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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3657/2023

JTAPI/1261/2023 du 13.11.2023 ( MC ) , ANNULE

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);NULLITÉ;INTÉRÊT ACTUEL;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;VICE DE PROCÉDURE;ACCÈS À UN TRIBUNAL
Normes : CEDH.5.al4; LEI.76.al1.letb.ch3; LEI.76.al1.letb.ch4; LEI.76.al2.letb; LaLEtr.7A.al4; LaLEtr.7A.al5; Cst.29a
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3657/2023 MC

JTAPI/1261/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 13 novembre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me B______, avocat

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1979 et originaire du Burundi, a déposé une demande d’asile le 31 août 2022, sur laquelle par décision du 17 janvier 2023, le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) n’est pas entré en matière et a prononcé son renvoi à destination de la Croatie, pays Dublin responsable de sa demande d’asile, et a chargé le canton de Genève de procéder à l’exécution de son renvoi.

2.             Le 17 mai 2023, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours interjeté par l’intéressé le 26 janvier contre ladite décision.

3.             À l’occasion d’un entretien au sein des locaux de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), M. A______ a déclaré ne pas vouloir retourner au Burundi mais être prêt à retourner en Croatie après l’obtention d’un diagnostic sur ses pathologies médicales et a sollicité un délai au 15 août 2023 afin de répondre de manière définitive sur son intention de collaborer à son renvoi ou pas. Il a pris bonne note qu’en refusant de collaborer, il s’exposait à d’éventuelles mesures de contrainte et qu’une mise en détention administrative pourrait être ordonnée à son encontre le temps que son renvoi de Suisse puisse être exécuté.

4.             Le 15 août 2023, l’intéressé a déclaré, dans les locaux de l’OCPM, ne pas être prêt à collaborer pour son transfert en Croatie en raison de ses problèmes médicaux. Il a pris bonne note que son dossier allait être transféré aux services de police afin d’exécuter son renvoi en temps opportun.

5.             M. A______ a été hospitalisé du 15 au 25 août 2023 aux HUG.

6.             Par mandat du 18 octobre 2023, l’OCPM a chargé les services de police d’interpeller M. A______ et de procéder à l’exécution de son renvoi à destination de la Croatie par le vol spécial prévu courant novembre 2023.

7.             Sur requête du commissaire de police du 1er novembre 2023, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) a autorisé les services de police à perquisitionner le logement de M. A______ entre les 6 et 16 novembre 2023 en vue de l'interpeller et de procéder à son renvoi à destination de la Croatie par vol spécial prévu en novembre 2023.

8.             L’intéressé a été interpellé le 6 novembre 2023 par les services de police.

9.             Le même jour, à 11h20, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de 95 heures sur la base de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et ch. 4 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il ne s'opposait pas à son renvoi en Croatie dans la mesure où il y était obligé.

Le procès-verbal indiquait que M. A______ était retenu pour des motifs de droit des étrangers depuis 6h40.

Il mentionnait par ailleurs que "compte tenu de la durée de ma détention ordonnée à l'instant je prends note que le Tribunal administratif de première instance ne sera pas formellement saisi de l'examen de cette dernière".

10.         Par acte du 8 novembre 2023, déposé au greffe universel du Pouvoir judiciaire à 8h38, M. A______ a, par l’intermédiaire de son conseil, requis l'examen de la légalité et de l'adéquation de sa détention administrative par le tribunal. Préalablement, il sollicitait la transmission du dossier. Principalement, il a conclu à ce que le tribunal constate la nullité de la décision litigieuse et ordonne sa libération immédiate et subsidiairement, à l'annulation de la décision litigieuse.

Quand bien même le dossier portait sur une procédure de renvoi « Dublin », l'autorité intimée avait appliqué l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et ch. 4 LEI alors qu'une telle détention était régie par l'art.76a LEI. De surcroît, cette base légale erronée avait mal appliquée par le commissaire de police puisque selon ce dernier, une détention prononcée en application de l'art. 76 LEI ne devait pas être contrôlée pour les cas où elle n'excéderait pas 96 heures. La demande de détention de 95 heures constituait ainsi une tentative d'abus de droit basée sur une lecture erronée de l'art. 80 al. 2 LEI. Le commissaire de police avait émis un ordre de détention d'une durée de 95 heures afin de le soustraire au contrôle du tribunal. Enfin, il n'avait par ailleurs pas été informé du fait que le contrôle de la détention pouvait avoir lieu sur demande de sa part. Partant, le comportement du commissaire de police constituait une violation des art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et 5 al. 4 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) en plus de la LEI. De tels vices imposaient que le tribunal constate immédiatement la nullité de l'ordre de mise en détention.

11.         Par courriel du même jour à 11 heures 37, le tribunal a convoqué les parties en vue d'une audience prévue le 9 novembre 2023 à 14h00.

12.         Le même jour, à 11h37, le commissaire de police a informé le tribunal que M. A______ avait pris son vol à destination de la Croatie.

13.         Le même jour toujours, par courrier transmis à 15h00, le conseil de M. A______ a sollicité l'audition du commissaire de police.

14.         Le même jour encore, à 15h44, le commissaire de police a indiqué au tribunal qu'après vérification, la signature de M. A______ figurant sur la procuration envoyée par Me B______ ne correspondait pas à toutes les autres signatures que ce dernier avait apposées que ce soit sur l'ordre de mise en détention administrative du 6 novembre 2023, que lors des entretiens qu'il avait eus dans les locaux de l'OCPM les 25 juillet 2023 et 15 août 2023 (pièces 3 et 4 dudit ordre).

15.         Lors de l’audience du 9 novembre 2023, la représentante du commissaire de police a tenu d’emblée à indiquer au tribunal que la base légale sur laquelle se fondait l'ordre de mise en détention administrative du 6 novembre 2023 était erronée. En effet, au lieu de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI, cet ordre se fondait sur l'art. 76a al. 2 let. b LEI. Il s'agissait en effet d'une détention dans le cadre de la procédure Dublin.

La phrase sur le procès-verbal d'audition mentionnant que « compte tenu de la durée de la détention ordonnée le tribunal ne serait pas formellement saisi de l'examen de cette dernière » était une phrase type qui n'aurait pas dû figurer en l'occurrence puisqu'il s'agissait d'une procédure Dublin. En revanche, cette phrase type était utilisée lors du prononcé d'ordres de mise en détention fondés sur l'art. 76 LEI pour une durée inférieure à 96 heures.

Elle a souligné que l'ordre de mise en détention de M. A______ avait été prononcé dans la précipitation, compte tenu de son interpellation le jour même.

Le conseil de l’intéressé a indiqué que même à considérer que l'ordre de mise en détention se fondait sur l'art. 76a LEI, il n'en demeurait pas moins qu'il aurait dû mentionner à l'intention de son client, les voies de droit prévues par la loi, sans lesquelles la mesure en question contrevenait aux art. 80a LEI, 29a Cst. et 5 al. 4 CEDH.

La représentante du commissaire de police a tenu à relever qu'au moment de l'audition de M. A______, celui-ci les avait informés du fait qu'il avait une mandataire en la personne de Mme C______. La représentante du commissaire de police s’était ainsi personnellement entretenue avec celle-là, à la suite du prononcé de l'ordre de mise en détention, pour l'informer de la situation de son client. Elle a versé à la procédure divers mails à ce sujet et ajouté que Mme C______ avait en conséquence déposé une demande de réexamen de la décision de renvoi auprès du SEM, avec au titre de mesure provisionnelle, une demande de suspension de l'exécution du renvoi.

Le conseil de l’intéressé a souligné que le procès-verbal d'audition du 6 novembre 2023 révélait que la mandataire de M. A______ n'avait pas été contactée avant le prononcé de la mesure comme le prévoyait la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10). Les pièces produites par le commissaire de police ne démontraient pas que celui-ci aurait contacté Mme C______ pour lui proposer d'assister son mandant lors du prononcé de la mesure le 6 novembre 2023.

La représentante du commissaire de police n’a pas contesté avoir contacté Mme C______ après le prononcé de l'ordre de mise en détention, compte tenu de l'urgence de la situation.

Concernant la pratique des commissaires de police de ne pas adresser au tribunal les ordres de mise en détention pris pour une durée inférieure à 96 heures, elle a expliqué qu'elle faisait suite à un courrier électronique du 19 novembre 2021 de Mme D______, juge au tribunal, dont Mme Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST avait été mise en copie. Avant ce courriel, la pratique était d'envoyer l'intégralité des ordres de mise en détention prononcés.

Le conseil de l’intéressé a indiqué que pour sa part, il considérait que la lecture de l'art. 80 al. 2 LEI opérée dans ce courriel et adoptée par le commissaire de police ne correspondait pas à la loi et portait atteinte à l'accès au juge tel que prévu par les dispositions déjà citées.

La représentante du commissaire de police a précisé qu'en l'occurrence, il avait été décidé de limiter la détention administrative à 95 heures, dès lors qu’ils connaissaient la date et l'heure du vol spécial organisé pour l'exécution du renvoi de M. A______ en Croatie. Cette durée leur était d'ailleurs apparue proportionnée tout en leur laissant une petite marge en cas de retard du vol en question. L'ordre tel qu'il avait été pris visait également à garantir la confidentialité de la date du vol spécial et cette durée limitée avait également pour but de " protéger " l'intéressé d'attenter lui-même à son intégrité personnelle.

Elle a ajouté qu'un examen médical de M. A______ avait été effectué en vue de son renvoi. Les certificats médicaux avaient été adressés à E______ le 26 octobre 2023 et son aptitude au vol leur avait été confirmée le 1er novembre 2023, date à laquelle l'ordonnance de perquisition avait été requise auprès du tribunal.

Le conseil de l’intéressé s'est expliqué au sujet de la procuration obtenue de la part de son client, dont le commissaire de police mettait en doute la validité au motif que la signature apposée ne correspondait pas à celle observée sur le procès-verbal d'audition. Il a, à cet égard, confirmé que M. A______ l’avait bel et bien mandaté pour le représenter au cours d'un entretien téléphonique qu’il avait eu avec lui alors qu'il était détenu à Frambois. Il versait à la procédure l'échange de mails à ce sujet avec la centrale de Frambois. Il a précisé qu'une procuration signée était indispensable pour rendre visite à un détenu administratif. Sans cette procuration, il lui était impossible de rendre visite à son client.

À toutes fins utiles, il a indiqué à l'intention du tribunal qu'il ne lui ferait pas grief s'il dépassait le délai de 96 heures depuis le début de la détention de son client pour statuer, dans la mesure où son client ne se trouvait plus en détention administrative.

Il a plaidé et a conclu à la nullité de l'ordre de mise en détention du 6 novembre 2023, subsidiairement à son annulation, en tout état à ce que l'illicéité de la détention administrative de M. A______ du 6 au 8 novembre 2023 soit constatée.

La représentante du commissaire de police a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention, mais sur la base de l'art. 76a al. 2 let. b LEI.

EN DROIT

1.            Le tribunal est compétent pour examiner la légalité et l’adéquation de la détention administrative (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d LaLEtr).

2.            La question soumise au tribunal est celle de la légalité et l’adéquation de l'ordre de mise en détention administrative prononcé à l'encontre de M. A______ le 6 novembre 2023 pour une durée de 95 heures, lequel se fonde sur l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI.

3.            M. A______ soulève la question de la nullité de l'ordre de mise en détention en raison de la violation des art. 29a Cst (garantie de l'accès au juge), 5 al. 4 CEDH qui prévoit que toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale, cumulée avec celle des dispositions topiques de la LEI et de l'art. 7A LaLEtr.

4.            La nullité absolue ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou du moins facilement décelables, et pour autant que la constatation de la nullité ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Hormis dans les cas expressément prévus par la loi, il n'y a lieu d'admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire. Si de graves vices de procédure, tels que l'incompétence qualifiée de l'autorité qui a rendu la décision, peuvent constituer des motifs de nullité, des vices de fond n'entraînent qu'à de très rares exceptions la nullité d'une décision (ATF 144 IV 362 consid. 1.4.3 ; 138 III 49 consid. 4.4.3 ; 137 I 273 consid. 3.1 ; 136 II 489 consid. 3.3 ; 133 II 366 consid. 3.2 ; ATA/845/2022 du 23 août 2022 ; ATA/835/2022 du 23 août 2022).

5.            La nullité doit être constatée d'office, en tout temps et par l'ensemble des autorités étatiques (ATF 138 II 501 consid. 3.1 ; 136 II 415 consid. 1.2 ; 132 II 342 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_573/2020 du 22 avril 2021 consid. 5 ; 1C_474/2017 du 13 décembre 2017 consid. 3.2 ; 4A_142/2016 du 25 novembre 2016 consid. 2.2).

6.            En l'occurrence, quand bien même l'ordre de mise en détention litigieux prête sérieusement le flanc à la critique comme il le sera exposé plus loin, les vices qui l'entachent ne revêtent pas une gravité telle que sa nullité devrait être constatée. En effet, même si la mesure querellée ne précisait pas qu'elle pouvait faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, force est de constater que M. A______ a été en mesure de saisir valablement le tribunal de sa demande et que celui-ci a pu examiner la légalité et l'adéquation de la détention administrative en statuant ce jour. Concernant la question de la mauvaise application des dispositions topiques de la LEI, qui sera examinée plus loin, il s'agit là d'un vice de fond qui ne saurait, conformément à la jurisprudence, entraîner la nullité de la décision. Enfin, s'agissant la violation de l'art. 7A al. 4 LaLEtr invoquée par l'intéressé, il ressort de la jurisprudence citée plus bas qu'elle peut entrainer l'annulation d'une décision. Elle ne suffit toutefois pas en l'espèce pas au constat de la nullité de la mesure, dès lors que comme il y sera revenu plus loin, elle a été partiellement réparée.

Partant ce grief doit être rejeté.

7.            À ce stade, il convient d'examiner si M. A______ conserve un intérêt actuel à l'examen de sa requête visant le contrôle de la légalité et de l'adéquation de sa détention administrative dès lors qu'il a quitté la Suisse le 8 novembre 2023 et que partant, sa détention a pris fin dès cette date.

8.            Aux termes de l’art. 60 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

9.            En principe, la qualité pour recourir auprès du Tribunal fédéral suppose un intérêt actuel et pratique à obtenir l'annulation de la décision attaquée. Cet intérêt doit exister tant au moment du dépôt du recours qu'à celui où l'arrêt est rendu. A priori, il n'existe plus lorsqu'une personne recourant contre sa détention est libérée durant la période de recours. Ceci vaut tant pour la privation de liberté dans le domaine pénal qu'en matière administrative, ou encore pour la privation de liberté (civile) à des fins d'assistance. La jurisprudence admet toutefois que, dans des circonstances particulières, il se justifie d'examiner le recours au fond malgré la libération du recourant intervenue durant la procédure devant le Tribunal fédéral (ATF 137 I 296 consid. 4.2 et 4.3).

10.        La jurisprudence a notamment admis que l'autorité de recours doit entrer en matière pour examiner la licéité de la détention administrative d'une personne libérée en cours de procédure, dans la mesure où le recourant invoque de manière défendable un grief fondé sur la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH – RS 0.101 ; ATF 137 I 296 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1177/2013 du 17 janvier 2014 consid. 2.1 ; ATA/1031/2014 du 17 décembre 2014 consid. 2 ; ATA/1099/2016 du 23 décembre 2016 consid. 3).

11.        Se fondant sur l'ATF 136 I 274, le Tribunal fédéral a plusieurs fois jugé que l'autorité de recours doit entrer en matière pour examiner la licéité de la détention d'une personne libérée en cours de la procédure, dans la mesure où le recourant invoque une violation de l'art. 5 CEDH (ATF 137 I 296 ; arrêts 1B_125/2011 du 8 avril 2011 consid. 1.2; 1B_25/2011 du 14 mars 2011 consid. 1.2, non publié in ATF 137 IV 13; 1B_10/2011 du 14 février 2011 consid. 2; 1B_94/2010 du 22 juillet 2010 consid. 1.3; 1B_161/2010 du 12 juillet 2010 consid. 1).

12.        En l'occurrence, dans la mesure où dans sa motivation M. A______ invoque, précisément, une violation de l'art. 5 al. 4 CEDH, le tribunal entrera en matière.

13.        Le commissaire de police met en doute la validité de la constitution de Me B______ pour la défense de M. A______ dès lors que la signature de ce dernier figurant sur la procuration envoyée à son conseil ne correspondrait pas à toutes les autres signatures que l'intéressé avait apposées que ce soit tant sur l'ordre de mise en détention administrative du 6 novembre 2023, que lors des entretiens qu'il avait eus dans les locaux de l'OCPM les 25 juillet 2023 et 15 août 2023.

Lors de l'audience devant le tribunal, le conseil de M. A______ a expliqué de manière convaincante que ce dernier l’avait bel et bien mandaté pour le représenter au cours d'un entretien téléphonique qu’il avait eu avec lui alors qu'il était détenu à Frambois. Il a, à ce sujet, produit un échange de mails duquel il ressort qu'il a sollicité et obtenu de la part de la centrale de Frambois qu'elle lui transmette une procuration dûment signée par son client.

Dans ces conditions, si la signature apposée sur la procuration est différente de celle connue du commissaire de police, en faire le reproche au conseil de l'intéressé qui n'a pas été en mesure de comparer les signatures et d'en faire lui-même la remarque à son client serait constitutif de formalisme excessif. Partant, le mandat confié par M. A______ à son avocat en pareilles circonstances ne saurait être remis en question.

Le grief du commissaire de police sera ainsi écarté.

14.        Dans sa demande, M. A______ a soulevé la question de l'application de l'art. 76a LEI, qui concerne la détention dans le cadre de la procédure Dublin alors que l'ordre de mise en détention repose sur l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI.

Quant à la représentante du commissaire de police, elle a d'emblée déclaré devant le tribunal que la mesure litigieuse était erronée en ce qu'elle indiquait que la détention était fondée sur l'art. 76 LEI alors qu'elle devait se fonder sur l'art. 76a al. 2 let. b LEI. Il s'agissait d'une erreur dûe à la précipitation avec laquelle le commissaire de police avait dû statuer.

15.        En l'occurrence, dès lors que selon le dossier, M. A______ devait être refoulé à destination de l'Italie, État Dublin responsable de sa demande d'asile, seule une détention fondée sur l'art. 76a LEI était possible (voir arrêt du Tribunal fédéral 2C_142/2023 du 3 août 2023).

16.         À teneur de l'art. 76a al. 1 LEI, afin d'assurer son renvoi dans l'État Dublin responsable, l'autorité compétente peut mettre l'étranger en détention sur la base d'une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a. des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi ;

b. la détention est proportionnée ;

c. d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace (art. 28 par. 2 du règlement [UE] n° 604/2013).

17.         Selon l'art. 76a al. 2 LEI, les éléments concrets suivants font aussi craindre que l'étranger entende se soustraire à l'exécution du renvoi :

- son comportement en Suisse ou à l'étranger permet de conclure qu'il refuse d'obtempérer aux instructions des autorités (let. b) ;

- il quitte la région qui lui est assignée ou pénètre dans une zone qui lui est interdite en vertu de l'art. 74 (let. d).

18.        À compter du moment où la détention a été ordonnée, l’étranger peut être placé ou maintenu en détention pour une durée maximale de sept semaines pendant la préparation de la décision relative à la responsabilité du traitement de la demande d’asile ; les démarches y afférentes comprenant l’établissement de la demande de reprise en charge adressée à un autre État Dublin, le délai d’attente de la réponse à la demande ou de son acceptation tacite, la rédaction de la décision et sa notification (art. 76a al. 3 let. a LEI).

19.         Selon l'art. 80a al. 3 LEI, la légalité et l'adéquation de la détention ordonnée dans le cadre d'une procédure Dublin sont examinées, sur demande de la personne détenue, par une autorité judiciaire au terme d'une procédure écrite. Cet examen pouvant être demandé à tout moment.

20.         La LaLEtr, qui n'a pas été mise en jour suite à l'adoption et l'entrée en vigueur des art. 76a et 80a LEI, ne définit pas la compétence et ne détermine pas la procédure applicable dans les cas de figure envisagés par ces dispositions. Il ne fait néanmoins pas de doute que la compétence du tribunal est donnée s'agissant des demandes formées par les personnes détenues sur la base de l'art. 76a LEI (cf. not. JTAPI/817/2021 du 20 août 2021 confirmé par ATA/903/2021 du 3 septembre 2021; JTAPI/1004/2020 du 19 novembre 2020 confirmé par ATA/1252/2020 du 8 décembre 2020 ; JTAPI/803/2019 du 6 septembre 2019).

21.        L'art. 7A LaLEtr, qui règle la procédure devant le commissaire de police, prévoit notamment que dès son interpellation, l'étranger est conduit devant un officier de police qui lui donne connaissance de la proposition de mise en détention émanant de l'OCPM et lui donne l'occasion de s'exprimer à ce sujet. S’il disposait d’un mandataire dans une procédure d’asile ou de police des étrangers, celui-ci doit être contacté immédiatement par l’officier de police pour pouvoir assister son client ; à défaut, ou si le mandataire ne peut être atteint, les pièces du dossier sont communiquées à l’avocat de permanence (art. 7A al. 4 LaLEtr). Dans tous les cas, la décision de mise en détention est communiquée par le moyen le plus rapide au mandataire, qui doit pouvoir s'entretenir librement et sans délai avec son mandant (art. 7A al. 5 LaLEtr). Un téléphone est mis à disposition de l’étranger pour qu’il puisse prévenir une personne de son choix habitant en Suisse (art. 7A al. 6 LaLEtr).

22.        Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les règles entourant les mesures de contrainte représentent des garanties minimales de procédure importantes qui s'imposent en principe d'office et de manière contraignante aux autorités concernées. Tel est notamment le cas des délais prescrits à l'autorité judiciaire pour examiner la légalité et l'adéquation d'une première détention (96 heures ; art. 80 al. 2 LEI) ou pour se prononcer sur la demande de levée d'une telle mesure (8 jours ouvrables ; art. 80 al. 5 LEI) ; il ne s'agit pas de simples prescriptions d'ordre, mais de délais impératifs (ATF 128 II 241 consid. 3.5 ; arrêts 2C_356/2009 du 7 juillet 2009 consid. 5.4 ; 2C_395/2007 du 3 septembre 2007 consid. 3.2 ; cf. aussi arrêt 2C_956/2010 du 11 janvier 2011 consid. 2.1 ; ATA/166/2013 du 12 mars 2013 consid. 5).

Ce principe, qui a été posé s'agissant des règles procédurales prévues par la LEI, doit aussi valoir pour les règles cantonales d'application de celle-ci, à tout le moins lorsqu'elles garantissent un droit procédural tendant à la protection de la liberté personnelle, ce qui est le cas de l'art. 7A al. 4 LaLEtr.

23.        Toute violation des règles impératives de procédure n'entraîne toutefois pas nécessairement la libération de l'étranger détenu au titre des mesures de contrainte. Cela dépend des circonstances du cas d'espèce. Il faut notamment tenir compte de l'importance de la règle violée pour la sauvegarde des droits de l'intéressé. Par ailleurs, l'intérêt à garantir l'efficacité d'un renvoi peut s'opposer à une remise en liberté immédiate. Cet intérêt pèse d'un poids tout particulier et peut l'emporter, dans la balance, par exemple lorsque l'étranger constitue un danger pour l'ordre et la sécurité publics (ATF 125 II 369 consid. 2e ; 122 II 154 consid. 3 ; 121 II 105 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_992/2014 du 20 novembre 2014 consid. 5.1 ; 2C_356/2009 du 7 juillet 2009 consid. 5.4 ; 2C_395/2007 du 3 septembre 2007 consid. 3.4.1 ; cf. aussi ATA/405/2014 du 28 mai 2014 consid. 7 ; ATA/166/2013 du 12 mars 2013 consid. 5).

24.        Il n'en demeure pas moins que l'officier de police ne saurait s'affranchir de ses diverses obligations relevant de l'art. 7A LaLEtr, ce à quoi le tribunal l'a formellement à plusieurs reprises rendu attentif (cf. déjà, à cet égard, not. JTAPI/1273/2015 du 30 octobre 2015 ; JTAPI/1089/2015 du 16 septembre 2015; JTAPI/526/2015 du 1er mai 2015 et JTAPI/840/2013 du 15 juillet 2013) et la chambre administrative de la Cour de justice a eu l'occasion de juger que la violation de l’art. 7A al. 4 LaLEtr impliquait, à elle seule, l’illégalité de l’ordre de mise en rétention litigieux (ATA/919/2016 du 1er novembre 2016 consid. 4a).

25.        En l'espèce, il résulte des explications de la représentante du commissaire de police devant le tribunal qu'elle avait été informée par M. A______ lors de son audition qu'il disposait d'une mandataire dans le cadre de sa procédure d'asile en la personne de Madame C______, juriste auprès de l'association F______, à G______, et qu'elle l'avait contactée personnellement après le prononcé de l'ordre de mise en détention pour l'informer de la situation de son mandant. Elle ne l'avait en revanche pas contactée en vue de l'audition de l'intéressé compte tenu de l'urgence de la situation.

En ne contactant pas immédiatement la mandataire, il faut admettre que le commissaire de police a contrevenu à l'art. 7A al. 4 LaLEtr.

La violation de l'art. 7A al. 4 LaLEtr doit être qualifiée de grave en l'espèce dès lors le commissaire de police qui qui connaissait parfaitement la date du vol spécial, prévu pour le refoulement de M. A______ en Croatie, avait préalablement, à savoir le 1er novembre 2023, requis l'autorisation du tribunal de perquisitionner son logement en vue de l'interpeller et procéder à l'exécution de son renvoi le 8 novembre 2023. Il savait ainsi qu'à l'issue de la perquisition qu'il a lui-même programmée, il procéderait à l'audition de M. A______ en vue précisément d'ordonner sa détention administrative, de sorte qu'il était parfaitement en mesure de préparer, sans précipitation, l'audition ainsi que le projet d'ordre de mise en détention, ce qui devait lui permettre de le rédiger sans erreur et surtout, de contacter rapidement la mandataire, dès l'interpellation de l'intéressé, afin qu'elle puisse l'assister lors de l'audition de ce dernier, étant encore relevé qu'à teneur du dossier, le commissaire de police savait parfaitement que M. A______ avait initié une procédure d'asile et qu'un mandataire l'avait assisté dans ses démarches.

La violation de l'art. 7A al. 4 LaLEtr est enfin d'autant plus grave que l'ordre de mise en détention fondé sur l'art.76a LEI n'indiquait pas au contraint qu'il avait la possibilité d'en solliciter à tout moment l'examen. Enfin, même si la mandataire en question a été informée oralement de la mise en détention de son client, réparant ainsi partiellement la violation de l'alinéa 4 de l'art. 7A LaLEtr, il n'apparait nullement que la décision lui aurait été communiquée, autrement qu'oralement, par le moyen le plus rapide afin de lui permettre de s'entretenir sans délai avec son client, conformément à l'art. 7A al. 5 LaLEtr.

26.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu d'annuler l'ordre de mise en détention administrative émis le 6 novembre 2023 à l'encontre de M. A______ pour une durée de 95 heures, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments invoqués. Il sera au surplus constaté que la détention de M. A______, le 6 novembre dès 6h40, le 7 novembre et le 8 novembre 2023 jusqu'à l'heure de son départ par vol spécial, était illégale.

27.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à Monsieur A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             annule l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 6 novembre 2023 à 11h20 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de 95 heures ;

2.             constate que la détention de Monsieur A______, le 6 novembre dès 6h40, le 7 novembre et le 8 novembre 2023 jusqu'à l'heure de son départ par vol spécial, était illégale ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière