Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/164/2022

DITAI/357/2023 du 10.08.2023 ( LCI ) , ADMIS

IRRECEVABLE par ATA/79/2024

Descripteurs : SUBSTITUTION DE PARTIE
Normes : LPA.7
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/164/2022 LCI

DITAI/357/2023

 

DÉCISION

sur substitution de parties et appel en cause

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 août 2023

 

dans la cause

Madame A______, Monsieur B______, Monsieur C______, Monsieur D______ et Monsieur E______, représentés par Me François BELLANGER, avocat, avec élection de domicile

Madame F______, représentée par Me Joël CHEVALLAZ, avocat, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

G______ et H______, représentées par Me Sidonie MORVAN, avocate, avec élection de domicile

I______, représentée par Me Lucien LAZZAROTTO, avocat, avec élection de domicile

Madame J______ et Monsieur K______ et l'hoirie de Mme L______ et l'hoirie de Monsieur M______, représentés par Me Guillaume BARAZZONE, avocat, avec élection de domicile

 


 

EN FAIT

1.            Par décision DD 1______ rendue le 30 novembre 2021, le département du territoire (ci-après : le département) a autorisé la société N______ (ci-après : la SA) à édifier un bâtiment de logements et d'activités diverses sur les parcelles N° 2______ et 3______, feuille 4______ de la commune de O______, à l'adresse 5______, route de P______.

2.            La parcelle N° 2______ était alors la copropriété de Monsieur K______ et de Madame J______, ainsi que des hoirs de feue Madame L______ et de feu Monsieur M______.

3.            Par actes séparés du 17 janvier 2022, Madame A______ et Monsieur B______, ainsi que Messieurs C______, D______ et E______, d'une part, et Madame F______, d'autre part, ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre la décision DD 1______.

4.            Par écritures du 7 septembre 2022, Mme A______ et consorts ont informé le tribunal qu'en date du 3 juin 2022, les copropriétaires de la parcelle N° 2______ l'avaient vendue aux sociétés H______ et G______ (ci-après : les propriétaires). Il en résultait que les anciens copropriétaires n'avaient plus d'intérêt actuel dans la présente procédure. Par ailleurs, les conditions d'une substitution de parties au profit des nouvelles propriétaires n'étaient pas réalisées, car, d'une part, on ne se trouvait pas dans le cas d'une substitution à titre universel et, d'autre part, il fallait l'accord de toutes les parties pour un cas de substitution à titre particulier. Or, en l'espèce, les recourants s'opposaient à une telle substitution.

5.            Par écritures du 26 septembre 2022, les autres recourants ont souscrit à cette argumentation.

6.            Par écritures du 20 mars 2023, le conseil des anciens copropriétaires a confirmé la vente de la parcelle N° 2______ et indiqué que ses mandants n'avaient plus d'intérêt direct dans la présente procédure.

7.            Par courrier du 21 mars 2023, sous la plume de leur conseil, les propriétaires ont sollicité du tribunal d'être substituées aux anciens copropriétaires, considérant qu'elles étaient directement touchées par la procédure et disposaient dès lors de la qualité de partie.

8.            Par courrier du 28 mars 2023, Mme A______ et consorts ont persisté à considérer que la substitution n'était pas possible et devait être refusée.

9.            Par divers échanges de correspondance, le tribunal a instruit le fond du dossier durant le printemps 2023.

10.        Dans ce cadre, le conseil de N______ a informé le tribunal, par écritures du 14 juin 2023, qu'à la fin de l'année 2022, les actifs et passifs de cette société avaient été transférés à sa société mère, Q______, et que celle-ci avait ensuite modifié sa raison sociale en I______. Il sollicitait donc la substitution de partie, étant précisé qu'il s'agissait d'un cas de substitution à titre universel.

11.        Parallèlement à leurs déterminations sur le fond, Mme A______ et consorts, par courrier du 16 juin 2023, ont relevé que le tribunal n'avait pas réagi à leur interpellation du 28 mars 2023. Si la substitution des parties requise par les propriétaires devait être acceptée par le tribunal, elle nécessiterait une décision incidente susceptible de recours.

 

EN DROIT

1.             La présente décision concerne la substitution de parties requise par les propriétaires de la parcelle N° 2______, à laquelle s'opposent par ailleurs les recourants, ainsi que la substitution de partie de N______ au profit de I______.

2.             La substitution de parties lorsqu'une parcelle est acquise par un nouveau propriétaire durant la procédure judiciaire a d'abord été admise sans motivation particulière par la jurisprudence, que ce soit lorsque le changement de propriété concernait la parcelle litigieuse (ATA/394/2003 du 20 mai 2003 consid. 2) ou lorsqu'il concernait une parcelle du voisinage appartenant à des tiers opposés à la décision du département (ATA/426/2010 du 22 juin 2010 consid. 1c). La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a ensuite fait application, sans le mentionner explicitement, d'un cas de substitution universelle (ATA/581/2014 du 29 juillet 2014 consid. 2) avant de faire clairement référence à cette hypothèse et de mentionner sans plus ample précision qu'elle n'impliquait pas l'accord des autres parties (ATA/1274/2017 du 12 septembre 2017 consid. 4c). Finalement, dans sa jurisprudence la plus récente, la chambre administrative a tout d'abord rappelé que la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10) ne règle pas expressément la question de la substitution de parties, quand bien même cette institution est en principe possible en procédure administrative. Elle a en outre rappelé qu'il existe deux situations distinctes en matière de substitution de parties, à savoir, d'une part, lorsque la succession dans les droits et obligations d'une partie intervient de plein droit, à titre universel, par exemple en cas de décès, de faillite, de reprise des actifs et passifs ou de fusion d'entreprises et, d'autre part, lorsque cette succession intervient à titre particulier, comme lors d'une aliénation du bien litigieux, ce qui n'entraîne qu'une substitution facultative soumise à la fois à la requête de l'ayant droit et à l'accord des autres parties. Cependant, dans ce dernier cas, la chambre administrative reprend l'avis de la doctrine selon lequel il doit être possible de suppléer au refus d'une substitution par l'intervention ou l'appel en cause de l'acquéreur ou du cessionnaire des droits (ATA/974/2022 du 27 septembre 2022).

3.             Dans la présente affaire, les recourants insistent en particulier sur la nécessité qu'ils puissent donner leur accord à une substitution des parties, étant donné que cette dernière, s'agissant des anciens et nouvelles propriétaires de la parcelle N° 2______, ne résulte pas d'une succession à titre universel. Ils se réfèrent à cet égard à l'ATF 118 Ia 129 consid. 2b. Dans cette affaire, qui concernait un litige civil, le Tribunal fédéral a souligné que les raisons pour lesquelles une substitution de parties à titre particulier ne peut intervenir qu'avec l'accord de l'autre partie dans le litige tiennent au fait que cette dernière (dans le cas particulier le défendeur) s'engage dans le procès et axe sa défense en fonction d'un adversaire déterminé, de sorte qu'on ne peut exiger d'elle qu'elle accepte que sa conduite du procès soit également opposée à une autre partie. Ainsi, par exemple, en se contentant de démontrer l'absence de légitimation active du demandeur, le défendeur n'expose par hypothèse que de manière sommaire ses objections contre l'existence et le contenu des droits que le premier demandeur faisait valoir contre lui. Il n'a pas à supporter qu'un changement de partie affaiblisse sa défense principale et que la défense subsidiaire, présentée sommairement, soit rejetée comme non convaincante. Ensuite, il faut notamment lui laisser la possibilité d'opposer à nouveau et conformément au droit au véritable ayant droit des arguments (y compris des exceptions) ou des objections de fait éventuellement omis ou insuffisamment étayés à l'égard du non-ayant droit, ce qui ne serait souvent plus possible en cas de simple changement de partie, compte tenu de la rigueur formelle de la procédure. Et le Tribunal fédéral de conclure qu'en cas de changement de demandeur, le défendeur ne doit donc pas être placé contre son gré dans une situation plus défavorable que si le même changement se réalisait par la clôture d'un procès en cours et l'introduction d'un nouveau procès.

4.             La situation dans la procédure judiciaire administrative est entièrement différente de celle que le Tribunal fédéral a analysée, puisqu'elle a pour objet d'examiner la légalité d'une décision administrative. En particulier, en droit des constructions, lorsqu'un projet fait l'objet d'une contestation par le voisinage, seuls les griefs relatifs à la violation de normes de droit public sont recevables (art. 3 al. 6 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05 ; ATA/169/2020 du 11 février 2020 consid. 7b; ATA/166/2018 du 20 février 2018 consid. 5 ; ATA/1639/2017 précité ; ATA/442/2015 du 12 mai 2015 ; ATA/752/2014 du 23 septembre 2014). L'existence d'un éventuel contentieux de droit privé entre le propriétaire de la parcelle sur laquelle doit avoir lieu la construction et son voisinage n'a ainsi aucune incidence sur la validité de l'autorisation de construire. Dans ce sens, les raisons pour lesquelles, selon la jurisprudence fédérale susmentionnée, une substitution à titre particulier ne peut avoir lieu, dans un procès civil, qu'avec l'accord des parties, ne sont pas applicables lorsque le procès concerne une décision administrative, en particulier lorsque son objet concerne un projet de construction. Que l'autorisation ait été requise par une personne et qu'elle soit ensuite transmise à une autre (et de même s'agissant de la qualité de propriétaire de la parcelle concernée par le litige) n'a aucune incidence sur la manière dont cette autorisation peut être contestée par des tiers, puisque l'argumentation de ces derniers doit obligatoirement et entièrement se concentrer sur l'objet de l'autorisation, qui demeure quoi qu'il en soit inchangé, et non pas sur son titulaire ou sur le propriétaire de la parcelle concernée.

5.             Dans le cas d'espèce, les recourants n'expliquent pas en quoi le fait de poursuivre la présente procédure contre les nouvelles propriétaires de la parcelle concernée pourrait éventuellement les mettre dans une situation plus défavorable que s'ils pouvaient par hypothèse reprendre la procédure depuis le début. Par ailleurs, sur ce dernier point, la procédure administrative révèle une autre différence fondamentale avec la procédure civile. En effet, le rachat de la parcelle concernée par les nouvelles propriétaires n'implique en aucun cas que ces dernières devraient à leur tour déposer une demande d'autorisation de construire ou que la titulaire de l'autorisation litigieuse devrait en déposer une nouvelle, et les recourants ne le prétendent d'ailleurs pas. Cela signifie qu'il n'est pas possible d'envisager l'ouverture d'une nouvelle procédure judiciaire, contrairement à la solution envisagée par le Tribunal fédéral en procédure civile, puisqu'aucune autre autorisation de construire n'est appelée à être délivrée. C'est en réalité uniquement par la poursuite de la présente procédure que la légalité de cette décision peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

6.             Enfin, quant au fait que les nouvelles propriétaires ont acquis la parcelle en sachant que l'autorisation de construire faisait l'objet d'un litige, les recourants considèrent que par conséquent, celles-ci ne peuvent pas prétendre qu'elles seraient lésées par une situation qu'elles ont acceptée en connaissance de cause. Elles n'auraient de ce fait pas d'intérêt actuel à la procédure.

Le tribunal ne saurait suivre les recourants dans leur argumentation. L'intérêt dont une personne doit disposer pour participer à la procédure ne signifie pas qu'elle soit d'ores et déjà lésée au moment de l'ouverture du procès, mais uniquement que cet intérêt soit menacé selon l'issue de la procédure. En outre, contrairement à ce qui est quasiment la règle dans le reste du contentieux de droit public, le contentieux du droit de la construction peut concerner une situation dans laquelle la décision litigieuse est favorable à son destinataire. Dans ce cadre, ses intérêts sont menacés non pas par la décision elle-même, mais uniquement par l'issue du litige initié par des tiers, au cas où la décision serait finalement modifiée ou annulée. Ainsi, dans le cas d'espèce, les nouvelles propriétaires de la parcelle ont acquis cette dernière dans une situation qui présentait l'avantage d'une autorisation de construire d'ores et déjà délivrée par l'autorité compétente, avantage cependant menacé par la présente procédure. Certes, elles ont pris un risque, mais cela ne signifie pas pour autant que la défense de leurs intérêts serait illégitime. Elles ont ainsi tout à fait la qualité pour défendre dans la présente procédure.

7.             En conclusion, conformément à la jurisprudence susmentionnée de la chambre administrative (ATA/974/2022 du 27 septembre 2022), vu l'absence d'accord des parties recourante, la substitution de parties en faveur des nouvelles propriétaires se fera par leur appel en cause.

8.             Les anciens propriétaires seront mis hors de cause.

9.             Quant à la titularité de l'autorisation de construire, elle a été transmise à titre universelle par la reprise des actifs et passifs de la titulaire initiale à sa société mère (dont la raison sociale a ultérieurement été modifiée). Par conséquent, I______ sera substituée dans la présente procédure à N______.

10.         La question des frais de l'instance sera réglée dans la décision au fond (art. 87 al. 1 LPA) ;

11.         La suite de la procédure sera réservée.

 


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

statuant sur substitution de parties et appel en cause

1.             prononce la substitution de parties de N______ en faveur de I______ ;

2.             met hors de cause Monsieur K______ et de Madame J______, ainsi que les hoirs de feue Madame L______ et de feu Monsieur M______ ;

3.             appelle en cause H______ et G______ ;

4.             réserve la suite et le sort des frais de la cause jusqu’à droit jugé au fond ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), 62 al. 1 let. b et 65 LPA, la présente décision est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné de la présente décision et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de cette décision est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière