Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/4000/2023

JTAPI/272/2024 du 26.03.2024 ( OCIRT ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION DE TRAVAIL;LIMITATION DU NOMBRE DES ÉTRANGERS;CUISINIER
Normes : LEI.18; LEI.21.al1; LEI.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4000/2023 et 4112/2023

JTAPI/272/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 mars 2024

 

dans la cause

 

Madame A______

B______ SA

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 


EN FAIT

1.             Selon le registre du commerce de C______, B______ SA
(ci-après : B______ ou l’employeur), inscrite le 20 mai 2021, a pour but « en Suisse et à l'étranger, l'exploitation d'établissements publics tels que cafés, hôtels, restaurants, snacks-bars, bars à café, tea-rooms ou entreprises similaires, la prise de participations dans tous commerces ou sociétés poursuivant des buts analogues, ainsi que toutes activités liées à la communication et à l'évènementiel. (…) ».

Monsieur D______ en est l'administrateur président, Monsieur E______ et Monsieur F______ en sont administrateurs.

2.             Madame A______, née le ______ 1975, est de nationalité marocaine.

Selon son curriculum vitae (CV) au dossier de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT), elle est titulaire d'un certificat d'opératrice Posage/Emboîtage en Horlogerie (CFH obtenu à C______) et d'un diplôme de broderie à la main (obtenu à G______, au Maroc). Elle mentionne également une formation de « cuisinière et cheffe cuisinière d’une équipe traiteur de 30 personnes – 2002 Restaurant H______ » ainsi que plusieurs années d’expérience comme cuisinière (restaurant I______ « spécialités Marocaine » à J______ 2004 à 2008) et traiteur (K______ et & L______ 2020 à 2023), sans toutefois fournir de certificats de travail y relatifs.

Il est à relever que dans un précédent CV transmis à l’OCPM (cause A/1123/2021), seule une expérience de deux mois comme cuisinière à J______ en 2007 était mentionnée pour la période antérieure à 2019, les autres expériences professionnelles indiquées se rapportant à la gérance d’une boutique et à la vente.

3.             Mme A______ a été au bénéfice d’une autorisation de travail frontalière (permis G) du 19 mai 2008 au 13 août 2019 alors qu’elle occupait un poste d'employée de maison (gouvernante et responsable de cuisine) à M______.

4.             Par la suite, Mme A______ a déposé une demande d'autorisation de séjour avec activité lucrative (permis B) et fait l’objet de trois demandes d'autorisation de travail pour frontalière (permis G), lesquelles ont toutes été refusées.

5.             Le 29 mars 2023, Mme A______ a signé un contrat de travail avec B______ pour une durée déterminée, soit jusqu'au 31 mai 2023.

6.             Le 31 mars 2023, M. E______ a publié une offre d'emploi sur JobRoom pour « un (e) chef (e) de cuisine Marocaine » en utilisant son adresse email rattachée à N______.

7.             Par formulaire en ligne du 11 avril 2023, B______ a transmis à l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) une demande d’autorisation de travail frontalière (permis G) en faveur de Mme A______, en qualité de cuisinière, laquelle était déjà en emploi. Le contrat de travail étant de durée déterminée, l'employeur a retiré sa demande par courriel du 17 mai 2023.

8.             Le 19 mai 2023, l'employeur a annoncé à l’office cantonal de l’emploi (OCE) la vacance d'un poste de « chef (fe) de cuisine-cuisine marocaine ».

9.             Le 2 juin 2023, l’OCE a informé M. E______ qu'aucun candidat ne remplissait les critères.

10.         Par courriers et formulaire M des 3, 7 et 27 juin 2023 adressés à l’OCPM, B______ a requis en faveur de Mme A______ une autorisation de travail frontalière (permis G) en qualité de cuisinière à 100 % pour un salaire mensuel de CHF 4'680.- (13ème inclus).

11.         Par décision du 6 septembre 2023, l’OCIRT, à qui l'OCPM avait transmis cette demande, a refusé l'autorisation sollicitée en faveur de Mme A______.

La demande ne servait pas les intérêts économiques de la Suisse et l'ordre de priorité n'avait pas été respecté, B______ n'ayant pas démontré qu'aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d'un pays de l'UE et de l'AELE n'avait pu être trouvé. En outre, la société n’était pas en règle avec l'administration fiscale (impôt à la source). Pour terminer, l'employeur n'avait pas démontré qu'il répondait aux exigences des directives du Secrétariat d'État aux migrations (SEM) relatives aux cuisiniers de spécialités.

12.         Le 4 octobre 2023, B______ a sollicité le réexamen de sa demande.

À cette occasion, elle a fourni la liste des 24 candidats reçus en entretien ou contactés pour le poste de cuisinier, le rapport de gestion provisoire pour l'exercice 2022 et 2023 et les projections pour 2024 ainsi qu’une attestation de soumission du 2 octobre 2023 de l’administration fiscale cantonale
(ci-après : AFC‑GE) certifiant que « l'entreprise ( ... ) est à jour avec toutes ses obligations en matière d'impôts à la source ».

13.         Par décision du 25 octobre 2023, l'OCIRT, après un nouvel examen du dossier par la commission tripartite, a maintenu son refus pour les mêmes motifs que ceux retenus dans sa décision du 6 septembre 2023.

14.         Par deux actes distincts du 27 novembre 2023, Mme A______ et B______ ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre la décision de l'OCIRT du 25 octobre 2023 concluant à son annulation et à l’octroi d'un permis frontalier en faveur de Mme A______, soit subsidiairement, au renvoi du dossier à l’OCIRT pour nouvelle décision dans ce sens, le tout sous suite de frais et dépens. Préalablement, elles ont requis la jonction des deux procédures ouvertes suite à leurs recours.

La motivation des deux recours était identique. Il y était exposé que le restaurant de B______ était spécialisé dans la cuisine berbère – marocaine. En janvier 2022, l’ouverture de ce dernier avait dû être repoussée du fait du manque de cuisinier. Suite à l’ouverture du restaurant en 2022, elle avait contacté l’OCE pour lui demander de publier son annonce. Malheureusement, aucun candidat n’avait été trouvé. Malgré ces difficultés, elle avait réussi à atteindre un chiffre d’affaires de CHF 350’000- en à peine six mois d’existence. L’engagement à long terme de Mme A______ permettrait d’assoir sa position sur la place genevoise, de faire évoluer son chiffre d’affaires mais aussi d’engager du personnel supplémentaire et de développer son restaurant. Selon les prévisions 2023-2024, le bénéfice devrait en principe être multiplié quasiment par cinq en 2024. Partant, au regard de ces excellentes perspectives, l’engagement de Mme A______ se justifiait pleinement d’un point de vue économique. Concernant l'ordre de priorité, elle avait activement recherché des candidats, contactant l'OCE pour lui demander de publier son offre d'emploi et postant des annonces sur les réseaux sociaux. L’OCE l’ayant informée qu'il n'avait pas trouvé de candidat répondant à ses exigences, elle avait procédé à des interviews de différentes personnes, dont des ressortissants d'un pays de l'UE ou de l'AELE. Toutefois, aucun des 24 interviews réalisés n'avait débouché sur un engagement. Mme A______, qui remplissait tous ses critères d'exigence, avait été son unique opportunité. Ainsi son engagement ne violait pas le principe de l'ordre de priorité de l'art. 21 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

Elle était en règle avec l'impôt à la source, ce qu’avait attesté l'AFC-GE.

Quant aux exigences des directives du SEM, l’autorité ne précisait pas les dispositions pertinentes, ce qui facilitait guère la compréhension de cet élément. En tout état, la cuisine berbère marocaine nécessitait une connaissance particulière et une technique irréprochable et il était très difficile de trouver une telle
main-d'œuvre n'importe où. B______ avait en tout état démontré avoir déployé tous les efforts de recherches possibles et sa situation financière était excellente. Mme A______ était enfin titulaire d'un diplôme de technicien délivré par le Centre professionnel d'hôtellerie de G______ au Maroc et possédait une expérience professionnelle d'au moins sept ans : deux ans en tant que cheffe cuisinière dans au restaurant « H______ », quatre ans en tant que cuisinière de spécialité marocaine au restaurant « I______ » à J______ et trois ans en tant que traiteur dans une pâtisserie marocaine à L______.

Elles soulignaient encore que la décision querellée était en tous points identique à celle du 6 septembre 2023, comme si la situation n'avait en réalité pas été réexaminée malgré les nouvelles pièces versées.

B______ a joint un chargé de pièces dont un courriel à arbeit.swiss du 31 mars 2023 attestant de la publication de son offre d’emploi, ses comptes au 31 décembre 2022 et les prévisions 2023-2024, divers documents concernant Mme A______ (dont son CV et un diplôme de technicien option cuisine pour la session 2006/2008), la liste des candidats reçus en entretien ou contactés, le contrat de travail de durée indéterminée du 1er juin 2023 signé avec Mme A______ et une attestation de l’AFC-GE, service de l'impôt à la source du 2 octobre 2023.

Le recours de Mme A______ a été ouvert sous le n° de cause A/4000/2023 et celui de B______ sous le n° de cause A/4112/2023.

15.         Le 23 janvier 2024, faisant suite à une demande de l’OCIRT, l'AFC a confirmé maintenir son préavis défavorable envers B______.

16.         Dans ses observations du 6 février 2024, identiques pour les deux causes, l'OCIRT a conclu au rejet des recours et à la jonction des procédures A/4000/2023 et A/4112/2023, sous suite de frais et dépens.

Vu les qualifications avancées par Mme A______, à savoir sa maîtrise de la cuisine orientale et berbère ainsi que son origine berbère, on ne pouvait considérer qu’elle disposait de qualifications ou d'une expérience à ce point particulière qu'il serait impossible à l'employeur de recruter un travailleur doté des compétences requises sur le marché local ou titulaire d'un passeport européen au sein de l'UE/AELE. Or, à cet égard, l'employeur n'avait pas fait suffisamment d'effort en temps opportun pour trouver un travailleur correspondant au profil requis en Suisse ou au sein de l'UE/AELE. Il avait posté une annonce le 31 mars 2023 sur JobRoom et avait annoncé la vacance du poste à l’OCE le 19 mai 2023, soit postérieurement au dépôt de la première demande et à l'engagement de durée déterminée de Mme A______. Celle-ci avait ensuite signé son deuxième contrat, de durée indéterminée, le 1er juin 2023. Le principe de la priorité dans le recrutement n’avait ainsi pas été respecté.

De plus, aucun élément du dossier ne démontrait que l'emploi de Mme A______ pourrait réellement avoir des retombées économiques positives pour l'économie de la Suisse au sens de l'art. 18 let. a LEI que ce soit en termes de création de places de travail, d'investissements ou de diversification de l'économie régionale, étant rappelé qu’il convenait de ne pas confondre l’intérêt économique de la Suisse avec celui de l’employeur à engager une personne particulière. Selon son site internet, le N______, lieu de travail de Mme A______, proposait des plats sur place et à l'emporter et le nombre de places à l'intérieur, non indiqué, semblait être de moins de quarante. Or, le chiffre d'affaires que représentaient les ventes à l'emporter n'était pas spécifié sur le bilan de la société. L'effectif de la société était de trois personnes (MM. D______, E______ et Mme O______) et il ressortait du bilan et du compte de résultat de la société, au 30 septembre 2023, qu’elle faisait état d’une perte reportée de CHF -9’501,76 pour un bénéfice de CHF 6'295,58.

Enfin, il ressortait du CV de Mme A______ que celle-ci avait été employée en dernier lieu comme gouvernante de maison entre 2008 et 2019. Son seul emploi pertinent était celui de cuisinière dans un restaurant marocain à J______ de févier à avril 2007, ce qui n'était pas suffisant au regard des directives du SEM qui requéraient en général dix ans d’expérience lorsqu'on n'avait pas de diplôme, comme c’était le cas de Mme A______. Dès lors, la demande d'autorisation de permis frontalière (permis G) ne répondait pas aux exigences des directives précitées.

17.         Invitées à répliquer par courriers du 8 février 2024, Mme A______ et B______ n’ont pas donné suite.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail en matière de marché du travail (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, les recours sont recevables au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             À teneur de l'art. 70 al. 1 LPA, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

4.             En l'espèce, les deux recours reposent sur un complexe de faits semblables et liés, de sorte qu'ils doivent être traités, du point de vue juridique, en commun.

Il y a dès lors lieu d'ordonner leur jonction sous le numéro de cause A/4000/2023.

5.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

6.             La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l'entrée, le séjour et la sortie de Suisse des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), notamment par l'Accord du 21 juin 1999 entre, d'une part, la Confédération suisse, et, d'autre part, la Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681).

7.             En l'occurrence, la recourante étant ressortissante marocaine et non d'un pays membre de la Communauté européenne, la demande de permis déposée en sa faveur ne peut être examinée que sous l'angle de la LEI.

8.             Selon l'art. 11 LEI, tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative doit être titulaire d'une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour ; il doit la solliciter auprès de l'autorité compétente du lieu de travail envisagé (al. 1). Est considérée comme activité lucrative toute activité salariée ou indépendante, qui procure normalement un gain, même si elle est exercée gratuitement (al. 2). En cas d'activité salariée, la demande d'autorisation est déposée par l'employeur (al. 3).

9.             À teneur de l'art. 18 LEI, un étranger peut être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative salariée aux conditions suivantes : son admission sert les intérêts économiques du pays (let. a), son employeur a déposé une demande (let. b) et les conditions fixées aux art. 20 à 25 LEI sont remplies (let. c), notamment les exigences relatives à l'ordre de priorité (art. 21 LEI), les conditions de rémunération et de travail (art. 22 LEI), ainsi que les exigences portant sur les qualifications personnelles requises (art. 23 LEI). Ces conditions sont cumulatives (ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b et les arrêts cités).

10.         En raison de sa formulation potestative, l'art. 18 LEI ne confère aucun droit à la recourante (arrêts du Tribunal fédéral 2C_798/2018 du 17 septembre 2018 consid. 4.1 ; 2D_4/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b) et les autorités compétentes bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de son application (arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.1 ; C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 6.2 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b). De même, en tant qu'employeur, la société ne dispose d'aucun droit à engager cette dernière en vue de l'exercice d'une activité lucrative en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2D_57/2015 du 21 septembre 2015 consid. 3 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 3 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b).

11.         La notion d’« intérêt économique du pays », formulée de façon ouverte, concerne au premier chef le domaine du marché du travail. Il s'agit, d'une part, des intérêts de l'économie et de ceux des entreprises. D'autre part, la politique d'admission doit favoriser une immigration qui n'entraîne pas de problèmes de politique sociale, qui améliore la structure du marché du travail et qui vise à plus long terme l'équilibre de ce dernier (Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers, in FF 2002 3469 ss, p. 3485 s. et 3536). En particulier, les intérêts économiques de la Suisse seront servis lorsque, dans un certain domaine d'activité, il existe une demande durable à laquelle la main d'œuvre étrangère en cause est susceptible de répondre sur le long terme (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-4226/207 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ;
C-5912/2011 du 26 août 2015 consid. 7.1 ; C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 6.1 et les références citées ; C_8717/2010 du 8 juillet 2011 consid. 5 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5d ; ATA/1018/2017 du 27 juin 2017 consid. 4c). L'activité économique est dans l'intérêt économique du pays si l'étranger offre par là une prestation pour laquelle il existe une demande non négligeable et qui n'est pas déjà fournie en surabondance (cf. ATA/896/2018 du 4 septembre 2018 consid. 6b ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, 2017, p. 145 s. et les références citées).

12.         Selon les directives et circulaires du secrétariat d'État aux migrations
(SEM ; Séjour avec activité lucrative [ci-après : directives LEI], état au 1er février 2023, ch. 4.3.1, qui ne lient pas le juge, mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré, pourvu qu'elles respectent le sens et le but de la norme applicable ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 ; ATA/896/2018 du 4 septembre 2018 ; ATA/1280/2015 du 1er décembre 2015), il convient de tenir compte en particulier de la situation sur le marché du travail, de l'évolution économique durable et de la capacité de l'étranger concerné à s'intégrer. Il ne s'agit pas de maintenir une infrastructure avec une main-d’œuvre peu qualifiée disposée à travailler pour de bas salaires, ni de soutenir des intérêts particuliers. Par ailleurs, les étrangers nouvellement entrés dans le pays ne doivent pas faire concurrence aux travailleurs en Suisse en provoquant, par leur disposition à accepter de moins bonnes conditions de rémunération et de travail, un dumping salarial et social (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-4226/207 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ; C-857/2013 du 19 mai 2014 consid. 8.3 ; C-3518/2011 du 16 mai 2013 consid. 5.1 ; C-2485/2011 du 11 avril 2013 consid. 6 ; C-6135/2008 du 11 août 2008 consid. 8.2 ; ATA/1280/2015 du 1er décembre 2015 consid. 12 ; ATA/940/2015 du 15 septembre 2015 consid. 7c).

13.         S’agissant plus spécifiquement des cuisiniers de restaurants de spécialités, conformément aux directives LEI (ch. 4.7.9.1.1), l’engagement de ces derniers peut être autorisé aux conditions suivantes : « a) l'employeur (restaurant de spécialités) suit une ligne cohérente, se distingue par la haute qualité de l’offre et des services et propose, pour l’essentiel, des mets exotiques dont la préparation et la présentation nécessitent des connaissances particulières qui ne peuvent être acquises dans notre pays ; b) l'employeur démontre qu'il a déployé tous les efforts de recherche possibles ; c) les établissements exploitant de surcroît un fast-food ou proposant des plats à l'emporter reçoivent une autorisation uniquement si ces services ne représentent qu’une part minime du chiffre d’affaires par rapport à la restauration proprement dite ; d) L’effectif du personnel de l’établissement équivaut à cinq postes (500%) au moins. Les stagiaires des écoles hôtelières ne peuvent pas être intégrés dans le décompte des postes de travail occupés ; e) L’établissement dispose de 40 places au moins à l’intérieur ; f) L’établissement présente un bilan et un compte de résultat sains, n'accuse pas de pertes et est en mesure de rémunérer tous les employés conformément à la CCNT ; g) Le salaire doit être conforme aux conditions en usage dans la localité et la profession et correspondre au moins aux normes fixées dans la Convention collective nationale de travail (CCNT) pour les hôtels, restaurants et cafés, catégorie IV [ ] ».

14.         Un étranger ne peut en outre être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative que s'il est démontré qu'aucun travailleur en Suisse ni aucun ressortissant d'un État avec lequel a été conclu un accord sur la libre circulation des personnes correspondant au profil requis n'a pu être trouvé (art. 21 al. 1 LEI).

15.         En d'autres termes, l'admission de ressortissants d'États tiers n'est possible que si, à qualifications égales, aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d'un État membre de l'UE ou de l'AELE ne peut être recruté. Le principe de la priorité des travailleurs résidants doit être appliqué à tous les cas, quelle que soit la situation de l'économie et du marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 2C_434/2014 du 8 août 2014 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.3.1 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3c).

16.         Les conditions d'admission ont matériellement pour but de gérer de manière « restrictive » l'immigration ne provenant pas de la zone UE/AELE, de servir conséquemment les intérêts économiques à long terme et de tenir compte de manière accrue des objectifs généraux relatifs aux aspects politiques et sociaux du pays et en matière d'intégration (ATAF 2011/1 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.3.1 ; C-6198/2014 du 18 mai 2015 consid. 6.1 ; C-857/2013 consid. 5).

17.         Les employeurs sont tenus d'annoncer le plus rapidement possible aux offices régionaux de placement les emplois vacants qu'ils présument ne pouvoir repourvoir qu'en faisant appel à du personnel venant de l'étranger. Les offices de placement jouent un rôle clé dans l'exploitation optimale des ressources offertes par le marché du travail sur l'ensemble du territoire suisse. L'employeur doit, de son côté, entreprendre toutes les démarches nécessaires - annonces dans les quotidiens et la presse spécialisée, recours aux médias électroniques et aux agences privées de placement - pour trouver un travailleur disponible. On attend des employeurs qu'ils déploient des efforts en vue d'offrir une formation continue spécifique aux travailleurs disponibles sur le marché suisse du travail (ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c et les arrêts cités ; directives LEI, ch. 4.3.2.1).

18.         Il revient à l'employeur de démontrer avoir entrepris des recherches à une grande échelle afin de repourvoir le poste en question par un travailleur indigène ou ressortissant d'un État membre de l'UE/AELE et qu'il s'est trouvé dans une impossibilité absolue de trouver une personne capable d'exercer cette activité (ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3c ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-6074/2010 du 19 avril 2011 consid. 5.3). L'employeur doit être en mesure de rendre crédibles les efforts qu'il a déployés, en temps opportun et de manière appropriée, en vue d'attribuer le poste en question à des candidats indigènes ou à des candidats ressortissants de l'UE/AELE. Des ressortissants d'États tiers ne seront contactés que dans le cas où les efforts entrepris n'ont pas abouti. Il convient dès lors de veiller à ce que ces démarches ne soient pas entreprises à la seule fin de s'acquitter d'une exigence. Elles doivent être engagées suffisamment tôt, dans un délai convenable avant l'échéance prévue pour la signature du contrat de travail. En outre, il faut éviter que les personnes ayant la priorité ne soient exclues sur la base de critères professionnels non pertinents tels que des séjours à l'étranger, des aptitudes linguistiques ou techniques qui ne sont pas indispensables pour exercer l'activité en question, etc. (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-3286/2017 du 18 décembre 2017 consid. 6.2 ; F-1992/2015 du 10 mars 2017 consid. 5.5 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c).

19.         Même si la recherche d'un employé possédant les aptitudes attendues de la part de l'employeur peut s'avérer ardue et nécessiter de nombreuses démarches auprès des candidats potentiels, de telles difficultés ne sauraient, à elles seules, conformément à une pratique constante des autorités en ce domaine, justifier une exception au principe de la priorité de recrutement énoncée à l'art. 21 LEI (arrêt du Tribunal administratif fédéral C_8717/2010 du 8 juillet 2011
consid. 8.1 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3c).

20.         Conformément à l'art. 90 LEI, l'étranger et les tiers participant à une procédure prévue par la loi doivent collaborer à la constatation des faits déterminants pour son application. Ils doivent en particulier fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour (let. a) et fournir sans retard les moyens de preuves nécessaires ou s'efforcer de se les procurer dans un délai raisonnable (let. b).

21.         En l’espèce, au vu des écritures des parties et des pièces versées à la procédure, le tribunal parvient à la conclusion que l’OCIRT n’a pas violé les dispositions légales énoncées plus haut ou mésusé de son pouvoir d’appréciation en refusant l'octroi de l’autorisation de travail sollicitée en faveur de la recourante.

Sous l’angle de l’art. 21 al. 1 LEI, force est d’admettre que les démarches, initiées par l'employeur en mars 2023 en vue de trouver un(e) chef(fe) de cuisine marocaine, n’ont effectivement de loin pas atteint le niveau de recherches requis par la loi et la jurisprudence. Il s’est en effet contenté de publier une offre d’emploi sur la plateforme Job-Room, dont la portée est essentiellement nationale, ce après avoir toutefois déjà signé un contrat de durée déterminée avec l’intéressée, puis d’annoncer la vacance du poste à l’OCE le 19 mai 2023. Or, de telles démarches ne suffisent pas, en l’état des règles en vigueur, pour considérer que la société recourante se serait acquittée de ses obligations légales en matière de priorité du marché suisse ou européen.

On observera par ailleurs que la recourante a signé son contrat de travail le 1er juin 2023, soit moins de deux semaines après l'annonce du poste à l'OCE, ce qui souligne la brièveté - et l’insuffisance - du temps que l'employeur a consacré à la recherche effective d’un candidat. Compte tenu des difficultés que ce dernier allègue avoir rencontrées pour trouver un/e cuisinier/ère remplissant les conditions requises par le poste, il lui aurait appartenu d’entreprendre des recherches bien plus poussées et de plus grande envergure sur les marchés du travail tant suisse que de l’UE/AELE, par exemple en faisant appel à des agences de recrutement et en publiant des annonces sur des sites internet spécialisés, en Suisse et en Europe, et dans la presse spécialisée. Au demeurant, on ne voit pas en quoi la recourante, titulaire d'une formation en horlogerie et en broderie, même si elle indique désormais être au bénéfice d’un diplôme de technicien du centre professionnel d’hôtellerie option cuisine pour la session 2006/2008 - diplôme dont elle n’avait étonnamment pas fait état lors de sa précédente demande de permis pour un poste similaire (JTAPI/834/2021 du 25 août 2021) -, présenterait des qualifications et une expérience si particulières qu’il serait impossible pour l'employeur de recruter un autre travailleur doté des capacités requises sur le marché local ou européen, quitte à ce qu'il bénéficie d'un complément de formation. Dans ces conditions, force est de retenir, avec l’autorité intimée, que la recourante n’est pas parvenue à démontrer que l'employeur aurait réellement et concrètement été dans l’impossibilité de trouver un travailleur correspondant aux exigences du poste sur le marché local ou européen. Enfin, même en retenant que la recherche d’un candidat ayant des connaissances en cuisine marocaine serait particulièrement ardue, cette difficulté ne saurait à elle seule justifier une exception au principe de la priorité dans le recrutement énoncé par la loi. S'il est peut-être difficile de trouver des candidats indigènes répondant aux exigences de la recourante, on peut penser qu'il n'y a pas de réelles difficultés à trouver, dans un certain nombre de pays de l'UE, laquelle comprend maintenant 28 membres, une personne ayant les qualifications requises (cf. ATA/53/2020 du 21 janvier 2020 consid. 5).

22.         Le principe de priorité n’ayant pas été respecté, il n'est pas nécessaire d'examiner si les autres conditions cumulatives posées par l’art. 18 LEI sont réalisées.

23.         Cela étant, on relèvera qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que l’activité de cuisinière que la recourante, aussi compétente soit-elle (ce qui ne saurait en soi être remise en cause), serait amenée à déployer au sein de l’établissement de B______ pourrait réellement avoir des retombées économiques positives pour l’économie suisse et, ainsi, représenter un intérêt pour la Suisse au sens de l’art. 18 let. a LEI, tel que défini plus haut, que ce soit en termes de création de places de travail, d'investissements ou de diversification de l'économie régionale, étant rappelé qu'il convient de ne pas confondre l’intérêt économique de la Suisse avec celui de l'employeur à engager une personne particulière.

24.         Au vu de ce qui précède, le tribunal considère que la décision querellée ne viole pas le droit fédéral.

25.         Mal fondé, les recours seront rejetés.

26.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986
(RFPA - E 5 10.03), les recourantes, qui succombent, sont condamnées au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.-, chacune. Il est couvert par les avances de frais versées à la suite du dépôt du recours.

27.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

28.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au SEM.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             ordonne la jonction des procédures A/4000/2023 et A/4112/2023 sous le numéro de cause A/4000/2023 ;

2.             déclare recevables les recours interjetés le 27 novembre 2023 par Madame A______ et B______ SA contre la décision de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 25 octobre 2023 ;

3.             les rejette ;

4.             met à la charge des recourantes, prises conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’000.-, lequel est couvert par leurs avances de frais ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier