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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3674/2020

JTAPI/662/2021 du 28.06.2021 ( ICC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : TAXE D'INSCRIPTION AU REGISTRE;DROITS D'ENTREGISTREMENT;PARTAGE SUCCESSORAL;LIQUIDATION DU RÉGIME MATRIMONIAL
Normes : LDE.3.letf; LDE.3.letg; LDE.62.al1; LDE.67
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3674/2020 ICC

JTAPI/662/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 juin 2021

 

dans la cause

 

Maître A______, représenté par Me Antoine BERTHOUD, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

 

EN FAIT

1.             Feu Monsieur B______ est décédé à Genève le ______ 2018, laissant pour ses héritiers légaux et réservataires son épouse, Madame C______, et leurs deux enfants, Madame D______ et Monsieur E______.

2.             A teneur du certificat d’héritier, établi le 1er novembre 2018 par Me A______, notaire, les dernières dispositions testamentaires de feu M. B______ stipulaient que celui-ci léguait à son épouse, au choix de celle-ci, soit l’usufruit de toute sa succession, soit « le maximum tant en pleine propriété qu’en usufruit » et qu’il instituait pour ses seuls et uniques héritiers ses deux enfants, précisant que leurs droits s’établiraient en fonction du choix de son épouse. Il a nommé pour exécuteur testamentaire Me A______.

Il y est par ailleurs précisé que :

-          les époux, s’étant mariés à Genève le 13 avril 1963, avaient été soumis au régime légal de la participation aux acquêts ;

-          feu M. B______ était inscrit au registre foncier (ci-après : RF) en qualité de propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de F______ (ci-après : l’immeuble), qu’il avait acquise le 25 janvier 1977 ;

-          ce dernier avait prévu une règle de partage ;

-          le 20 septembre 2018, Mme C______ avait « opté » pour l’usufruit de toute la succession.

3.             Par acte notarié du 14 juillet 2020 instrumenté par Me A______ (intitulé « Déclaration de mutation cadastrale et délivrance de legs testamentaire d'un usufruit » et comportant une citation de la teneur du certificat d’héritier du 1er novembre 2018), ce dernier a requis du RF :

-          l’inscription « au nom de la propriété commune soit communauté héréditaire existant entre [Mme D______ et M. E______] de l’immeuble » ;

-          l’inscription d’une servitude d’usufruit au profit de Mme C______ sur l’immeuble.

4.             Par bordereau de droits d’enregistrement du 15 juillet 2020, concernant l’acte du 14 juillet précédent, l’AFC-GE a taxé les héritiers sur les opérations de « réquisition de mutation après décès » (CHF 21.- de droits, dont CHF 10.- de doits fixes), « création d’autres servitudes » (CHF 4,20.- de droits, dont CHF 2.- de droits fixes) et « partage » portant sur une valeur de CHF 2'102'567.- (CHF 4'415,85 de droits). Me A______ était désigné comme débiteur de ces droits.

5.             Le 26 août 2020, ce dernier a formé réclamation contre ce bordereau.

L’acte du 14 juillet 2020 avait été instrumenté dans le cadre d’une simple mutation cadastrale et la délivrance de legs d’usufruit. Les héritiers demeurant en hoirie, aucun partage n’était intervenu. En vertu de l’art. 67 al. 2 de de la loi sur les droits d'enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30) une telle opération n’était pas soumise au droit de partage, mais à un droit fixe de CHF 10.-.

6.             Par décision du 14 octobre 2020, l’AFC-GE a rejeté cette réclamation.

La mutation des biens faisant partie des acquêts devait être précédée par la liquidation du régime matrimonial. Le calcul des droits avait été fait conformément à l’art. 62 al. 1 let. b LDE, si bien que la taxation contestée était maintenue.

7.             Par acte du 12 novembre 2020, sous la plume de son conseil, Me A______ (ci-après : le recourant) a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, sous suite de frais et dépens, à ce « qu’aucun droit de partage n’est dû sur la mutation immobilière » de la parcelle n° 1______ de la commune de F______ ».

L'art. 67 LDE prescrivait de manière très claire que la mutation en copropriété ou en propriété commune de biens immobiliers dépendant d'une succession n'est pas soumise au droit de partage, mais à un droit fixe. Cette disposition légale avait pour but d'éviter une imposition multiple, puisque le partage ultérieur de l'immeuble était taxé au moment où il était effectué.

Au reste, dans le cadre d'une succession, la propriété était immédiatement acquise aux héritiers le jour du décès, comme le prévoyait l'art. 560 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Pour un bien immobilier, l'art. 656 al. 2 CC était fondé sur le même principe, puisqu'il rappelait que l'acquisition de la propriété intervenait avant l'inscription au RF.

En l’espèce, la mutation immobilière en propriété commune entre les héritiers n'avait impliqué aucun transfert de propriété et ne constituait pas non plus, d'après le texte clair de la loi, un acte soumis au partage, étant précisé à cet égard que l'art. 67 LDE ne faisait aucune différence en fonction de la masse à laquelle appartenait le bien immobilier. Peu importait dès lors qu'il s'agisse d'un bien propre ou d'un acquêt du de cujus. À défaut de transfert de propriété, l'opération litigieuse ne pouvait pas être assimilée à un acte de disposition sur un acquêt qui, d'après la jurisprudence du tribunal, impliquait la liquidation préalable du régime matrimonial soumise au droit de partage.

L'inscription au RF d'un usufruit en faveur du conjoint survivant n’était pas de nature à modifier cette conclusion, Il ressortait de l'art. 473 al. 3 CC que l’usufruit constituait un legs, et non pas une institution d'héritier. En l’occurrence, le certificat d'héritiers mentionnait bien que les seuls héritiers du de cujus étaient ses enfants. En tant que légataire, Mme C______ n'était que titulaire d'une créance envers les héritiers (art. 562 CC), le legs d'usufruit étant soumis aux règles concernant les droits réels (art. 563 al. 1 CC) et s'établissant, pour des immeubles, par une inscription au RF (art. 741 al. 1 CC). En l’occurrence, l'inscription d'une servitude d'usufruit en faveur de la veuve du de cujus était une simple délivrance de legs et ne présupposait dès lors aucune liquidation préalable du régime matrimonial, qui serait soumise à un droit de partage.

8.             Dans sa réponse du 14 janvier 2021, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Rappelant la jurisprudence du tribunal en matière de partage de successions (cf. not. JTAPI/574/2018, JTAPI/945/2018 et JTAPI/397/2016), elle a relevé qu’en l’occurrence, il ne s'agissait pas d'un seul héritier comme dans la cause faisant l’objet du JTAPI/574/2018 et que l'acte notarié du 14 juillet 2020 ne faisait aucune référence à la liquidation du régime matrimonial, laquelle était nécessaire avant la mutation des biens et qui justifiait l'application de l'art. 62 al. 1 let. b LDE. Lorsque cet acte avait été dressé, l'immeuble appartenait jusqu'alors en indivision à la communauté héréditaire formée par la veuve du de cujus et ses enfants et il devait en être ainsi jusqu'au partage de la succession (art. 602 al. 1 CC). Prétendre, comme le faisait le recourant, que l'acte litigieux ne comportait aucun partage taxable contrevenait au texte clair de cette disposition légale. Étant donné qu’en application de l'art. 62 al. 1 let. a et b LDE, les droits d'enregistrement de 1 ‰ concernaient aussi bien le partage de la succession que celui des biens matrimoniaux, la prise en compte du produit de la liquidation du régime matrimonial apparaissait justifiée, dans la mesure où les parties n'avaient pas allégué que des droits de partage y relatifs avaient déjà été prélevés.

9.             Par réplique du 26 janvier 2021, sous la plume de son conseil, le recourant a maintenu ses conclusions.

Le JTAPI/574/2018 n’était pas applicable en l’espèce, puisque dans cette affaire, le de cujus n’avait eu qu’un seul héritier, ce qui excluait tout partage. Le JTAPI/945/2018 avait quant à lui très clairement rappelé qu'une mutation en communauté héréditaire n'était pas soumise au droit de partage, ce qui était précisément plaidé en l’espèce. Dans ce même jugement, le tribunal avait expressément stipulé que l’inscription d'un usufruit en faveur du conjoint survivant n'était pas non plus constitutif de partage de la succession. Le fait que, dans cette affaire, une mutation préalable de la moitié de l'immeuble avait été effectuée en faveur de la veuve dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial ne changeait rien à cette conclusion. Enfin, dans le JTAPI/397/2016 le tribunal avait rappelé que, conformément au droit civil, le conjoint survivant qui optait pour l'usufruit n'était pas un héritier, mais un légataire. Or, la délivrance d'un legs n'était pas soumise au droit de partage.

C’était avec raison que l'AFC-GE rappelait que la liquidation du régime matrimonial était nécessaire avant le partage de la succession. Toutefois, comme il n'y avait eu en l'espèce aucun partage successoral, il n'existait aucune obligation de procéder à la liquidation du régime matrimonial, qui n'avait pas eu lieu. Comme l'avait rappelé le tribunal dans le JTAPI/397/2016, la dévolution successorale impliquait deux transferts juridiques successifs de la propriété, le premier du de cujus à la communauté héréditaire et le second de cette communauté aux différents héritiers. À Genève, seule la deuxième de ces opérations était qualifiée de partage soumis aux droits d'enregistrement. En l'espèce, cette dernière opération n’avait pas été effectuée, la mutation en propriété commune matérialisant uniquement le premier transfert juridique aux héritiers. Même si la communauté successorale était destinée à être liquidée, les héritiers n'avaient aucune obligation de procéder à un partage, une indivision pouvant subsister pendant de nombreuses années.

Il en résultait que la mutation immobilière litigieuse n'était pas soumise au droit de partage, ni la délivrance du legs d'usufruit en faveur de la veuve. Par ailleurs, aucune de ces opérations n'impliquait l'obligation préalable de procéder à la liquidation du régime matrimonial, qui n'avait pas eu lieu en l’espèce.

10.         Par duplique du 9 février 2021, l'AFC-GE a elle-aussi maintenu ses conclusions, se limitant à relever que le recourant n’avançait aucun élément nouveau pouvant influer sur l’issue du litige.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’AFC-GE en matière de droits d’enregistrement (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 et 2 LDE).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable (cf. art. 178 al. 7 et 179 al. 1 et 2 LDE et 62 al. 1 let. a et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Le recourant, qui a instrumenté l’acte litigieux du 14 juillet 2020, dispose, en sa qualité de débiteur des droits d'enregistrement litigieux, de la qualité pour recourir (cf. art. 161 al. 1 let. a et 179 al. 1 LDE).

3.             Les arguments formulés par les parties à l'appui de leurs conclusions respectives et le contenu des pièces qu'elles ont versées au dossier seront repris et discutés dans la mesure utile (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 4.1 ; 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 5.1 ; 1C_304/2016 du 5 décembre 2016 consid. 3.1 ; 1C_592/2015 du 27 juillet 2016 consid. 4.1 ; 1C_229/2016 du 25 juillet 2016 consid. 3.1 et les arrêts cités).

4.             Toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et, en général, toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, soumise soit obligatoirement, soit facultativement à la formalité de l’enregistrement, fait l’objet d’un impôt dénommé « droits d’enregistrement » (art. 1 al. 1 LDE).

Sont notamment soumis obligatoirement à l’enregistrement les actes, écrits et pièces portant partage de successions ouvertes dans le canton de Genève, sous une réserve non réalisée en l’espèce (art. 3 let. f LDE), ainsi que les actes, écrits et pièces portant attribution de biens résultant de changement ou de liquidation d’un régime matrimonial lorsque les époux, ou l’un d’entre eux, sont domiciliés ou résident dans le canton de Genève (art. 3 let. g LDE).

Le transfert au conjoint survivant ou l’inscription à son nom, en propriété, en nue-propriété ou en usufruit, de droits successoraux que lui attribuent la dévolution légale ou les dispositions testamentaires n’est pas soumis au droit d’enregistrement (cf. art. 11 al. 4 LDE a contrario).

5.             Aux termes de l’art. 62 al. 1 LDE, sous réserve de l’exception mentionnée à l’art. 6 let. t LDE - non réalisée en l’espèce -, est soumis obligatoirement à l’enregistrement au droit de 1 ‰ et au minimum de CHF 10.- le partage entre héritiers de biens dépendant d’une succession, quelle que soit leur nature, y compris ceux qui sont soumis au rapport (let. a), ainsi que le partage des biens matrimoniaux existant au moment du changement ou de la liquidation du régime matrimonial, que ce partage ait lieu après le décès de l’un des conjoints ou de leur vivant (let. b).

L’acte de mutation en copropriété entre héritiers d’immeubles dépendant d’une succession n’est pas soumis au droit de partage, mais à un droit fixe de 10 francs, à condition toutefois que l’inscription au registre foncier soit faite conformément aux droits successoraux des héritiers (art. 67 al. 1 LDE). L’acte de mutation en communauté héréditaire, en communauté prolongée ou en communauté en liquidation n’est taxé qu’au même droit fixe (art. 67 al. 2 LDE).

Les biens faisant l’objet du partage successoral, du changement ou de la liquidation du régime matrimonial sont taxés à leur valeur vénale à la date du partage, du changement ou de la liquidation du régime matrimonial, sans tenir compte du passif successoral ou matrimonial ; les biens qui font l’objet d’un rapport sont taxés à la valeur admise pour la perception des droits de succession (art. 63 LDE).

Si la constitution ou le transfert de servitude ne donne pas lieu à perception d’un droit proportionnel, il est perçu un droit fixe de CHF 2.- par propriétaire intéressé ayant un intérêt distinct (art. 47 al 3).

6.             Les parties sont tenues de faire enregistrer tous les actes et opérations ainsi que les déclarations de transfert et d’autres opérations dont l’enregistrement est obligatoire en application de la LDE. Cette obligation incombe solidairement aux donateur et donataire, aux cohéritiers en matière de partage successoral et aux époux dont le régime matrimonial est modifié ou liquidé (art. 138 LDE).

7.             La loi fiscale lie en principe l'imposition des successions aux transferts et institutions du droit civil ; elle peut s'écarter du droit civil pour donner une définition propre des cas d'imposition, mais, en vertu du principe de la légalité de l'impôt, elle doit le dire expressément. Lorsque la norme fiscale opère clairement son rattachement au droit civil, sans s’en écarter expressément, elle doit être appréciée dans le contexte du droit civil et les concepts du droit civil être pris dans leur acception civile (cf. ATA/1007/2019 du 11 juin 2019 consid. 5 ; ATA/857/2019 du 30 avril 2019 consid. 2c et les arrêts cités).

8.             Aux termes de l’art. 204 al. 1 CC, le régime matrimonial est dissous au jour du décès d’un époux.

Le décès d'une personne mariée entraîne la dissolution du mariage et la liquidation du régime matrimonial. La liquidation d'une participation aux acquêts ou d'une communauté de biens est nécessaire avant le partage de la succession pour pouvoir déterminer le patrimoine personnel du de cujus au moment de son décès (Florence GUILLAUME in Pascal PICHONNAZ, Bénédict FOËX, Denis PIOTET, Commentaire romand du code civil II, ad art. 462, § 6, p. 19 ; cf, JTAPI/574/2018 du 18 juin 2018 consid. 10 et 11).

9.             Le régime de la participation aux acquêts comprend les acquêts et les biens propres de chaque époux (art. 196 CC).

Sont acquêts les biens acquis par un époux à titre onéreux pendant le régime (art. 197 al. 1 CC). Tout bien d’un époux est présumé acquêt, sauf preuve du contraire (art. 200 al. 3 CC).

Sont biens propres de par la loi les effets d’un époux exclusivement affectés à son usage personnel, les biens qui lui appartiennent au début du régime ou qui lui échoient ensuite par succession ou à quelque autre titre gratuit, les créances en réparation d’un tort moral et les biens acquis en remploi des biens propres (art. 198 CC).

10.         Il existe une présomption d'exactitude de faits se trouvant dans un registre public ; il est cependant possible de renverser cette présomption (art. 9 al. 1 CC ; cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_1/2015 du 10 août 2015 consid. 2.3). La preuve que ces faits sont inexacts n'est soumise à aucune forme particulière (art. 9 al. 2 CC).

11.         Les héritiers acquièrent de plein droit l'universalité de la succession dès que celle-ci est ouverte (art. 560 al. 1 CC), soit au jour du décès (art. 537 al. 1 CC). L'effet de l'acquisition par les héritiers institués remonte au jour du décès du disposant (art. 560 al. 3 CC).

S’il y a plusieurs héritiers, tous les droits et obligations compris dans la succession restent indivis jusqu’au partage. Les héritiers sont propriétaires et disposent en commun des biens qui dépendent de la succession, sauf les droits de représentation et d’administration réservés par le contrat ou la loi (art. 602 al. 1 et 2 CC).

12.         Selon les travaux préparatoires du projet de loi 2'859 sur les droits d'enregistrement, « le partage est une opération qui a pour objet de convertir pour chacun des indivis ou copropriétaires, le droit général ou indivis qu'ils avaient sur la totalité des choses communes, en droit exclusif sur une ou plusieurs choses déterminées (...). Le partage peut avoir lieu notamment entre héritiers, entre époux qui liquident leur régime matrimonial, entre associés, entre membres d'une indivision ou d'une communauté prolongée, entre colégataires, codonataires, entre copropriétaires (art. 646 et 651 CC) ou propriétaires en commun (art. 652 et 654 CCS) » (MGC 1965 II 905 ; ATA/286/2021 du 2 mars.2021 consid. 2f).

13.         Comme le rappelle le JTAPI/945/2018 du 24 septembre 2018, cité par le recourant, les travaux préparatoires de la LDE soulignent que « le partage est une opération qui a pour objet de convertir pour chacun des indivis ou copropriétaires le droit général ou indivis qu’ils avaient sur la totalité des choses communes, en droit exclusif sur une ou plusieurs choses déterminées ( ). Le partage peut avoir lieu notamment entre héritiers, entre époux qui liquident leur régime matrimonial, entre associés, entre membres d’une indivision ou d’une communauté prolongée, entre colégataires, codonataires, entre copropriétaires (art. 646 et 651 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210) ) ou propriétaires en commun (art. 652 et 654 CC) » (MGC 1965 II 905 ; ATA/682/2012 du 9 octobre 2012 consid. 2b ; ATA/775/2011 du 20 décembre 2011 consid. 8 ; ATA/548/2005 du 16 août 2005 consid. 5c).

14.         Il apparaît ainsi que pour le législateur, le partage peut intervenir aussi bien en cas de copropriété - soit lorsque plusieurs personnes ont chacune pour sa quote-part, la propriété d’une chose qui n’est pas matériellement divisée (art. 646 al. 1 CC) - qu’en cas de propriété commune - soit lorsque plusieurs personnes formant une communauté en vertu de la loi ou d’un contrat sont propriétaires d’une chose, le droit de chacun s’étendant à la chose entière (art. 652 CC) (ATA/682/2012 du 9 octobre 2012 consid. 2b ; ATA/775/2011 du 20 décembre 2011 consid. 8 ; ATA/548/2005 du 16 août 2005 consid. 5c).

15.         Dans l'affaire jugée par le JTAPI/945/2018 cité plus haut, le de cujus, faisant usage de la possibilité que lui donnait l'art. 743 CC, avait stipulé que sa succession serait dévolue à son épouse « dans la proportion de propriété ou d’usufruit qu’elle choisir[ait], le solde revenant à ses enfants » à parts égales entre eux et que dans « les limites du choix » de son épouse, ses enfants « renonç[ai]ent à tous droits légaux et réservataires dans la succession de leur père ». Il s'en était suivi, après le décès du de cujus, que son épouse avait déclaré opter pour l'usufruit de la part lui revenant dans la succession de feu son époux. Puis, par acte notarié, elle-même et ses trois enfants avaient requis notamment la mutation d'une parcelle à raison de la copropriété pour moitié à son nom, en pleine propriété, découlant de la liquidation du régime matrimonial, et à raison de la copropriété pour l'autre moitié au nom de la communauté héréditaire, celle-ci étant composée exclusivement des trois enfants.

Sur la base des principes et des circonstances susmentionnées, le tribunal a constaté que les héritiers n'avaient procédé qu'à une mutation en communauté héréditaire de la moitié de la parcelle. Cette opération ne pouvait être considérée comme un partage ni – par conséquent – être soumise au droit d'enregistrement selon l'art. 62 al. 1 let. a LDE. Elle devait en réalité être appréhendée sous l'angle de l'art. 67 LDE et donner lieu à la perception d'un droit à concurrence de CHF 10.-.

16.         Il convient encore d'ajouter que selon la doctrine, lorsque le conjoint refuse le legs d'usufruit, il n'en retrouve pas pour autant la qualité d'héritier ab intestat (Paul-Henri STEINAUER in Pascal PICHONNAZ, Bénédict FOËX, Denis PIOTET, Commentaire romand du code civil II, art. 473 N 7), ce qui signifie a contrario qu'il ne dispose pas de cette qualité, perdue dès le moment où le de cujus fait usage de la possibilité que lui confère l'art. 473 d'attribuer à son conjoint l'usufruit de toute la succession. Quoi qu'il en soit, quand bien même on admettrait que le conjoint survivant appartient à la communauté héréditaire lors du décès du de cujus (en particulier lorsque ce dernier a laissé à son conjoint le choix de se mettre au bénéfice de l'art. 473 CC), il n'en demeure pas moins que sa sortie de cette communauté, non pas en tant qu'héritier obtenant un partage partiel de la succession, mais en tant que légataire, n'entraîne alors aucun partage et laisse la succession entière et indivise, mais attributaire d'un usufruit. En effet, il convient de distinguer le partage de la succession des naissance, exigibilité et exécution du legs d’usufruit : aussi longtemps que le bien grevé n’est pas attribué définitivement à un ou des héritiers et n’est pas sorti de la masse successorale pour entrer dans le patrimoine de l’héritier désigné, il fait partie des biens de la communauté héréditaire, et il n’y a pas de partage par le seul fait du choix de l’usufruit par le conjoint survivant, ni même par l’éventuelle exécution partielle ou entière du legs, ni non plus par l’éventuelle décision du légataire de renoncer à l’usufruit pour rester héritier (Margareta BADDELEY, in Pascal PICHONNAZ, Bénédict FOËX, Denis PIOTET, Commentaire romand du code civil II, ad art. 484, N 54 et ss).

17.         Aux termes de l’art. 161 al. 1 LDE, intitulé « Débiteurs des droits », les droits dus sur les actes et opérations soumis obligatoirement ou facultativement à l’enregistrement doivent être payés avant cette formalité : par les notaires, pour les actes de leur ministère (let. a), par les parties, pour tous autres actes et opérations.

Les droits sont supportés par les parties auxquelles ces actes et opérations profitent (cf. art. 163 al. 2 LDE).

Sont solidairement responsables du paiement des droits, intérêts et frais, les cohéritiers qui se partagent une succession, les époux dont le régime matrimonial est modifié ou liquidé (art. 166 al. 1 LDE).

18.         En l’espèce, l’acte litigieux du 14 juillet 2020 porte sur deux opérations, soit la mutation de l’immeuble en communauté héréditaire entre les deux enfants du de cujus et la délivrance du legs de l’usufruit de ce bien à Mme C______. Au vu du bordereau contesté, force est constater que la première opération a été taxée, à juste titre, en application de l’art. 67 al. 2 LDE (CHF 10.- de droit fixe) et la seconde à hauteur de CHF 2.-, au titre d’« autres servitudes » (cf. art. 47 LDE). Par ailleurs, aucun partage successoral n’a fait l’objet des droits prévus à l’art. 62 al. 1 let. a LDE. En effet, tant dans sa décision sur réclamation que dans sa réponse au recours (cf. ch. 5 de la partie « en fait »), l'autorité intimée a précisé avoir fait application de l’art. 62 al. 1 let. b LDE, à savoir que les droits litigieux de CHF 4'415,85 concernent la liquidation du régime matrimonial, et non le partage successoral.

19.         Comme cela découle de la jurisprudence et de la doctrine rappelées plus haut, le choix de la conjointe du de cujus de devenir usufruitière de toute la succession n'a entraîné aucun partage successoral, de sorte que, quoi qu'il en soit, aucun droit d'enregistrement ne peut être perçu à ce titre.

Cependant, la conclusion du recourant tendant à ce « qu’aucun droit » ne soit dû sur « la mutation immobilière » se révèle pour partie infondée, puisqu’un droit de CHF 10.- est dû sur cette opération en vertu l’art. 67 al. 2 LDE, et pour le surplus sans objet, dans la mesure où elle tend à l’application de cette disposition à cette opération, ce que l'AFC-GE a effectivement fait.

Pour le surplus, le recourant soutient que dans la mesure où il n'y avait eu aucun partage successoral, il n'existait alors aucune « obligation » de procéder à la liquidation du régime matrimonial, de sorte que celle-ci n’avait pas eu lieu. Or, ce faisant, il perd de vue que le décès de feu M. B______ impliquait en soi la dissolution et la liquidation du régime matrimonial et que pour pouvoir requérir du RF l’inscription des opérations instrumentées par l’acte du 14 juillet 2020, lesquelles ne concernent qu’un élément appartenant à la masse successorale, il fallait tout d’abord déterminer dans quelle mesure l'immeuble en faisait partie, ce qui impliquait nécessairement la liquidation préalable du régime matrimonial.

Cette conclusion ne permet toutefois pas de considérer le recourant comme débiteur des droits d’enregistrement sur cette liquidation, dans la mesure où l’acte du 14 juillet 2020 qu’il a instrumenté ne porte manifestement pas sur elle, même s’il en tient compte implicitement. C’est en effet seule Mme C______ qui en est débitrice et responsable (cf. 166 al. 1 LDE), étant précisé que cette opération lui profite (cf. art. 163 al. 2 LDE) et qu’elle était tenue de la déclarer à l’enregistrement (cf. art. 138), ce que, au vu du dossier, elle n’a pas fait.

Il en résulte que le bordereau contesté doit être annulé dans la mesure où il tient compte des droits relatifs à la liquidation du régime matrimonial (CHF 4'415,85).

20.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement et le dossier renvoyé à l'AFC-GE pour nouveau bordereau de droits d’enregistrement ne tenant pas compte des droits sur la liquidation du régime matrimonial (CHF 4'415,85).

21.         Vu cette issue, le tribunal renoncera à la perception d'un émolument (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

22.         L'avance de frais, soit CHF 700.-, sera restituée au recourant.

Ce dernier ayant eu recours aux services d'un conseil pour les besoins de la cause et ayant conclu à l'allocation d'une indemnité de procédure, il lui sera alloué, à la charge de l'autorité intimée, une indemnité de procédure de CHF 1'200.-, comprenant une participation aux honoraires dudit mandataire (art. 87 al. 2 à 4 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 12 novembre 2020 par Me A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 14 octobre 2020 ;

2.             l'admet partiellement au sens des considérants;

3.             annule cette décision et le bordereau y relatif et renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouveau bordereau dans le sens des considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             ordonne la restitution au recourant de son avance de frais de CHF 700.- ;

6.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser au recourant une indemnité de procédure de CHF 1'200.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Jean-Marie HAINAUT et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière