOYER CONTRÔLÉ ; SURVEILLANCE ÉTATIQUE ; BAIL À LOYER
Normes : LDTR.10 ; LDTR.12
Résumé : L'autorisation de construire pour des travaux de rénovation soumis à la LDTR prévoit un contrôle des loyers pendant une durée de 3 ans. Un contrat échelonné de 4 ans qui mentionne expressément un loyer correspondant à celui imposé par le département pendant la période de contrôle respecte les termes de l'autorisation. Il n'appartient pas au département de contrôler l'échelon qui prend effet après la période de contrôle, cette question relève du droit privé et non du droit public.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2602/2009-LDTR ATA/512/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 3 août 2010

 

dans la cause

 

S______ S.A.
représentée par Me Jacques Berta, avocat

contre

Madame A______

et

Monsieur A______
représentés par Me Thierry Sticher, avocat


DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE


EN FAIT

1. Par autorisation définitive de construire du 2 août 2006, le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : le DCTI) a autorisé la Société suisse d’assurances générales sur la vie humaine, devenue depuis lors S______ S.A. (ci-après : S______), à procéder à la rénovation de l’enveloppe de sept immeubles d’habitation sis aux nos ____, chemin Y______ à Chêne-Bourgeries (DD ______).

L'autorisation spécifiait que les loyers après travaux des logements existants, soit 110 appartements correspondant à 584 pièces, ne devaient pas excéder ceux figurant dans l’état locatif enregistré le 15 juin 2006 pendant une durée de trois ans à dater de la fin des travaux (condition n° 6). Un état locatif nominatif de l’immeuble devait être remis au département deux ans après la fin des travaux (condition n° 7).

2. Le 9 novembre 2007, S______, représentée par L______ S.A., a signé avec Madame -A______ et Monsieur A______ un contrat de bail à loyer portant sur un appartement de six pièces sis au n° 100, chemin Y______.

Aux termes du contrat et de l’avis de fixation du loyer lors de la conclusion d’un nouveau bail selon la formule officielle approuvée par arrêté du Conseil d’Etat du 23 juin 1993, il s’agissait d’un bail échelonné de quatre ans, qui débutait le 1er décembre 2007. Le loyer se montait à CHF 11'340.- et à CHF 21'600.- dès le 1er avril 2011.

3. Le 15 septembre 2008, Mme A______ et M. A______ ont interpellé le DCTI au sujet du montant du loyer fixé à CHF 11'340.-, alors que les travaux n’étaient pas terminés, et de l’augmentation intervenant le 1er avril 2011, qui était contraire aux dispositions de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20).

4. a. Le 2 octobre 2008, le DCTI a relevé que le loyer annuel de l’appartement applicable à compter du 1er décembre 2007 ne respectait pas les termes de l’autorisation de construire. En revanche, la date de la fin des travaux était celle du 30 novembre 2007, de sorte que la période de contrôle pouvait débuter à cette date.

b. Selon l'état locatif approuvé par le DCTI, le loyer admissible après travaux de l'appartement concerné était de CHF 14'604.-.

5. Par décision du 23 décembre 2008, le DCTI a ordonné à S______ de rétablir une situation conforme au droit en délivrant un nouveau contrat de bail ainsi qu’un nouvel avis de fixation de loyer initial dans le respect de la condition n° 6 de l’autorisation de construire.

6. a. Le 15 janvier 2009, S______ a établi un nouveau contrat de bail à loyer, transmis le 21 janvier 2009, à Mme A______ et M. A______ fixant le loyer dès le 1er décembre 2007 à CHF 11'124.- et à CHF 21'600.- à partir du 1er avril 2011.

b. Mme A______ et M. A______ n’ont pas signé ce contrat.

7. Le 2 février 2009, Mme A______ et M. A______ se sont adressés au DCTI. Ils considéraient que le nouveau contrat de bail échelonné n’était pas conforme à la LDTR.

8. Le 17 février 2009, le DCTI a estimé que le nouveau bail à loyer et l’avis de fixation de loyer respectaient les termes de l’autorisation de construire ainsi que la décision du 23 décembre 2008 s'agissant du premier échelon. Quant au deuxième échelon, le département n'était pas compétent pour en contrôler le bien-fondé car celui-ci portait sur une période postérieure à la période de contrôle.

9. Le 11 mars 2009, Mme A______ et M. A______ ont demandé au DCTI de requérir la rectification des contrats, soit, en particulier, la suppression du deuxième échelon. Ils se référaient à un arrêt du Tribunal fédéral du 18 mars 2005 (1P.20/2005, publié in SJ 2005 I 485).

10. Par décision du 23 mars 2009, le DCTI a observé que le contrôle du loyer fixé par l’autorisation de construire s’étendait sur une durée de trois ans et ne portait pas sur une période postérieure, à savoir sur l’échelon prenant effet le 1er avril 2011. Celui-ci relevait strictement du droit privé. Le nouveau bail à loyer établi le 15 janvier 2009 fixant le loyer de l’appartement concerné à CHF 14'604.- l’an, frais accessoires inclus, à compter du 1er décembre 2007 jusqu’au 30 novembre 2011 et l’avis de fixation de loyer initial daté du 9 novembre 2007 étaient ainsi compatibles avec la condition n° 6 de l’autorisation de construire.

11. a. Le 23 avril 2009, Mme A______ et M. A______ ont recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions, devenue depuis lors la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission) contre la décision du DCTI précitée.

Le loyer sans les charges était conforme à l'état locatif approuvé par le DCTI. Toutefois, seul un acompte avait été fixé pour les frais accessoires qui étaient calculés en fin de période. Il n'était dès lors pas exclu qu'un solde soit réclamé et que le loyer dépasse ainsi la limite autorisée.

Par ailleurs, le second échelon violait la LDTR. Dans un arrêt du 18 mars 2005, le Tribunal fédéral avait considéré que le procédé consistant à fixer un loyer plus élevé que le loyer maximum prévu dans le cadre de l’autorisation mais ramené temporairement au montant maximum prévu dans ladite autorisation violait la LDTR et n'était pas anodin. Il était dès lors conforme à l’intérêt public lié à la bonne foi en affaires et à l’objectif poursuivi par la loi que le loyer pris en compte pour une éventuelle majoration après la fin du contrôle cantonal soit celui fixé par le DCTI et non celui indiqué dans les contrats (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.20/2005). Or, la présente cause était similaire même si le bailleur avait fait usage de deux échelons. Le résultat obtenu était exactement identique, à savoir que le loyer après le contrôle cantonal au sens de la LDTR était d’ores et déjà fixé, de sorte que le locataire ne serait plus en droit de le contester ultérieurement. Le bailleur ne justifiait d’aucun intérêt à convenir d’un échelonnement si ce n’était celui de priver le locataire de voir son loyer fixé après le contrôle cantonal sur la base du loyer pendant le contrôle et en application de la méthode relative. En refusant d’ordonner la rectification du contrat, de manière ce que celui-ci soit conforme à l’autorisation délivrée, le département avait ainsi violé la LDTR.

b. Appelée en cause, S______ s'est opposée au recours en date du 29 mai 2009.

12. Par décision du 16 juin 2009, la commission a admis le recours et annulé la décision du 23 mars 2009.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, au terme de la période de blocage, le loyer fixé par l’autorité devait servir de base à une majoration éventuelle, le bailleur ne pouvant pas prévoir contractuellement une augmentation automatique du loyer. En l’espèce, les documents contractuels stipulaient une augmentation automatique du loyer à l’issue du blocage, puisque le deuxième échelon ne pouvait pas être contesté lors de son entrée en vigueur. Ils ne respectaient dès lors pas l’autorisation de construire et les art. 11 et 12 LDTR. Il convenait donc d’ordonner à la bailleresse d’établir un contrat conforme à la condition n° 6 de l’autorisation définitive de construire, dossier DD 100’586-2, en supprimant le deuxième échelon de hausse de loyer fixé à CHF 21'600.- à compter du 1er avril 2011.

13. Le 21 juillet 2009, S______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif contre cette décision. Elle conclut à son annulation.

Le montant du loyer fixé par l’autorisation devait être conforme à cette dernière durant toute la durée du contrôle. En revanche, le DCTI n’avait pas la possibilité de surveiller ce montant au-delà de cette durée, cette question relevant exclusivement du droit privé. En considérant que les documents contractuels n’étaient pas conformes aux art. 11 et 12 LDTR, la commission avait violé le principe de la primauté du droit fédéral. L’obligation de supprimer l’échelon avait pour effet de prolonger le contrôle étatique et d’empêcher de majorer le loyer après la fin de la période de contrôle de trois ans, selon les règles du droit civil, sur la base de l’échelon fixé de manière parfaitement conforme au droit fédéral. Les bailleurs ne pourraient plus conclure des baux échelonnés, pourtant expressément prévus par l’art. 269c de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations (CO - RS 220), sous prétexte que, durant les trois premières années, le loyer était soumis au contrôle de l’Etat, ce qui n’était pas admissible. Cette solution empêcherait également les bailleurs, après exécution de travaux de rénovation soumis à la LDTR, de conclure des baux d’une durée de cinq ans, prévoyant un loyer contrôlé par le DCTI pendant les trois premières années, puis, une indexation pendant les deux dernières années, soit hors période de contrôle. Les intimés auraient pu saisir la juridiction des baux et loyers d’une contestation du loyer initial, démarche qu’ils n’avaient pas entreprise.

Pour le surplus, le bail prévoyait le règlement d’une provision pour frais accessoires annuels de CHF 3'480.-. Le coût définitif étant calculé en fin de période, il pourrait s’avérer que cette provision soit insuffisante ou trop élevée. Toutefois, un montant annuel globalement supérieur à CHF 14'604.- ne serait pas facturé aux locataires pendant toute la période de contrôle.

14. Le 4 août 2009, la commission a déposé son dossier.

15. Le 14 septembre 2009, Mme A______ et M. A______ ont conclu au rejet du recours, se référant à leur argumentation développée par-devant la commission.

16. Le 28 septembre 2009, le département a appuyé les conclusions prises et l’argumentation développée par S______.

17. Le 5 octobre 2009, les parties ont été informées que sans requête complémentaire formulée avant le 20 octobre 2009, la cause serait gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 46 LDTR ; art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. La LDTR vise, en particulier, au maintien, après transformation, de logements à des prix répondants aux besoins prépondérants de la population. Pour ce faire, le département fixe, comme condition de l’autorisation, le montant maximum des loyers des logements après travaux (art. 10 al. 1 première phrase LDTR). La durée du contrôle est de trois ans pour les immeubles transformés ou rénovés. Elle peut être portée à cinq ans en cas de transformation lourde (art. 12 LDTR).

b. La jurisprudence a reconnu à la LDTR sa compatibilité avec les dispositions concernant le droit de propriété et la liberté économique consacrées aux art. 26 al. 1 et 27 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; ATF 116 Ia 401), même si elle pouvait avoir certains effets de politique économique. Elle a également reconnu que les règles de droit public cantonal qui soumettaient à autorisation les transformations de maisons d'habitation et imposaient un contrôle des loyers, n'étaient en principe pas contraires aux règles de droit civil fédéral qui régissaient les rapports entre bailleurs et locataires (ATF 116 Ia 401 déjà cité, consid. 5 p. 410). Ainsi, en matière de législation sur le logement, il est interdit aux cantons d'intervenir dans les rapports directs entre les parties au contrat de bail, réglés exhaustivement par le droit fédéral (ATF 117 Ia 328 consid. 2b p. 331; 113 Ia 126 consid. 9d p. 143). Cela étant, les cantons demeurent libres d'édicter des mesures destinées à combattre la pénurie sur le marché locatif, par exemple en soumettant à autorisation la démolition, la transformation et la rénovation de maisons d'habitation (ATF 89 I 178). Si l'institution d'un contrôle permanent et général des loyers est incompatible avec le droit fédéral (ATF 116 Ia 401 consid. 4b/aa, et les arrêts cités), il est possible, en revanche, d'assortir l'autorisation de rénover des logements à un contrôle des loyers pendant une durée de dix ans (ATF 101 Ia 502 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.20/2005 du 18 mars 2005, consid. 2.2).

c. Il faut donc distinguer la protection des locataires en place, garantie par le droit du bail et que ne saurait étendre davantage le droit public cantonal, et la garantie que cherche à donner la LDTR à l'ensemble de la population de pouvoir trouver des logements correspondant à ses besoins et à ses moyens. Il faut également que le contrôle des loyers se limite au but recherché et qu'il prenne fin au bout d'un certain temps (O. BINDSCHEDLER et F. PAYCHERE, « La jurisprudence récente du Tribunal administratif du Canton de Genève en matière d’entretien des immeubles » in RDAF 1998, p. 363 et ss, notamment 370).

En l'espèce, dans l'autorisation définitive de construire délivrée le 2 août 2006, le DCTI a accepté la rénovation des immeubles sis aux nos 96 à 108, chemin Y______. Il a toutefois fixé un contrôle des loyers pendant une durée de trois ans à compter de la fin des travaux. La date de celle-ci, retenue par le département et non contestée par les parties, est celle du 30 novembre 2007.

Conformément à la décision du 23 décembre 2008 du DCTI, la recourante a rectifié le bail initial. Elle a mentionné expressément le montant du loyer qui correspondait à celui imposé par le département. Le bail, transmis aux locataires le 21 janvier 2009, indique un loyer pour l'appartement de CHF 11'124.- du 1er décembre 2007 au 31 mars 2011. Il respecte le loyer imposé par l'autorisation de construire pendant la période de contrôle. Ce cas diffère ainsi de celui évoqué par la commission et qui a fait l'objet de l'arrêt du Tribunal fédéral du 18 mars 2005 (1P.20/2005) où les baux signés ne mentionnaient pas le loyer fixé par le département mais un loyer supérieur qui était réduit à un loyer inférieur pendant la période de contrôle.

La recourante ayant respecté l'autorisation de construire et, en particulier, la condition n° 6, le DCTI ne pouvait pas, sans outrepasser ses compétences, intervenir sur le montant du loyer dû au-delà de la période de contrôle. Cette question relève des règles du droit civil et non du droit public cantonal. La commission a dès lors considéré à tort que le bail n'était pas conforme à la LDTR.

3. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision de la commission du 16 juin 2009 annulée. Le DCTI ayant appuyé le recours, aucun émolument ne sera mis à sa charge. En revanche, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de Mme A______ et M. A______, pris conjointement et solidairement et une indemnité de procédure de CHF 1’500.- sera allouée à la recourante également à charge de Mme A______ et M. A______, pris conjointement et solidairement (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 juillet 2009 par S______ S.A. contre la décision du 16 juin 2009 de la commission cantonale de recours en matière de constructions ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du 16 juin 2009 de la commission cantonale de recours en matière de constructions ;

met à la charge de Mme A______ et M. A______, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à S______ S.A. une indemnité de procédure de CHF 1’500.- à charge de Mme A______ et M. A______, pris conjointement et solidairement ;

dit que, conformément aux art. 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Berta, avocat de la recourante, à Me Thierry Sticher, avocat de Madame A______ et de Monsieur A______, au département des constructions et des technologies de l'information, ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière administrative.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

M. Tonossi

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :