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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1695/2022

JTAPI/1100/2022 du 19.10.2022 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : LOGEMENT;ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ
Normes : LGZD.5.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1695/2022 LCI

JTAPI/1100/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 octobre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OCLPF

 


EN FAIT

1.             Le 27 février 2018, Monsieur A______ est devenu propriétaire d’un lot de propriété par étages (ci-après : PPE) d’un immeuble sis sur la parcelle n° 1______ de la commune de B______, située en zone de développement 4B.

2.             Par courrier du 19 novembre 2020, M. A______ a demandé à l’office cantonal du logement et de la planification foncière - Direction administrative et juridique (ci-après : OCLPF) du département du territoire (ci-après : DT ou département) une dérogation à son obligation d’habiter son appartement et donc de pouvoir le louer à partir du 1er janvier 2021. Il indiquait que, vu la situation actuelle liée au COVID, son employeur ne pouvait garantir son poste et lui proposait une mutation temporaire à l’étranger.

3.             Suite à la demande de l’OCLPF du 15 décembre 2020 de fournir des pièces complémentaires et justificatives, notamment quant à la durée de la mutation et la date de sa réintégration dans son logement, M. A______ a transmis, le 3 mars 2021 les pièces sollicitées dont une « Attestation de mutation professionnelle » de la société C______ signée par lui-même en sa qualité de gérant, indiquant que la mutation était prévue pour une année à partir du 15 mars 2021.

4.             Le 3 mars 2021, l’OCLPF a demandé des informations complémentaires à M. A______, précisant que l’attestation produite n’avait pas de valeur probante accrue du fait qu’elle avait été signée par ses soins en qualité de gérant avec signature individuelle. Un délai au 2 avril 2021 lui était dès lors octroyé pour fournir des pièces complémentaires.

5.             Par courriel du 9 mars 2021, M. A______ a indiqué à l’OCLPF que la situation liée au COVID était « changeante et extraordinaire » et que, en tout état, pour le moment il n’y avait plus de départ prévu pour l’étranger.

6.             S’estimant sans réponse de la part de M. A______, l’OCLPF a, par courrier du 2 juin 2021, considéré qu’il avait renoncé à son projet et que sa requête du 19 novembre 2020 n’avait plus d’objet.

7.             En date du 15 octobre 2021, M. A______ a adressé à l’OCLPF une nouvelle demande de dérogation pour raison d’urgence familiale, à partir du 1er décembre 2021.

En raison de l’état de santé de son père, Monsieur D______, né ______ 1944, il souhaitait déménager rapidement chez lui pour l’assister dans ses tâches quotidiennes et administratives. Sans son aide, le maintien à domicile de ce dernier n’était plus garanti, comme l’attestait le certificat médical du Docteur E______ du 13 octobre 2021 joint à la demande, faisant état d’un accident vasculaire cérébral avec aphasie sévère dont il récupérait progressivement.

8.             Par courrier du 28 octobre 2021, l’OCLPF - Direction des locataires a indiqué à M. A______ que, après vérifications, il ne logeait pas dans un logement contrôlé par leur office. Il s’agissait donc de droit privé et il était invité à contacter directement son bailleur.

9.             M. A______, par courriel du 10 novembre 2021, à transmis à l’OCLPF une copie de sa demande de dérogation et de la réponse de l’OCLPG-Direction des locataires, prenant note que son logement n’était plus sous contrôle de l’Etat.

10.         Le 17 novembre 2021, l’OCLPF a indiqué à M. A______ que sa demande de dérogation était toujours en cours d’examen et que le courrier du 28 octobre 2021 de l’OCPF-Direction des locataires était sans objet. Son logement était toujours sous contrôle étatique et ce pendant une durée de dix ans dès l’entrée moyenne des locataires.

11.         L’OCLPF a indiqué, le 12 janvier 2022 à M. A______ que le motif invoqué à l’appui de sa demande de dérogation relevait d’un choix personnel et d’autres solutions pour maintenir son père à domicile étaient possibles, de sorte qu’aucune dérogation selon l’art. 5 al. 1 let. b de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) ne trouvait application.

Si par impossible les circonstances devaient être qualifiées de justes motifs, seule une dérogation limitée dans le temps serait envisageable pour mener à bien les démarches tendant au maintien de son père à domicile, respectivement visant à l’aliénation de son appartement.

Un délai au 14 février 2022 lui était octroyé pour transmettre ses éventuelles observations ainsi que toutes pièces attestant de la date à laquelle son père avait eu son accident vasculaire cérébral et la période de son éventuelle hospitalisation, ainsi que tout élément concernant l’organisation qu’il allait mettre en place pour concilier l’aide à apporter à son père tout au long de la journée et ses contraintes professionnelles.

12.         M. A______ a transmis ses observations le 14 février 2022.

Son père, âgé de 77 ans, avait été victime d’un grave accident vasculaire cérébral le 20 juin 2016. Il avait souffert de graves problèmes physiques et avait dû réapprendre à parler, se tenir debout et accomplir tous les gestes de la vie quotidienne. L’aide dont il avait besoin ne pouvait lui être apportée par une tierce personne, en raison du soutien moral, juridique et familial qu’un fils pouvait apporter à son père. En tant qu’associé-gérant de la société C______ et administrateur de F______ SA, il pouvait librement organiser ses journées et demeurer au domicile de son père dans une large mesure. Il a joint la lettre de sortie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) du 5 octobre 2016 et un certificat médical du 10 février 2022 du Docteur G______.

13.         Le 10 mars 2022, l’OCLPF a sollicité un complément d’information concernant l’organisation mise en place depuis 2016, l’organisation future si la dérogation était accordée et la possibilité éventuelle d’accueillir son père dans son logement.

14.         Par pli du 28 mars 2022, M. A______ a expliqué avoir, en 2016, déménagé chez son père pour organiser la nouvelle vie de ce dernier, jusqu’à l’acquisition de son appartement en 2018. Il a continué d’assister son père depuis son domicile à B______, avec l’aide d’autres membres de sa famille.

Il était aujourd’hui le seul membre de la famille en mesure d’accompagner son père. La situation était inconfortable puisqu’il devait traverser deux fois par jour tout le canton pour se rendre chez son père, dont l’état de santé s’était stabilisé mais, en prenant de l’âge, devenait tous les jours plus dépendant.

Son propre appartement n’était pas du tout adapté pour l’accueil d’une personne en situation de handicap et un déménagement serait très déstabilisant pour son père. S’il ne déménageait pas rapidement, son père serait très prochainement contraint à quitter son domicile pour un institut spécialisé.

15.         Par décision du 13 avril 2022, l’OCLPF a refusé d’accorder la dérogation sollicitée, motif pris que les circonstances ne relevaient pas d’un cas de justes motifs au sens de l’art. 5 al. 1 LGZD.

Premièrement, la dérogation visait le maintien à domicile du père de M. A______, lequel n’habitait pas un logement contrôlé par l’office.

Deuxièmement, la volonté de M. A______ d’aller vivre chez son père procédait d’un choix personnel certes compréhensible mais nullement imposé par les circonstances.

Troisièmement, l’allégation relative à son sacrifice journalier, intense et ininterrompu pour son père s’avérait pour le moins sujet à caution. Il avait en effet déposé une première demande de dérogation le 19 novembre 2020 au motif d’une mutation temporaire à l’étranger pour une période d’une année à compter du 15 mars 2021, lors de laquelle il n’avait fait aucune allusion à l’état de santé de son père. Il avait abandonné son projet mais réservé dans son courrier du 9 mars 2021 la possibilité de déposer une nouvelle demande en fonction de l’évolution de la situation.

Quatrièmement, la situation de son père n’était plus aussi préoccupante que lors de son accident vasculaire cérébral, le certificat médical du 13 octobre 2021 évoquant une récupération progressive.

16.         Par acte du 23 mai 2022, M. A______ (ci-après : le recourant) a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant préalablement à son audition et à celle de son père, principalement à son annulation et à l’octroi de la dérogation sollicitée pour une durée de deux ans, subsidiairement au renvoi du dossier pour nouvelle décision, sous suite de frais et dépens. Il a joint quelques pièces.

Son choix d’habiter temporairement chez son père découlait non seulement d’un avis médical mais aussi de la nécessité, tant morale que juridique, de venir en aide à un père en difficulté, lequel refusait toute aide extérieure. L’état de santé de ce dernier s’était stabilisé mais ses réflexes avaient diminué, le rendant chaque jour plus dépendant. Seul son plus jeune frère – qui devait toutefois se consacrer à ses études – pouvait l’aider, les autres membres de la fratrie étant occupés par leur vie de famille ou ayant quitté la Suisse.

Lorsqu’il avait emménagé à B______, la fratrie était disponible pour apporter de l’aide psychologique et matériel à son père, ce qui n’était plus le cas aujourd’hui. Des infirmières externes pourraient lui apporter une aide « logistique » mais pas le soutien moral et familial qu’il pouvait lui apporter.

Sa première demande de dérogation découlait de la situation économique liée au COVID et le télétravail avait permis à la fratrie de s’organiser pour apporter une aide soutenue à son père. Son entreprise avait rencontré des difficultés économiques mais il avait très vite abandonné son projet de mutation à l’étranger. Depuis, les mesures du Conseil fédéral avaient été levées et la situation économique tendait à revenir à la normale.

Il avait par ailleurs l’intention de réintégrer son logement le plus vite possible, en fonction de l’évolution de l’état de santé de son père, raison pour laquelle il avait proposé une première période de deux ans reconductible.

17.         L’OCLPF a répondu au recours le 10 août 2022, concluant à son rejet, sous suite de frais. Il a produit son dossier.

L’audition du recourant et de son père n’était pas nécessaire, le dossier en mains du tribunal étant complet.

Le recourant ne démontrait pas en quoi la décision querellée serait non conforme au droit, opposant uniquement son appréciation à celle de l’office.

Les circonstances invoquées par le recourant existaient bien avant l’acquisition de son logement et ne sauraient être qualifiées d’imprévisibles. L’état de santé de son père ne l’avait pas empêché d’envisager de partir à l’étranger pour une année à compté du 15 mars 2021, état dont il n’avait même pas fait mention dans sa première demande de dérogation. Son souhait d’aller vivre chez son père était un choix personnel qui ne constituait ainsi pas une circonstance imprévisible.

L’aide dont le père du recourant avait besoin selon le certificat médical du 10 février 2022 concernait le suivi des traitements journaliers et l’assistance pour ses déplacements, aide qui pouvait aisément lui être apportée par des tiers spécialisés, étant souligné que dans son courrier du 14 février 2022, le recourant admettait implicitement que son aide principale consisterait à apporter à son père un soutien moral et familial : un tel soutien ne nécessitait toutefois pas la présence constante du recourant, lequel pouvait également compter sur le reste de la fratrie.

Le recourant pouvait rendre visite à son père aisément, en utilisant le Léman Express, étant rappelé qu’il a indiqué pouvoir organiser librement ses journées de travail et demeurer auprès de son père dans une large mesure, ce qui lui permettra de lui apporter le soutien moral et familial nécessaire.

Enfin, le recourant avait demandé une dérogation pour une durée indéterminée ou, subsidiairement, pour une durée de deux ans prolongeable sans démontrer toutefois une réelle perspective de réintégration de son logement : accorder une dérogation dans le cas précis serait contraire aux buts de la loi et à la volonté du législateur qui a voulu que les logements en zone de développement soient habités personnellement par leurs propriétaires.

18.         Le recourant a répliqué le 30 août 2022, persistant intégralement dans ses conclusions. Il a produit une pièce complémentaire.

19.         L’OCLPF a dupliqué le 21 septembre 2022, persistant également dans ses conclusions.

20.         Le contenu des pièces et le détail des arguments seront repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

4.             L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/902/2015 du 1er septembre 2015 consid. 3b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/1145/2015 du 27 octobre 2015 consid. 4b et les arrêts cités).

5.             Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_831/ 2019 du 8 juin 2020 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/1024/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1 ; ATA/322/2019 du 26 mars 2019 consid. 3).

6.             Le recourant sollicite sa comparution personnelle et l’audition de son père.

7.             Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit, pour l’intéressé, de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités).

Toutefois, le droit d’être entendu ne peut être exercé que sur les éléments qui sont déterminants pour décider de l’issue du litige. Il est ainsi possible de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes, lorsque le fait dont les parties veulent rapporter l’authenticité n’est pas important pour la solution du cas, lorsque les preuves résultent déjà de constatations versées au dossier ou lorsque le juge parvient à la conclusion qu’elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion. Ce refus d’instruire ne viole le droit d’être entendu des parties que si l’appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a ainsi procédé, est entachée d’arbitraire (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_ 576/2021 du 1er avril 2021 consid. 3.1 ; 2C_946/2020 du 18 février 2021 consid. 3.1). Par ailleurs, ce droit ne confère pas le droit d’être entendu oralement ou d’obtenir l’audition de témoins (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_381/2021 du 17 décembre 2021 consid. 3.2 ; cf. aussi art. 41 in fine LPA).

8.             En l'espèce, le recourant a eu l’occasion de s’exprimer par écrit à plusieurs reprises durant la présente procédure, d’exposer son point de vue et de produire toutes les pièces qu’il estimait utiles à l’appui de ses allégués, en particulier au sujet de la situation médicale de son père. L’autorité intimée a également répondu à son recours, se prononçant sur les griefs qu’elle estimait pertinents pour l’issue du litige et il s’est vu octroyer la possibilité de répliquer, ce qu'il a fait. Le dossier comporte en outre tous les éléments pertinents et nécessaires à l’examen des griefs et arguments mis en avant par les parties, permettant ainsi au tribunal de se forger une opinion et de trancher le litige, de sorte qu’il n’y a pas lieu de procéder à la comparution personnelle du recourant, cet acte d'instruction n'étant au demeurant pas obligatoire, ni d’entendre son père comme témoin.

9.             Le recourant estime que les conditions pour l’octroi d’une dérogation fondée sur l’art. 5 al. 1 LGZD sont fondées et que ladite dérogation aurait dès lors dû lui être accordée. Il fonde sa demande sur la nécessité d’aller habiter chez son père, à H______, afin de lui apporter le soutien moral et familial que peut apporter un fils à son père, ce dernier étant atteint dans sa santé suite à un accident vasculaire cérébral survenu en 2016.

10.         La zone de développement a pour l'essentiel comme objectif de favoriser la construction de logements répondant à un besoin d'intérêt public (ATA/1325/2017 du 26 septembre 2017 ; Alain MAUNOIR, Les zones de développement dans le canton de Genève, in RDAF 1998 I p. 266 et 267). La LGZD fixe les conditions applicables à l'aménagement et à l'occupation rationnelle des zones de développement affectées à l'habitat, aux commerces et aux autres activités du secteur tertiaire (art. 1 LGZD). La délivrance d'une autorisation de construire selon les normes d'une zone de développement est subordonnée à l'adoption préalable par le Conseil d'État d'un PLQ au sens de l'art. 3 LGZD et des conditions particulières applicables au projet imposées notamment à l'art. 5 LGZD (affectation à des besoins d'intérêt général ; art. 2 al. 1 let. a et b LGZD).

11.         Dès l'origine - en ayant d'abord eu d'autres intitulés -, la LGZD a été conçue comme un instrument de lutte contre la pénurie de logements et la spéculation immobilière. Il a été considéré que le déclassement de parcelles résultant de l'application des normes d'une zone de développement, au lieu de celles de la zone primaire, produisait une plus-value devant aussi profiter à la collectivité publique, autrement dit en échange de laquelle le promoteur-constructeur et, partant, le propriétaire des parcelles devaient concéder des sacrifices, notamment « sous la forme de création de logements à des conditions raisonnables » (MCG 1957 II 1386, 1390). Les limitations de loyers, restreignant le rendement des opérations immobilières, devaient se répercuter sur les prix des terrains constructibles que les promoteurs-constructeurs étaient disposés à payer et, partant, auxquels les propriétaires pouvaient les vendre (MGC 1962 IV 2508 s.).

12.         Les amendements successifs apportés à cette loi ont consisté à veiller à ce que la création de la zone de développement de l'agglomération urbaine, en libérant des terrains en vue de la construction de logements, ne se traduise pas par une spéculation allant à fins contraires de la politique menée par l'État. Dans cette optique, un contrôle des prix des terrains en zone de développement a été introduit. De même, l'État a obtenu un droit de préemption légal sur les terrains dans cette zone. Dans ce but, l'État contrôle le prix des terrains, le coût de construction des immeubles, le type de logements à construire, le prix de vente éventuel ou encore le montant du loyer futur des logements construits, le type et les loyers devant répondre aux besoins prépondérants de la population (François BELLANGER, Déclassement et autres mesures de planification dans le canton de Genève, in Planification territoriale Droit fédéral et spécificités cantonales, 2013 p. 93 ; Alain MAUNOIR, Les zones de développement dans le canton de Genève, in RDAF 1998 I, p. 276).

13.         Des dysfonctionnements de plusieurs ordres ont été constatés dans le cadre d'opérations en PPE en zone de développement : certains appartements étaient loués au maximum du loyer fixé par l'Etat, puis vendus au prix du marché à l'issue de la période de contrôle. Des lots entiers étaient ainsi acquis par les mêmes personnes, ce qui privait la classe moyenne de l'accès à la propriété d'un logement (arrêt du Tribunal fédéral 1C_529/2015 du 5 avril 2016 consid. 4.3; ACST/16/2015 et ACST/17/2015 précités, consid. 4d).

14.         Pour mettre fin à ces pratiques, l'IN 156 a été lancé le 19 mai 2014 prévoyant un dispositif, dont la clé de voûte consistait en une obligation d'occupation personnelle imposée aux propriétaires de logements en PPE situés en zone de développement (cf. art. 5 al. 1 let. b in fine LGZD ; ACST/16/2015 et ACST/17/2015 précités, consid. 4d). Amputée de ses dispositions transitoires invalidées par la chambre constitutionnelle de la Cour de Justice (ACST/16/2015 et ACST/17/2015 confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt 1C_529/2015), les nouvelles dispositions légales sont entrées en vigueur le 19 novembre 2016.

15.         Ainsi, selon l'art. 5 al. 1 let. b LGZD, issu de cette initiative, la délivrance de l'autorisation de construire est subordonnée à la condition que les bâtiments d'habitation destinés à la vente, quel que soit le mode d'aliénation (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions ou de parts sociales) répondent, par le nombre, le type et le prix des logements prévus, à un besoin prépondérant d'intérêt général les logements destinés à la vente doivent être occupés par leur propriétaire, sauf justes motifs agréés par le département. Sont notamment considérés comme des justes motifs :

1)      des circonstances imprévisibles au moment de l'acquisition du logement, soit, notamment, le divorce des acquéreurs, le décès, la mutation temporaire dans un autre lieu de travail ou un état de santé ne permettant plus le maintien dans le logement ;

2)      le fait que le propriétaire du bien-fonds ait reçu le ou les appartements concernés en paiement du prix du terrain pour permettre la construction de logements prévus sur son bien-fonds ou une circonstance d'échange analogue ;

3)      une situation sur le marché du logement ne permettant pas de trouver un acquéreur au prix contrôlé et admis par l'Etat.

16.         La chambre constitutionnelle, dans son arrêt du 2 novembre 2015 (ACST/17/2015, cons. 20e) a relevé que la disposition considérée (art. 5 al. 1 let. b ch. 1 LGZD) restreint doublement l’admission comme justes motifs des situations qu’elle cite, en posant l’exigence que les situations visées aient été imprévisibles, et ce au moment de l’acquisition du logement. Prise au pied de la lettre, en plus de produire les conséquences le cas échéant de la violation de l’obligation d’habiter, cette double condition commanderait de refuser de déroger à cette obligation par exemple à l’employé d’une société multinationale sachant qu’il sera très certainement muté provisoirement à l’étranger durant les années à venir, parce que c’est la politique de son entreprise, ou à la personne âgée dont l’état de santé se dégraderait à tel point qu’elle ne pourrait plus demeurer dans son logement, parce que ceci n’est imprévisible à aucun moment de la vie. Les exemples précités fournissent cependant eux-mêmes la justification que seule une interprétation très restrictive devrait être faite de cette exigence d’imprévisibilité au moment de l’acquisition du logement, en tant qu’ils sont mentionnés comme des circonstances imprévisibles constituant de justes motifs de déroger à l’obligation d’habiter. Il s’imposerait de retenir qu’un refus d’une dérogation dans de telles situations ne serait fondé que si elles étaient concrètement en voie de se réaliser lors de l’acquisition du logement, au point que cette acquisition viserait manifestement d’autres fins que l’habitation personnelle des acquéreurs. Un tel refus ne serait pas excessif au regard de la finalité admissible de l’obligation d’habiter. C’est au demeurant à l’administration qu’il incomberait de prouver le caractère prévisible de ces situations au moment de l’acquisition, en vertu de la maxime inquisitoire prévalant en matière administrative (art. 19 ss LPA), sans préjudice du devoir de coopération des intéressés en tant que parties (art. 22 ss LPA).

17.         Cet arrêt a été confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt 1C_529/2015 du 5 avril 2016, lequel a précisé que la liste de justes motifs est clairement exemplative, comme cela ressort de l'emploi de l'adverbe « notamment » à l'art. 5 al. 1 let. b LGZD. La chambre constitutionnelle avait estimé à juste titre qu'une dérogation n'était envisageable que dans la mesure où les circonstances nouvelles n'étaient pas déjà prévisibles au moment de l'acquisition, comme cela ressort du ch. 1° de la disposition qui mentionne les cas de décès, de divorce et de mutation temporaire. Lorsque le changement de situation est envisagé au moment de l'acquisition, il est évident que celle-ci n'est pas effectuée dans la perspective d'un logement à long terme, ce qui apparaît contraire aux buts de la réglementation (consid. 4.6).

18.         En l’espèce, il ressort des différentes pièces médicales produites que le père du recourant a été victime d’une hémorragie cérébrale le 20 juin 2016, laquelle a nécessité une hospitalisation du 17 août au 26 septembre 2016 au service de neuro-rééducation des HUG pour une rééducation multidisciplinaire (lettre de sortie des HUG du 5 octobre 2016). Il a notamment souffert d’une aphasie sévère dont il récupérait progressivement, présentant des difficultés à accomplir de nombreux actes de la vie quotidienne : l’aide de son fils serait bénéfique pour assurer son maintien à domicile (certificat médical du Dr E______ du 13 octobre 2021). Son hémorragie l’empêchait de parler et de répondre au téléphone, il avait des difficultés à s’habiller, suivait un traitement antiépileptique et souffrait d’un glaucome ; ses limitations dans sa vie quotidienne justifiaient la présence de son fils pour l’aider à suivre correctement ses traitements journaliers et à l’aider dans sa vie de tous les jours pour ses divers déplacements (certificat du Docteur G______ du 10 février 2022). Il en découle que la santé du père du recourant s’est trouvé fortement péjorée suite à l’hémorragie cérébrale dont il a été victime en 2016 mais que son état de santé ne s’est cependant pas dégradé ces dernières années, s’étant même amélioré selon le certificat du Dr E______ : il se trouve aujourd’hui limité dans sa vie quotidienne et dans ses déplacements. Il vit seul dans son appartement de H______.

Selon les dires du recourant, lui-même et ses frères et sœurs ont jusque-là apporté l’aide psychologique et matérielle nécessaires leur père, notamment durant la période de COVID, lors de laquelle le télétravail était recommandé, voire imposé. Aujourd’hui, il resterait le seul, avec son frère cadet - qui, toutefois devait se consacrer à ses études - à pouvoir continuer à apporter cette aide. Ces allégations ne sont toutefois étayées par aucun élément du dossier, alors même que l’OCLPF avait demandé lors de l’instruction de la demande de dérogation, que le recourant se détermine, pièces à l’appui, sur l’organisation mise en place depuis 2016 et celle prévue si la dérogation était accordée, ce qu’il n’a jamais fait.

Le recourant a sollicité une première dérogation à l’obligation d’habiter son logement le 19 novembre 2020, motivant cette demande par le fait son employeur n’était plus en mesure de lui garantir son poste en Suisse mais lui proposait une mutation temporaire à l’étranger, du fait de la situation sanitaire. Aucune référence à l’état de santé de son père et/ou à des obligations de présence, d’aide de quelque nature que ce soit ou de soins n’était faite. Le recourant a renoncé unilatéralement à cette demande le 9 mars 2021, au motif que la situation liée au COVID était changeante et extraordinaire et qu’il n’y avait pour le moment plus de départ prévu à l’étranger, se laissant toutefois la possibilité de déposer une nouvelle demande en fonction de l’évolution de la situation. La situation médicale de son père ne nécessitait donc à cette période, et même jusqu’en mars 2022, date de son potentiel retour de l’étranger aucune intervention de sa part.

Il est devenu propriétaire de son logement PPE le 27 février 2018, soit à un moment où il connaissait parfaitement la situation médicale de son père, laquelle, comme déjà précisé, ne s’est pas péjorée au fil des ans, mais plutôt améliorée selon les attestations médicales et qui ne nécessitait aucune intervention de sa part. Par ailleurs, il indique que durant la période COVID, du fait que le télétravail était imposé par les autorités, sa fratrie avait pu s’organiser pour apporter de l’aide à son père. Or, force est de constater que non seulement cet argument ne figure pas dans la demande initiale de dérogation, mais, en plus n’est étayée par aucune pièce du dossier.

Au vu de ce qui précède, l’état de santé du père du recourant, connu au moment de l’acquisition du lot PPE, ne peut être retenu comme une circonstance imprévisible au sens de l’art. 5 al. 1 LGDZ permettant l’octroi d’une dérogation à l’obligation d’habiter son logement : son choix d’aller vivre chez son père, six années après son hémorragie cérébrale, alors que son état de santé ne s’est pas dégradé au cours des dernières années, que jusqu’à ce jour l’organisation familiale permettait une prise en charge adéquate, que d’autres mesures peuvent être envisagées pour organiser l’aide nécessaire et que le recourant avait eu l’intention de partir à l’étranger en tout cas de mars 2021 à mars 2022, malgré l’état de santé de son père, relève de la pure convenance personnelle.

C’est donc à juste titre que la dérogation a été refusée.

Il sera souligné que cela n’empêche aucunement le recourant de se rendre au chevet de son père aussi souvent que nécessaire vu la liberté dont il jouit dans l’organisation de son travail, ni d’aller parfois dormir chez lui ou même s’y installer temporairement, la dérogation ne concernant que la possibilité de louer son appartement durant une période déterminée.

19.         Dès lors, le recours, en tous points mal fondé, sera rejeté.

20.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 23 mai 2022 par Monsieur A______ contre la décision du département du territoire du 13 avril 2022 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Patrick BLASER et Saskia RICHARDET VOLPI, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière