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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1117/2017

ATA/1007/2019 du 11.06.2019 sur JTAPI/204/2018 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : SUCCESSION ; HÉRITIER LÉGAL ; IMPÔT SUR LES SUCCESSIONS ET LES DONATIONS ; FARDEAU DE LA PREUVE ; SUBSTITUTION FIDÉICOMMISSAIRE ; DISPOSITION POUR CAUSE DE MORT ; DROIT CIVIL ; DROIT FISCAL ; INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : LDS.1.al1; LDS.2; LDS.16; LDS.17.al2; LDS.19.al2; LDS.28; CC.488.al1; CC.491; CC.492.al1; CC.490.al1; CC.531.al1
Résumé : Confirmation de la taxation des droits de succession relative à une substitution fidéicommissaire.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1117/2017-ICC ATA/1007/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 juin 2019

4ème section

 

dans la cause

 

Messieurs A______ et B______
représentés par Me Gilles Favre, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
5 mars 2018 (JTAPI/204/2018)


EN FAIT

1) Par testament public du ______1993, Monsieur C______ a institué son épouse, Madame D______, unique héritière de sa succession. Il a cependant grevé cette institution d'une clause de substitution fidéicommissaire en faveur des petits-enfants de son épouse, à savoir Messieurs A______ et B______ à raison d'une moitié chacun. Le testament précisait que la « substitution fidéicommissaire [était] cependant réduite au solde éventuel des biens recueillis dans [sa] succession, [son] épouse n'ayant dès lors ni inventaire à dresser ni sûreté à donner ». Il ajoutait encore qu'au cas où il décèderait simultanément ou postérieurement à son épouse, il instituait en qualité d'héritiers universels, à parts égales, les deux petits-enfants de cette dernière. Il désignait par ailleurs son épouse en qualité d'exécutrice testamentaire.

2) M. C_____ est décédé le ______1996.

3) Selon l'inventaire des actifs et passifs dépendant de la succession de
M. C______ établi le 12 mars 1997 par un notaire, ses avoirs successoraux nets s'élevaient, après liquidation du régime matrimonial, à CHF 1'763'650.80, soit à la moitié des acquêts du couple.

L'inventaire retenait à titre préliminaire que, selon les déclarations de
Mme D______, tous les avoirs dont elle était propriétaire étaient des biens propres tandis que l'ensemble des avoirs de son époux constituait des acquêts. Il était encore mentionné que ce document avait été établi « pour la conservation des droits et intérêts des parties, plus particulièrement de [Messieurs A______ et B______], bénéficiaires de la clause de substitution fidéicommissaire contenue dans les dispositions testamentaires de Monsieur C______ ».

4) Par testament public du 24 septembre 2015, Mme D______ a indiqué réduire la part successorale de sa fille, Madame E______, à sa réserve légale. Elle a par ailleurs prévu deux legs de, respectivement, CHF 50'000.- et
CHF 30'000.- en faveur de tiers, et que le solde de ses avoirs irait à trois institutions caritatives sises à Genève.

Elle a notamment rappelé la clause de substitution fidéicommissaire ordonnée par le testament de son époux et le fait que l'actif successoral net dans la succession de ce dernier s'élevait à CHF 1'763'650,80. Elle a dès lors indiqué qu'il y avait lieu de « prélever sur les avoirs dépendant de [sa] succession » cette somme pour la remettre aux appelés de la clause de substitution fidéicommissaire, soit ses petits-enfants Messieurs A______ et B______, à parts égales entre eux. Elle nommait Me F______, notaire, et Me G______, avocat, aux fonctions d'exécuteurs testamentaires.

5) Mme D______ est décédée à Genève le ______2015.

6) Le 28 juin 2016, Mme E______ a répudié la succession de sa mère en faveur de ses deux fils, Messieurs A______ et B______.

7) Selon le bénéfice d'inventaire établi les 28 juin et 7 juillet 2016, les actifs de la succession de feu Mme D______ s'élevaient à CHF 10'301'909.06 et les passifs à CHF 1'932'516.25, dont la « substitution fidéicommissaire » de
CHF 1'763'650.80, décrite comme « droits de Messieurs A______ et B______, résultant de la clause de substitution fidéicommissaire ordonnée par feu Monsieur C______ ».

8) Par courriers respectifs des 3 et 15 août 2016 adressés à la Justice de Paix, Messieurs A______ et B______ ont déclaré qu'ils acceptaient la succession de leur grand-mère.

9) Par courrier du 28 septembre 2016, Me F______, en sa qualité d'exécuteur testamentaire de la succession de feu Mme D______, a indiqué à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) qu'il y avait lieu de prélever la somme de CHF 1'763'650,80 sur les avoirs de la succession de feu
Mme D______ afin de la remettre aux bénéficiaires de la substitution fidéicommissaire figurant dans le testament de M. C______. Il souhaitait que
l'AFC-GE lui communique le montant des droits de succession de feu
Mme D______ afin de les verser dans les meilleurs délais.

10) Par courrier du 3 octobre 2016, l'AFC-GE a répondu à Me F______ que, dans la mesure où les bénéficiaires de la substitution fidéicommissaire étaient les beaux-petits-enfants de feu M. C______, ceux-ci devaient être taxés en 5ème catégorie, de sorte que les droits de succession sur ladite substitution fidéicommissaire de CHF 1'763'650.- s'élèveraient au total à CHF 953'550.80, soit CHF 476'775.40 pour chacun d'entre eux.

11) Par courrier du 16 décembre 2016, Messieurs A______ et B______ ont contesté cette détermination.

Le courrier de l'exécuteur testamentaire était lacunaire, dans la mesure où il omettait d'indiquer que les débiteurs de la substitution fidéicommissaire en étaient également les bénéficiaires.

Leur mère ayant répudié la succession de sa propre mère, ils étaient dorénavant les héritiers de leur grand-mère pour les trois quarts de la succession. Ils devaient ainsi assumer la charge de la substitution fidéicommissaire, alors qu'ils en étaient bénéficiaires. Il n'y aurait en réalité pas de paiement de cette substitution, puisqu'ils héritaient des biens de feu M. C______ dans la succession de leur grand-mère. Les circonstances particulières du cas devaient conduire à une absence de taxation. Ils se trouvaient ainsi dans une situation patrimoniale identique à la suite des décès de feu M. C______ et Mme D______, que la clause de substitution fidéicommissaire fût appliquée ou non. La seule différence résidait dans le taux d'imposition, qui passait à 54 % en cas d'application de ladite clause, alors qu'il était de 0 % si on tenait compte du fait qu'ils étaient uniquement héritiers de feu Mme D______. Cette situation était d'autant plus choquante que la clause de substitution avait clairement eu pour objectif d'empêcher leur mère d'hériter des biens de feu M. C______ et de les favoriser. Or, cet objectif s'était réalisé de lui-même, puisque leur mère avait renoncé à ses droits d'héritière, laissant ses deux fils hériter à sa place.

12) Le 20 décembre 2016, Me F______ a déposé la déclaration de succession de Mme D______. Le total des actifs successoraux s'élevait à
CHF 9'953'976.- et celui des passifs à CHF 1'957'408.-, y compris la « substitution fidéicommissaire » de CHF 1'763'651.-.

13) Par courrier du 22 décembre 2016, l'AFC-GE a répondu qu'elle était consciente du fait que leur situation patrimoniale serait identique que la clause de substitution fidéicommissaire fût appliquée ou non, la seule différence entre les deux hypothèses résidant dans le taux d'imposition. Cette situation découlait toutefois de la volonté de M. C______ et de l'application du droit civil et fiscal.

14) Par bordereau du 19 janvier 2017, l'AFC-GE a fixé à CHF 993'062.80 les droits de succession dus par l'hoirie de feu Mme D______. S'agissant du montant dû par Messieurs A______ et B______ sur la substitution fidéicommissaire de CHF 1'763'650.-, il s'élevait à CHF 476'775.40 pour chacun deux, calculé au taux prévu pour la 5ème catégorie d'héritiers.

15) Le 15 février 2017, les précités ont formé réclamation contre ce bordereau, concluant à ce que les droits de CHF 476'775,40 que l'AFC-GE réclamait à chacun d'eux soient annulés.

Leur grand-mère avait hérité de feu son époux d'une somme de
CHF 1'789'783.35. Un autre montant de CHF 1'789'783.35 lui avait en outre été attribué au titre de liquidation du régime matrimonial. Elle avait ensuite vendu un immeuble dont elle était propriétaire pour un prix de CHF 4'149'100.55, ainsi que des titres qu'elle détenait dans une société. Au moment de son décès, elle disposait de liquidités totalisant CHF 5'957'951.-. Ainsi, les avoirs en espèces qu'elle détenait à son décès correspondaient à la valeur de ses biens propres au moment du décès de feu son époux, voire étaient légèrement inférieurs. Il en résultait que, depuis le décès de son époux, elle avait non seulement dépensé l'intégralité du patrimoine hérité de ce dernier, mais également une partie de ses biens propres. Par conséquent, au moment du décès de leur grand-mère, le patrimoine soumis à la substitution fidéicommissaire n'existait plus. Dès lors qu'il s'agissait d'une substitution fidéicommissaire résiduelle, elle était en droit de dépenser ce patrimoine à sa guise.

Leur grand-mère avait manifestement voulu favoriser ses deux
petits-enfants, ne sachant pas que sa fille répudierait sa succession. Ce faisant, elle avait en réalité constitué un legs en leur faveur, à concurrence de
CHF 1'763'650.80, lequel n'était pas soumis à l'impôt sur les successions dans le canton de Genève. Ce montant ne correspondait pas à la valeur du patrimoine qui était soumis à la substitution fidéicommissaire. On ignorait comment elle l'avait déterminé. Si l'AFC-GE refusait d'admettre qu'il s'agissait d'un legs, alors cette disposition testamentaire constituait à tous le moins « une reconnaissance de dette de feu Mme D______ vis-à-vis du patrimoine distinct dont elle avait hérité de feu son mari ». Cette dette passait dès lors à ses héritiers, soit à eux-mêmes, alors qu'ils en étaient également les créanciers. Pour des raisons indépendantes de leur volonté, les exécuteurs testamentaires de feu Mme D______ avaient déposé, sans les concerter, une déclaration de succession totalement inexacte et contraire aux faits.

16) Par décision du 23 février 2017, l'AFC-GE a rejeté la réclamation.

Le testament de feu M. C______ prévoyait expressément que sa succession était grevée d'une substitution fidéicommissaire, ce que feu Mme D______ avait également rappelé dans son propre testament, en précisant le montant à remettre aux appelés. Quand bien même cette dernière aurait consommé le patrimoine soumis à cette substitution, ce qui n'était pas démontré, ses dernières dispositions testamentaires indiquaient clairement sa volonté de respecter la clause de substitution fidéicommissaire prévue par son époux. Étant tenue de respecter les dispositions testamentaires, l'AFC-GE ne pouvait pas considérer cette clause comme constituant un legs ou une reconnaissance de dette.

17) Par acte du 24 mars 2017, Messieurs A______ et B______ ont interjeté recours contre cette décision par-devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant à son annulation ainsi qu'à celle du bordereau de droits des successions du 19 janvier 2017, à ce que la disposition testamentaire de feu Mme D______ prévoyant de prélever sur sa succession la somme de CHF 1'763'650.80 en leur faveur ne donne lieu à aucun impôt sur les successions et à ce que les intérêts de retard dus par l'hoirie de Mme D______ soient recalculés pour tenir compte de l'annulation de l'impôt sur les successions.

Reprenant les arguments avancés dans leur réclamation du 15 février 2017, ils ont notamment ajouté que leur réclamation constituait une déclaration de succession totalement divergente de celle déposée par les exécuteurs testamentaires. L'AFC-GE aurait dû investiguer de façon plus approfondie la problématique soumise par ces deux déclarations divergentes, ce qu'elle avait omis de faire. Pour cette raison déjà, la décision entreprise violait la loi.

Par ailleurs, la réserve de leur grand-mère dans la succession de son défunt époux correspondait à la moitié de celle-ci, ce qui impliquait que la substitution fidéicommissaire instituée par ce dernier violait les droits réservataires de son épouse. Ils ignoraient si celle-ci s'en était plainte.

Il appartenait également à l'AFC-GE de démontrer qu'un patrimoine distinct soumis à substitution fidéicommissaire existait effectivement, ce qu'elle n'avait pas fait. Leur grand-mère avait mélangé les actifs soumis à la substitution fidéicommissaire avec ses propres biens, de sorte que le patrimoine qui était soumis à cette substitution n'était plus distinct. Il n'était alors plus possible de déterminer quels biens elle avait effectivement utilisé pour subvenir à ses besoins. Par conséquent, au moment de son décès, le patrimoine distinct soumis à la substitution fidéicommissaire n'existait plus.

Dans son testament, leur grand-mère avait certes rappelé l'existence de la substitution fidéicommissaire. Toutefois, elle avait admis implicitement que le patrimoine concerné n'existait plus. C'était pour cette raison qu'elle avait prévu qu'il fallait « prélever sur les avoirs dépendant de [sa] succession » le montant de CHF 1'763'650.-. Cela démontrait que cette somme n'avait plus de lien direct avec la succession de feu M. C______ et qu'il s'agissait clairement d'une libéralité décidée et voulue par elle. En demandant à ce que ce montant fût prélevé en faveur de ses petits-enfants, elle avait manifestement voulu avantager ces derniers au détriment de ses héritiers. Il s'agissait à l'évidence d'une forme de libéralité. Il s'agissait en réalité d'un legs, sous forme de reconnaissance d'une créance, exempt d'impôt. Feu Mme D______ avait reconnu la créance que ses petits enfants auraient pu avoir du chef de la substitution fidéicommissaire et avait en quelque sorte admis cette créance comme une dette à charge de sa succession.

18) Par courrier du 28 mars 2017, Messieurs A______ et B______ ont précisé que les biens propres que leur grand-mère « aurait logiquement dû détenir au moment de son décès en liquidités » s'élevaient à
CHF 7'007'688.35, et non, comme indiqué dans leur recours, à CHF 6'532'633.90.

19) Le 2 juin 2017, les précités ont transmis au TAPI une « convention » du
29 mai 2017 conclue entre eux-mêmes et les trois institutions caritatives instituées héritières par leur grand-mère dans sa succession. Cette pièce démontrait que tous les héritiers de Mme D______ étaient unanimes pour ne pas accepter l'analyse superficielle et prématurée effectuée par les exécuteurs testamentaires. Comme ces derniers avaient unanimement décidé d'intégrer la somme de CHF 1'763'650.- dans la succession de feu Mme D______, les exécuteurs testamentaires devaient respecter cette décision.

À teneur de la convention précitée, Messieurs A______ et B______ renonçaient « à prétendre au paiement de la somme de
CHF 1'763'650.- au titre de la substitution fidéicommissaire instituée par M. C______ dans son testament du 27 mai 1993, de sorte que ce montant ne constitu[ait] pas un patrimoine distinct et fai[sait] partie de la succession de Mme D______ ». Les parties convenaient en outre que ladite somme serait partagée à concurrence de 4/5 en faveur des précités et 1/5 en faveur des trois institutions caritatives.

20) Dans sa réponse du 4 juillet 2017, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

21) Par réplique du 4 août 2017, Messieurs A______ et B______ ont persisté dans leurs conclusions.

La convention du 29 mai 2017 n'avait aucune portée sous l'angle fiscal, mais démontrait l'accord des héritiers sur le fait que le patrimoine concerné par la substitution fidéicommissaire n'existait plus lors de l'ouverture de la succession de feu Mme D______.

22) Par duplique du 7 septembre 2017, l'AFC-GE a également maintenu ses conclusions.

23) Par jugement du 5 mars 2018, le TAPI a rejeté le recours.

Le fait que l'ensemble de la succession de M. C______ soit grevé d'une substitution fidéicommissaire en faveur des intéressés violait la réserve légale de son épouse. Cette dernière n'avait toutefois pas intenté une action en réduction dans le délai d'une année à compter de l'ouverture de la succession de son défunt époux pour obtenir la reconstitution de sa réserve, de sorte que celle-ci était restée entièrement soumise à ladite substitution fidéicommissaire. Après être devenus héritiers de feu Mme D______, les intéressés n'auraient pas pu se prévaloir de l'exception de réduction, dès lors qu'ils n'étaient pas héritiers réservataires de feu M. C______.

Au moment du décès de feu Mme D______, la substitution litigieuse s'était produite telle que prévue par le testament de feu M. C______. Les intéressés n'ayant pas répudié cette substitution dans les délais, ils étaient devenus, de par la loi et dans cette mesure, héritiers de feu M. C______, et ce avant de devenir ceux de leur grand-mère.

À teneur du testament de feu M. C______, la substitution fidéicommissaire était réduite au solde des biens recueillis, de sorte que feu Mme D______ avait la possibilité de disposer librement du patrimoine hérité de son défunt époux et n'était pas tenue de le restituer aux intéressés à sa valeur au jour du décès de ce dernier. Cette dernière avait toutefois voulu transmettre aux intéressés l'entier dudit patrimoine, soit CHF 1'763'650.80. Cette volonté était confirmée dans son propre testament et il ressortait de l'inventaire de sa succession qu'elle avait effectivement conservé ledit patrimoine. À teneur de ce document, les actifs de sa succession s'élevaient à CHF 10'301'909.06 et les passifs à seulement
CHF 1'932'516.25, dont la substitution fidéicommissaire de CHF 1'763'650.80. Il apparaissait en outre qu'au moment de son décès, la valeur de ses avoirs était supérieure à celle de la somme des acquêts du couple et de ses biens propres existant au décès de feu son époux. Dans ces conditions, on ne pouvait admettre, comme le soutenaient les intéressés, qu'elle avait entièrement épuisé avant son décès le patrimoine concerné par la substitution litigieuse.

Les intéressés ne contestaient la substitution litigieuse que parce qu'ils étaient devenus, après coup, également héritiers de feu leur grand-mère, alors que s'ils ne l'avaient pas été, ils n'auraient eu aucun intérêt à la réfuter.

24) Par acte du 17 avril 2018, MM. A______ et B______ ont interjeté recours contre le jugement précité par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à l'annulation dudit jugement, de la décision sur réclamation de l'AFC-GE du
23 février 2017 et du bordereau de doit de succession du 19 janvier 2017, à ce que la disposition testamentaire de feu Mme D______ prévoyant de prélever sur sa succession la somme de CHF 1'763'650.80 en leur faveur ne donne lieu à aucun impôt sur les successions et à ce que les intérêts de retard dus par l'hoirie de
Mme D______ soient recalculés pour tenir compte de l'annulation de l'impôt sur les successions.

Le TAPI avait correctement établi l'état de fait, sous réserve de l'estimation de la valeur des biens de Mme D______, au décès de son conjoint en 1996, laquelle était contestée. Son jugement retenait que les actifs de la succession de
Mme D______ s'élevait à CHF 10'301'909.06 et les passifs à seulement
CHF 1'932'516.25, dont la substitution fidéicommissaire de CHF 1'763'650.80, de sorte qu'au moment de son décès la valeur de ses avoirs était supérieure à celle de la somme des acquêts du couple et de ses biens propres existants au décès de feu son époux. Or, à teneur des pièces qu'ils avaient produites, on pouvait estimer que les biens propres de feu Mme D______ au moment du décès de son époux s'élevaient à CHF 9'086'598.40 tandis que ses acquêts se montaient à
CHF 1'789'783.35, soit un total de CHF 10'876'382.-. Si l'on comparait la situation patrimoniale de feu Mme D______ au moment du décès de son mari en 1996 avec celle au moment de son propre décès, on constatait que sa fortune n'avait pas varié. Le TAPI avait donc constaté les faits de manière inexacte sur ce point.

Le jugement querellé violait par ailleurs le droit fédéral lorsqu'il considérait que l'on ne pouvait admettre que Mme D______ avait épuisé en priorité et entièrement, avant son décès, le patrimoine concerné par la substitution litigieuse. La précitée disposait au moment de son décès, pour l'essentiel, des mêmes actifs que lors du décès de son époux. Le TAPI aurait dû constater, au vu de l'évolution de sa fortune, qu'elle avait, de son vivant, utilisé en priorité le patrimoine distinct provenant de son mari et soumis à la substitution litigieuse. La substitution fidéicommissaire étant réduite au solde, elle était en droit de consommer ce capital. Considérer que ce capital distinct avait survécu au décès de Mme D______ dans son intégralité procédait à une appréciation incorrecte des faits.

Le jugement entrepris faisait par ailleurs abstraction du fait que
Mme D______ avait mélangé le capital de CHF 1'763'650.80 soumis à substitution avec ses propres biens. L'obligation de maintenir séparé le patrimoine soumis à substitution n'avait ainsi pas été respectée. Il n'était dès lors plus possible de parler de substitution fidéicommissaire, dès lors que toute possibilité de reconstituer ce patrimoine distinct avait été annihilée. En ignorant ce mélange de masses de biens et les conséquences en découlant, le TAPI avait violé le droit civil fédéral.

Tant l'AFC-GE que le TAPI considéraient que si le montant de
CHF 1'763'650.80 devait leur revenir, c'était exclusivement en raison de la volonté exprimée par leur grand-mère. Il convenait donc d'interpréter la disposition testamentaire prise par celle-ci. En tant que grevée, elle n'avait pas le pouvoir de faire « revivre » la substitution fidéicommissaire. Il fallait dès lors considérer qu'elle avait effectué une libéralité en faveur de ses petits-enfants sous forme de legs, lequel n'était pas soumis à l'impôt successoral.

Étaient notamment joint au recours l'acte de vente des 21 décembre 2010 et 10 janvier 2011 ainsi que le décompte de vente du 17 janvier 2011 relatifs à la vente des actions que Mme D______ détenait de la H______.

25) Le 27 avril 2018, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observations.

26) Dans sa réponse du 18 mai 2018, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

L'affirmation du TAPI sur la valeur des avoirs de Mme D______ était peut-être inexacte. Toutefois, elle n'était pas pertinente, puisque cette dernière n'avait dans tous les cas pas disposé du patrimoine de son défunt époux.

Rien n'indiquait que Mme D______ n'avait pas utilisé en priorité pour son entretien ses biens propres et laissé intact le patrimoine concerné par la substitution litigieuse. Les recourants ne pouvaient pas à la fois conclure que leur grand-mère avait utilisé en priorité le patrimoine distinct provenant de feu son époux, tout en affirmant également qu'elle avait mélangé le patrimoine litigieux à ses propres biens.

La substitution fidéicommissaire était toujours existante au moment du décès de Mme D______.

27) Dans leur réplique du 14 juin 2018, les recourants ont persisté dans leur recours.

Le mélange entre le patrimoine propre de leur grand-mère et le patrimoine soumis à substitution devait conduire à retenir que cette dernière était devenue propriétaire du tout. Le mélange avait eu pour effet d'anéantir la substitution litigieuse. Par ailleurs, lorsque la précitée s'était référé à la substitution fidéicommissaire dans son testament, elle disposait en réalité de ses propres biens. Les biens qui leur avaient été dévolus du fait de cette clause testamentaire provenaient ainsi clairement des biens successoraux de leur
grand-mère et non pas d'une autre masse.

28) Le 20 juin 2018, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 68 al. 1 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 - LDS - D 3 25).

2) Le litige concerne la portée, sur l'imposition des recourants dans la cadre de la succession de leur grand-mère, de la substitution fidéicommissaire instituée par feu M. C______ dans son testament.

3) a. La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d'office (art. 19 LPA). Ce principe n'est pas absolu, sa portée étant restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.2 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3.2 ; ATA/1197/2018 du 6 novembre 2018 consid. 3a).

En matière fiscale, il appartient à l'autorité de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts. S'agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_89/2014 du 26 novembre 2014 consid. 7.2 ; ATA/858/2019 du 30 avril 2019 consid. 2d).

b. En droit fiscal, le principe de la libre appréciation de la preuve s'applique. L'autorité forme librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, en choisissant entre les preuves contradictoires ou les indices contraires qu'elle a recueillis. Cette liberté d'appréciation, qui doit s'exercer dans le cadre de la loi, n'est limitée que par l'interdiction de l'arbitraire (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 513 n. 11). Il n'est pas indispensable que la conviction de l'autorité de taxation confine à une certitude absolue qui exclurait toute autre possibilité ; il suffit qu'elle découle de l'expérience de la vie et du bon sens et qu'elle soit basée sur des motifs objectifs (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1201/2012 du 16 mai 2013 consid. 4.5 ; ATA/794/2019 du 16 avril 2019 consid. 7c ; Xavier OBERSON, op. cit., p. 514
n. 12).

4) a. Toute transmission de biens résultant d'un décès, à quelque titre que cette transmission ait lieu, est frappée par des droits de succession (art. 1 al. 1 et
2 LDS).

Les droits de succession sont calculés sur : les parts héréditaires nettes ; les legs ; les assurances et rentes dévolues aux bénéficiaires et attributaires ; les avances d'hoirie et donations ; la part attribuée au conjoint ou au partenaire enregistré, conformément à l'art. 1 al. 1 let. b et c LDS (art. 16 LDS).

L'art. 17 al. 2 LDS fixe le tarif d'imposition applicable aux droits de succession d'une première catégorie, soit pour les enfants, les père et mère, ainsi qu'entre époux, et l'art. 19 al. 2 LDS pour les frères et soeurs, soit la troisième catégorie. La quatrième catégorie est constituée par les oncles ou tantes, les grands-oncles ou grand-tantes, les neveux ou nièces, les petits-neveux ou petites-nièces (art. 20 LDS).

Pour tous les cas non prévus aux arts. 17 à 20 LDS, l'art. 21 LDS indique le tarif d'une cinquième catégorie, soit : 20% de CHF 501 à 2'000.- ; 22% de CHF 2'001.- à 5'000.-, 24% de CHF 5'001 à 100'000.- ; 26% au-dessus de CHF 100'000.-.

b. À teneur de l'art. 28 LDS, en cas de substitution, l'héritier grevé de la substitution et l'appelé ont chacun à supporter les droits de succession calculés d'après leur degré de parenté avec le défunt (al. 1). Les droits sont perçus, pour le grevé, au moment du décès du testateur, sur l'ensemble des biens, sans tenir compte de la substitution (al. 2). Ils sont perçus, pour l'appelé, au moment où s'ouvre la substitution, sur tous les biens qui lui adviennent et aux taux qui sont alors en vigueur (al. 3).

5) La loi fiscale lie en principe l'imposition des successions et donations aux transferts et institutions du droit civil ; elle peut s'écarter du droit civil pour donner une définition propre des cas d'imposition, mais, en vertu du principe de la légalité de l'impôt, elle doit le dire expressément. Lorsque la norme opère clairement son rattachement au droit civil, elle droit être appréciée dans le contexte du droit civil et les concepts du droit civil être pris dans leurs acception civile (ATA/857/2019 du 30 avril 2019 consid. 2c ; ATA/682/2012 du 9 octobre 2012 consid. 3a ; ATA/414/2008 du 26 août 2008 consid. 6a).

6) a. Toute personne capable de discernement et âgée de 18 ans révolus a la faculté de disposer de ses biens par testament, dans les limites et selon les formes établies par la loi (art. 467 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210).

b. Par le biais de la substitution fidéicommissaire, le disposant a la faculté de grever l'héritier institué de l'obligation de rendre la succession à un tiers, l'appelé (art. 488 al. 1 CC). La substitution s'ouvre, sauf disposition contraire, à la mort du grevé (art. 489 al. 1 CC). Le grevé acquiert la succession comme tout autre héritier institué. Il devient propriétaire, à charge de restitution (art. 491 CC). La substitution s'ouvre en faveur de l'appelé, lorsqu'il est vivant à l'échéance de la charge de restitution (art. 492 al. 1 CC).

c. La jurisprudence et la doctrine admettent l'existence d'un type particulier de substitution fidéicommissaire, intitulée substitution fidéicommissaire « pour le surplus », « sur les biens résiduels » ou « réduite au solde », qui permet au de cujus de renforcer la position juridique du grevé, et par là-même d'affaiblir celle de l'appelé, en limitant l'obligation de restitution à ce qui reste de la succession à l'ouverture de la substitution, après que le grevé en a joui et disposé à sa guise (Margareta BADDELEY in Commentaire romand, Code civil II, 2016, n. 26
ad art. 488 CC ; Fiorenzo COTTI in Commentaire du droit des successions, 2012, ad art. 491 n. 25). Le grevé bénéfice donc des biens de la succession sans restriction et sans devoir rendre compte de l'utilisation qu'il en a faite. Il ne doit, en particulier, pas se limiter à la satisfaction de ses besoins élémentaires. Les sûretés prévues à l'art. 490 al. 2 CC ne sont, en principe, pas exigées. Il est admis toutefois que le grevé ne peut pas faire des donations et des attributions pour cause de mort sur ce patrimoine. L'abus de droit (art. 2 CC), soit la dilapidation ou la destruction du patrimoine hérité avec intention dolosive, reste également réservé (Margareta BADDELEY, op. cit., n. 26 ad art. 488 et les références citées).

7) a. L'héritier soumis au devoir de substitution est, comme tous les autres héritiers institués, propriétaire de plein droit des biens dès l'ouverture de la succession, et ce jusqu'à l'ouverture de la substitution (Margareta BADDELEY, op.cit., n. 11 ad art. 491 CC).

La succession en main du grevé forme un patrimoine distinct spécial qui doit être mis à l'écart de son patrimoine propre et documenté par un inventaire initial au sens de l'art. 490 al. 1 CC. Cette exigence s'applique également en cas de substitution fidéicommissaire réduite au solde. La séparation des deux patrimoines importe, certes, en vue de la séparation des patrimoines au moment de la substitution et donc du transfert du patrimoine à l'appelé, mais également avant ce moment en cas de saisie des biens du grevé par ses créanciers
(Margareta BADDELEY, op.cit., n. 16 et 17 ad art. 491 CC).

b. En cas de substitution fidéicommissaire réduite au solde, le grevé dispose d'un pouvoir plus large sur les biens transmis, y compris leur substance. Le grevé ne doit toutefois pas augmenter son patrimoine au moyen de la succession, par exemple par le transfert de biens sans son patrimoine propre ; l'abus de droit reste également interdit (art. 2 CC) ; le grevé n'a ainsi pas le droit de détruire, d'endommager ou de supprimer dolosivement des biens successoraux, ni d'en disposer de manière déraisonnable. Pour certains auteurs, le grevé doit utiliser au moins proportionnellement son propre patrimoine pour couvrir ses besoins, ce qui ne paraît pas incompatible avec la volonté du disposant, à moins que celui-ci ne l'ait exprimé dans l'acte pour cause de mort (Margareta BADDELEY, op.cit.,
n. 27 ad art. 491 CC).

c. À l'ouverture d'une substitution fidéicommissaire réduite au solde, l'appelé ne peut prétendre qu'à ce qui reste au grevé ; l'appelé peut éventuellement ne rien recevoir. Il dispose d'une prétention en restitution et, partant, d'une action contre le grevé seulement en cas d'abus de droit de celui-ci (dilapidation de la succession, destruction ou aliénation dolosive de biens ; Margareta BADDELEY, op.cit., n. 21 ad art. 492 CC).

8) a. Selon l'art. 531 CC, toutes clauses de substitution sont nulles à l'égard de l'héritier dans la mesure où elles grèvent sa réserve, ce qui signifie que la substitution fidéicommissaire ne peut porter que sur la quotité disponible.

b. Nonobstant le terme « nulle », la loi prévoit ici une action en réduction d'un genre particulier (ATF 108 II 288 consid. 2). Dans la mesure où elle lèse sa réserve, l'héritier n'est pas tenu d'accepter une substitution fidéicommissaire ; il a droit à une réserve franche qu'il puisse transmettre à ses propres héritiers
(ATF 75 II 190). L'action tend à supprimer la substitution fidéicommissaire dans la mesure où elle lèse la réserve du grevé. Dès lors que le droit à la réserve est transmissible par succession, les héritiers du grevé peuvent eux aussi s'en prévaloir contre les appelés (ATF 108 II 288 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_357/2016 du 12 avril 2017 consid. 4.3.3 ; 5A_166/2009 du 20 mai 2009 consid. 4.1.1; 5C.18/1997 du 1er décembre 1997 consid. 7a), mais les héritiers du grevé ne peuvent ouvrir action en réduction à l'encontre des appelés qu'à concurrence de leur propre réserve, non pour l'entier de la réserve du grevé
(ATF 133 III 309 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_357/2016 précité consid. 4.3.3).

Le grevé peut toutefois renoncer à faire valoir sa réserve ; cette décision engage alors ses propres successeurs (ATF 133 III 309 consid. 5 ;
Margareta BADDELEY, op. cit., n. 18 ad art. 488 CC).

c. Selon l'art. 533 al. 1 CC, l'action en réduction se prescrit par un an à compter du jour où les héritiers connaissent la lésion de leur réserve et, dans tous les cas, par dix ans, qui courent, à l'égard des dispositions testamentaires, dès l'ouverture de l'acte et, à l'égard d'autres dispositions, dès que la succession est ouverte. Le délai d'un an est en réalité un délai de péremption (ATF 98 II 176 consid. 10). En ce qui concerne son point de départ, l'héritier lésé dans sa réserve ne doit connaître que les éléments de fait qui justifieraient le bien-fondé d'une action en réduction ; il n'est pas nécessaire que cette connaissance confine à la certitude. En particulier, l'action en réduction doit aussi être admise quand le demandeur n'a pas encore pu chiffrer sa prétention (ATF 121 III 249 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_357/2016 précité consid. 5.2.1 ; 5C.155/1997 du
2 mars 1998 consid. 7a publié in JdT 1999 I 182).

La reconstitution de la part réservataire présuppose nécessairement la réduction des dispositions à cause de mort prises en faveur de ceux qui bénéficient de la lésion à la réserve soit des héritiers appelés de la substitution fidéicommissaire lésant la réserve et, partant, nécessite un jugement formateur tendant à l'annulation des dispositions du de cujus en faveur des héritiers appelés, dans la mesure où elles portent atteinte à la réserve du grevé, et de conférer à ce dernier, héritier réservataire, la qualité d'héritier effectif et non seulement provisoire, jusqu'à l'ouverture de la substitution fidéicommissaire. Seuls les héritiers réservataires sont titulaires de l'action en réduction permettant de reconstituer leurs parts successorales lésées (arrêt du Tribunal fédéral 5A_357/2016 précité consid. 4.4).

9) L'interprétation des dispositions à cause de mort obéit aux principes applicables en matière testamentaire, et non en matière contractuelle, et doit viser à déterminer la volonté réelle du disposant. Le juge doit partir du texte du testament, qui seul exprime valablement la volonté manifestée du disposant. Si celui-ci est clair, il n'a pas à recourir à d'autres éléments d'interprétation. En revanche, si les dispositions testamentaires manquent de clarté au point qu'elles peuvent être comprises aussi bien dans un sens que dans un autre, le juge doit interpréter les termes dont le testateur s'est servi en tenant compte de la logique interne du testament, voire de circonstances extrinsèques lorsque celles-ci permettent d'éclairer la volonté exprimée dans le texte, aussi confuse ou incomplète soit-elle ; il peut également se référer à l'expérience générale de la vie et au principe du favor testamenti, selon lequel, entre deux solutions possibles, il faut choisir la plus favorable au maintien de l'acte (ATF 124 III 414 consid. 3 et les références citées). Le juge doit toutefois toujours rechercher la volonté réelle du disposant; une interprétation fondée sur le principe de la confiance, selon le sens compris de bonne foi par le destinataire de la déclaration de volonté, est exclue (ATF 131 III 106 consid. 1.1 et les références citées ; ATF 120 II 182 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_644/2015 du 24 novembre 2015
consid. 3.3.1).

10) Les recourants considèrent que le TAPI aurait constaté de manière inexacte les faits en retenant que les avoirs de leur grand-mère à son décès étaient supérieurs à sa fortune en 1996, soit au moment du décès de son époux, alors qu'ils estiment que sa situation financière était identique. Ils en déduisent que leur grand-mère aurait utilisé tout le patrimoine de la substitution fidéicommissaire pour vivre, de sorte que celui-ci n'existait plus au moment de son décès. Par ailleurs, leur grand-mère avait mélangé son patrimoine propre à celui de la substitution fidéicommissaire, de sorte que cette dernière n'existait plus pour cette raison également. Enfin, si leur grand-mère avait clairement mentionné la substitution fidéicommissaire et son montant dans son testament, il fallait considérer, dès lors que la substitution n'existait plus, qu'elle avait effectué une libéralité en leur faveur.

Il n'est pas contesté que M. C______ a prévu dans son testament après avoir institué son épouse unique héritière de sa succession une substitution fidéicommissaire « réduite au solde » en faveur des recourants, précisant que son épouse n'avait ni inventaire à dresser ni sûretés à donner.

À titre préalable, il ressort du dossier que les recourants n'ont jamais contesté la validité de la substitution fidéicommissaire de CHF 1'763'650.80 en leur faveur avant que l'AFC-GE n'indique, par courrier du 3 octobre 2016, qu'ils seraient taxés sur celle-ci en 5ème catégorie. Ils n'ont en particulier pas remis en cause le bénéfice d'inventaire établi les 28 juin et 7 juillet 2016, pas plus qu'ils n'ont contesté la teneur du courrier de Me F______ du 28 septembre 2016 indiquant que qu'il y avait lieu de prélever la somme de CHF 1'763'650,80 sur les avoirs de la succession de feu Mme D______ afin de la remettre aux bénéficiaires de la substitution fidéicommissaire, et ce alors même que leur mère avait déjà annoncé répudier la succession.

Ceci dit, comme relevé à juste titre par l'AFC-GE, le fait que le TAPI ait ou non correctement établi le montant des avoirs propres de Mme D______ au décès de son conjoint en 1996 est sans importance, dès lors que l'établissement de ce montant est sans incidence sur le litige. D'une part, de l'aveu même des recourants, le montant exact de la fortune de cette dernière en 1996 n'est pas connu et ne peut faire l'objet que d'une estimation. Les montants reconstitués par les recourants ne reposent, pour la plupart, sur aucune pièce, et ne peuvent pas sans autres être considérés comme étant exacts. D'autre part, quand bien même la fortune de leur grand-mère en 1996 était effectivement équivalente à celle qu'elle possédait au moment de son décès en 2015, on ne saurait en tirer la conclusion que les recourants en déduisent. À teneur du dossier, rien ne permet en effet de considérer que leur grand-mère aurait utilisé en tout ou partie, entre 1996 et 2015, le patrimoine de CHF 1'763'650.80 faisant l'objet de la substitution fidéicommissaire. Les recourants n'y apportent en particulier aucune preuve, alléguant tantôt que leur grand-mère aurait dépensé tout ce patrimoine, tout en relevant par la suite qu'on pourrait également supposer que seule la moitié de
celui-ci aurait été utilisée. Les recourants procèdent par ailleurs à une argumentation contradictoire, dès lors qu'ils indiquent également dans leur recours que leur grand-mère aurait mélangé le patrimoine issu de la substitution fidéicommissaire à ses biens propres, de sorte qu'on ne pourrait plus distinguer ces deux patrimoines. L'argumentation des recourants ne convainc dès lors pas.

Tant les parties que le TAPI s'accordent à relever que la grand-mère des recourants avait effectivement la possibilité de disposer librement du patrimoine hérité de son défunt époux et de ne restituer que le solde de celui-ci. Il ressort toutefois du texte clair du testament de la grand-mère des recourants qu'il n'y a dès lors pas lieu d'interpréter différemment, comme le voudraient les recourants qu'elle a conservé l'entier du patrimoine résultant de la substitution litigieuse, dès lors qu'elle y indique formellement qu'il y a lieu de prélever la somme de
CHF 1'763'650,80 sur les avoirs dépendant de sa succession pour la remettre aux appelés de la clause de substitution fidéicommissaire. La conservation de ce patrimoine est confirmée par la teneur du bénéfice d'inventaire établi les 28 juin et 7 juillet 2016 qui indique que les actifs de la succession de la grand-mère des recourants s'élèvent à CHF 10'301'909,06 et les passifs à CHF 1'932'516,25, dont la substitution fidéicommissaire de CHF 1'763'650,80. Contrairement à ce que relèvent encore les recourants, leur grand-mère n'a pas fait «  revivre » la substitution litigieuse dans son testament dès lors que celle-ci n'a jamais cessé d'exister mais a rappelé la volonté de feu son époux, ainsi que son souhait de s'y conformer. Les recourants ne peuvent ainsi être suivis lorsqu'ils allèguent que la précitée aurait institué un legs ou fait une reconnaissance de dette en leur faveur.

Enfin, il est exact que les recourants héritent au final du même patrimoine, que l'on tienne ou non compte de la substitution fidéicommissaire, seul le taux d'imposition applicable étant modifié. Une telle situation est générée par la coexistence de dispositions de droit civil et de droit fiscal qui ne poursuivent pas les mêmes finalités. Les premières accordent à chaque personne physique la liberté d'organiser ce qu'il advient de ses biens après son décès, tandis que les deuxièmes concernent le traitement fiscal en faveur de l'État des valeurs revenant aux bénéficiaires, selon des règles qui s'imposent à ces derniers et qui ne prennent plus en considération la volonté du de cujus. Il appartient aux personnes concernées par des dispositions pour cause de mort d'examiner pendant le délai de répudiation l'incidence économique desdites dispositions, notamment sous l'angle fiscal, pour prendre les décisions qui s'imposeraient à elles en fonction des circonstances (ATA/1310/2015 du 8 décembre 2015 consid. 6).

Pour le surplus, les recourants ne font plus valoir à juste titre que la substitution fidéicommissaire instituée par testament du 27 mai 1993 violerait la réserve légale de leur grand-mère, dès lors que, comme exposé à raison par le TAPI, cette dernière n'a pas intenté une action en réduction dans le délai d'une année à compter de l'ouverture de la succession de son défunt époux pour obtenir la reconstitution de sa réserve et qu'ils ne peuvent pas eux-mêmes se prévaloir de l'exception de réduction, dès lors qu'ils ne sont pas les héritiers réservataires de feu M. C______.

À toutes fins utiles, il sera encore relevé que la convention du
29 mai 2017 conclue entre les recourants et les trois institutions caritatives instituées héritières par leur grand-mère est sans incidence sur le présent litige, ce que les recourants ont d'ailleurs eux-mêmes relevé dans leur réplique devant le TAPI du 4 août 2017 .

Au vu de ce qui précède, les droits de succession relatifs à la substitution fidéicommissaire fixés selon les tarifs de la 5ème catégorie selon les art. 21 et 28 LDS ont été calculés de manière conforme au droit et le jugement du TAPI, tout comme le bordereau de l'AFC-GE du 19 janvier 2017, doivent être confirmés.

Le recours sera donc rejeté.

11) Au vu de l'issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge conjointe et solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 avril 2018 par Messieurs A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 mars 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de Messieurs A______ et
B______ un émolument de CHF 2'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gilles Favre, avocat des recourants, à l'administration fiscale cantonale ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :