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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/733/2024

JTAPI/226/2024 du 12.03.2024 ( MC ) , ADMIS

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.75.al1; LEI.76.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/733/2024 MC

JTAPI/226/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

Du 12 mars 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Alain MISEREZ, avocat

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1994, est ressortissant colombien.

2.             Il est venu une première fois en Suisse en novembre 2017 et s'est installé définitivement à Genève en avril 2018.

3.             Selon l'extrait de son casier judiciaire, M. A______ a été condamné à cinq reprises entre le 31 août 2018 et le 3 décembre 2022, essentiellement pour vol (art. 139 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0)), violation de domicile (art. 186 CP) et infractions aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01).

4.             Le 15 mai 2019, l'intéressé a déposé une demande d'autorisation de séjour auprès de l'office cantonal de la population et des migrations (ci après : OCPM) en vue de préparer son mariage avec Madame B______ et vivre auprès de leurs deux filles C______, née le ______ 2013, et D______, née le ______ 2019.

5.             Par décision du 20 mai 2020, l'OCPM a refusé de lui octroyer une attestation en vue de mariage et, a fortiori, une autorisation de séjour au titre de regroupement familial, et a prononcé son renvoi de Suisse.

6.             Cette décision a été confirmée par le Tribunal administratif de première instance (ci-après: le tribunal) (JTAPI/476/2021 du 18 mai 2021), puis par la chambre administrative de la Cour de Justice (ATA/1059/2021 du 12 octobre 2021).

7.             Le 3 février 2022, l'OCPM a imparti à l'intéressé un délai au 3 avril 2022 pour quitter la Suisse, injonction à laquelle il ne s'est pas conformé.

8.             Une interdiction d'entrée en Suisse a été prononcée à son encontre, valable du 29 juin 2023 au 28 juin 2026, laquelle lui a été notifiée le 9 août 2023.

9.             Suite à une dénonciation anonyme du 9 août 2023 dénonçant un trafic de stupéfiants, il a été contrôlé le même jour dans la chambre d'hôtel qu'il occupait à Genève, en compagnie de sa petite-amie, Madame E______. Auditionné par la police, il a déclaré être séparé de la mère de ses deux premiers enfants, vivre depuis janvier 2023 à F______ en Espagne et avoir un troisième enfant domicilié à Genève d'une autre femme, âgé d'un mois et demi, qu'il n'avait encore jamais vu. Il savait qu'il n'avait pas le droit de se trouver en Suisse, n'était pas au bénéfice de titre de séjour pour l'espace Schengen et n'avait pas d'adresse en Suisse. M. A______ a été dénoncé au Ministère public le 22 septembre 2023 pour trafic de stupéfiants et infraction à la LEI.

10.         Il a été incarcéré le même jour à la prison de Champ-Dollon pour purger des peines de prison, la fin de sa peine étant fixée au 7 février 2024.

11.         Auditionné le 28 novembre 2023 par la Brigade migration de l'aéroport, M. A______ a déclaré qu'il n'envisageait pas de rentrer en Colombie, car son cercle familial se trouvait en Europe et aux Etats-Unis et qu'il souhaitait retourner en Espagne où il exerçait sa profession auprès d'une entreprise de construction.

12.         Le 19 janvier 2024, le conseil de M. A______ a transmis à l'OCPM, en vue d'un refoulement en Espagne, une attestation de résidence espagnole ainsi qu'une carte de santé échue établies au nom du précité.

13.         Par courriel du 5 février 2024, ledit conseil a encore indiqué à l'OCPM que son client ne disposait pas encore d'un titre de séjour, mais avait un projet de mariage engagé avec sa petite-amie.

14.         Le 6 février 2024, l'OCPM a répondu que dans la mesure où M. A______ ne disposait pas de titre de séjour en Espagne, le refoulement serait opéré à destination de la Colombie.

15.         Le 7 février 2024, M. A______ a refusé d'embarquer dans l'avion devant assurer son refoulement en Colombie.

16.         Le 7 février 2024, à 17h05, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à son encontre pour une durée de six semaines.

17.         Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il ne savait pas s'il était d'accord de retourner en Colombie.

18.         Un vol à destination de la Colombie a été réservé en sa faveur le 11 février 2024.

19.         Entendu le 8 février 2024 par le tribunal, M. A______ a déclaré qu'il ne pouvait pas retourner en Colombie à cause du conflit armé. Il lui était difficile de dire s'il allait prendre le vol du 11 février 2024 ou non. Il vivait à F_______ où il travaillait en qualité de peintre. Cela faisait depuis onze ou douze ans qu'il vivait en Espagne. Auparavant, il faisait des allers-retours entre l'Espagne et la Suisse. A Genève, il avait trois enfants. Il était revenu à Genève pour connaître son fils et voir ses deux filles. Il savait qu'il n'avait pas le droit de venir en Suisse, mais il souhaitait voir ses enfants. Une fois sorti de prison, il souhaitait retourner en Espagne, continuer à y travailler et épouser Mme E______, en possession d'un titre de séjour. Il voulait également organiser ses relations personnelles avec ses enfants. Actuellement, il n'avait pas de titre de séjour en Espagne. Il ne voulait pas retourner en Colombie, car il n'y avait plus de famille et que c'était dangereux pour lui et sa famille. Son frère avait quitté la Colombie et sa maison avait été brûlée. Sa vie y était en danger. Certains de ses oncles avaient été séquestrés par les FARC et/ou déplacés de manière forcée. Son oncle et un cousin étaient décédés. Ces événements s'étaient déroulés lorsqu'il avait environ quatre ou cinq ans. Le danger en lien avec les FARC était toujours d'actualité. Il avait entamé une procédure auprès du service de la protection des mineurs afin de voir plus souvent ses enfants.

Le représentant du commissaire de police a indiqué que la veille, un collaborateur de la Brigade des migrations s'était entretenu oralement avec M. A______, lequel avait indiqué être prêt à retourner en Colombie. Aujourd'hui, il disait le contraire. S'il ne prenait pas le vol du 11 février 2024, un vol avec escorte policière à destination de la Colombie allait devoir être organisé, vraisemblablement pour la semaine du 19 février 2024. Il a conclu à la confirmation de l’ordre de mise en détention administrative pour une durée de six semaines.

Le conseil de M. A______ a conclu à la mise en liberté immédiate de son client. Il a produit un chargé de pièces, dont une copie du permis de séjour espagnol de Mme E______, un courrier de sa part en langue espagnole expliquant qu'elle souhaitait épouser M. A______ en avril 2024, un article de presse de 1999 concernant les séquestres en Colombie, un extrait du registre colombien des disparitions forcées et une photographie de la maison familiale en Colombie non datée.

20.         Par jugement du 8 février 2024 (JTAPI/109/2024), le tribunal a confirmé l'ordre de mise en détention de M. A______ pour une durée de six semaines, soit jusqu'au 19 mars 2024 inclus.

21.         Le 9 février 2024, la Brigade migration et retour (BMR) a informé les autorités que lors de l'entretien de départ, M. A______ avait indiqué qu'il allait refuser le vol de ligne (DEPU) qui lui était réservé le 11 février 2024. Le vol en question a donc été annulé.

22.         Le 19 février 2024, la demande de réadmission en Espagne de l'intéressé a été rejetée.

23.         Le 23 février 2024, la chambre administrative de la Cour de justice a rejeté le recours interjeté par M. A______ contre le jugement du tribunal du 9 février 2024.

24.         Le 29 février 2024 et suite au refus de l'Espagne quant à sa demande de réadmission, l'intéressé a déclaré être volontaire pour rentrer au plus vite dans son pays d'origine.

25.         Un nouveau vol DEPU à destination de la Colombie a été confirmé pour le 15 mars 2024. En cas de refus de vol, un vol avec escorte policière (DEPA) serait organisé.

26.         Par requête motivée du 4 mars 2024, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de six semaines, soit jusqu'au 30 avril 2024.

27.         Devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), lors de l'audience de ce jour, M. A______ a déclaré qu’il avait bien l’intention de prendre le vol du 15 mars 2024 à destination de la Colombie afin de ne pas prolonger sa détention, malgré le fait qu’il laissait ici ses filles et malgré les tensions qui existaient dans son pays.

La représentante de l'OCPM a sollicité la confirmation de la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ déposée le 4 mars 2024 pour une durée de six semaines.

L'intéressé, par l'intermédiaire de son conseil, a conclu au rejet de la demande de prolongation de la détention administrative pour une durée de six semaines.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour prolonger la détention administrative en vue de renvoi ou d'expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. e de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             S'il entend demander la prolongation de la détention en vue du renvoi, l'OCPM doit saisir le tribunal d'une requête écrite et motivée dans ce sens au plus tard huit jours ouvrables avant l’expiration de la détention (art. 7 al. 1 let. d et 8 al. 4 LaLEtr).

3.             En l'occurrence, le 4 mars 2024, le tribunal a été valablement saisi, dans le délai légal précité, d'une requête de l'OCPM tendant à la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de 6 semaines.

4.             Statuant ce jour, le tribunal respecte le délai fixé par l'art. 9 al. 4 LaLEtr, qui stipule qu'il lui incombe de statuer dans les huit jours ouvrables qui suivent sa saisine, étant précisé que, le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger.

5.             En l'espèce, la légalité de la détention a été examinée et confirmée par jugement rendu par le tribunal le 8 février 2024 (JTAPI/109/2024). Aucun changement de circonstance n'est depuis lors intervenu dans la situation de M. A______, le simple écoulement du temps n'étant quant à lui pas propre à entraîner une modification de l'appréciation à laquelle a déjà procédé le tribunal sur ce point.

6.             Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l'obtention des documents nécessaires au départ auprès d'un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI). Concrètement, dans ces deux circonstances, la détention administrative peut donc atteindre dix-huit mois (cf. not. ATA/848/2014 du 31 octobre 2014 ; ATA/3/2013 du 3 janvier 2013 ; ATA/40/2012 du 19 janvier 2012 ; ATA/518/2011 du 23 août 2011).

7.             Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit respecter le principe de la proportionnalité (cf. art. 5 al. 2 et 36 Cst. et art. 80 et 96 LEI ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées). Elle doit non seulement apparaître proportionnée dans sa durée, envisagée dans son ensemble (ATF 145 II 313 consid. 3.5 ; 140 II 409 consid. 2.1 ; 135 II 105 consid. 2.2.1), mais il convient également d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si elle constitue une mesure appropriée et nécessaire en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi ou d'une expulsion (cf. art. 5 par. 1 let. f CEDH ; ATF 143 I 147 consid. 3.1 ; 142 I 135 consid. 4.1 ; 134 I 92 consid. 2.3 ; 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.4 ; 2C_263/2019 du 27 juin 2019 consid. 4.1 ; 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi ou de l'expulsion de la personne concernée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées ; cf. aussi ATF 130 II 425 consid. 5.2).

8.             Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEI ; « principe de célérité ou de diligence »). Il s'agit d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

9.             En l'espèce, depuis l’audience qui s’est tenue devant le tribunal le 8 février 2024, les autorités suisses ont poursuivi leurs démarches en vue du renvoi de M. A______ après que les autorités espagnoles aient dans l’intervalle signifié leur refus d’admettre le précité sur leur territoire. Un vol à destination de la Colombie a par conséquent été réservé pour le 15 mars 2024. A l’audience de ce jour, M. A______ a certes affirmé son intention de prendre ce vol et de retourner dans son pays, affirmant avoir compris qu’il n’avait pas d’autre issue, et ce malgré le fait qu’il laisse en Suisse ses filles et que la situation en Colombie lui paraisse dangereuse.

Toutefois, il s’agit d’un revirement d’intention auquel le tribunal ne peut pas accorder toute confiance, non seulement parce que M. A______ s’est d’abord clairement déterminé à l’encontre de son retour en Colombie, notamment en expliquant qu’il souhaitait retourner en Espagne, mais aussi parce qu’il a des intérêts forts à se soustraire si possible à un tel renvoi. Il s’agit en particulier de la présence de ses filles à Genève et d’autre part de sa réticence à retourner dans un pays qu’il décrit comme dangereux. Par conséquent, le tribunal doit considérer comme vraisemblable la possibilité que M. A______ refus de prendre l’avion le 15 mars 2024. Dans ces conditions, le tribunal n’a d’autre choix, afin d’assurer l’exécution de son renvoi, que de prolonger sa détention. Quant à la durée requise par l’OCPM, qui représente un peu moins de six semaines au-delà de la durée de détention confirmée par le tribunal de céans puis par la Chambre administrative, elle n’apparaît pas a priori disproportionnée, dans la mesure où il n’est même pas certain qu’elle puisse suffire à organiser un nouveau vol, cette fois avec escorte policière, en cas de refus de la part de M. A______ de prendre celui du 15 mars 2024.

10.         Au vu de ce qui précède, la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ sera admise pour une durée de six semaines soit jusqu'au 29 avril 2024 inclus.

11.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et à l’OCPM. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande de prolongation de la détention administrative de Monsieur A______ formée le 4 mars 2024 par l’office cantonal de la population et des migrations ;

2.             prolonge la détention administrative de Monsieur A______ pour une durée de six semaines, soit jusqu'au 29 avril 2024 inclus ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, à l’office cantonal de la population et des migrations et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière