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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/240/2024

JTAPI/76/2024 du 30.01.2024 ( MC ) , ADMIS

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);INTERDICTION DE PÉNÉTRER DANS UNE ZONE
Normes : LEI.74
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/240/2024 MC

JTAPI/76/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 janvier 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Romain AESCHMANN, avocat, avec élection de domicile

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.             Madame A______, née le ______ 2005, est originaire de Roumanie.

2.             Elle a été interpellée le 12 janvier 2024 à Genève pour vol à l'étalage et infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

3.             Il ressort du rapport d'arrestation que l'intéressée avait dérobé des bouteilles d'alcool dans le magasin B______ d’C______ pour un montant total de CHF 562.10, ainsi qu'une veste dans un magasin D______ d'une valeur de CHF 79.95, et avait participé au vol d'un t-shirt dans un magasin E______.

4.             Entendue par les services de police le 12 janvier 2024, elle a reconnu les faits s'agissant des vols des bouteilles d'alcool et de la veste. Elle a indiqué qu'elle était venue en Suisse, depuis F______ (France) pour y faire du shopping.

S'agissant de sa situation personnelle, elle a indiqué être arrivée en 2007 avec ses parents en France et y était allée au collège ; elle avait fait un stage dans l’hôtellerie. Ses parents étaient divorcés et vivaient en France ; son frère de 19 ans vivait également en France. Elle n’avait jamais habité en Suisse, n’avait aucun lien particulier avec pays ni autorisation de séjour. Ses moyens de subsistance consistaient en de l’argent de poche que ses parents lui donnaient.

5.             Le 12 janvier 2024, l’intéressée a été condamnée par ordonnance pénale du Ministère public pour vol (art. 139 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) et infraction à l’art. 115 al. 1 let. a LEI à une peine pécuniaire de nonante jours amende avec sursis.

6.             Le 12 janvier 2024 toujours, à 20h10, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de Mme A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de douze mois.

7.             Par courrier du 22 janvier 2024, réceptionné au greffe du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 23 janvier 2024, Mme A______ a formé opposition contre cette décision, concluant préalablement à la restitution de l’effet suspensif, principalement à l’annulation de la décision, subsidiairement à la réduction de la durée de l’interdiction. Elle a produit un chargé de pièces.

Lors de son arrestation, elle n’avait pas été en mesure d’expliquer correctement sa situation aux autorités ; elle était en panique et en état de choc, n’ayant jamais eu à faire avec la justice. Après 30h de détention, la procureur l’avait auditionnée mais elle n’avait pas non plus été en mesure de revenir sur les faits qu’elle avait déclarés lors de son interrogatoire un peu plus tôt.

Elle vivait en fait chez sa tante depuis son arrivée en Suisse mais son domicile officiel se trouvait toujours en France, à F______ ; elle avait l’intention de le déplacer en Suisse dès que possible, sa tante allant déménager. Il était prévu qu’elle s’annonce au contrôle des habitants dès que cette dernière aurait un nouveau logement.

Elle travaillait pour une agence d’intérim à Genève (G______) et avait eu une mission entre le 18 décembre 2023 et le 5 janvier 2024 auprès du Foyer de l’H______ à I______ ; l’agence lui avait proposé une autre mission, cette fois de longue durée, mais elle n’avait pas encore de contrat car elle devait effectuer un essai début février. Elle disposait donc de moyens financiers pour assurer sa subsistance, ce d’autant plus qu’elle était hébergée et nourrie chez sa tante. Son employeur avait par ailleurs entrepris les démarches concernant son statut de séjour, ayant fait une annonce de séjour de courte durée auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) le 15 décembre 2023 et une demande de permis B était en cours.

Les conditions de l’art. 74 LEI n’étaient pas remplies. Son employeur avait fait une annonce de séjour de courte durée et une demande de permis B était en cours, elle n’avait aucun antécédent et avait fait une grosse erreur en commettant les infractions pour lesquelles elle avait été condamnée – elle les avait regrettées et avait promis de ne pas recommencer. Par ailleurs, les faits reprochés étaient peu graves et ne suffisaient pas à retenir qu’elle troublait ou menaçait la sécurité et l’ordre public.

La décision devait être annulée. Subsidiairement la durée de l’interdiction devait être réduite ; elle résidait à J______ et allait débuter un emploi relativement stable lui assurant des revenus suffisants pour assurer sa subsistance ; y renoncer n’était pas raisonnablement exigible. De plus, le risque de récidive était inexistant au vu des moyens financiers que sa mission lui rapportera.

Les missions étant majoritairement localisées dans le canton de Genève, les conséquences de l’interdiction étaient ainsi très impactantes pour elle.

Le commissaire de police lui avait par ailleurs indiqué qu’elle ne pouvait pas faire opposition à la décision devant lui en l’absence d’un avocat d’office et qu’aucun n’était disponible ; ceci était inadmissible et contraire à ses droits.

Exceptionnellement, elle sollicitait la restitution de l’effet suspensif à son opposition afin de lui permettre de débuter l’essai prévu dans le carde de sa future mission.

8.             Par courriel du 23 janvier 2024 à 18h57, Mme A______, par l’intermédiaire de son conseil, a confirmé avoir travaillé pour le Foyer l’H______ via la société G______ SA et avoir dans ce cadre-là bénéficié d’une autorisation de courte durée délivrée par l’OCPM. Une nouvelle mission de longue durée allait lui être proposée d’ici la fin de la semaine et une nouvelle demande d’autorisation de courte durée allait également être sollicitée par son employeur auprès de l’OCPM.

Sa tante était au bénéfice d’un permis B, elle habitait à J______ avec ses deux enfants mineurs et était disposée à l’accueillir le moment venu ; une attestation serait transmise à l’audience du 24 janvier 2024.

Ledit permis B, des documents bancaires, une carte AVS et une carte d’assurance maladie européenne étaient produits.

9.             Lors de l'audience du 24 janvier 2024, Mme A______ a indiqué qu’elle n’avait pas de titre de séjour en France car ce n'était plus nécessaire vu les accords de libre circulation. Elle avait arrêté ses études à quinze ans et avait commencé à travailler à dix-sept ans. Elle avait travaillé en France dans la restauration. Elle avait signé un contrat-cadre avec G______ le 15 décembre 2023 et avait effectué pour eux une seule mission qui avait pris fin le 5 janvier 2024. Elle avait habité chez sa tante du 18 décembre 2023 au 5 janvier 2024. Celle-ci était installée à J______ et n'avait pas l'intention de venir s'installer à Genève. Dès qu’elle commencerait sa prochaine mission, elle avait l'intention d'aller de nouveau habiter chez elle. Selon les informations qu’elle avait, la prochaine mission serait un emploi d'aide en cuisine à environ 70% ; elle ne savait pas auprès de quel établissement mais l'information allait lui être communiquée d'ici au lendemain. Ce serait une mission sur une longue durée, qui devrait débuter début février. Elle n’avait pas fait opposition à l'ordonnance pénale car elle voulait assumer la responsabilité de ses actes. Sur question du commissaire de police, elle a expliqué qu’elle faisait tous ses déplacements en transports publics, soit par train soit avec les TPG. Sur question de son conseil, s’est engagée à transmettre au tribunal toutes les informations concernant sa prochaine mission. Sa grand-mère habitait avec sa tante à J______, elle n’avait pas d'autre famille en Suisse. Suite à son interpellation et jusqu'à sa remise en liberté, elle n’avait pas été assistée d'un avocat. Elle a confirmé que sa détention avait duré environ trente heures. Comme on lui avait indiqué qu’elle ne pouvait pas faire une opposition immédiate, elle avait effectivement signé le formulaire indiquant qu’elle ne voulait pas faire opposition. Elle a confirmé n'avoir aucuns antécédents pénaux en Suisse ni dans aucun autre pays. C'était la première fois qu’elle commettais un vol. Cette expérience lui avait vraiment servi de leçon, elle regrettait son infraction et s'engageait à ce que cela ne se reproduise plus jamais.

La représentante du commissaire de police a indiqué au tribunal maintenir en l’état la décision. Elle ne savait pas pourquoi il aurait été indiqué à Mme A______ qu'il n'était pas possible de faire une opposition immédiate à la mesure en l'absence d'un avocat. L’interdiction pourrait faire l'objet d'adaptations avec la délivrance de sauf-conduits afin que Mme A______ puisse se rendre sur son éventuel lieu de travail et, en cas d'octroi d'une autorisation de séjour, la décision serait révoquée.

Le conseil de Mme A______ a expliqué que, selon ce qui lui avait été indiqué, si l'OCPM ne s'opposait pas à la mission de courte durée, aucune décision formelle n'était rendue et l'autorisation était accordée. C'est ce qui s’était passé dans le cas de sa cliente pour sa première mission. Il a indiqué que selon les informations qu’il avait pu obtenir de G______, pour la prochaine mission, la société solliciterait à nouveau une autorisation de courte durée et, si la mission se passait bien et se poursuivait, ferait les démarches pour un permis frontalier ou une autorisation de travail selon le lieu de résidence. Il a déposé une attestation de Mme J______, tante de sa cliente, indiquant qu'elle était disposée à l'accueillir dans son appartement dès qu'elle aura trouvé du travail. Il s’est demandé si une autorisation de courte durée serait accordée par l'OCPM à sa cliente en sachant qu'elle faisait l'objet d'une interdiction territoriale. Il a retiré la demande de restitution de l'effet suspensif à la mesure.

A la fin de l’audience, le tribunal a convoqué les parties pour une audience le 29 janvier 2024.

10.         Par courrier transmis par courriel du 25 janvier 2024 à 10h27, le conseil de Mme A______ a produit un contrat de mission de G______ pour une durée de deux jours auprès du Foyer l’H______ à I______, soit le 24 et 26 janvier 2024, ainsi que la demande de sauf-conduit à la police.

11.         Ledit sauf-conduit a été délivré le même jour et transmis pour information au tribunal à 12h42.

12.         Le 29 janvier 2024 à 10h17, le conseil de Mme A______ a informé le tribunal qu’un contrat de mission pour une journée avait été établi par G______ pour le jour même.

13.         A l’audience du 29 janvier 2024, le conseil de Mme A______ a déposé une copie du contrat de mission de G______ du 29 janvier 2024 pour une mission du 30 janvier au 28 juin 2024 au maximum au foyer l’H______ à I______ en qualité d’aide de cuisine et employée de maison à 78.75%, ainsi que deux extraits du SITG, l'un indiquant l'endroit de la B______ dans laquelle le vol avait eu lieu et le second le lieu de situation du foyer l'H______.

Mme A______ a indiqué avoir fait 3 jours d'essai au foyer l'H______ et avait effectivement pu obtenir un contrat de mission à partir du 30 janvier jusqu'au 28 juin 2024. Elle allait s'annoncer à l'office de la population du canton de Vaud car elle allait se domicilier chez sa tante. Une fois ceci fait, elle irait chez G______ pour mettre son dossier à jour. G______ déposerait par ailleurs une demande de permis B en sa faveur.

La représentante du commissaire de police a indiqué maintenir la décision, laquelle serait révoquée du moment que Mme A______ serait en possession d'un permis B. Des sauf-conduits seraient délivrés pour une durée de 3 mois, renouvelable.

Le conseil de la recourante a conclu à l'annulation de la décision d'interdiction de pénétrer prise à l'encontre de sa cliente le 12 janvier 2024, subsidiairement au prononcé d'un avertissement en lieu et place, plus subsidiairement à la réduction du périmètre concerné à la commune d'C______ et à la réduction de la durée de l'interdiction à 3 mois.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Aux termes de l’art. 2 al. 2, la LEI n'est applicable aux ressortissants des États membres de la Communauté européenne, aux membres de leur famille et aux travailleurs détachés par un employeur ayant son siège ou son domicile dans un de ces États que dans la mesure où l'ALCP n'en dispose pas autrement ou lorsque ladite loi contient des dispositions plus favorables. L'ALCP ne réglemente pas en tant que telle l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée. C'est donc l'art. 74 LEI qui est applicable. Toutefois, cette disposition doit être interprétée en tenant compte des exigences spécifiques de l'ALCP. Ainsi, l'art. 74 LEI ne saurait aboutir à priver les étrangers au bénéfice de l'ALCP des droits que leur confère ce traité (ATF 139 II 121 consid. 5.1 applicable par analogie).

5.             Examinant une mesure d'interdiction d'entrer en Suisse prononcée à l’égard d’un ressortissant d’un État membre de l’ALPC, le Tribunal fédéral a relevé qu’une telle restriction à la libre circulation des personnes, devait, contrairement à ce qui vaut pour les ressortissants d'États non-parties à l'ALCP, aussi se conformer à l'exigence de l'art. 5 par. 1 annexe I ALCP, selon laquelle le droit de demeurer en Suisse pour y exercer une activité lucrative ne peut être limité que par des mesures d'ordre ou de sécurité publics (ATF 139 II 121 consid. 5.3).

6.             S’agissant d’une interdiction de pénétrer dans un certain territoire concernant en particulier un ressortissant d'un État partie à l'ALCP, il faut que la personne concernée représente une menace d'une certaine gravité pour l'ordre et la sécurité publics de nature à la priver de son droit de demeurer en Suisse au sens de l'art. 5 Annexe I de l’ALCP (ATF 139 II 121 5.4 et les références citées). Ainsi, le recours par une autorité nationale à la notion d'« ordre public » pour restreindre cette liberté suppose, en dehors du trouble de l'ordre social que constitue toute infraction à la loi, l'existence d'une menace réelle et d'une certaine gravité affectant un intérêt fondamental de la société. La seule existence d'antécédents pénaux ne permet donc pas de conclure (automatiquement) que l'étranger constitue une menace suffisamment grave pour l'ordre et la sécurité publics. Il faut procéder à une appréciation spécifique du cas, portée sous l'angle des intérêts inhérents à la sauvegarde de l'ordre public, qui ne coïncide pas obligatoirement avec les appréciations à l'origine des condamnations pénales. Autrement dit, ces dernières ne sont déterminantes que si les circonstances les entourant laissent apparaître l'existence d'une menace actuelle et réelle et d'une certaine gravité pour l'ordre public (ATF 139 II 121 consid. 5.3 ; 136 II 5 consid. 4.2 ; 134 II 10 consid. 4.3).

7.             Selon l'art. 74 al. 1 LEI, qui a repris l'art. 13e de l'ancienne loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931 (aLSEE- RS 142.20 ; cf. message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les étrangers du 8 mars 2002 in FF 2002 3469, p. 3570), l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée dans les cas suivants :

a.       l'étranger n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants ;

b.      l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire ;

c.       l'exécution du renvoi ou de l'expulsion a été reportée (art. 69 al. 3 LEI).

8.             De son côté, l'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

9.             L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

10.         Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

11.         La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants et à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014). D'autres comportements permettent néanmoins aussi de retenir un trouble ou une menace de la sécurité et de l'ordre publics. On peut songer à la commission de vols et d'autres larcins (réitérés), même de peu d'importance du point de vue du droit pénal, à la mendicité organisée ou aux « jeux » de bonneteau sur la voie publique, qu'ils soient ou non pénalisés, à des contacts que l'étranger entretiendrait avec des groupes d'extrémistes politiques, religieux ou autres, à la violation grave et répétitive de prescriptions et d'injonctions découlant du droit des étrangers, notamment le fait d'avoir passé outre à une assignation antérieure ou de tenter de saboter activement les efforts entrepris par les autorités en vue d'organiser le renvoi de l'étranger (cf. Grégor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 20 ad art. 74 p. 735 et les arrêts cités).

12.         Les mesures d'assignation à un lieu de séjour et l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst.- RS 101) (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4), lequel se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/3019/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

Elles doivent ainsi être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés ; les moyens doivent être proportionnés au but poursuivi, au regard notamment de la délimitation géographique et de la durée de la mesure (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2002 consid. 2c).

13.         Le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles ; elles ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c). Cela étant, le périmètre d'interdiction peut inclure l'ensemble du territoire d'une ville (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; 2A.647/2006 du 12 février 2007 consid. 3.3 pour les villes d'Olten et de Soleure ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 4.2 pour la ville de Berne).

14.         Il convient de vérifier, dans chaque cas d’espèce, que l’objectif visé par l’autorité justifie véritablement l’interdiction de périmètre prononcée, c’est-à-dire qu’il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en œuvre pour l’atteindre (ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 du 5 août 2021 consid.3.4.2 ; 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.2). L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

15.         En l’espèce, la recourante n'est pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement en Suisse (art. 34 LEI) ; elle a certes bénéficié d’une autorisation de courte durée pour son activité du 18 décembre 2023 au 5 janvier 2024 mais celle-ci est maintenant échue. Elle est par ailleurs domiciliée en France.

Elle a reconnu avoir commis le vol de bouteilles d’alcool à la B______ d’C______ ainsi que d’une veste dans la boutique D______. Elle a été condamnée pour vol au sens de l’art. 139 CP. Ces éléments sont d’une certaine gravité mais doivent être appréciés à l’aune de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. En particulier, il convient de retenir que suite à son arrestation, Mme A______ a indiqué avoir été placée en détention pendant trente heures sans avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat ; il en a découlé que, lors de son interrogatoire, elle n’a pas été en mesure d’expliquer de manière correcte sa situation et en particulier ses liens avec la Suisse et Genève et, selon ses propres dires, n’a pas été autorisée à faire opposition à l’interdiction devant le commissaire de police – sans que la représentante de la police n’ait pu expliquer ce qui s’était passé. La situation de stress que Mme A______ a vécue lors de la procédure devant la police ainsi que son jeune âge doivent ainsi être pris en compte et expliquent les raisons pour lesquelles Mme A______ n’a pas été capable de porter à la connaissance de la police certains faits importants avant le prononcé de la mesure.

Mme A______ ne s’est pas opposée à l’ordonnance pénale du fait qu’elle reconnait l’erreur commise et qu’elle veut l’assumer, étant souligné que son casier judiciaire en Suisse est vierge. Elle fait montre d’une prise de conscience et la risque de récidive apparait faible.

Elle a par ailleurs des attaches avec la Suisse et Genève en particulier : en effet, elle a déjà travaillé à Genève en décembre 2023 et janvier 2024 et vient de signer un contrat de travail pour une période d’environ six mois comme aide de cuisine et employée de maison à 78.75% à partir du 30 janvier 2024, après avoir passé avec succès les trois jours d’essai qui se sont déroulés les 25, 26 et 29 janvier 2024 dans un foyer situé sur la commune de I______. Elle a de plus de la famille en Suisse, plus précisément sa tante à J______ chez qui elle a vécu durant sa première mission et qui est disposée à l’héberger, dès qu’elle aura trouvé du travail, selon l’attestation qu’elle a signée le 23 janvier 2024, ce qui est aujourd’hui chose faite.

Dans ces circonstances l’interdiction de pénétrer sur l’ensemble du canton de Genève prononcée à son encontre ne respecte pas le principe de proportionnalité. Elle restreint de manière excessive sa liberté de mouvement de Mme A______, l’empêchant de se rendre librement sur son lieu de travail et de se déplacer chez sa tante chez qui elle va loger à J______. Elle l’empêche également de se rendre chez G______ pour discuter de futures missions, ou même de se déplacer chez de potentiels employeurs, étant rappelé qu’elle dispose en principe d’un droit à pouvoir accéder au marché de l’emploi en Suisse et que la mission qu’elle va débuter le 30 janvier 2024 est de durée limitée.

16.         Au vu de ce qui précède, le tribunal admet l’opposition et annule l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de Mme A______.

17.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à Mme A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

18.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 22 janvier 2024 par Madame A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 12 janvier 2024 pour une durée de douze mois ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 12 janvier 2024 à l'encontre de Madame A______ pour une durée de douze mois ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Madame A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière