Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/4425/2020

JTAPI/849/2021 du 30.08.2021 ( ICC ) , REJETE

Normes : LDS.29.al1; LDS.32.al1; LDS.73; LDS.57
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4425/2020 ICC

JTAPI/849/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 août 2021

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Alain LE FORT, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


EN FAIT

1.             Par ses dispositions testamentaires, feu Monsieur B______, décédé à Genève le 10 octobre 2009, a notamment légué à Madame A______ (ci-après : la contribuable ou la recourante) des titres de C______ (ci-après : C______), société sise aux Iles E______.

2.             Par jugement du 23 novembre 2015, le Tribunal de première instance (TPI) a condamné ses héritiers à remettre ce legs à la contribuable.

3.             La déclaration de sa succession n’ayant pas été déposée auprès de l’administration fiscale cantonale (ci-après : l'AFC-GE), celle-ci a taxé d’office son hoirie, par bordereau du 16 juin 2016, sur un avoir successoral imposable de CHF 1'329'827.-.

4.             Dans la déclaration de sa succession, que son hoirie a finalement déposée auprès de l'AFC-GE le 23 juin 2016, la valeur du legs relatif aux titres de C______ a été indiquée pour CHF 910'175.-.

5.             Par courrier du 16 juillet 2016, l'hoirie a notamment indiqué à l'AFC-GE que dite déclaration devait être perçue comme une réclamation formée contre le bordereau de taxation d’office du 15 juin précédent.

6.             Par bordereau rectificatif du 3 mai 2018, l'AFC-GE a admis la valeur déclarée pour le legs (CHF 910'175.-) et a arrêté les droits y relatifs à CHF 492'254,50.

7.             Par courrier du 16 mai 2018, l'hoirie a formé une réclamation également contre ce bordereau. Il était notamment indiqué que la contribuable n’avait toujours pu entrer en possession des actifs de C______ et qu'elle n’était pas en mesure de s’acquitter des droits y relatifs, raison pour laquelle elle sollicitait donc un délai au 30 juin suivant pour s’exécuter.

8.             Par décision du 30 octobre 2018, l'AFC-GE a admis partiellement cette réclamation, sur des points ne faisant pas l’objet du présent litige, le montant des droits incombant à la contribuable restant inchangé. Les intérêts de bonification s’élevaient à CHF 310'711,15.

9.             Par courrier du 20 mai 2020, par le biais de son conseil, la contribuable a remis à l’administrateur de la succession de feu M. B______ un chèque bancaire d’un montant de CHF 398'957,45 au titre de paiement des droits lui incombant selon le bordereau précité, soit CHF 492'254,50, précisant qu’elle avait soustrait de ce montant les frais qu’elle avait engagés en vue de la délivrance de son legs par l’hoirie, soit CHF 93'297,05, et qui devaient être supportés par cette dernière.

10.         Par courrier du 8 septembre 2020, sous la plume de son conseil, la contribuable a notamment indiqué à l'AFC-GE qu’elle avait découvert d’autres avoirs de C______, soit un compte bancaire détenu auprès d’une société financière américaine, précisant que selon relevé de ce compte du 30 septembre 2010, l’avoir y déposé était de USD 1'141'213.-, tandis qu’en 2020, soit lorsqu’elle avait pris « le contrôle » sur ce compte, cet avoir n’était plus que de USD 878'420.-.

Elle a par ailleurs fait valoir, en substance, que dans la mesure où aucune faute ne pouvait lui être reprochée pour la découverte tardive de cet avoir supplémentaire, aucune amende ne devait lui être infligée.

En outre, les héritiers ayant contesté, sans raison valable, sa qualité de légataire, le « retard de la procédure » était dû à ces derniers, si bien qu’ils étaient responsables pour « le surplus d’impôts et les intérêts moratoires », tandis qu’elle n’était redevable des droits qu’à concurrence du legs délivré, sans intérêts moratoires. Aussi, elle sollicitait la rectification du bordereau de droits de succession et la prise en compte du montant du legs supplémentaire. Enfin, elle demandait à l'AFC-GE de lui transmettre un bulletin de versement vierge afin qu’elle règle « sa part de droits selon les développements ci-avant ».

Elle a par ailleurs précisé que dans la déclaration de succession de juin 2016, elle figurait en tant que légataire d’un montant de CHF 910'175.- et que cet avoir qui avait été « placé au D______ » lui était connu « d’emblée », ainsi qu’à l’administrateur de la succession.

11.         Le 17 septembre 2020, l'AFC-GE a notifié à la contribuable un bordereau de droits de succession rectificatif, à teneur duquel la valeur de son legs était portée à CHF 2'026'155.- et les droits y relatifs à CHF 1'101'579,80 et aucun intérêt moratoire n’étant dû sur ce supplément des droits.

12.         Par courrier du 21 octobre 2020, sous la plume de son conseil, la contribuable a formé réclamation contre ce bordereau.

Le décès de feu M. B______ étant intervenu le 10 octobre 2009, le droit de taxer « une seconde fois » sa succession était prescrit. Sa découverte récente des avoirs complémentaires ne pouvait donc pas faire l’objet d’une « seconde » taxation, au motif que la première perception des droits était insuffisante.

Subsidiairement, dans le bordereau rectificatif du 17 septembre 2020, il n’était pas tenu compte de son règlement du bordereau initial (CHF 492'254,50). Elle avait réglé ce montant par chèque du 18 mai 2020, sous déduction des frais encourus pour la délivrance du legs (CHF 93'297,05).

En outre, selon le relevé bancaire du 30 septembre 2010, soit la date la plus proche de celle du décès de feu M. B______, la « starting value » s’élevait à USD 1'141'213.-, valeur que l'AFC-GE avait prise en compte dans le dernier bordereau. Or, ce n’était qu’en mai 2020 qu’elle avait pu prendre le contrôle du compte bancaire détenu par C______. Avant cette date, ses « prétentions » ne représentaient que de simples expectatives. En effet, afin de faire reconnaitre ses droits, elle avait dû entreprendre, à ses frais et risques, de longues procédures, notamment auprès du Tribunal de E______. Sa légitimation comme bénéficiaire du compte en question était alors incertaine durant toute la procédure de succession, jusqu’à ce qu’elle reçoive formellement en 2020 le contrôle de ce compte et, partant, la délivrance de son legs. C’était donc le montant qu’elle avait effectivement reçu qui devait être pris en compte pour établir la valeur du legs supplémentaire, soit USD 878'420.-. De plus, c’était le taux de conversion figurant sur la liste de l’administration fédérale des contributions (ci-après : l'AFC-CH), soit 0,95, qui devait être appliqué, si bien que la valeur du legs supplémentaire s’élevait à CHF 834'499.-. Les droits ne lui incombaient qu’à concurrence de ce legs, sans intérêts moratoires. Le différentiel d’impôt entre la valeur au jour du décès et celle à la délivrance du legs devait être à charge de la succession, tout comme l’étaient les frais et intérêts moratoires.

Enfin, ayant déclaré ce legs aussitôt qu’elle avait pu en prendre possession, elle n’avait commis aucune faute, de sorte qu’aucune amende ne pouvait lui être infligée. En effet, elle avait d’abord dû entreprendre des démarches légales devant les tribunaux suisses pour faire reconnaitre sa qualité de légataire de C______. Ensuite, une procédure d’affidavit avait été initiée auprès du Tribunal de E______. Cela fait, elle avait dû être nommée directrice de C______ et, en cette qualité, elle avait pu « remplir toute documentation nécessaire » afin d’être désignée comme l’ayant-droit économique des comptes détenus par cette entité.

13.         Par décision du 26 novembre 2020, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation.

Intervenue moins de 5 ans à compter de la date du dépôt de la déclaration de succession, la taxation litigieuse n’était pas prescrite.

Les frais encourus pour la délivrance du legs n’étant pas déductibles, la contribuable restait devoir CHF 702'622,35 (CHF 1'101'579,80 moins CHF 398'957,45).

Selon la loi, la valeur des titres était estimée au cours ou à leur valeur au jour du décès. En l’occurrence, elle avait pris en compte la valeur se reprochant le plus de la date du décès. Elle ne pouvait en aucun cas prendre comme base imposable la valeur du legs effectivement reçu par la contribuable. Elle avait appliqué le taux de conversion au jour du décès.

Dans la mesure où la contribuable était effectivement entrée en possession de son legs, les droits y afférents et les intérêts n’incombaient pas aux héritiers, mais à elle.

Enfin, elle n’avait infligé à la contribuable aucune pénalité pour l’annonce tardive de son legs.

14.         Par acte du 28 décembre 2020, sous la plume de son conseil, la contribuable a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant principalement, sous suite des frais et dépens, à son annulation, motif pris de la péremption du droit de l'AFC-GE de taxer « une seconde fois » la succession de feu M. B______ et, subsidiairement, à ce que la valeur du legs supplémentaire soit fixée à CHF 834'499.- et que la différence entre l’impôt relatif à cette valeur et celui sur la valeur au jour du décès, ainsi que les frais et intérêts, soient mis à la charge de la succession.

Elle a fait valoir, en substance, que le droit de l'AFC-GE de taxer la succession une seconde fois était prescrit en vertu de l’art. 73 al. 1 let. a de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 (LDS - D 3 25), al. 1 let. c de cette disposition n’étant pas applicable à son cas, puisqu’il s’agissait d’une « estimation erronée » du legs et non pas « d’omission et de fausse déclaration » de biens.

Pour le surplus, elle a repris son argumentation formulée précédemment.

15.         Dans sa réponse du 15 avril 2021, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Le texte de l'art. 73 al. 1 let. c LDS était parfaitement clair. Cette disposition l’autorisait, lorsqu'elle avait connaissance d'une « estimation erronée » entrainant une perception de droits insuffisante, avant l'expiration du délai de 5 ans courant du jour du dépôt de la déclaration de succession, à réclamer le supplément de droits. La perception d'un supplément de droit était donnée en cas de constat de fausse indication ou d'omission. En l'occurrence, l’on se trouvait précisément dans une telle situation puisqu'il avait été établi que lors de la remise de la déclaration de succession, une partie du legs n'avait pas été déclarée et qu'ainsi les éléments entrant dans l'assiette imposable de la succession n'avaient pas été pris en compte correctement. Les notions d'omission et de fausse déclaration incluaient la situation dans laquelle un contribuable n'avait pas déclaré un élément dont il n'avait pas connaissance, sans que la réalisation de la condition de volonté ou de conscience de tromper ne soit posée. Dans la mesure où elle ne faisait état que d'actions reçues au titre de legs par la recourante, la déclaration de succession initiale n'était pas conforme à la réalité. Il lui appartenait ainsi de rectifier la taxation en réintégrant l'élément manquant, une fois sa découverte portée à sa connaissance.

Par ailleurs, compte tenu du parallélisme mis en place dans le cadre des travaux préparatoires ayant mené à l'adoption des projets de la LDS et de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30), il convenait d'examiner ce qui traitait de la prescription du droit de taxer de l'État en matière de droits d'enregistrement et ce qui avait été conçu selon la même structure et complété (en 1965) en même temps que l’art. 73 LDS (MGC 1965 p. 921 et 927). L'art. 185 al. 1 let. b ch. 2 LDE prévoyait en effet que les droits de l'État résultant de l'assujettissement aux droits d'enregistrement se prescrivaient par 5 ans à compter du jour de l'enregistrement de l'acte ou de l'opération en cas d'omission, de fausse déclaration des biens ou de simulation. Les dispositions de la LDS et de la LDE étaient ainsi identiques et prévoyaient le même délai de prescription, le législateur ayant uniquement ajouté à l'omission et à la fausse déclaration des biens les cas de simulations en matière de droits de mutation. Lors de l'enregistrement des actes et des opérations, il se pouvait en effet que les indications des parties ne reflètent pas la réalité. La taxation rectificative litigieuse étant en l'espèce intervenue moins de 5 ans à compter du jour du dépôt de la déclaration de succession, la prescription n'était pas atteinte. Elle était ainsi fondée à réintégrer le compte manquant dans l'assiette imposable de la succession.

Enfin, s’agissant des griefs en lien avec les conclusions subsidiaires de la recourante, qui étaient infondés, elle renvoyait aux motifs de sa décision sur réclamation du 26 novembre 2020.

16.         Dans sa réplique du 12 mai 2021, sous la plume de son conseil, la recourante a maintenu ses conclusions.

Dans sa réponse au recours, l'AFC-GE partait de prémices erronées selon lesquelles elle lui aurait annoncé aux mois d’août et septembre 2020 l’existence d’avoirs bancaires supplémentaires non déclarés dans la déclaration de succession du 23 juin 2016, ce qui était totalement inexact. L'AFC-GE faisait fi du fait que le compte bancaire manquant constituait un actif sous-jacent détenu par C______, dont les titres, soit l’objet de son legs, avaient été correctement déclarés dans le cadre de la succession de feu M. B______. Les avoirs découverts après coup, qu’elle avait annoncés à l'AFC-GE en août et septembre 2020, étaient des avoirs d’un compte détenu par C______. Il ne s’agissait en aucun cas d’actifs non déclarés en raison d’une omission ou d’une fausse déclaration. De deux choses l'une : soit il avait échappé à l'AFC-GE que le compte ouvert auprès de la société américaine n'était pas un actif non déclaré de la succession, mais un actif sous-jacent de la C______ dont les titres avaient été correctement déclarés, soit l'AFC-GE semble perdre de vue que tout actionnaire/ayant-droit économique d'une société de capitaux ne devait déclarer que ses droits de participations et non tous les actifs sous-jacents détenus par celle-ci. Aussi, contrairement à ce qu'affirmait l'AFC-GE, on ne se trouvait en aucun cas dans une situation dans laquelle un bien aurait été omis dans la déclaration de succession ou une fausse indication avait été fournie.

Elle ne remettait toutefois pas en cause la légitimité de l'AFC-GE de réclamer un supplément de droits suite à la sous-évaluation des titres de C______, mais plutôt l'application de l'art. 73 al. 1 let. c LDS à son cas. La chambre administrative de la Cour de Justice (ci-après : la chambre administrative) avait en effet considéré que la let. a de l'art. 73 al. 1 LDS s’appliquait lorsqu'un bordereau de taxation avait déjà été notifié, mais que celui-ci devait être corrigé en vue d'une perception de droits supérieure (cf. ATA/133/2000). En l’occurrence, la taxation litigieuse avait été rectifiée à cause d'une perception insuffisante à la suite d'une estimation erronée d'un élément de la succession correctement déclaré, soit les titres de C______ dont la valeur avait été déclarée selon les informations obtenues et disponibles au moment du dépôt de la déclaration de succession. Aussi, la prescription de 2 ans et 3 mois à compter du jour du décès, au sens de l'art. 73 al. 1 let. a LDS, trouvait application dans le cas d'espèce.

17.         Dans sa duplique du 7 juin 2021, l'AFC-GE a elle-aussi persisté dans ses conclusions, relevant que la recourante n’avançait aucun argument nouveau susceptible d'influer sur le sort du litige et qu'elle ne produisait aucune nouvelle pièce déterminante.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale en matière de droits de succession (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 67 LDS).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous l’angle des art. 67 LDS (cum art. 53 al. 1 LDS) et 57 ss de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La recourante se prévaut principalement de la péremption du droit de l'AFC-GE de la taxer sur la valeur du legs qu’elle a déclarée le 8 septembre 2020.

4.             Aux termes de l’art. 29 al. 1 LDS, doit déposer la formule de déclaration de succession notamment tout héritier légal ou institué, tout attributaire de biens, tout héritier grevé ou appelé, tout usufruitier (let. a). Le délai pour la remise des déclarations de succession est de 3 mois, à dater du décès, pour les successions ouvertes dans le canton de Genève (art. 32 al. 1 LDS). L’administration de l’enregistrement peut taxer d’office la succession si l’ayant droit ou son mandataire, après en avoir reçu la demande par avis recommandé, ne remet pas sa déclaration dans le délai imparti (art. 42 al. 1 LDS).

Dès lors que l'AFC est soumise à un délai relativement bref à partir du dépôt de la déclaration de succession, il faut que celle-ci lui permette d'entamer immédiatement le travail de contrôle qu'elle implique. En conséquence, une déclaration de succession ne peut être considérée comme déposée que lorsqu'elle satisfait aux exigences de l'art. 29 al. 3 LDS, c'est à dire lorsqu'elle indique notamment le détail des biens (actif et passif) composant l'avoir du défunt (let. b) et l’état des parts héréditaires, des legs, des assurances et autres libéralités (let. h), de telle sorte que les auteurs de la déclaration puissent également calculer l'actif net délaissé par le défunt (let. g). Si l'état de l'inventaire successoral ne permet pas d'exiger des héritiers ou ayants droit qu'ils soient en mesure de donner ces indications, on ne voit pas non plus comment l'AFC-GE pourrait calculer le montant des droits successoraux. Tant que la situation reste telle, on ne peut admettre qu'une déclaration puisse être valablement déposée. Le dépôt n'a réellement lieu que lorsque les auteurs de la déclaration, dont c'est le devoir, l'ont complétée au sens de l'article 29 LDS. Une autre solution permettrait de déposer abusivement une déclaration incomplète et, dès ce moment, de bénéficier de l'écoulement du délai tout en paralysant ou en ralentissant le travail de l'AFC-GE (cf. ATA/331/2009 du 30 juin 2009 consid. 7 ; ATA/133/2000 du 7 mars 2000 consid. 5a).

5.             La prescription ou la péremption sont des questions de droit matériel que le tribunal doit examiner d'office lorsqu'elles jouent en faveur du contribuable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_14/2021 du 27 mai 2021 consid. 4 et les arrêts cités)

6.             L'art. 73 LDS, qui régit la « prescription en matière fiscale », a la teneur suivante :

al. 1 : Les droits de l'État résultant de l'assujettissement aux droits de succession se prescrivent par :

a)      2 ans et 3 mois à compter du jour du décès, en cas de perception insuffisante à la suite d'une estimation erronée d'un élément de la succession, d'une erreur de calcul ou de taxation ou de fausse indication sur les qualités et degrés de parenté des ayants droit ;

b)      2 ans à compter du jour de la cessation d'exploitation en cas de reprise conformément à l'article 10A, al. 2 ;

c)      5 ans à compter du jour du dépôt de la déclaration de succession à l'administration de l'enregistrement et du timbre, en cas d'omission ou de fausse déclaration des biens ;

d)     10 ans à compter de la première présentation à l'administration de l'enregistrement et du timbre d'un acte constatant le décès, pour les successions non déclarées.

al. 2 : Sans préjudice des dispositions ci-dessus, les droits de succession, intérêts, amendes, frais, débours et émoluments se prescrivent par 5 ans à compter de l'envoi du bordereau.

al. 3 : Les art. 129 à 142 du code des obligations (CO) sont applicables par analogie.

7.             L'art. 73 al. 1 LDS instaure expressis verbis deux délais de péremption du droit de l'État de taxer les successions, tandis que l'art. 73 al. 2 LDS fixe un délai de prescription de la créance de l'État ; il s'ensuit qu'en matière de droits successoraux, le législateur a entendu aménager une protection par l'écoulement du temps en faveur du contribuable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_68/2016 du 2 juin 2017 consid. 5.4 et 5.5.4).

La LDS ne prévoit pas de délai de prescription absolue, ni du droit de taxer, ni de celui de percevoir la créance d'impôt. Les dispositions du CO (art. 129 à 142) auxquelles renvoie l'art. 73 al. 3 LDS n'en introduisent pas non plus, étant précisé que les art. 127 et 128 CO portant spécifiquement sur la prescription sont d'emblée exclus de la clause de renvoi de l'art. 73 al. 3 LDS. Cela étant, l'absence de cette prescription absolue procède d'un silence qualifié du législateur genevois et non pas d'une lacune proprement dite que le tribunal serait tenu de combler (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_68/2016 précité consid. 5.5.2 et 5.5.4).

8.             En l’espèce, les parties divergent sur la disposition applicable pour fixer le délai de prescription du droit de taxer la succession de feu M. B______, celle-ci ayant fait l'objet d’une taxation d’office, puis d'une déclaration faisant état des actifs successoraux pour une valeur qui s’est avérée inexacte.

9.             Dans son arrêt du 7 mars 2000 (ATA/133/2000) cité par la recourante - lequel concerne un cas où une succession avait fait l'objet d'une déclaration au sens de l'art. 29 al. 1 LDS, ainsi que d’une taxation, mais où une partie des actifs qui la composaient avait été annoncée pour une valeur « indéterminée » - l’ancien Tribunal administratif (ci-après : TA, devenu depuis lors la chambre administrative), a certes relevé que l'art. 73 al. 1 let. a LDS concernait le cas dans lequel un bordereau avait déjà été notifié, mais devait être corrigé en vue d'une perception supérieure, suite à « une estimation erronée d'un élément de la succession, d'une erreur de calcul ou de taxation ou de fausse indication sur les qualités et degrés de parentés des ayants droit » et que l’art. 73 al. 1 let. c LDS concernait les cas « d'omission ou de fausse déclaration de biens, dans l'hypothèse d'une déclaration de succession déjà remise à l'administration » (consid. 3a). Il a toutefois précisé (cf. consid. 3b) que la LDS prévoyait des délais « pour taxer une seconde fois une succession lorsque la première taxation contient des erreurs ou lorsqu'elle se fondait sur une déclaration inexacte (art. 73 al. 1 let. a et c), de même que pour taxer une succession non déclarée (art. 73 al. 1 let. d) », ce qui signifie que tant la let. a que la let. c de cette disposition, et non seulement cette première comme le soutient la recourante, présupposent l’existence d’une première taxation. Il a par ailleurs précisé que le délai de cinq ans de l’art. 73 al. 1 let. c LDS était prévu « pour laisser à l'AFC-GE le temps de s'apercevoir d'un défaut caché de la déclaration et de corriger une première taxation » (consid. 4e).

Il en découle que la question de savoir lequel des deux délais prévus à l’art. 73 al. 1 let. a et c LDS il y a lieu d’appliquer dans un cas particulier, dépend des raisons pour lesquels le bordereau initial doit être corrigé.

Dans ce même arrêt, le TA a également rappelé que le législateur était parti de l'idée qu'une déclaration de succession serait généralement déposée dans le délai légal de trois mois dès le décès, voire de six mois pour les successions ouvertes hors du canton (art. 32 al. 1 LDS), ce qui expliquait le court délai de deux ans et trois mois fixé par l'article 73 al. 1 let. a LDS pour corriger un bordereau de taxation inexact.

Dans un arrêt du 15 décembre 2015 (ATA/1348/2015), lequel concerne une affaire où une succession avait d’abord été taxée d’office (en 2000), puis avait fait l’objet de plusieurs bordereaux rectificatifs (le dernier datant de 2013) fondés sur la déclaration de succession et un inventaire des biens déposés tardivement, la chambre administrative a confirmé que cette taxation d’office était intervenue dans le délai de 10 ans prévu à l’art. 73 al. 1 let. d LDS. Pour le surplus, elle n’a pas examiné la question de la péremption du droit de procéder à ces taxations rectificatives, sous l’angle de l’art. 73 al. 1 let. a et c LDS, mais uniquement celle de la prescription de la perception des droits au sens de l’art. 73 al. 2 LDS - non litigieuse en l’occurrence - concluant que celle-ci n’était pas atteinte, cette disposition légale ne prévoyant pas la prescription absolue du droit de percevoir l’impôt. Cet arrêt a été confirmé par le Tribunal fédéral (cf. arrêt 2C_68/2016 précité).

10.         En l’espèce, la succession à l’origine de la présente procédure s’est ouverte le 10 octobre 2009. Elle n’a pas fait l’objet d’une déclaration en bonne et due forme en temps utile, de sorte que l’AFC-GE a procédé à une taxation d’office le 16 juin 2016, soit pratiquement 7 ans après l’ouverture de cette succession, suite à quoi une déclaration de succession a été déposée, le 23 juin 2016. Force est ainsi de constater que l’AFC-GE a exercé son droit de taxer d’office alors que la péremption au sens de l’art. 73 al. 1 let. d LDS n’était de loin pas atteinte. Cela étant, il n’est pas contesté ni contestable que cette déclaration déposée tardivement n’était pas complète, puisqu’elle ne faisait pas état de la valeur exacte du legs litigieux, de sorte que l’on pourrait se poser la question de savoir si elle peut être considérée comme valablement déposée au sens de l’art. 29 al. 1 LDS et de la jurisprudence précitée et qu’elle ne l’a été que lorsque la recourante l’avait complétée par son annonce de la valeur exacte du legs du 8 septembre 2020. Quoi qu’il en soit, l’application en pareilles circonstances du délai de 2 ans et 3 mois de l’art. 73 al. 1 let. a LDS, délai qui commence à courir à compter du jour du décès, tomberait sous le sens. Il suffirait en effet de se laisser taxer d’office plusieurs année après le décès, comme en l’espèce, puis de bénéficier de l'écoulement de ce délai pour échapper à toute rectification de cette taxation. Il découle en effet de la jurisprudence précitée que ce court délai pour corriger un bordereau de taxation inexact ne s’applique que lorsqu’une déclaration est déposée dans le délai légal de trois mois dès le décès, et non pas lorsqu’elle est déposée - comme en l’espèce - plusieurs années après celui-ci.

Il en résulte que seule peut entrer en considération dans le cas d'espèce l’hypothèse visée par l'art. 73 al 1 let. c LDS. A cet égard, force est de constater, avec l’autorité intimée, que la déclaration tardive du 23 juin 2016 était objectivement inexacte - puisque, comme relevé plus haut, elle faisait état d’une valeur erronée du legs litigieux -, étant précisé que le terme « fausse » employé par cette disposition légale est l’un des synonymes pour le terme « inexact » et que cette norme vise les déclarations objectivement fausses, indépendamment de toute faute du déclarant, et non pas seulement celles « sciemment fausses » visées par l’art. 50 LDS (fraude). Il n'y a donc aucune raison de s'écarter du texte de la loi qui prévoit un délai de péremption de cinq ans dans le cas où la succession a fait l'objet d'une déclaration de succession (art. 73 al.1 let. c LDS).

Ainsi, que l’on considère comme valablement déposée la déclaration du 23 juin 2016 ou seulement celle du 8 mai 2020, le droit de l'AFC-GE de taxer le legs litigieux n’était pas périmé lorsqu’elle a procédé à sa taxation par bordereau rectificatif du 17 septembre 2020, puisque le délai de péremption de 5 ans prévu par l’art. 73 al.1 let. c LDS ne s’était pas encore écoulé.

Ce grief est donc mal fondé.

11.         Subsidiairement, la recourante soutient que c’est la valeur du legs en 2020 qui doit être prise comme base d’imposition, et non pas celle en 2009, et qu’elle n’est pas redevable des intérêts moratoires, motif pris du fait que le retard pris dans la taxation est imputable aux héritiers.

12.         Les droits de succession sont notamment dus sur les legs (cf. art. 16 let. b LDS).

Les légataires sont tenus d’acquitter les droits de succession, intérêts, amendes, frais et émoluments (art. 53 al. 1 LDS).

Aux termes de l’art. 8 LDS, quel que soit le mode de liquidation de la succession, l’estimation des biens délaissés s’établit d’après leur valeur au jour du décès (al. 1). Cette estimation, sous réserve de l’expertise prévue par la présente loi, est établie par la déclaration des parties et par toutes pièces justificatives (al. 3). Les actions, obligations, parts sociales et autres titres sont également estimés au cours ou à leur valeur au jour du décès (art. 11 al. 1 LDS).

Selon l’art. 57 LDS, dans le cas où un légataire établit que, par le fait des héritiers, il ne peut entrer en possession de son legs, les droits afférents à celui-ci doivent être acquittés par les héritiers conformément à l’art. 54 LDS, qui prévoit que dans tous les cas, les héritiers légaux et institués sont tenus, solidairement et sur tous leurs biens, au paiement des droits, intérêts, frais et émoluments dus sur les parts héréditaires, legs, rentes et autres libéralités.

13.         Les dispositions du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) sont applicables en matière de droits de succession (cf. ATA/1007/2019 du 11 juin 2019 consid. 5 ; ATA/857/2019 du 30 avril 2019 consid. 2c et les arrêts cités).

Aux termes de l'art. 484 CC, le disposant peut notamment soit léguer un objet dépendant de la succession, soit astreindre ses héritiers ou légataires à faire, sur la valeur des biens, des prestations en faveur d'une personne ou à la libérer d'une obligation (al. 2).

L'art. 485 CC stipule que la chose léguée est délivrée dans son état au jour de l'ouverture de la succession, avec ses détériorations et ses accroissements, libre ou grevée de charges (al. 1) et que le débiteur du legs a les droits et les obligations d'un gérant d'affaires pour impenses et détériorations postérieures à l'ouverture de la succession (al. 2).

Le légataire ne dispose ainsi que d'une créance tendant à la délivrance du bien légué ou à l'exécution de la prestation conférée par le défunt (cf. art. 484 CC ; Anouchka HUBERT-FROIDEVAUX, Commentaire du droit des successions, 2012, n. 12 et 13 ad art. 484 CC p. 136).

La décision des héritiers ou légataires de répartir leurs parts respectives d'une manière différente de celle découlant des dispositions légales ou testamentaires ne peut pas priver l'État des droits qui lui sont dus en vertu de ces dernières. Cela découle de la coexistence de dispositions de droit civil et de droit fiscal, qui ne poursuivent pas les mêmes finalités. Les premières accordent à chaque personne physique la liberté d'organiser ce qu'il advient de ses biens après son décès, tandis que les deuxièmes concernent le traitement fiscal en faveur de l'État des valeurs revenant aux bénéficiaires, selon des règles qui s'imposent à ces derniers et qui ne prennent plus en considération la volonté du de cujus (cf. ATA/1007/2019 du 11 juin 2019 consid. 10 ; ATA/857/2019 du 30 avril 2019 consid. 2e ; ATA/1310/2015 du 8 décembre 2015 consid. 6).

14.         Dans le cadre de la détermination de la valeur en francs suisses d'un élément imposable présenté en monnaie étrangère, il y a lieu d'appliquer le cours annuel moyen des devises publié chaque année par l'AFC-CH (ATA/133/2014 du 4 mars 2014 ; ATA/539/2008 du 28 octobre 2008 ; cf. aussi JTAPI/351/2017 du 3 avril 2017 ; JTAPI/953/2016 du 19 septembre 2016 ; JTAPI/1354/2014 du 5 décembre 2014 ; JTAPI/411/2013 du 8 avril 2013 ; JTAPI/214/2011 du 21 mars 2011).

15.         En l’espèce, il découle de ce qui précède que dès le jour du décès de feu M. B______, la recourante avait une créance contre les héritiers correspondant à la valeur du legs à ce jour. En vertu de l’art. 8 al. 1 LDS, et contrairement à ce qu’elle soutient, c’est la valeur du legs au jour du décès qui doit être prise en compte pour le calcul des droits dus, et non pas celle au jour de la délivrance de celui-ci. C’est donc à bon droit que l'AFC-GE a tenu compte de l’avoir indiqué dans le relevé bancaire du 30 septembre 2010 (USD 1'141'213.-), cette date étant la plus proche de celle du décès. Le fait que la recourante s’est vue délivrer en 2020 seulement USD 878'420.- n’est ainsi pas déterminant. Cette issue, sur le plan fiscal, ne porte aucunement préjudice aux éventuelles prétentions civiles que la recourante pourrait avoir à cet égard contre les héritiers. En outre, le fait qu’il s’agisse d’un avoir déposé sur un compte bancaire, et non pas de la valeur des titres de C______ proprement dit, n’est pas non plus déterminant, étant relevé que la valeur du legs initialement taxée par l'AFC-GE (CHF 910'175.-) correspondait également à un avoir bancaire (déposé auprès du D______), et non pas à la valeur des titres de C______, ce que la recourante a du reste elle-même précisé dans son courrier du 30 septembre 2020. Enfin, la valeur du legs au jour du décès étant déterminante pour le calcul des droits dus, c’est à bon que l'AFC-GE a appliqué le taux de conversion publié par l'AFC-CH pour l’année 2009.

Pour le surplus, dans la mesure où la LDS ne prévoit aucunement la possibilité, pour un légataire, de soustraire des droits lui incombant les frais encourus pour la délivrance de son legs, la recourante est tenue, en vertu de l’art. art. 53 al. 1 LDS, de verser à l'AFC-GE la totalité des droits dus pour le legs de CHF 910'175.- et des intérêts y relatifs, étant observé qu’à teneur du dossier, il n’apparaît pas que l'AFC-GE ait calculé des intérêts moratoires sur le legs supplémentaire déclaré en 2020.

Enfin, la recourante ne saurait se prévaloir de l’application de l’art. 57 LDS, l’hypothèse visée par cette disposition ne correspondant pas à sa situation, puisqu’elle est effectivement entrée en possession de son legs.

Par conséquent, la décision sur réclamation contestée et le bordereau de droit de succession y relatifs doivent être confirmés.

16.         Partant, le recours sera rejeté.

17.         Vu cette issue, un émolument de CHF 900.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 700.- versée à l'ouverture du recours.

18.         Vu l’issue du litige, la recourante n’a pas droit à une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA a contrario).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 28 décembre 2020 par Madame A______ contre la décision de l’administration fiscale cantonale du 26 novembre 2020 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est partiellement couvert par son avance de frais de CHF 700.-, le solde dû s’élevant à CHF 200.- ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Yuri KUDRYAVTSEV et Jean-Marie HAINAUT, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

 

Genève, le

 

La greffière