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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2060/2022

JTAPI/711/2022 du 05.07.2022 ( MC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS)
Normes : LEI.76; LEI.79
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2060/2022 MC

JTAPI/711/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 5 juillet 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Magali BUSER, avocate

 

contre

 

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1980, est originaire de Tunisie. Il est connu des autorités suisses sous plusieurs autres identités, la dernière étant celle d' B______, né le ______ 1987, algérien.

2.             M. A______ a été renvoyé de Suisse à destination de la Tunisie les 14 mai 2008 et 11 octobre 2012.

3.             Depuis 2004, il a aussi fait l'objet de trois interdictions d'entrée en Suisse, la dernière interdiction ayant été valable jusqu’au 21 décembre 2017.

4.             Entre 2011 et 2017, M. A______ a été condamné à de nombreuses reprises par les instances pénales lucernoises, bernoises et neuchâteloises, principalement pour des vols au sens de l'art. 139 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), violation de domicile au sens de l'art. 186 CP et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121).

5.             Le 5 mars 2019, le commissaire de police a notifié à M. A______ une interdiction de pénétrer sur l'ensemble du territoire genevois pour une durée de douze mois, à laquelle il ne s’est pas opposé.

6.             Le 29 avril 2019, M. A______ a été interpellé par la police genevoise.

7.             Le 27 juin 2019, le Tribunal de police (ci-après : TP) a déclaré M. A______, sous le nom d’ B______, coupable de vol (art. 139 ch. 1 CP), de dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP), d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20), de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI), d'exercice d'une activité lucrative sans autorisation (art. 115 al. 1 let. c LEI) et de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une autre interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI) et l'a condamné à une peine privative de liberté de huit mois sous déduction de soixante-trois jours de détention avant jugement. Simultanément, l’expulsion de l’intéressé de Suisse pour une durée de trois ans a été prononcée (art. 66abis CP).

8.             Par arrêt du 16 septembre 2019, la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci-après : CPAR) a pris acte du retrait de l’appel de M. A______ contre le jugement précité.

9.             Le 22 février 2020, M. A______ a été libéré de la prison de
Champ-Dollon.

10.         Le même jour, le commissaire de police l'a assigné au territoire de la commune de Carouge pour une durée de douze mois conformément à l'art. 74 LEI, dans l'attente de l'arrêt de la chambre pénale de recours de la Cour de justice (ci-après : CPR) relatif au recours interjeté contre la décision de non-report de son expulsion judiciaire.

11.         Le 10 mars 2021, la CPR a rejeté le recours de M. A______, considérant en droit ce qui suit : « Le recourant s'opposait à son expulsion pour des motifs liés à sa maladie et à ses liens avec sa fille. Or, dans son jugement, le Tribunal de police a statué, s'agissant de ces derniers, qu'ils étaient ponctuels et que de tels contacts – qui n'étaient pas assimilables à une vie de famille ne pouvant être maintenue ailleurs qu'en Suisse – pourraient continuer si l'intéressé devait retourner dans son pays d'origine. Sous l'angle médical, il a également relevé que le suivi médical obtenu à Genève ne paraissait pas indispensable à sa survie et que rien n'indiquait qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un traitement approprié dans un autre pays ». Le recourant ne pouvait, au détour de sa contestation de l'exécution de son expulsion, faire réexaminer ces questions, définitivement tranchées. Le système de santé tunisien permettait de s'y faire traiter médicalement (arrêt du Tribunal fédéral 2C_411/2015 du 24 juin 2015 consid. 5.2). L'avis contraire de son médecin n'y changeait donc rien, de sorte que son audition était inutile. Enfin, il n’était pas démontré que l’intéressé n’avait pas les ressources financières pour recevoir les soins nécessaires en Tunisie.

Sa nationalité tunisienne était établie. La Tunisie l'avait reconnu comme étant l'un de ses ressortissants et était disposée à lui délivrer un laissez-passer, de sorte qu'il n'y avait aucun obstacle matériel à son renvoi dans ce pays. Enfin, son renvoi ou son expulsion n'étant pas impossible, il ne pouvait continuer à séjourner en Suisse. La mesure n'avait pas à être différée.

12.         Les services de police ont demandé à SwissREPAT, en date du 12 mai 2021, de prévoir un vol avec escorte policière à destination de la Tunisie afin de permettre le refoulement de M. A______. Une place sur un vol à destination de la Tunisie a été réservée et confirmée pour le 9 juin 2021 au départ de Genève.

13.         Le 19 mai 2021, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de six semaines. Au commissaire de police, l'intéressé a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi en Tunisie.

14.         Par jugement du 21 mai 2021, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) a confirmé l'ordre de mise en détention du 19 mai 2021 pour une durée de six semaines.

L’intéressé avait été reconnu par les autorités tunisiennes sous le nom de A______, lesquelles avaient délivré, à deux reprises, un laissez-passer en sa faveur pour son renvoi en Tunisie en 2008 et 2012, sans qu’il s’y soit opposé. Lors de son audition par la police le 4 mars 2019, il avait reconnu que son véritable nom était A______ et l’utilisation d’alias.

M. A______ faisait l'objet d'une mesure d'expulsion pénale et avait été condamné pour vols par le TP le 27 juin 2019 et le Ministère public de Berne le 5 janvier 2021, soit des infractions qualifiées de crimes. Sa détention administrative se justifiait donc sous l'angle de l’art. 75 al. 1 let. h LEI par le renvoi de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, ce motif permettant à lui seul le prononcé d'une telle mesure. Le principe de la légalité était donc respecté.

La CPR avait retenu que le renvoi était possible, après avoir analysé les situations médicale et personnelle de l’intéressé, notamment ses relations avec sa fille. Aucun nouvel élément n’avait été apporté dans la procédure en cours.

15.         Par arrêt du 11 juin 2021, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: chambre administrative) a confirmé le jugement du tribunal (ATA/620/2021).

16.         La prolongation de la détention de M. A______ a été régulièrement demandée par l’autorité compétente et prolongée par jugements du tribunal des 4 août, 6 octobre, 7 décembre 2021 et 2 mars 2022.

17.         Par arrêts de la chambre administrative des 27 août et 23 décembre 2021, les recours interjetés par M. A______ ont été rejetés.

18.         Dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’arrêt du 27 août 2021, le commissaire avait précisé que M. A______ s’était adressé à l’ambassade en indiquant être désespéré de devoir se séparer définitivement de sa fille qu’il aimait profondément et en implorant l’ambassade de bien vouloir l’aider à faire suspendre ou annuler son expulsion. Les efforts qu’il avait déployés avaient amené les autorités de son pays à ne pas respecter leurs obligations conventionnelles envers la Suisse et à retarder la délivrance du laissez-passer. Des clarifications étaient en cours. Si M. A______ se montrait coopératif, rien ne s’opposerait à l’établissement de documents de voyage. Il ne s’agissait dès lors pas d’une impossibilité mais seulement d’un retard dans le processus, exclusivement imputable au recourant et contrevenant aux obligations de la République de Tunisie envers la Confédération helvétique. Cette situation constituait une première dans le cadre du partenariat migratoire liant les deux pays.

19.         Par requête motivée du 25 avril 2022, l’OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 6 juillet 2022.

20.         Lors de l'audience du 3 mai 2022 devant le tribunal, M. A______ a refusé de se présenter. Il a été représenté par son conseil.

Le représentant de l'OCPM a indiqué que le vol DEPA avait été annulé du fait que le laissez-passer n’avait pas pu être délivré. Les discussions étaient toujours en cours entre l’Ambassade et le Consulat de Tunisie à Berne et le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM). Depuis une année, les autorités tunisiennes souhaitaient faire des vérifications s’agissant des ressortissants tunisiens qui ne souhaitaient pas rentrer volontairement et qui avaient des relations en Suisse. Pour les volontaires, un laissez-passer devrait pouvoir être délivré facilement. Les discussions entre la Tunisie et la Suisse ne concernaient pas uniquement M. A______. Il existait un autre cas de Tunisien à Genève, identique, ainsi que d’autres cas dans d’autres cantons. S’agissant du Tunisien à Genève, le cas en était au même stade et il ignorait ce qu’il en était dans les autres cantons.

Selon un courriel du 6 avril 2022 du SEM, une réunion s’était déroulée à Berne le 28 mars 2022. Les délégations des deux pays, composées de représentants des différents ministères, avaient discuté de la problématique générale de l’émission des laissez-passer pour les ressortissants tunisiens, sous le coup d’une décision de renvoi de Suisse, qui n’étaient pas disposés à rentrer volontairement. Sur le principe, les autorités tunisiennes demeuraient disposées à émettre des laissez-passer pour toute personne préalablement identifiée. S’agissant de cas plus complexes, notamment de personnes disposant de liens de parenté en Suisse, les autorités tunisiennes requéraient un examen plus approfondi du dossier. Dans le cadre du suivi de cette rencontre, la division retour du SEM planifiait une discussion technique au cours des semaines à venir avec le responsable de la Section consulaire de l’Ambassade de Tunisie afin de discuter des modalités de l’établissement d’un laissez-passer pour le retour de l’intéressé.

21.         Par jugement du 4 mai 2022 (JTAPI/452/2022), le tribunal a prolongé la détention administrative de M. A______ jusqu’au 6 mai 2022.

Les autorités suisses ne pouvaient se voir reprocher une violation de leur devoir de diligence, dans la mesure où elles avaient jusqu'ici fait ce qui était en leur pouvoir pour obtenir la délivrance d'un laissez-passer des autorités tunisiennes. Ainsi, le 24 janvier 2022, le SEM avait saisi la Ministre plénipotentiaire chargée des affaires consulaires de l'ambassade de Tunisie à Berne dans le but de faire avancer le dossier de M. A______. Le 18 février 2022, une demande de réservation de vol DEPA en faveur de M. A______ avait été déposée par l'OCPM mais le vol avait dû être annulé à défaut d'obtention de laissez-passer. Le 28 mars 2022, les autorités suisses et tunisiennes s’étaient entretenues pour discuter de la problématique générale de l'émission des laissez-passer pour les ressortissants tunisiens, sous le coup d'une décision de renvoi de Suisse qui n'étaient pas disposés à rentrer volontairement et qui disposaient de liens de parenté en Suisse, tel que M. A______. Enfin, l'OCPM avait indiqué en audience le 3 mai 2022 que les discussions étaient toujours en cours entre l’Ambassade et le Consulat de Tunisie à Berne et le SEM.

Il ressortait de ces discussions que sur le principe, les autorités tunisiennes demeuraient disposées à émettre des laissez-passer. Si, certes, les autorités suisses étaient dans l’attente d’un laissez-passer pour plusieurs ressortissants tunisiens, il n’en demeurait pas moins que les autorités tunisiennes n’avaient, jusqu’alors, jamais refusé la délivrance de ces laissez-passer et en particulier celui en faveur de M. A______. Rien ne permettait enfin à ce stade de considérer que les autorités tunisiennes ne respecteraient pas la convention entre leur pays et la Confédération suisse portant sur le rapatriement de ressortissants tunisiens.

Le renvoi de M. A______ n’était pas impossible (art. 80 al. 6 let. a LEI), les autorités tunisiennes ne s'étant pas formellement opposées à la délivrance d’un laissez-passer et donc au renvoi de M. A______. Si les autorités tunisiennes devaient finalement formellement s’opposer à la délivrance d’un laissez-passer, seul l’accord de ce dernier permettrait son renvoi, situation qui devrait faire l’objet d’une nouvelle analyse. Par ailleurs, s'il contactait l'ambassade pour l'informer être volontaire au départ, il obtiendrait certainement un laissez-passer plus rapidement. Au vu de ces éléments, des démarches en cours auprès des autorités tunisiennes et de l’existence d’une convention entre la Tunisie et la Confédération suisse, il convenait de retenir que le renvoi de M. A______ restait, en l’état, possible et réalisable dans un délai prévisible.

La durée de la détention, qui atteindrait un peu plus de treize mois en cas de prolongation telle que sollicitée par l'OCPM, n’était pas disproportionnée, compte tenu du comportement répréhensible de M. A______ durant ses nombreuses années de séjour en Suisse et de l'intérêt public consistant à procéder à son renvoi.

22.         Par acte du 16 mai 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre ce jugement. Il a conclu à l’annulation de celui-ci et à sa libération immédiate.

Les faits devaient être complétés. L’expulsion prononcée à son encontre était facultative, ce qui prouvait que les infractions commises avaient été considérées comme insuffisantes pour justifier une expulsion obligatoire. Les vols avaient été annulés non en raison de son opposition mais à la suite du refus des autorités tunisiennes de délivrer un laissez-passer, et ce depuis plus de douze mois. Son absence à l’audience devant le tribunal avait été excusée.

L’art. 80 al. 4 et 6 LEI avait été violé. La détention devait être levée, l’exécution du renvoi s’avérant impossible. Il n’entendait pas revenir sur des éléments déjà plaidés devant la chambre de céans et écartés, à savoir son état de santé et l’absence de traitement en Tunisie ainsi que sa relation avec sa fille. Son renvoi était toutefois devenu impossible au vu de l’attitude des autorités tunisiennes, lesquelles ne délivreraient pas de laissez-passer. Depuis plus de douze mois les autorités suisses étaient en négociation. De surcroît le problème survenu n’était pas isolé. Une pratique des autorités tunisiennes de ne pas délivrer de laissez-passer semblait s’être développée. La situation était aujourd’hui bloquée, indépendamment de toute faute de sa part. Il n’avait jamais refusé de prendre un vol mais ceux-ci avaient été annulés, en l’absence de laissez-passer. Ce n’était pas son comportement qui était problématique mais l’absence de documents de voyage. Sa détention n’était pas fondée sur l’art. 78 LEI mais sur l’art. 76 LEI.

23.         L’OCPM a conclu au rejet du recours. La position officielle de la Tunisie consistait à procéder à des vérifications supplémentaires lorsque ses ressortissants semblaient avoir des attaches familiales en Suisse. Elles étaient toujours en cours. S’il était vrai qu’il existait objectivement des retards dans le processus de délivrance de laissez-passer, ils n’étaient pas imputables aux autorités suisses qui avaient relancé l’ambassade de Tunisie à de multiples occasions.

Le recourant ne s’était pas présenté aux deux dernières audiences devant le tribunal et avait réaffirmé, en décembre 2021, qu’il ne retournerait pas en Tunisie et était prêt à subir la détention administrative qui s’imposait. Son comportement réticent n’était donc pas de nature à fonder une impossibilité d’exécuter le refoulement au sens de l’art. 80 al. 6 LEI.

24.         Dans sa réplique, le recourant a relevé l’absence de pièces attestant d’une avancée dans la délivrance du laissez-passer. La dernière était datée du 6 avril 2022, soit il y avait plus de six semaines. Aucun document ne prouvait les démarches entreprises par les autorités suisses pendant ce délai. Celles-ci n’étaient pas diligentes. Le fait que le laissez-passer n’ait pas été délivré n’était pas du fait du recourant, qui n’était pas en mesure d’établir un tel document. Le renvoi n’était, à tout le moins, pas prévisible au sens de la jurisprudence.

25.         Le 24 mai 2022, la chambre administrative a rejeté le recours interjeté le 16 mai 2022 par M. A______ contre le jugement du tribunal du 4 mai 2022.

Les conditions d'une détention administrative étaient remplies, notamment vu la condamnation du recourant pour vol, soit un crime au sens de l'art. 10 al. 2 CP. Il ne contestait d’ailleurs pas que les conditions des art. 75 al. 1 let. h et 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI étaient remplies.

La détention était nécessaire pour assurer le renvoi, en temps voulu de l’intéressé. Elle était apte à atteindre ce but et était proportionnée au sens étroit, l’intérêt du recourant à être libéré devant céder le pas à l’intérêt public à son renvoi au vu de ses nombreuses condamnations, par les instances pénales lucernoises, bernoises et neuchâteloises, notamment pour des vols, violation de domicile et contravention à la LStup commises entre 2011 et 2017 et, plus récemment, ses condamnations pour vols, par le TP le 27 juin 2019 et par le Ministère public de Berne le 5 janvier 2021.

Pour le surplus, la durée de la détention, qui avait commencé le 19 mai 2021, restait compatible avec la durée maximale prévue par l’art. 79 LEI et s’avérait proportionnée au vu de l’ensemble des circonstances.

Quant à la célérité des autorités suisses, elle ne prêtait pas flanc à la critique. Si certes, les démarches semblaient prendre du temps, elles progressaient et s’avéraient d’autant plus délicates qu’elles concernaient plusieurs personnes et posaient un problème nouveau, entre les deux États, et portait sur l’application d’une convention internationale.

Pour ce type de problématique, un délai de six semaines sans nouvelle pièce au dossier ne témoignait pas d’une absence de célérité. Pour le surplus, comme l’avait relevé le tribunal en les détaillant, les démarches des autorités suisses avaient été entreprises auprès de l’Ambassade et du Consulat tunisiens sans discontinuer. Enfin, une réunion sur le dossier spécifique du recourant était en train d’être planifiée avec l’Ambassade de Tunisie pour les modalités de l’établissement du laissez-passer.

Le recourant alléguait que son renvoi ne serait pas possible. Dans son précédent arrêt du 27 août 2021, la chambre administrative avait relevé que s’il ne pouvait être reproché au recourant d’avoir contacté son ambassade, les clarifications demandées par l’ambassade portant alors sur la relation qu’il entretenait avec sa fille, il lui était loisible de coopérer, ce qu’il n’indiquait pas avoir fait. Rien au dossier n’indiquait qu’en collaborant, le recourant ne pourrait pas mettre fin à la détention. Il pouvait, sur une base volontaire, quitter la Suisse et rejoindre son État d'origine ; le renvoi était donc possible. Le recourant s’opposant fermement à son renvoi, il pouvait en être déduit que ses démarches auprès de son ambassade visaient à ce que celle-ci ne délivre pas le laissez-passer. Ainsi, faute pour lui de collaborer, le recourant ne pouvait se prévaloir d’une impossibilité d’exécuter son renvoi.

Si certes le recourant n’avait pas refusé de vol, ceux-ci ayant été annulés en l’absence de délivrance de laissez-passer en sa faveur, il n’alléguait pas, ni a fortiori ne démontrait, avoir sollicité un laissez-passer qui lui aurait été refusé. Le SEM indiquait, sans que le recourant ne démontre le contraire, que les ressortissants tunisiens qui souhaitaient rentrer au pays se voyaient délivrer un laissez-passer. Ainsi, contrairement à ce que soutenait le recourant, il n’était pas établi que les autorités tunisiennes ne lui délivreraient pas un titre de voyage.

Les discussions ministérielles entre la Suisse et la Tunisie prévues en janvier ou février 2022, s'étaient finalement tenues le 28 mars 2022. Les discussions étaient toujours en cours. Une réunion spécifique sur le cas du recourant devait être agendée ces « prochaines semaines » selon un courriel du 6 avril 2022. Les discussions entre les autorités suisses et tunisiennes étant toujours en cours, il n’était pas prouvé que le refoulement de l’intéressé serait pratiquement exclu. Par ailleurs, le recourant ne contestait pas l’existence d’une convention entre la Tunisie et la Confédération suisse portant sur le rapatriement de ressortissants tunisiens, La détention ne pouvait en conséquence pas être levée, la possibilité de procéder à l'expulsion n’étant pas inexistante ou hautement improbable et purement théorique, au sens de la jurisprudence.

26.         Le 22 juin 2022, le SEM a informé l'OCPM qu'il avait opté pour un traitement au cas par cas et que, suite au départ récent d'un autre ressortissant tunisien, il envisageait à présent d'entreprendre la même démarche pour M. A______, en précisant toutefois que celle-ci pourrait prendre plusieurs mois. Il laissait à l'OCPM le soin de décider si un maintien en détention était judicieux compte tenu des délais de traitement et des jours de détention encore disponibles.

27.         Par requête motivée du 24 juin 2022, l’OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de trois mois, soit jusqu'au 6 octobre 2022, faisant valoir qu'une telle mesure constituait l'unique moyen de mener à terme le rapatriement de l'intéressé.

28.         Sur demande du tribunal, l'OCPM a indiqué par courriel du 1er juillet 2022 que décision d'expulsion prononcée le 27 juin 2019 pour une durée de trois ans était bien valable dès lors que sa durée devait être calculée depuis la date du refoulement de l'intéressé qui devait encore être exécuté.

29.         Devant le tribunal, lors de l'audience du 5 juillet 2022, M. A______ a refusé de se présenter. Il a été représenté par son conseil qui a rappelé qu'il ne lui était pas possible de joindre son client par téléphone dans l'établissement de détention de Zurich Aéroport et que celui-ci ne l'avait pas contacté depuis fin mai 2022.

Le représentant de l'OCPM a indiqué que M. A______ avait refusé de monter à bord du convoi devant le transporter de Zurich à Genève en vue de la présente audience.

Selon les indications du SEM, les renvois à destination de la Tunisie visant des personnes dans des situations similaires à celle de M. A______ étaient possibles pratiquement quand bien même ils étaient extrêmement chronophages. L'OCPM avait dès lors décidé d'aller jusqu'au bout de la durée légale de la détention pour concrétiser l'exécution de l'expulsion de l'intéressé. Il a à nouveau souligné que les négociations entreprises étaient menées de cas en cas, ce qui prenait énormément de temps et qu'elles étaient très difficiles. Il n'avait pas d'autres précisions à ce sujet. L'OCPM n'avait, en effet, pas d'information relative aux démarches qui étaient réalisées et comment le SEM procédait concrètement. À titre d'exemple, les autorités tunisiennes avaient finalement délivré un laissez-passer en faveur d'un de leurs ressortissants, qui était sur le point d'arriver à la limite légale de la durée de sa détention administrative, le jour même du vol spécial réservé pour lui. Il a également rappelé que les autorités suisses avaient réservé une place à bord d'un avion au printemps 2022 pour M. A______ dans l'espoir d'obtenir, compte tenu de cette échéance, la délivrance du laissez-passer par les autorités tunisiennes. Cette démarche n'avait pas été couronnée du succès escompté. Pour l'avenir, il ne savait pas si le SEM allait à nouveau adopter cette stratégie pour le renvoi de M. A______. Il avait déjà eu l'occasion d'indiquer au tribunal que plusieurs cas similaires (ressortissants tunisiens qui invoquaient un lien avec un enfant résidant en Suisse) faisaient l'objet de démarches auprès des autorités tunisiennes. En particulier, l'OCPM sollicitait l'appui du SEM pour obtenir des autorités tunisiennes le laissez-passer indispensable pour deux personnes à Genève dont M. A______.

Sur question du conseil de M. A______ le commissaire de police a affirmé qu'aucun vol n'était à ce jour réservé en faveur de M. A______ pour un retour vers la Tunisie.

Pour le surplus, il a demandé la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de trois mois.

Le conseil de l’intéressé a conclu au rejet de la demande de prolongation de la détention administrative et à sa libération immédiate, subsidiairement à ce que la prolongation n'excède pas six semaines. Il ressortait effectivement du courriel du SEM du 22 juin 2022 que la délivrance d'un laissez-passer était hypothétique dès lors force était de conclure que l'exécution du renvoi était désormais impossible.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour prolonger la détention administrative en vue de renvoi ou d'expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. e de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             S'il entend demander la prolongation de la détention en vue du renvoi, l'OCPM doit saisir le tribunal d'une requête écrite et motivée dans ce sens au plus tard huit jours ouvrables avant l’expiration de la détention (art. 7 al. 1 let. d et 8 al. 4 LaLEtr).

3.             En l'occurrence, le 24 juin 2022, le tribunal a été valablement saisi, dans le délai légal précité, d'une requête de l'OCPM tendant à la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de trois mois.

Statuant ce jour, le tribunal respecte le délai fixé par l'art. 9 al. 4 LaLEtr, qui stipule qu'il lui incombe de statuer dans les huit jours ouvrables qui suivent sa saisine, étant précisé que, le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger.

4.             S'agissant du principe de la détention, sa légalité a déjà été examinée et admise en application de l'art. 76 LEI tant par le tribunal que la chambre administrative, à plusieurs reprises, la dernière fois par le tribunal de céans le 4 mai 2022, dont le jugement a été confirmé par la chambre administrative le 24 mai 2022. En l'absence d'un changement déterminant des circonstances depuis lors, il n'y sera pas revenu.

5.             Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité « peut » prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

6.             Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

7.             Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

8.             Selon l'art. 79 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), la détention ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l'obtention des documents nécessaires au départ auprès d'un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI). Concrètement, dans ces deux circonstances, la détention administrative peut donc atteindre dix-huit mois (cf. not. ATA/848/2014 du 31 octobre 2014 ; ATA/3/2013 du 3 janvier 2013 ; ATA/40/2012 du 19 janvier 2012 ; ATA/518/2011 du 23 août 2011).

9.             La détention doit être levée notamment si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles (art. 80 al. 6 let. a LEI). Dans ce cas, la détention dans l'attente de l'expulsion ne peut en effet plus être justifiée par une procédure d'éloignement en cours ; elle est, de plus, contraire à l'art. 5 par. 1 let. f CEDH. Les raisons juridiques ou matérielles doivent être importantes (« triftige Gründe »), l'exécution du renvoi devant être qualifiée d'impossible lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l'identité et la nationalité de l'étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus. Il s'agit d'évaluer la possibilité d'exécuter la décision de renvoi en fonction des circonstances de chaque cas d'espèce. Le facteur décisif est de savoir si l'exécution de la mesure d'éloignement semble possible dans un délai prévisible respectivement raisonnable avec une probabilité suffisante. La détention viole l'art. 80 al. 6 let. a LEI, ainsi que le principe de proportionnalité, lorsqu'il y a de bonnes raisons de penser que tel ne pourra pas être le cas. Sous l'angle de l'art. 80 al. 6 let. a LEI, la détention ne doit être levée que si la possibilité de procéder à l'expulsion est inexistante ou hautement improbable et purement théorique, mais pas s'il y a une chance sérieuse, bien que mince, d'y procéder (pour tout ce qui précède, cf. arrêt 2C_984/2020 du 7 janvier 2021 consid. 4.1 et les références).

10.         Tant que l’impossibilité du renvoi dépend de la volonté de l’étranger de collaborer avec les autorités, celui-ci ne peut se prévaloir de cette impossibilité (arrêt du Tribunal fédéral 2C_639/2011 du 16 septembre 2011). Cette jurisprudence, rendue dans le cadre d’une détention pour insoumission, en rapport avec l’obligation de collaborer de l’art. 78 al. 6 LEI, est a fortiori valable dans un cas de détention en vue du renvoi, phase à laquelle s’applique l’obligation de collaborer de l’art. 90 al. 1 let. c LEI (ATA/1405/2021 du 23 décembre 2021 références citées).

11.         En l’espèce, comme la chambre administrative l'a récemment confirmé, la détention administrative de M. A______ est nécessaire pour assurer son expulsion, en temps voulu. Elle est apte à atteindre ce but et est proportionnée au sens étroit, l’intérêt de l'intéressé à être libéré devant céder le pas à l’intérêt public à son renvoi au vu de ses nombreuses condamnations pénales entre 2011 et 2021.

12.         S'agissant de la célérité des autorités suisses, il ressort du dossier qu'elles poursuivent avec diligence les démarches avec les autorités tunisiennes en vue d’obtenir un laissez-passer en faveur de M. A______. À cet égard, la chambre administrative a relevé le 24 mai 2022 que les démarches, bien que prenant du temps, progressaient alors même qu'elles s'avéraient d'autant plus délicates qu'elles concernaient plusieurs ressortissants tunisiens et portaient sur l'application d'une convention internationale. Le représentant de l'OCPM a d'ailleurs souligné lors de l'audience du 5 juillet 2022, le résultat concluant auquel sont parvenues récemment les autorités fédérales concernant un cas similaire, ce qui permet de considérer que les autorités tunisiennes ont manifesté concrètement le respect de leurs obligations conventionnelles portant sur le rapatriement d'un de leurs ressortissants pourtant réticent à son renvoi.

Partant, les autorités suisses agissent ainsi avec diligence et célérité et aucun reproche ne peut être formulé à leur encontre, la stratégie adoptée par les autorités apparaissant porter ses fruits.

Il découle également de ce qui précède que le renvoi de M. A______ n’est à ce stade pas impossible. Si toutefois les autorités tunisiennes devaient formellement s’opposer à la délivrance d’un laissez-passer et donc au renvoi de M. A______, seul l’accord de ce dernier qu'il n'a, à ce jour, jamais exprimé de manière explicite, permettrait son renvoi, situation qui devrait faire l’objet d’une nouvelle analyse.

Quant à la durée de la prolongation de la détention, une durée de deux mois parait plus proportionnée, laquelle permettra au tribunal de céans de contrôler l'avancement et le résultat des démarches.

Pour le surplus, la durée de la détention, qui a commencé le 19 mai 2021, reste compatible avec la durée maximale prévue par l’art. 79 LEI et s’avère proportionnée au vu de l’ensemble des circonstances.

13.         Au vu de ce qui précède, la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ sera admise pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 6 septembre 2022.

14.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et à l’OCPM. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.

 


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande de prolongation de la détention administrative de Monsieur A______ formée le 24 juin 2022 par l’office cantonal de la population et des migrations ;

2.             prolonge la détention administrative de Monsieur A______ pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 6 septembre 2022 inclus ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, à l’office cantonal de la population et des migrations et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier