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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/446/2023

JTAPI/871/2023 du 21.08.2023 ( OCPM ) , REJETE

Descripteurs : DÉCISION DE RENVOI;DIRECTIVE 2008/115/CE
Normes : LEI.64; LEI.69; CEDH.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/446/2023

JTAPI/871/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 21 août 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Xavier-Marcel COPT, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1991, est ressortissant du Kosovo.

2.             Il a été extradé le 5 novembre 2013 de l'Italie vers la Suisse et placé en détention où il se trouve depuis lors. Le 24 mai 2016, l'intéressé a définitivement été condamné par la Chambre pénale d'appel et de révision, à une peine privative de liberté de 15 ans et 8 mois, pour assassinat (art. 112 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

3.             Par décision du 1er février 2023, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé son renvoi de Suisse et du territoire des Etats membres de l'Union européenne et des Etats associés à Schengen (Liechtenstein, Islande et Norvège), conformément à l'art. 64 et ss de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et de l'art. 6 al. 1 en lien avec les art. 3 al. 3 et 3 al. 4 de la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier du 16 décembre 2008 (Directive 2008/115/CE).

Son séjour en Suisse était illégal. Vu sa condamnation, il constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics ainsi que pour les relations internationales de la Suisse. Son renvoi dans son pays d'origine apparaissait licite, possible et exigible au sens de l'art. 83 LEI. Il chargeait les services de police d'exécuter immédiatement son renvoi, dès sa mise en liberté, conformément à l'art. 64d al. 2 let. a et b LEI, pour les mêmes motifs.

4.             Par acte du 7 février 2023, M. A______, sous la plume de son conseil, a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation partielle en tant qu'elle prononçait son renvoi du territoire des Etats membres de l'Union européenne et des Etats associés à Schengen (Liechtenstein, Islande et Norvège).

Il avait épousé Madame B______, ressortissante italienne, le 2 avril 2012, avec qui il vivait depuis la fin de l'été 2012, en Italie. Le 14 septembre 2012, il s'était vu délivrer un permis de séjour en Italie. Celui-ci était arrivé à échéance le 11 juin 2013, durant son incarcération. Sa fille, née le 8 juin 2011, vivait en Pologne avec sa mère. Depuis son incarcération, il entretenait des contacts étroits et réguliers avec ces dernières, par voie épistolaire et téléphonique. Le renvoi prononcé était susceptible d'entraver durablement ses contacts et relations avec son épouse et sa fille puisqu'il serait empêché de les rejoindre dans les pays où elles vivaient. La décision querellée violait ainsi l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Elle le privait d'entrevoir un retour serein à son domicile en Italie, auprès de son épouse, et d'avoir des contacts avec sa fille mineure, laquelle ne pouvait se déplacer seule. Dans la mesure où il n'avait jamais récidivé depuis la commission des actes reprochés et que ces derniers avaient eu lieu en Suisse, il ne se justifiait pas de prononcer son renvoi ailleurs qu'en Suisse, sous peine de violer le principe de proportionnalité.

Il a produit un chargé de pièces dont une "carta d'identita", non valable pour les pays étrangers, délivrée le 26 octobre 2012 par la commune de Vailate (Italie) et valable jusqu'au 19 novembre 2022.

5.             Dans ses déterminations du 29 mars 2023, l'OCPM a confirmé sa décision, prise conformément à l'art. 64 al. 1 let. a et b LEI. La désignation de l'Etat vers lequel l'étranger était renvoyé relevait de l'autorité compétente qui exécutait la décision de renvoi (art. 69 al. 2 LEI). Si, comme en l'espèce, un étranger ne disposait d'aucun titre de séjour lui permettant de se rendre dans un Etat partie aux accords de Schengen, les autorités étaient fondées à le refouler hors de la zone Schengen. L'éloignement de l'ensemble du territoire des Etats associés à Schengen et des Etats membres de l'Union européenne n'était pas, en tant que tel un objet sur lequel l'OCPM devait statuer sur la base de l'art. 64 al. 1 LEI, mais seulement la conséquence de la décision de renvoi, laquelle se concrétisait au moment de celui-ci. Enfin, il était tout à fait loisible au recourant de maintenir le contact avec ses filles par le biais de moyens de communication modernes.

6.             Par réplique du 24 avril 2023, le recourant a relevé que l'OCPM avait expressément statuer sur son éloignement de l'ensemble des Etats associés à Schengen et des Etats membres de l'Union européenne dans la décision attaquée. Dès lors, il ne s'agissait pas uniquement d'une conséquence de la décision de renvoi. A sa sortie de prison, il entendait rejoindre son épouse en Italie et vivre avec elle, de sorte qu'il avait un droit à séjourner en Italie. Il n'était pas question de seulement maintenir des contacts avec sa fille et son épouse, quels que soient les moyens de communication. La décision entreprise violait son droit au regroupement familial, plus particulièrement l'art. 8 CEDH.

7.             Par duplique du 17 mai 2023, l'OCPM a persisté dans ses conclusions en rejet du recours.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La LEI et ses ordonnances d'exécution règlent l'entrée, le séjour et la sortie de Suisse des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI).

4.             Selon l'art. 64 al. 1 let. a LEI, les autorités rendent une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger qui n'a pas d'autorisation alors qu'il y est tenu.

5.             L'art. 64 al. 2 LEI précise que l'étranger qui séjourne illégalement en Suisse et qui dispose d'un titre de séjour valable délivré par un autre État lié par l'un des accords d'association à Schengen (État Schengen) est invité sans décision formelle à se rendre immédiatement dans cet État. S'il ne donne pas suite à cette invitation, une décision au sens de l'art. 64 al. 1 LEI est rendue. Si des motifs de sécurité et d'ordre publics, de sécurité intérieure ou extérieure justifient un départ immédiat, une décision est rendue sans invite préalable.

6.             L'entrée en Suisse et la sortie de Suisse sont régies par les accords d'association à Schengen (art. 7 al. 1 LEI).

7.             Selon l'art. 3 ch. 3 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 sur le retour, le « retour » est le fait, pour le ressortissant d'un pays tiers, de rentrer - que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé - dans son pays d'origine, dans un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou encore dans un autre pays tiers dans lequel il décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis (ATA/1578/2017 du 7 décembre 2017 consid. 6 ; ATA/640/2015 du 16 juin 2015 consid. 9).

8.             La « décision de retour » est une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d'un ressortissant d'un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour (art. 3 ch. 4).

9.             Conformément à l'art. 6 par. 1 de la directive 2008/115/CE, les État membres prennent une décision de retour à l'encontre de tout ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux par. 2 à 5.

10.         Les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d'un État membre et titulaires d'un titre de séjour valable ou d'une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné d'un pays tiers ou lorsque le départ immédiat du ressortissant d'un pays tiers est requis pour des motifs relevant de l'ordre public ou de la sécurité nationale, le paragraphe 1 s'applique (par. 2).

11.         Si un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre fait l’objet d’une procédure en cours portant sur le renouvellement de son titre de séjour ou d’une autre autorisation lui conférant un droit de séjour, cet État membre examine s’il y a lieu de s’abstenir de prendre une décision de retour jusqu’à l’achèvement de la procédure en cours, sans préjudice du paragraphe 6 (par. 5).

12.         À teneur de l'art. 69 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente exécute le renvoi ou l'expulsion d'un étranger, notamment lorsque le délai imparti pour son départ est écoulé (let. a) ou l'étranger peut être renvoyé ou expulsé immédiatement (let. b).

13.         La désignation de l'État vers lequel l'étranger frappé d'une décision de renvoi est refoulé relève de l'autorité compétente pour exécuter le renvoi (Min Sohn NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations - vol. II : LEtr, 2017, n. 11 ad art. 69 p. 698).

14.         Si l'étranger a la possibilité de se rendre légalement dans plusieurs États, l'autorité compétente peut le renvoyer ou l'expulser dans le pays de son choix (al. 2).

15.         La possibilité de choisir le pays de destination présuppose toutefois que l'étranger ait la possibilité de se rendre de manière effective et admissible dans chacun des pays concernés par son choix. Cela implique qu'il se trouve en possession des titres de voyage nécessaires et que le transport soit garanti (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_285/2013 du 23 avril 2013 consid. 7 ; 2C_935/2011 du 7 décembre 2011 consid. 6 ; ATA/324/2013 du 24 mai 2013 ; ATA/157/2013 du 7 mars 2013 ; ATA/58/2013 du 31 janvier 2013).

16.         In casu, il sied de relever que le recourant semble confondre la décision de renvoi de Suisse prononcée à son encontre et son droit de séjourner dans un Etat membres de l'Union européenne, qui n'est pas du ressort des autorités suisses. L’OCPM a prononcé le renvoi de Suisse du recourant en application de l'art. 64 al. 1 LEI. Il lui est donc fait obligation de quitter le territoire suisse. En soi, l'art. 64 al. 1 LEI n'a pas d'autre portée. Si la décision contestée ordonne son renvoi de l’ensemble du territoire des Etats associés à Schengen et des Etats membres de l'Union européenne, c'est uniquement car il ne séjourne pas légalement dans un de ces Etats et qu'en conséquence, il n'y est pas possible de l'y refouler, étant relevé que son titre de séjour italien est échu, ce qu'il ne conteste pas.

17.         La décision querellée n'interdit pas au recourant d'entrer sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne ni d'y obtenir un permis de séjour au titre de regroupement familial. Ces décisions sont du ressort exclusif des pays concernés. Il appartient donc au recourant de s'adresser aux autorités des pays dans lesquels il souhaite se rendre afin d'obtenir les autorisations légales nécessaires.

18.         Ainsi, son renvoi au Kosovo découle du fait qu'il ne dispose d'aucun titre de séjour ou autre document de voyage lui permettant de se rendre valablement dans un autre pays que son pays d'origine, ce qui implique qu'il n'aura effectivement pas d'autre choix que de retourner dans celui-ci. Seule une telle issue permet son « retour » au sens de l'art. 3 ch. 3 de la Directive sur le retour et que la décision de renvoi soit dûment exécutée.

19.         Si avant l'exécution de son renvoi, il devait être admis à séjourner légalement sur le territoire italien, il aura tout loisir de le démontrer en transmettant les documents le prouvant à l'OCPM qui se chargera de solliciter un laissez-passer en sa faveur, en vue d'un refoulement en Italie. Une telle démarche auprès des autorités italiennes peut parfaitement être menée depuis l'étranger.

20.         Enfin, le recourant invoque une violation de l'art. 8 CEDH.

21.         L'art. 8 par. 1 CEDH peut être invoqué par un ressortissant étranger pour s'opposer à une séparation d'avec sa famille et obtenir une autorisation de séjour en Suisse à la condition qu'il entretienne des relations étroites, effectives et intactes avec un membre de celle-ci disposant d'un droit de présence assuré en Suisse, ce qui suppose que celui-ci ait la nationalité suisse ou qu'il soit au bénéfice d'une autorisation d'établissement ou d'un droit certain à une autorisation de séjour (ATF 135 I 143 consid. 1.3.1 ; 130 II 281 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1023/2016 du 11 avril 2017 consid. 5.1; 2C_1119/2015 du 17 décembre 2015 consid. 3).

22.         Dans la mesure où le recourant ne sollicite pas d'autorisation de séjour en Suisse, cet argument tombe à faux. Comme mentionné ci-dessus (c.f. consid. 17 supra), les autorités suisses ne sont pas compétentes pour lui délivrer une autorisation de séjour dans un autre pays, sous peine de violer la souveraineté et l'indépendance de ces derniers.

23.         Pour le surplus, rien ne permet de retenir que l'exécution du renvoi du recourant ne serait pas possible, licite ou raisonnablement exigible au sens de l'art. 83 LEI.

24.         Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

25.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant qui succombe est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

26.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

27.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 7 février 2023 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 1er février 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière