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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1936/2023

JTAPI/1203/2023 du 01.11.2023 ( LCR ) , ADMIS

ADMIS par ATA/813/2024

Descripteurs : PERMIS DE CONDUIRE;EXPERTISE;CANNABIS;COCAÏNE
Normes : LCR.14; LCR.15.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1936/2023 LCR

JTAPI/1203/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 1er novembre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Raphaël ZOUZOUT, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1983, est titulaire du permis de conduire pour les catégories B, B1, F, G et M depuis le 13 septembre 2006.

2.             Par courrier du 28 février 2023, la Police a informé l’office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) avoir contrôlé l’intéressé, le 26 janvier 2023, après qu’il vienne d’acheter 5 grammes de marijuana. Entendu le lendemain, il avait indiqué avoir acheté à deux reprises de la cocaïne et à quatre reprises de la marijuana au vendeur incriminé. Il fumait de la marijuana depuis quelques années sur prescription médicale obtenue en Grande-Bretagne. Concernant la cocaïne, il en sniffait occasionnellement depuis quelques mois.

3.             Interpellé le 7 mars 2023 par l’OCV quant à sa consommation de stupéfiants (quels stupéfiants consommez-vous, depuis quand, en quelle quantité et à quel rythme), M. A______ a exposé, par courriel du 20 mars 2023, qu’il consommait du cannabis, pas plus de deux fois par semaine, le soir avant d’aller au lit. Ce produit lui avait été prescrit, par ordonnance du 13 décembre 2021, en raison de douleurs lombaires et au pouce. Depuis le 26 janvier 2023, il avait consommé des produits CBD légalisés, en vente libre, achetés en Suisse, au fur et à mesure de l’apparition de ses douleurs. Il n’avait jamais conduit sous l’influence du cannabis ou de toute autre substance et avait toujours eu un dossier de conduire impeccable.

4.             Par décision du 22 mai 2023, l’OCV a ordonné à M. A______ de se soumettre à une expertise médicale et psychologique du trafic en application de l’art. 15d al. 1 de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), lui précisant que s’il ne donnait pas suite aux requêtes et convocations des experts, son permis de conduire lui serait retiré pour une durée indéterminée.

Cette décision était motivée par les faits survenus le 26 janvier 2023, à savoir qu’il était en possession de 5 g de marijuana et avait reconnu consommer ce produit depuis plusieurs années et avoir sniffé de la cocaïne à plusieurs reprises depuis plusieurs mois. Il pouvait justifier d'une bonne réputation, le système d'information relatif à l'admission à la circulation (SIAC) ne faisant apparaître aucun antécédent.

Une décision serait prise lorsque les questions relatives à son aptitude auraient été élucidées ou, en cas de non soumission à l'examen imposé, dans un délai de trois mois.

5.             Par acte du 1er juin 2023, M. A______, sous la plume d’un conseil, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation.

Le procès-verbal du 26 janvier 2023 était nul, les conditions de son arrestation et l’audition qui avait suivi ne respectant pas ses droits élémentaires de procédure, dès lors qu’il n’avait pas pu avoir accès à un interprète en langue anglaise, alors même qu’il ne comprenait pas le français. Il contestait fermement la consommation régulière de cocaïne et de cannabis en dehors de son traitement médical. Bien au contraire, il n’avait pas consommé de la cocaïne à plusieurs reprises depuis plusieurs mois et il n’était pas établi qu’il présenterait une quelconque addiction à des substances pouvant altérer son aptitude à la conduite. Abstraction faite du procès-verbal litigieux, il n’existait aucun doute concret quant à son aptitude qui pourrait justifier qu’il se soumette à une expertise de niveau 4. Il était sans antécédents depuis 20 ans. Il reprenait pour le surplus les explications fournies dans ses observations du 20 mars 2023 quant à sa consommation de cannabis.

Il a joint un chargé de pièces, dont des photographies illustrant sa participation à une compétition Iron Man en 2023, une ordonnance médicale du Docteur B______ du 13 décembre 2021 et une licence d’importation de cannabis légal.

6.             Dans ses observations du 18 août 2023, l'OCV, après avoir rappelé les circonstances l’ayant conduit au prononcé de la décision querellée, a indiqué maintenir les termes de cette dernière.

Bien qu’une prescription médicale de « dried flower to vape » ait été octroyée au recourant en 2021, ce dernier ne semblait plus se contenter desdits produits depuis plusieurs années, ce que confirmaient son audition du 26 janvier 2023 et les 5 g de marijuana trouvés sur lui. Sa consommation ne s’inscrivait dès lors plus dans un cadre médical mais était de l’ordre d’une consommation illégale de stupéfiants. A cela s’ajoutait une consommation occasionnelle de cocaïne. Or, ce mode de consommation, alternant drogue douce, drogue dure, voire des produits CBD, sans aucun contrôle médical, l’incitait à concevoir des doutes quant à l’aptitude à la conduite du recourant, auxquels seule une expertise de niveau 4 pourrait répondre.

Il a transmis son dossier.

7.             Par réplique du 11 septembre 2023, M. A______, sous la plume de son conseil, a exposé avoir écrit au Ministère public, le 20 juin 2023, pour se plaindre de la violation de son droit à un interprète et afin que les procédures pénales en lien avec les évènements du 26 janvier 2023 soient réouvertes. Il n’avait pas compris les questions qui lui étaient posées et contestait vigoureusement consommer de la cocaïne et avoir une consommation illégale de cannabis. En tout état, il conviendrait au moins d’attendre l’issue de la procédure pénale avant de tirer de quelconques conclusions sur une prétendue consommation problématique de drogue.

Il a produit un chargé de pièces complémentaires. dont le courrier du 20 juin 2023 précité et une attestation médicale du Dr B______, de C______, à Londres, du 5 septembre 2023, indiquant, en substance, qu’il bénéficiait d’une ordonnance de cannabis médicalement autorisé toujours valable, qu’il demeurait sous son contrôle et qu’il ne présentait aucun signe ou symptôme qui pourrait laisser apparaitre une consommation problématique de cannabis ou une addiction.

8.             Dans sa duplique du 4 octobre 2023, l’OCV a relevé qu’il ressortait du procès-verbal d’audition du 27 janvier 2023, qu’il joignait, que le recourant avait approuvé que la traduction soit effectuée par un policier et que le sergent-chef présent au moment de l’audition fonctionne en qualité de traducteur. L’audition avait au demeurant été menée en anglais avec une traduction en français pour le procès-verbal. Par sa signature, le recourant avait approuvé et accepté son contenu et il n’y avait donc pas lieu de le remettre en question.

Il persistait pour le surplus dans sa décision et laissait la cause à juger.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l’office cantonal des véhicules (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 17 de la loi d'application de la législation fédérale sur la circulation routière du 18 décembre 1987 - LaLCR - H 1 05).

2.             Interjeté en temps utile, c’est-à-dire dans le délai de dix jours, s’agissant d’une décision incidente (art. 4 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), car prise pendant le cours de la procédure et ne représentant qu’une étape vers la décision finale (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 1 ; cf. aussi ATA/765/2021 du 15 juillet 2021 consid. 1 et l'arrêt cité ; Cédric MIZEL, La preuve de l'aptitude à la conduite et les motifs autorisant une expertise, Circulation routière 3/2019, p. 35 ; cf. encore, par analogie, ATF 122 II 359 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_212/2021 du 16 juin 2021 consid. 1.1 ; 1C_154/2018 du 4 juillet 2018 consid. 1.1 et 1C_514/2016 du 16 janvier 2017 consid. 1.1, portant sur le retrait à titre préventif du permis de conduire), et devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 115 et 116 LOJ ; art. 17 LaLCR ; art. 17 al. 1, 3 et 4, 57 let. c, 62 al. 1 let. b, 62 al. 3 1ère phr. et 63 al. 1 let. c LPA).

3.             À teneur de l'art. 57 let. c LPA, les décisions incidentes sont susceptibles de recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

4.             Lorsqu’il n’est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d’expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; 133 II 353 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 1 ; ATA/765/2021 du 15 juillet 2021 consid. 2).

5.             Selon la jurisprudence, une décision est susceptible de causer un préjudice irréparable si le recourant encourt un retrait provisoire du permis de conduire et doit avancer les frais de l'examen médical auquel il doit se soumettre et qui ne lui seront peut-être pas restitués (arrêts du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 1 ; 1C_248/2011 du 30 janvier 2012 consid. 1 et les références ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 1 ; cf. également arrêt 1C_328/2011 du 8 mars 2012 consid. 1).

6.             En l'occurrence, le recourant ne s'est aucunement prononcé sur cette question, alors qu'il lui incombait de le faire. Néanmoins, dès lors que ladite décision stipule, conformément à ce que prévoit l'art. 45 du règlement sur les émoluments de l’office cantonal des véhicules du 15 décembre 1982 (REmOCV - H 1 05.08), que les frais d'expertise seront à sa charge (cf. à cet égard art. 9 al. 1 let. d du règlement du centre universitaire romand de médecine légale, site de Genève, du 25 septembre 2013 - RCURML - K 1 55.04), qu'il devra (très vraisemblablement) s'acquitter d'une avance et que s'il ne se soumet pas à l'expertise, son permis de conduire lui sera retiré, la condition de l'art. 57 let. c LPA apparaît réalisée, si bien qu'il convient d'entrer en matière (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 1 ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 1).

7.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

8.             Le recourant sollicite la suspension de l’instruction de la cause jusqu’à droit jugé au pénal.

9.             Selon l'art. 14 al. 1 LPA, lorsque le sort d'une procédure administrative dépend de la solution d'une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d'une autre autorité et faisant l'objet d'une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être ordonnée jusqu'à droit connu sur ces questions ;

10.         En l’espèce et comme il sera vu ci-après, la procédure pénale actuellement pendante n’est pas de nature à influer sur l'issue de la présente cause administrative. Partant, le tribunal considère qu’il n’existe pas de motif justifiant sa suspension sur la base de l’art. 14 LPA.

11.         Le recourant conteste la consommation de cocaïne et de cannabis, en dehors de son traitement médical, telle que retenue par l’OCV dans sa décision, sur la base du procès-verbal du 26 janvier 2023. Ce dernier était au demeurant nul, les conditions de son arrestation et l’audition qui avait suivi ne respectant pas ses droits élémentaires de procédure, dès lors qu’il n’avait pas pu avoir accès à un interprète en langue anglaise, alors même qu’il ne comprenait pas le français.

12.         Selon la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public, l'autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l'établissement des faits ; il incombe à celles-ci d'étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_1156/2018 du 12 juillet 2019 consid. 3.3 et les arrêts cités). En matière de droit des étrangers, l'art. 90 LEI met un devoir spécifique de collaborer à la constatation des faits déterminants à la charge de l'étranger ou des tiers participants (ATF 142 II 265 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 8.3.3 ; 2C_767/2015 du 19 février 2016 consid. 5.3.1).

13.         Lorsque les preuves font défaut ou s'il ne peut être raisonnablement exigé de l'autorité qu'elle les recueille pour les faits constitutifs d'un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_27/2018 du 10 septembre 2018 consid. 2.2 ; 1C_170/2011 du 18 août 2011 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/99/2020 du 28 janvier 2020 consid. 5b). Il appartient ainsi à l'administré d'établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage et à l'administration de démontrer l'existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a ; ATA/1155/2018 du 30 octobre 2018 consid. 3b et les références citées).

14.         Par ailleurs, en procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_668/2011 du 12 avril 2011 consid. 3.3 ; ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b et les arrêts cités).

15.         En présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l’intéressé a données en premier lieu, alors qu’il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (ATA/986/2019 du 4 juin 2019 consid. 9 ; ATA/937/2019 du 21 mai 2019 consid. 10 et les références citées).

16.         La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) et le tribunal de céans accordent généralement une valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/1411/2017 du 17 octobre 2017 et les références citées).

17.         En l’espèce, s’agissant du procès-verbal du 26 janvier 2023, le tribunal ne peut que constater qu’il a été établi sur la base d’une audition menée en anglais et que le recourant a donné son accord à ce que la traduction soit effectuée par un policier soit, en l’occurrence, le sergent-chef D______. Ce mode opératoire et ses déclarations ont été validés par sa signature apposée sur chacune des pages dudit document. Le grief du recourant s’avère dès lors infondé

18.         Selon l'art. 14 al. 1 LCR, tout conducteur de véhicule automobile doit posséder l’aptitude et les qualifications nécessaires à la conduite. Est apte à la conduite, aux termes de l'art. 14 al. 2 LCR, celui qui a atteint l’âge minimal requis (let. a), a les aptitudes physiques et psychiques requises pour conduire un véhicule automobile en toute sécurité (let. b), ne souffre d’aucune dépendance qui l’empêche de conduire un véhicule automobile en toute sécurité (let. c) et dont les antécédents attestent qu’il respecte les règles en vigueur ainsi que les autres usagers de la route (let. d).

19.         Si l'aptitude à la conduite soulève des doutes, la personne concernée fera l'objet d'une enquête dans les cas énumérés de manière non exhaustive à l'art. 15d al. 1 let. a à e LCR (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.1.1).

20.         Les faits objet des hypothèses de l’art. 15d al. 1 LCR fondent un soupçon préalable que l'aptitude à la conduite pourrait être réduite (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.1.1 ; ATA/1138/2017 du 2 août 2017 consid. 5d et la référence). Si des indices concrets soulèvent des doutes quant à l'aptitude à la conduite de la personne concernée, un examen d'évaluation de l'aptitude à la conduite par un médecin et/ou un examen d'évaluation de l'aptitude à la conduite par un psychologue du trafic doivent être ordonnés (art. 28a al. 1 OAC ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_41/2019 du 4 avril 2019 consid. 2.1 ; 1C_76/2017 du 19 mai 2017 consid. 5 ; cf. aussi ATF 139 II 95 consid. 3.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.4.2 ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1).

21.         Sous le titre « Détermination de l'aptitude et des qualifications nécessaires à la conduite », l'art. 15d al. 1 let. b LCR, entré en vigueur le 1er janvier 2013, prévoit que si l'aptitude à la conduite soulève des doutes, la personne concernée fait l'objet d'une enquête, notamment en cas de conduite sous l'emprise de stupéfiants ou de transport de stupéfiants qui altèrent fortement la capacité de conduire ou présentent un potentiel de dépendance élevé, cette énumération n'étant pas exhaustive (cf. message du Conseil fédéral du 20 octobre 2010 in FF 2010 p. 7755).

22.         Le permis de conduire est retiré lorsque l'autorité constate que les conditions légales de sa délivrance, énoncées par la disposition précitée, ne sont pas ou ne sont plus remplies (art. 16 al. 1 1ère phr. LCR).

23.         L'art. 16d al. 1 let. b LCR prévoit en outre que le permis de conduire est retiré pour une durée indéterminée à la personne qui souffre d'une forme de dépendance la rendant inapte à la conduite.

24.         Ces deux mesures constituent des retraits de sécurité (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1; 122 II 359 consid. 1a ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1 ; 1C_384/2011 du 7 février 2012 consid. 2.3.1), en ce sens qu'elles ne tendent pas à réprimer une infraction fautive à une règle de la circulation, mais sont destinées à protéger la sécurité du trafic contre les conducteurs incapables (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3a).

25.         La décision de retrait de sécurité du permis de conduire, notamment pour alcoolisme ou d'autres causes de toxicomanie, constitue une atteinte grave à la sphère privée de l'intéressé ; elle doit donc reposer sur une instruction précise des circonstances déterminantes (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1 ; 133 II 284 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_557/2014du 9 décembre 2014 consid. 3 ; 1C_819 du 25 novembre 2013 consid. 2 ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1 ; 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3a ; cf. en ce qui concerne le retrait justifié par des raisons médicales ou l'existence d'une dépendance : ATF 129 II 82 consid. 2.2 ; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 1C_819 du 25 novembre 2013 consid. 2), le pronostic devant être posé sur la base des antécédents du conducteur et de sa situation personnelle (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1 ; 125 II 492 consid. 2a).

26.         Avant d'ordonner un retrait de sécurité, l'autorité doit éclaircir d'office la situation de la personne concernée. En particulier, elle doit examiner l'incidence de la toxicomanie sur son comportement comme conducteur ainsi que le degré de la dépendance. En cas de doute, il y a lieu d'ordonner un examen médical (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1), l'intérêt public lié à la sécurité routière commandant en effet que l'on procède à un examen approfondi à chaque fois qu'il existe suffisamment d'éléments pour faire naître un doute au sujet de l'aptitude à la conduite (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.3 ; 1C_282/2007 du 13 février 2008 consid. 2.4).

27.         Un tel doute peut reposer sur de simples indices, en particulier lorsqu'il en va d'une dépendance en matière de produits stupéfiants (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1).

28.         La jurisprudence considère que les mesures appropriées à cet effet, notamment l'opportunité d'une expertise médicale, varient en fonction des circonstances et relèvent du pouvoir d'appréciation de l'autorité cantonale appelée à se prononcer sur le retrait (ATF 129 II 82 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1 ; 1C_248/2011 du 30 janvier 2012 consid. 3.1 ; 1C_282/2007 du 13 février 2008 consid. 2.2 ; 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3a). Cela étant, en cas de soupçon de dépendance à une drogue, l'autorité de retrait doit soumettre l'intéressé à une expertise médicale ; elle ne peut y renoncer qu'à titre exceptionnel, par exemple en cas de toxicomanie grave et manifeste (arrêts du Tribunal fédéral 1C_819/2013 du 25 novembre 2013 consid. 2 ; 1C_282/2007 du 13 février 2008 consid. 2.3, in JdT 2008 I 464).

29.         Ainsi, un défaut d'aptitude à conduire peut être admis lorsque la personne considérée n'est plus capable de séparer de façon suffisante sa consommation de cannabis et la conduite d'un véhicule automobile, ou s'il y a un risque important qu'elle conduise un véhicule automobile sous l'effet aigu de cette drogue (ATF 129 II 82 consid. 4.1 ; 127 II 22 consid. 3c ; 124 II 559 consid. 3d ; arrêt du Tribunal fédéral 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3b).

30.         Le Message du Conseil fédéral du 20 octobre 2010 concernant Via sicura (FF 2010 pp. 7703 ss) précise que la détermination de l'aptitude et des qualifications nécessaires à la conduite de l'art. 15d LCR s'applique d'une part à la conduite sous l'influence d'un stupéfiant, et d'autre part « au transport » (dans sa voiture) de drogues dites « dures » comme la cocaïne ou l'héroïne, même si la personne ne se trouve pas sous l'influence de ces substances au moment du contrôle. Le législateur explique que c'est le risque important de dépendance aux « drogues dures » qui justifie que l'on procède à un examen, même si la personne considérée ne se trouve pas sous l'effet d'une drogue au moment de son interpellation. « En revanche, quiconque transporte dans sa voiture des « drogues douces » (p. ex. du cannabis) ne doit se soumettre à une vérification de son aptitude que s'il se trouve au volant dans l'incapacité de conduire »
(FF 2010 7756).

31.         Cette affirmation catégorique, qui ne fait toutefois que reprendre le Manuel du 26 avril 2000 du groupe d'expert de l'OFROU (« inaptitude à conduire: motifs de présomption, Mesure, Rétablissement de l'aptitude à conduire », ci-après : manuel OFROU), exclut donc des éclaircissements de l'aptitude pour consommation « hors-conduite automobile », même si par hypothèse le conducteur admet lors de son interpellation une grosse consommation de drogue douce (Cédric MIZEL, Stupéfiants et contrôle de l'aptitude à la conduite sous Via sicura, in Pratique juridique actuelle, 2014, p. 220; BUSSY/ RUSCONI/ JEANNERET/ KUHN/ MIZEL/ MULLER, in Code suisse de la circulation routière commenté, n° 2.2 ad art. 15d LCR).

32.         Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de confirmer que le fait de consommer régulièrement du cannabis ne justifie pas la mise en place d'un examen médical s'il n'y avait pas d'autres indices concrets relatifs à un manque de capacité de conduire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_556/2012 du 23 avril 2013 consid. 2.2; ATF 128 II 335 consid. 4b, JT 2002 I 563; 127 II 122 consid 4b, JT 2001 I 430). Le consommateur occasionnel de cannabis qui ne mélange pas cette drogue avec des médicaments ou de l'alcool est en général en mesure d'identifier une perte de performance liée à la consommation et d'agir en conséquence (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_445/2012 du 26 avril 2013).

33.         La consommation de cannabis, même si elle n'est qu'occasionnelle et ne porte que sur de faibles quantités, est susceptible d'altérer l'aptitude à conduire. Il peut, par exemple, en résulter une diminution de l'acuité visuelle dynamique, un allongement du temps de réaction, une altération de la capacité de coordination ou encore une diminution de la précision des automatismes de conduite. Parmi les erreurs de conduite typiques, on peut citer les difficultés à tenir sa ligne, l'éloignement de sa voie de circulation, la mauvaise appréciation des manoeuvres de dépassement, la confusion entre limites extérieures et intérieures de la route, l'augmentation de la fréquence des collisions et les excès de vitesse (ATF 130 IV 32 consid. 5.2 ; 124 II 559 consid. 3c/aa et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 6A.84/2003 du 27 janvier 2004 consid. 3.1.2).

34.         Cela étant, la consommation contrôlée de cannabis, même régulière et importante, n'entraîne pas nécessairement une diminution de l'aptitude à conduire (ATF 128 II 335 consid. 4b ; 127 II 122 consid. 4b ; 124 II 559 consid. 4d et 4e ; arrêt du Tribunal fédéral 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3b).

35.         Il convient d'analyser les habitudes de consommation de l'intéressé, notamment la fréquence, la quantité et les circonstances. Il faut également tenir compte de l'éventuelle absorption d'autres substances stupéfiantes et/ou d'alcool, ainsi que de la personnalité du consommateur, en particulier en ce qui concerne l'abus de drogues et son comportement en tant que conducteur (ATF 128 II 335 consid. 4b ; 124 II 559 consid. 4e et 5a ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_282/2007 du 13 février 2008 consid. 2.2 ; 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3b ; cf. aussi arrêts 6A.84/2003 du 27 janvier 2004 consid. 4.1.1 et les références citées).

36.         En l'espèce, la seule question à trancher est celle de savoir s'il existait des doutes suffisants quant à l'aptitude à la conduite du recourant, susceptibles de justifier la mise en œuvre d'une expertise.

L’OCV motive sa décision par les faits que le 26 janvier 2023 le recourant avait été contrôlé en possession de 5 g de marijuana et que, lors de son audition subséquente, il avait reconnu consommer de la marijuana depuis plusieurs années et avoir sniffé de la cocaïne à plusieurs reprises depuis plusieurs mois. Ce mode de consommation, alternant drogue douce, drogue dure, voire des produits CBD, sans aucun contrôle médical, l’incitait à concevoir des doutes quant à l’aptitude à la conduite du recourant, auxquels seule une expertise de niveau 4 pourrait répondre.

Cela étant, aucun élément du dossier ne permet de retenir que M. A______ aurait conduit sous l'influence de stupéfiants ou transporté de tels produits dans son véhicule, ce que l’OCV ne prétend du reste pas. S’agissant de sa consommation de cannabis et cocaïne, ses déclarations ont varié. Ainsi dans le cadre de son audition devant la police, il a indiqué fumer de la marijuana depuis quelques années, sur prescription médicale obtenue en Grande-Bretagne, et sniffer occasionnellement de la cocaïne depuis quelques mois. Il avait acheté à deux reprises de la cocaïne et à quatre reprises de la marijuana au vendeur incriminé. Dans ses observations du 20 mars 2023, il a expliqué qu’il consommait du cannabis, pas plus de deux fois par semaine, le soir avant d’aller au lit. Ce produit lui avait été prescrit par ordonnance du 13 décembre 2021, en raison de douleurs lombaires et au pouce. Depuis le 26 janvier 2023, il avait toutefois consommé des produits CBD légalisés, en vente libre, achetés en Suisse, au fur et à mesure de l’apparition de ses douleurs. Il ne s’est pas déterminé sur sa consommation de cocaïne, ce qu’il a en revanche fait dans son recours, contestant fermement la consommation régulière de cocaïne et de cannabis en dehors de son traitement médical. Il n’avait pas consommé de la cocaïne à plusieurs reprises depuis plusieurs mois. Dans sa réplique du 11 septembre 2023, il conteste enfin vigoureusement consommer de la cocaïne et avoir une consommation illégale de cannabis et produit, notamment, une attestation médicale du Dr B______ indiquant qu’il ne présentait aucun signe ou symptôme qui pourrait laisser apparaitre une consommation problématique de cannabis ou une addiction.

Aucun élément du dossier ne vient plaider en faveur d’une consommation plus importante voire d’une dépendance du recourant à l’égard des produits précités. Il n’y a cependant pas de raisons de s’écarter de ses déclarations à la police du 26 janvier 2023 alors qu’il en ignorait les conséquences juridiques. Cela étant, en prenant en compte l'hypothèse qui est la plus défavorable au recourant, soit une consommation de marijuana depuis plusieurs années, sur prescription médicale, pas plus de deux fois par semaine le soir avant d’aller au lit, et la prise occasionnelle, par voie nasale, de cocaïne depuis quelques mois, il n'existe pas, en l'espèce, suffisamment d'indices concrets permettant de douter de son aptitude à la conduite, au sens de la jurisprudence précitée. L’on relèvera en outre que le Dr B______, qui suit le recourant depuis 2021, a indiqué, dans son attestation du 5 septembre 2023, que ce patient bénéficiait d’une ordonnance de cannabis médicalement autorisé toujours valable, qu’il demeurait sous son contrôle et qu’il ne présentait aucun signe ou symptôme qui pourrait laisser apparaitre une consommation problématique de cannabis ou une addiction. Au bénéfice d’un permis de conduire depuis 2006, le recourant n’a enfin aucun antécédent en matière de circulation routière.

Dès lors, le tribunal estime que l'intéressé paraît tout à fait capable de séparer consommation de cannabis/CBD, voire la prise occasionnelle de cocaïne, et conduite automobile.

Par conséquent, au regard des principes légaux et jurisprudentiels cités ci-dessus et des éléments du dossier, les soupçons émis par l'autorité intimée quant à l'inaptitude à la conduite du recourant n'apparaissent pas fondés. L’OCV a dès lors abusé de son pouvoir d'appréciation en ordonnant au recourant de se soumettre à une expertise médicale.

37.         Bien fondé, le recours sera admis et la décision querellée annulée.

38.         Dans la mesure où il obtient gain de cause, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), de sorte que son avance de frais de CHF 500.- lui sera restituée.

Une indemnité de procédure de CHF 800.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’OCV, lui sera par ailleurs allouée à titre de dépens (art. 87 al. 2 LPA et 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 1er juin 2023 par Monsieur A______ contre la décision de l’office cantonal des véhicules du 22 mai 2023 ;

2.             l’admet ;

3.             ordonne la restitution au recourant de l’avance de frais de CHF 500.- ;

4.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’office cantonal des véhicules, à verser au recourant une indemnité de procédure de CHF 800.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. b et 65 LPA, la présente décision est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné de la présente décision et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de cette décision est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier