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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2383/2022

JTAPI/580/2023 du 22.05.2023 ( ICC ) , ADMIS

Descripteurs : IMPÔT SUR LES SUCCESSIONS ET LES DONATIONS;TESTAMENT;ACTION EN NULLITÉ(DROIT DES SUCCESSIONS);TRANSACTION(ACCORD)
Normes : LDS.6A.al1.leta; LDS.20
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2383/2022 ICC

JTAPI/580/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 mai 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______ et Madame B______, représentés par Me Louise BONADIO, avocate, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Madame C______, décédée à ______ (GE) le ______ 2020, a laissé pour héritiers sa fille, Madame B______, son petit-fils, Monsieur A______, ainsi que ses deux neveux, Messieurs D______ et E______. Son mari était mort le ______ 2012.

2.             Mme C______ avait rédigé plusieurs dispositions testamentaires :

-     par testament public du ______ 2005, elle avait légué à son époux l’usufruit de tous ses biens, ainsi que la quotité disponible. Pour le cas où il ne viendrait pas à la succession, l’usufruit de ses biens serait dévolu à sa fille et leur nue-propriété, à son petit-fils ;

-     ce testament a été partiellement modifié par un codicille olographe du ______ 2008, portant sur l’extinction de l’usufruit en faveur de sa fille ;

-     le ______ 2012, Mme C______ a complété ses précédentes dispositions pour cause de mort, léguant la quotité disponible de ses biens à ses neveux, à défaut, à leurs descendants [ ].

3.             Le 28 juin 2021, l’administratrice de la succession a transmis la déclaration de succession à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) en mentionnant les parts héréditaires de la façon suivante : Mme B______, ¾ en usufruit ; M. A__ ____, ¾ en nue-propriété et MM. D et E, 1/8 en pleine propriété chacun.

4.             Suite au décès de Mme C______, un litige portant sur la validité du testament du ______ 2012 a divisé sa fille et son petit-fils, d’une part et ses neveux, d’autre part (action en annulation). Il a pris fin par accord du ______ 2021, homologué par le juge conciliateur du Tribunal de première instance (ACTPI/1______/2021), à teneur duquel les parties sont convenues du partage de la succession. Les faits pertinents de cette affaire seront repris, ci-après, dans la mesure utile.

5.             Le 2 mai 2022, l’AFC-GE a notifié aux héritiers de Mme C______ un bordereau de droits de succession d’un montant de CHF 986'678.-, lequel se déterminait comme suit :

Liste des héritiers

Catég.

Avoir impos.

Montant dû

Mme B______, ¾ en usufruit

1

2'751'860.25

0.00

M. A______, ¾ en nue-propriété

1

8'255'580.75

150.00

M. D______, 1/8 en pleine propriété

4

1'834'573.50

493'264.00

M. E______, 1/8 en pleine propriété

4

1'834'573.50

493'264.00

Total

14'676'588.00

986'678.00

Le total des droits de succession réclamé à M. A______ était nul, seul un émolument de CHF 150.- a été mis à sa charge.

6.             Le 30 mai 2022, M. A______ et Mme B______ ont élevé réclamation à l’encontre de ce bordereau.

Celui-ci ne tenait pas compte du partage effectif entériné par la transaction judiciaire ACTPI/1______/2021. La déclaration de succession déposée initialement ne prenait pas en considération l’action en nullité qu’ils avaient intentée, ni a fortiori l’acte de partage de la succession. Les droits dus par eux devaient être prélevés sur la base d’actifs imposables se chiffrant à respectivement CHF 7'542'812.- et CHF 4'734'358.- et ceux dus par MM. D______ et E______, en se fondant sur des avoirs taxables se montant à CHF 1.2 million pour chacun d’eux.

7.             Par décision du 17 juin 2022, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. Elle n’était pas liée par les contrats passés entre les héritiers concernant le partage de la succession.

8.             Par acte du 18 juillet 2022, M. A______ et Mme B______, sous la plume de leur mandataire, ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à la réforme, subsidiairement à l’annulation de la décision du 17 juin 2022, le tout sous suite de frais et dépens. Les droits de succession dus par eux devaient être calculés sur la base d’avoirs taxables tels que chiffrés dans leur réclamation.

Si à l’issue de l’action en annulation, le testament du ______ 2012 avait été déclaré nul, l’AFC-GE n’aurait perçu aucun droit de succession, puisque M. A______ et Mme B______ descendaient en ligne directe de la défunte. Si, en revanche, ce testament avait été reconnu valable, l’on ne pouvait exclure que la quotité disponible n’ait été attribuée à MM. D______ et E______ qu’en nue-propriété. Le montant d’impôt auquel l’AFC-GE aurait pu prétendre aurait été drastiquement inférieur à celui calculé d’après l’acte de partage.

Cette transaction avait été établie, non dans le but de léser l’AFC-GE, mais afin de lever l’incertitude durable pesant sur la validité et la portée des dispositions pour cause de mort prises par la défunte. Partant, l’autorité intimée devait en tenir compte. Les recourants se sont fondés sur l’ATF 105 Ia 54.

9.             Dans sa réponse du 4 octobre 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

L’arrangement conclu entre les héritiers relevait du pur droit privé, n’ayant que des conséquences civiles et non pas fiscales. Il demeurait donc sans effet sur la fixation des droits dus par eux. Elle s’est basée sur l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_550/2019 du 28 février 2020.

10.         Par réplique du 28 octobre 2022, M. A______ et Mme B______ ont maintenu leur recours.

L’AFC-GE n’avait pas tenu compte de la jurisprudence applicable aux situations dans lesquelles il existait une incertitude relative aux dispositions pour cause de mort. En pareil cas, le droit fiscal devait suivre le partage décidé par les parties.

La taxation litigieuse consacrait une violation du principe de l’imposition selon la capacité contributive.

11.         Dans sa duplique du 22 novembre 2022, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse et s’est opposée à l’audition des héritiers.

12.         Par écriture du 2 novembre 2022, les recourants ont campé sur leurs positions.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l'espèce, contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale en matière de droits de succession (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 67 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 - LDS - D 3 25).

2.             Le recours a été interjeté en temps utile, dans les formes prescrites et devant la juridiction compétente au sens des art. 67 LDS, ainsi que 63 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais aussi toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

La jurisprudence a précisé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/965/2020 du 29 septembre 2020 consid. 2b et les arrêts cités). L'intérêt digne de protection consiste en l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 133 II 249 consid. 1.3.1). L'existence d'un intérêt digne de protection présuppose que la situation de fait ou de droit du recourant puisse être influencée par l'annulation ou la modification de la décision attaquée, ce qu'il lui appartient d'établir (ATF 120 Ib 431 consid. 1).

En matière fiscale, est sans intérêt actuel le recours du contribuable dont les conclusions, bien que tendant à l'annulation d'une décision de taxation, n'impliquent pas une diminution de l'impôt dû (ATA/1304/2019 du 27 août 2019 consid. 12c).

4.             En l’espèce, à teneur du bordereau incriminé, le montant d’impôt sur les successions réclamé par l’AFC-GE tant à Mme B______ qu’à M. A______ est nul, la somme de CHF 150.- facturée à ce dernier ne représente qu’un émolument. Tous deux disposent néanmoins d’un intérêt actuel à demander la réforme, voire l’annulation de cette taxation et donc, à recourir. En effet, en application de l’art. 54 LDS, ils sont tenus solidairement et sur tous les biens au paiement des droits, intérêts, frais et émoluments dus sur les parts héréditaires échéant à MM. D______ et E______.

5.             Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré recevable.

6.             M. A______ et Mme B______ demandent que les droits de succession soient déterminés sur la base de l’accord du ______ 2021 et non d’après les dispositions testamentaires prises par Mme C______.

7.             L'impôt sur les successions frappe notamment toute transmission de biens résultant d'un décès ou d'une déclaration d'absence, à quelque titre que cette transmission ait lieu (art. 1 al. 2 let. a LDS). Les droits de succession sont dus par ceux qui, à la suite d'un décès ou d'une déclaration d'absence, acquièrent des biens ou en sont bénéficiaires et sont calculés sur les parts héréditaires nettes (art. 2 al. 1 et 16 let. a LDS).

8.             La décision des héritiers ou légataires de répartir leurs parts respectives d'une manière différente de celle découlant des dispositions légales ou testamentaires ne peut pas priver l'État des droits qui lui sont dus en vertu de ces dernières. Cela découle de la coexistence de dispositions de droit civil et de droit fiscal qui ne poursuivent pas les mêmes finalités. Les premières accordent à chaque personne physique la liberté d'organiser ce qu'il advient de ses biens après son décès, tandis que les deuxièmes concernent le traitement fiscal en faveur de l'État des valeurs revenant aux bénéficiaires, selon des règles qui s'imposent à ces derniers et qui ne prennent plus en considération la volonté du de cujus (ATA/857/2019 du 30 avril 2019 consid. 2e).

9.             Cela étant, dans un arrêt de principe publié aux ATF 105 Ia 54 et traduit in JdT 1981 I 84, le Tribunal fédéral a nuancé cette position.

Cette affaire portait sur un litige entre les deux héritières du défunt M. X, à savoir d’une part, sa sœur, Mme Y, qui avait été réduite à sa réserve par testament et d’autre part, Mme Z, héritière du reste de la succession, sous réserve de divers legs. Consécutivement au décès, Mme Y avait ouvert action contre Mme Z en concluant à ce que l’indignité successorale de celle-ci et à la nullité du testament soient constatées, pour le motif que notamment que Mme Z aurait contraint le défunt à rédiger ce testament. Les parties avaient finalement conclu une transaction et étaient convenues de partager la succession par moitié entre elles. Au moment de taxer les héritières, la commission cantonale de recours soleuroise n’avait pas tenu compte de la transaction, mais s’était fondée sur le testament, contrairement à ce que demandait Mme Z. Le Tribunal fédéral a admis le recours de cette dernière.

Le Tribunal fédéral a retenu qu’en l’occurrence, il ne s’agissait pas de savoir si la situation de droit civil avait été modifiée par un jugement ou par une transaction, mais uniquement s'il existait des doutes sérieux de fait ou de droit sur l'existence et l'ampleur des prétentions successorales réciproques, doutes qui avaient été éliminés par un accord. Si l'on donnait au jugement une telle importance en matière de litiges successoraux, cela revenait pratiquement à contraindre les parties, en raison du droit fiscal, à engager un procès dans chaque cas et à le poursuivre jusqu'à un jugement définitif ou du moins à passer une transaction judiciaire. Il était clair que ce n’était pas le rôle du droit fiscal de favoriser de tels procédés. Bien au contraire, le droit fiscal devait de par sa nature tenir compte des réalités économiques. Si les parties avaient des raisons de douter de la situation juridique et si elles avaient à cœur d'éviter un litige ou de le liquider rapidement, on ne voyait pas pourquoi on ne se fonderait pas, du point de vue fiscal, sur la situation créée par la transaction, en tout cas lorsque la transaction n’était pas une manœuvre destinée à réduire la créance d'impôt de l'État. De cette façon, on satisfaisait mieux au principe impératif de justice fiscale qu'en se fondant sur une situation juridique qui correspondrait peut-être mieux aux termes de la disposition pour cause de mort, mais qui pour des raisons valables n’était jamais devenue une réalité économique. Il se justifiait, pour une autre raison encore, de ne pas être exigeant quant à la prise en considération des transactions en matière successorale : les intéressés se conformaient de toute façon mieux à la volonté présumée du disposant, et donc au sens des dispositions qu'il avait prises, lorsqu'ils évitaient des conflits de succession ou lorsqu'ils les liquidaient le plus rapidement possible. Il en résultait que ce n’était pas l'affaire des autorités fiscales et des tribunaux administratifs d'examiner, à la manière d'un juge civil, si la réglementation fixée transactionnellement par les prétendants à la succession correspondait exactement ou non au résultat probable du procès. Pour prendre en considération une transaction, il suffisait bien plutôt que, du point de vue des parties, il pût y avoir des doutes quant à la validité ou à la portée d'une disposition pour cause de mort ou encore quant aux donations entre vifs à porter en compte et que l'accord intervenu ne soit ni inhabituel ni manifestement dirigé contre le fisc.

10.         La doctrine a rappelé (Arnaud MARTIN, Les conséquences fiscales des litiges successoraux de nature civile et fiscale, Partie 1, in Not@lex 2020 p. 64, 68) que la validité de l’ATF 105 Ia 54 a été confirmée à deux reprises par le Tribunal fédéral.

Tout d’abord, dans un arrêt du 29 août 2006 (2P.296/2005 = RDAF 2006 II 501), le Tribunal fédéral était saisi d’un recours pour violation de l’interdiction de la double imposition intercantonale, dont l’origine était une convention de partage mettant fin à un litige entre héritiers. Le canton du domicile de l’une des parties à la transaction n’avait pas reconnu l’effet de cette convention en matière d’impôt sur les successions et avait soumis à l’impôt sur les donations l’un des actes de disposition exécuté en vertu de l’accord transactionnel. Constatant l’incertitude durable existant quant au statut juridique de la succession et l’absence de but fiscal accompagnant l’accord transactionnel, le Tribunal fédéral a reconnu la validité de la transaction en matière d’impôt sur les successions et, par voie de conséquence, jugé que l’impôt sur les donations avait été prélevé à tort.

Puis, dans un arrêt de du 17 juin 2008 (2C_56/2008), le Tribunal fédéral a examiné l’effet d’une transaction conclue entre une héritière instituée et un légataire et qui concernait principalement le prix d’exercice d’un droit d’emption concédé pour cause de mort. En l’absence de situation successorale complexe et incertaine, le Tribunal fédéral a logiquement jugé que cette transaction ne déployait pas d’effet dans le cadre de l’imposition de la succession.

11.         Les autorités fiscales n’ont pas à fixer de critères stricts pour la prise en compte des concordats successoraux. Ainsi, une transaction en matière d’impôt sur les successions doit déjà être prise en considération lorsque, du point de vue des parties, les doutes sur la qualité de sujet de droit existant à l’époque sont levés et que l’accord conclu ne paraît pas inhabituel. En effet, une telle comparaison n’est souvent pas fondée sur des considérations juridiques, mais aussi sur d’autres considérations, par exemple psychologiques, et doit donc être prise en compte fiscalement. L’autorité fiscale n’a pas à se prononcer sur les chances de succès en droit civil d’une position juridique dans un procès civil (Samuel RAMP, Michael FISCHER, Marc BUCHMANN, Kommentar zum schweizerischen Steuerrecht, Erbschafts- und Schenkungssteuerrecht, p. 89, § 16).

12.         Selon le Tribunal fédéral (arrêt 2C_550/2019 du 28 février 2020 consid. 4.3), d'après l'art. 208 al. 1 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), la transaction (judiciaire) passée durant la procédure de conciliation est consignée au procès-verbal et est signée par les parties et, en vertu de l'art. 208 al. 2 CPC, elle a les effets d'une décision entrée en force : elle a force exécutoire (art. 80 al. 2 ch. 1 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 (LP - RS 281.1) et est revêtue de l'autorité de la chose jugée. La transaction judiciaire au sens de l'art. 208 CPC est passée par les parties en cours de procédure, soit directement devant l'autorité ou le juge, soit hors de sa présence, mais pour lui être remise (art. 73 al. 1 la loi fédérale de procédure civile fédérale du 4 décembre 1947 – PCF – RS 273). L'autorité ou le juge se bornent à en prendre acte ; ils ne rendent pas de décision judiciaire, même si, formellement, ils rayent la cause du rôle (art. 241 al. 3 CPC). 

13.         À teneur de l’art. 519 al. 1 ch. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), les dispositions pour cause de mort peuvent être annulées lorsqu’elles sont faites par une personne incapable de disposer au moment de l’acte. Cette disposition renvoie à l’art. 467 CC, qui prévoit que toute personne capable de discernement et âgée de 18 ans révolus a la faculté de disposer de ses biens par testament, dans les limites et selon les formes établies par la loi.

14.         Selon la jurisprudence (ATF 124 III 5 = JdT 1998 I 361), la notion de capacité de discernement contient deux éléments: d'une part, une composante intellectuelle, soit la capacité de reconnaître le sens, la nature raisonnable et les effets d'un acte précis et d'autre part, une composante volitive, qui est également en rapport avec le caractère de la personne, soit sa capacité d'agir librement en fonction d'une compréhension raisonnable et de pouvoir opposer une résistance suffisante à d'éventuelles influences extérieures. Toutefois, la capacité de discernement doit être comprise de manière relative et ne peut pas être appréciée abstraitement ; elle doit l'être en rapport avec un acte déterminé, selon la difficulté et la portée de cet acte. On peut donc imaginer qu'une personne dont la capacité de discernement est généralement réduite puisse tout de même exécuter certaines tâches quotidiennes et soit capable de discernement pour les actes qui s'y rapportent ; pour des affaires plus complexes, en revanche, on pourra dénier sa capacité de discernement. Contrairement aux petits achats et aux affaires quotidiennes, la rédaction d'un testament compte parmi les actes plus exigeants, surtout s'il s'agit de dispositions compliquées.

La capacité de discernement est la règle ; elle est présumée d'après l'expérience générale de la vie. Partant, celui qui veut alléguer qu'elle n'est pas donnée doit le prouver. Cette preuve n'est pas soumise à des exigences particulières ; une très grande vraisemblance excluant tout doute sérieux suffit, en particulier pour une personne décédée. La situation rend en effet la preuve formelle de la capacité de discernement impossible. Cette preuve ne doit pas se rapporter à la capacité de discernement en général d'une personne, mais à sa capacité de discernement existant à un moment donné. Elle est simple à rapporter quand, en raison d'une maladie mentale, par exemple, on doit conclure à une diminution permanente des facultés mentales et donc à l'absence de tout moment de lucidité ; toutefois, si tel n'est pas le cas, la preuve « post mortem » de l'incapacité de discernement à un moment très précis sera très difficile à rapporter. On admet alors que, même si la capacité de discernement est généralement présumée et le fardeau de la preuve réparti en conséquence, l'expérience générale de la vie permet de présumer le contraire. Pour des enfants, ou dans certains cas de maladie mentale, ou pour les personnes que l'âge rend faibles d'esprit, l'expérience générale de la vie mène ainsi à la présomption inverse, selon laquelle la personne qui passe un acte juridique doit généralement être considérée comme étant selon toute vraisemblance et vu sa condition dépourvue du discernement ; la preuve de l'absence de discernement peut alors être considérée comme rapportée et la présomption de la capacité de discernement est renversée ; la partie adverse devra rapporter la contre-preuve, en montrant que la personne concernée, malgré une incapacité générale de discernement au vu de son état de santé général, a néanmoins agi dans un moment de lucidité.

15.         En l’espèce, la transaction du ______ 2021 ne vaut pas jugement. Elle a été conclue par les parties hors la présence du juge conciliateur. Celui-ci ne s’est pas prononcé sur le fond du litige, mais s’est borné à ordonner le partage de la succession en application des clauses de cet accord et à donner acte aux héritiers de leur engagement à le respecter.

Dans l’action en annulation du testament du ______2012, que Mme B______ et M. A______ ont intentée le 15 février 2021 contre MM. D______ et E______, les demandeurs ont fait valoir que Mme C______ ne disposait pas de la capacité de discernement au moment de tester. Ils se sont fondés sur différents documents notamment :

-     une ordonnance du 4 novembre 2011 (C/1______/2011) du Tribunal Tutélaire (actuellement : Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant), prononçant l’interdiction volontaire (actuellement : curatelle de portée générale) de Mme C______ à la suite d’une requête déposée par sa mandataire le 15 juillet précédent. Des certificats médicaux établis en juin, août et novembre 2011 évoquaient une diminution de ses capacités cognitives sous forme d’un trouble cérébral sévère évolutif entraînant des troubles mnésiques des faits récents et de fixation, ainsi qu’une désorientation temporo-spatiale. Elle n’était pas capable de désigner un mandataire et d’en contrôler l’activité de façon appropriée à la sauvegarde de ses intérêts. Son médecin traitant qui la suivait depuis cinq ans, avait noté un affaiblissement des capacités cognitives de sa patiente. Très léger à l’époque, ce phénomène s’était aggravé depuis 2010 de façon accélérée. Ce praticien évoquait une démence à un stade modéré à sévère, l’empêchant de gérer de façon appropriée ses intérêts et la rendait dépendante d’un encadrement permanent de jour et de nuit. En raison de ses oublis, elle pouvait représenter une menace pour la sécurité d’elle-même et d’autrui, notamment en laissant des casseroles sur la cuisinière allumée sans s’en souvenir.

-     un rapport d’examen neuropsychologique établi par Madame F______ le ______ 2012 concernant Mme C______, dont les conclusions ont notamment mis en évidence une atteinte sévère de ses fonctions mnésiques épisodiques touchant l’acquisition de données nouvelles dans toutes les modalités ; des troubles du raisonnement sévères ; une sévère désorientation spatio-temporelle et personnelle ; des troubles langagiers majeurs altérant la production et la compréhension, le langage écrit et le calcul ; des troubles practo-gnosiques majeurs également susceptibles d’altérer ses capacités à comprendre son environnement et à agir sur lui.

-     un rapport de l’état de santé de Mme C______ pour la période du ______2011 au ______ 2013 établi le ______ 2013 établi par le Dr G______ indiquait qu’elle souffrait d’une maladie d’Alzheimer considérée comme stable.

16.         La question de savoir si le ______ 2012, Mme C______ disposait de la capacité de discernement au moment de tester, ne peut pas être appréciée abstraitement, mais elle doit l'être en rapport avec ce testament. Par ailleurs, il existe une présomption selon l'expérience générale de la vie, selon laquelle les personnes atteintes de maladie mentale qui passent un acte juridique doivent généralement être considérées comme étant selon toute vraisemblance et vu leur condition, dépourvues de discernement.

La lecture de l’ordonnance du Tribunal tutélaire et des rapports médicaux démontre que les capacités cognitives de Mme C______ ont commencé à faiblir dès 2006, ce phénomène s’étant aggravé à compter de 2010, son médecin traitant a évoqué une démence à un stade modéré à sévère et le Dr G______ lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer. Mme F______ a notamment évoqué des troubles sévères du raisonnement. Le début des troubles mentaux ayant affecté Mme C______ remonte ainsi bien avant le ______ 2012, date à laquelle a été établi le testament faisant l’objet de l’action en annulation.

Au vu de la dégradation de la santé mentale de la précitée, il existait un sérieux doute quant à sa capacité de tester le ______ 2012. Si, dans le cadre de l’action en annulation, le testament incriminé avait été annulé pour cause d’incapacité de discernement de la testatrice, la dévolution aurait eu lieu uniquement en application du testament du ______ 2005 à savoir que l’usufruit de l’entier des biens de la défunte aurait été attribué à Mme B______ et leur nue-propriété, à M. A______. Si en revanche, l’action en annulation avait été rejetée, la dévolution aurait été effectuée en application des deux testaments. MM. D______ et E______auraient ainsi perçu une part dans la succession de leur tante. Il s’ensuit que l’accord du ______ 2021 au termes duquel les héritiers sont convenus du partage de la succession, a mis fin à un doute quant à la répartition des parts héréditaires.

Dans le premier cas de figure évoqué ci-dessus, l’AFC-GE n’aurait perçu aucun droit de succession, puisque Mme B______ et M. A______, seuls héritiers, sont exonérés en tant que descendants en ligne directe (art. 6A al. 1 let. b LDS). En revanche, dans le second cas, MM. D______ et E______ seraient également venus à la succession aux côtés des précités et, en tant qu’héritiers colloqués en quatrième catégorie (art. 20 LDS), auraient été redevables d’impôts sur les successions.

L’on ne voit pas que le litige ayant opposé les héritiers ait été simulé. Au contraire, au vu des doutes sérieux quant à la capacité de discernement de Mme C______, il ne pouvait être exclu que l’action en annulation aboutisse à une situation privant l’AFC-GE de tous droits de succession. Dès lors, il convient de retenir que la transaction du ______ 2021 n’a pas été conclue dans le but de prétériter l’autorité intimée. Elle doit dès lors être prise en compte pour imposer les intéressés.

Partant, le recours sera admis et la décision du 17 juin 2022, annulée. Le dossier sera renvoyé à l’AFC-GE pour nouvelle taxation.

17.         Compte tenu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de procéder à l’audition des héritiers.

18.         En application des art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03, les recourants, qui obtiennent gain de cause, sont dispensés du paiement d’un émolument. L’avance de frais de CHF 700.- leur est restituée.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 

 

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 18 juillet 2022 par Monsieur A______ et Madame B______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 17 juin 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation dans le sens des considérants ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution aux recourants de l’avance de frais de CHF 700.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Yuri KUDRYAVTSEV et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière