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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/26631/2019

CAPH/63/2022 du 28.04.2022 sur OTPH/1143/2021 ( OO ) , REFORME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26631/2019-4 CAPH/63/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 28 AVRIL 2022

 

Entre

A______ SA, domiciliée ______, recourante contre une ordonnance d'instruction rendue par le Tribunal des prud'hommes le 10 juin 2021, comparant par
Me Françoise MARKARIAN, avocate, rue Céard 13, case postale 3109,
1211 Genève 3, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, comparant par Me Laura LUONGO, avocate, rue d'Italie 10, case postale 3770, 1211 Genève 3, en l'Étude de laquelle il fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           a. Par requête en conciliation déposée le 25 novembre 2019, déclarée non conciliée le 25 février 2020, et demande introduite le 23 juin 2020 devant le Tribunal des prud'hommes (ci-après le Tribunal), B______ a assigné A______ SA, avec suite de frais judiciaires, en paiement de 150'000 fr. à titre d'indemnité pour licenciement abusif, 10'000 fr. à titre d'indemnité pour tort moral, 63'000 fr., 1'289 fr. et 37'800 fr. à titre de compensations indues du salaire et d'indemnités de défraiement avec de prétendues créances en loyers et charges pour un logement dont il avait jusque-là bénéficié gratuitement, 275'000 fr. à titre d'indemnité de départ et 124'452 fr. 80 à titre de dommage supplémentaire (frais d'avocats avant procédure, art. 106 CO), ainsi qu'en délivrance d'un certificat de travail conforme à la réalité.

A l'appui de la demande, B______ a allégué appartenir à l'une des plus riches familles d'origine indienne du Kenya, active non seulement dans cet Etat, mais également dans d'autres pays d'Afrique, d'Asie, d'Europe et d'Amérique du Nord. La fortune de la famille était gérée de manière communautaire, par un conseil de famille présidé par C______, par le truchement de plusieurs entités, notamment des holdings et des trusts. Le "centre névralgique de la gestion du groupe", notamment la gestion de sa trésorerie se trouvait en Suisse, sous le contrôle de D______, qui avait créé à cette fin, à Genève, en 1976, la société A______ SA, laquelle abritait également des activités typiques d'un family Office et fournissait des services aux entités du groupe ainsi qu'aux membres de la famille B___/C___/D___/E______. B______ et son cousin E______, employés de A______ SA depuis 2007, avaient découvert fin 2016 la manière dont leur oncle D______ gérait les actifs familiaux et avait détourné au profit de la branche de la famille à laquelle il appartenait, pendant une vingtaine d'années, des montants d'un total de l'ordre de 33 millions d'euros versés à une société dont sa fille était l'animatrice, F______ INC. Ils lui reprochaient également d'avoir favorisé l'acquisition personnelle par un neveu d'un bien immobilier ayant appartenu à une entité familiale. Ils l'avaient dénoncé au conseil de famille en 2017 puis aux trustees en juin 2018, provoquant la démission de ces derniers. D______ avait admis des versements indus et des mesures avaient été prises en 2017 afin de mettre un terme à ses agissements, toutefois sans succès. En représailles de leurs accusations, D______ avait, dans un premier temps, exercé une pression financière sur ses neveux B______ et E______ en versant leur salaire avec retard ou en ne prenant plus en charge certains frais sous le prétexte fallacieux d'une situation financière difficile de la société. S'agissant de B______, D______ avait également compensé des créances salariales ou en défraiement avec des créances de loyers et charges cédées par le propriétaire de son logement, une société appartenant à D______. B______ et E______ s'étant plaints de cette situation, ils avaient été licenciés respectivement les 21 septembre et 5 octobre 2018 pour le 31 janvier 2019 par A______ SA, avec libération de l'obligation de travailler et sans autorisation d'accéder à leurs données personnelles et privées figurant sur les serveurs et backups de A______ SA.

A titre préalable, B______ a formulé des réquisitions de preuve portant sur la production de titres par A______ SA, soit :

3. Copie de tout règlement de la société relatif au remboursement de frais de déplacements actuel et antérieur à 2017;

4. Copie de tous les éléments démontrant la prise de décision de mettre un terme aux rapports de travail;

5. Copie des comptes et bilans de A______ SA pour les sept dernières années, ainsi que les extraits de ses comptes bancaires pour les mêmes années;

6. Ses évaluations entre 2007 et 2018;

7. Copie des sommations et/ou documents en lien avec les poursuites initiées à l'encontre de la société par la caisse AVS et/ou les autorités fiscales;

8. Copie des comptes de la société G______ LTD au 31 décembre 2014;

9. Copie de la comptabilité relative aux salaires et aux remboursements de frais en lien avec lui et avec son cousin E______ pour la période de 2011 à 2014.

B______ n'indiquait pas, dans son mémoire de demande, les allégués à l'appui desquels il sollicitait la production de ces preuves.

b. Dans la réponse à la demande du 16 novembre 2020, A______ SA a conclu au rejet de la demande avec suite de frais.

En substance, elle a contesté avoir licencié B______ en raison d'une dénonciation de D______ au conseil de famille pour des détournements de fonds – argument créé de toute pièce deux ans après le licenciement, contesté et sans substance. D______ faisait l'objet de critiques par quelques membres de la famille depuis 2006, restées sans suite et ne concernant pas A______ SA. Le motif de la résiliation du contrat de B______ résidait d'une part dans son attitude globalement impolie et irrespectueuse, dans sa manière de travailler non-conforme aux processus mis en place, ainsi que dans ses prestations professionnelles insuffisantes. Il résidait d'autre part et surtout dans l'insubordination de l'intéressé, qui avait violé son devoir de diligence et de fidélité, dégradé la qualité des rapports de travail et rompu les rapports de confiance en poussant l'encadrement de A______ SA à se désolidariser de D______ dans la direction de la société : il avait tenté de pousser les directeurs à ne plus obéir ni rendre compte à ce dernier, mais à la famille B___/C___/D___/E______ dans son ensemble; selon lui, une nouvelle ère était en effet arrivée et il fallait s'affranchir de l'ancienne hiérarchie.

A______ SA a contesté une attitude chicanière envers B______ lorsque des salaires ou des défraiements avaient été versés en retard. Le défraiement de l'intéressé était problématique car il ne respectait pas le règlement interne (produit en pièce 9 déf.). Sa désorganisation, le mélange des frais professionnels et personnels, ainsi que son non-respect des délais avait entraîné une surcharge de travail administratif, raison pour laquelle ses notes de frais avaient souvent été indemnisées avec retard. Par ailleurs, des sociétés du groupe avaient parfois connu des difficultés financières et n'avaient pu honorer leurs engagements financiers envers A______ SA, provoquant à certaines périodes des retards dans le paiement des salaires.

S'agissant des compensations opérées entre des créances de droit du travail et des créances de droit du bail, A______ SA a exposé que la fixation du loyer du logement de B______ et l'adaptation du montant du salaire en rapport faisait en réalité l'objet de discussions entre les parties depuis 2015 et la gratuité initiale de ce logement n'avait été convenue que provisoirement. La discussion sur cet objet n'était donc en rien liée à la dégradation des relations de travail et au licenciement.

Le certificat de travail était, selon A______ SA, le reflet de la qualité réelle de la relation de travail.

Finalement, s'agissant des réquisitions de preuves, A______ SA estimait avoir produit toutes les pièces pertinentes, soit le règlement interne d'indemnisation des frais, un courriel de B______ par lequel il refusait de rapporter à D______, mais entendait ne dépendre que de la famille dans son ensemble (pièce 11 déf.) et le procès-verbal de la séance du conseil d'administration lors de laquelle avait été prise la décision de licencier B______. Il n'y avait pas de rapports d'évaluation vu la structure réduite de la société; tout se faisait lors d'entretiens dont le contenu pouvait être établi par l'audition des parties et de témoins. Pour le surplus, A______ SA considérait que les pièces dont la production était requise n'étaient pas pertinentes pour l'issue du litige, contenaient des secrets d'affaires et concernaient pour certaines des tiers dont la personnalité ou les secrets devaient être préservés. Elle refusait par conséquent de les produire, qualifiant la démarche de B______ de fishing expedition.

c. B______ ayant été invité par ordonnance du 3 décembre 2020 à se déterminer sur la réponse, il a déposé une écriture le 22 décembre 2020 contenant non seulement des déterminations, mais également 43 allégués nouveaux, accompagnés de trois pièces nouvelles.

S'agissant des réquisitions de preuve, il a persisté dans ses conclusions antérieures, justifiant la production de pièces comptables par la nécessité de prouver que les retards de paiement depuis 2015 n'étaient pas la conséquence de difficultés financières, mais d'une volonté de nuire. Cela permettrait également de constater des versements indus à la société F______ INC, détenue par la fille de D______, sous forme de prétendus prêts, afin de créer une apparence d'illiquidité. Il soupçonnait qu'un processus similaire avait été mis sur pied avec la société G______ LTD, raison pour laquelle sa comptabilité devait également être produite. Finalement, il prenait note du fait qu'il n'existait pas de rapports d'évaluation le concernant, ce qui signifiait qu'aucun reproche ne lui était fait, car la pratique de la société était de constituer un dossier lorsqu'un collaborateur ne donnait pas satisfaction. A cet égard, il concluait à la production complémentaire de la "copie de tous rapports ou emails adressés par H______ à sa hiérarchie en lien avec M. I______ et attestant de l'insatisfaction à son égard, subsidiairement une copie avec un contenu anonymisé de tous rapports ou emails adressés par Mme H______ à sa hiérarchie en lien avec M. I______, attestation de la présence d'échange au sujet de cet employé" (nouvelle conclusion préalable 6bis), afin de comparer le dossier d'un collaborateur n'ayant pas donné satisfaction avec le sien.

d. Le Tribunal a ordonné un deuxième échange d'écritures et invité A______ SA à dupliquer ce qu'elle a fait par écritures du 24 mars 2021.

Elle a allégué quatre faits nouveaux et persisté dans ses conclusions tant sur le fond que sur réquisition de preuve.

e. Par courrier du 30 mars 2021, B______ a sollicité qu'un délai lui soit fixé pour exercer son droit à la réplique.

Dans son écriture déposée le 20 avril 2021, intitulée "déterminations", il s'est non seulement prononcé sur les quatre nouveaux allégués de A______ SA, mais il a également introduit neuf allégués nouveaux et produit des pièces complémentaires.

A______ SA a souligné par courrier du 23 avril 2021 l'incongruité de cette nouvelle écriture, ne s'opposant toutefois pas à sa recevabilité, demandant à pouvoir se déterminer sur les allégués nouveaux et à en introduire également cas échéant de nouveaux. Elle concluait par ailleurs à ce que le Tribunal interdise un quatrième échange d'écritures.

Le Tribunal ayant curieusement toléré ce troisième échange d'écritures, a fixé un délai pour le dépôt d'une écriture complémentaire par A______ SA.

Dans ses écritures du 27 mai 2021, cette dernière s'est exclusivement déterminée sur les allégués nouveaux de la partie adverse.

f. A l'audience de débats d'instruction du 10 juin 2021, B______ a modifié ses conclusions préalables, retirant les chiffres 3, 4 et 7 compte tenu des pièces produites et du fait que son allégué 39 était admis. Pour le surplus, il a persisté dans ses conclusions préalables, précisant que les pièces requises permettraient de démontrer que seuls son cousin et lui-même avaient subis des retards dans le versement du salaire et des défraiements, de même le manque de liquidités avait été créé artificiellement. A______ SA a persisté à s'opposer à la production de pièces comptables, maintenant qu'il s'agissait d'une démarche exploratoire.

g. Par ordonnance non motivée, dictée au procès-verbal à l'issue de l'audience, le Tribunal a notamment :

1. ordonné à A______ SA de produire une copie de ses comptes et bilans pour les années 2017 et 2018;

2. ordonné à A______ SA de produire une copie des relevés de ses comptes bancaires pour les années 2017 et 2018;

( );

4.         réservé d'ordonner à A______ SA de produire copie de tous rapports ou emails adressés par H______ à sa hiérarchie en lien avec I______ et attestant de l'insatisfaction à son égard;

5.         réservé d'ordonner à A______ SA de produire une copie anonymisée de tous rapports ou emails adressés par H______ à sa hiérarchie en lien avec I______, attestant de la présence d'échanges à son sujet;

6. ordonné à A______ SA de produire une copie des comptes de la société G______ LTD au 31 décembre 2014;

( );

19. dit que les moyens de preuve admis étaient les titres produits, l'audition des parties (interrogatoire et/ou déposition) et l'audition des témoins suivants : J______, E______; K______; L______; M______; N______; O______; P______; Q______; R______; S______; T______; U______; V______; W______; X______; Y______; Z______; AA______; AB______; AC______; AD______; AE______.

Au pied de l'ordonnance, le Tribunal n'a pas mentionné qu'une motivation pouvait être requise; en revanche, il a indiqué que l'ordonnance pouvait faire l'objet d'un recours dans un délai de dix jours auprès de la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice.

h. Le Tribunal a encore demandé aux parties, en cours d'audience, de lui communiquer une copie numérique de leurs dossiers par messagerie mail ordinaire.

B.            a. Par acte déposé le 21 juin 2021 auprès de la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice (ci-après la Chambre), A______ SA a formé un recours contre cette ordonnance, concluant, avec suite de frais à charge de B______, à l'annulation des chiffres 1, 2, 4, 5 et 6 de son dispositif ainsi qu'à l'annulation partielle du chiffre 19, en tant qu'il ordonnait l'audition de O______ et de U______.

A______ SA prétendait en substance que B______ utilisait la présente procédure pour obtenir des informations confidentielles destinées à nourrir le litige familial et être produites dans des procédures à l'étranger. Ses très nombreuses réquisitions de preuve (production de titres et audition de témoins), sollicitées sans explication, constituaient une fishing operation.

Sous l'angle de la recevabilité du recours, A______ SA exposait que la production de sa comptabilité, requise pour les exercices 2013 à 2020 et limitée par le Tribunal à 2017 et 2018, impliquait la communication d'informations confidentielles sur ses relations d'affaires et la marche de ces dernières, lui causant un préjudice difficilement réparable. Il en allait de même de la comptabilité de G______ LTD. La production des extraits de tous les comptes bancaires de A______ SA de 2013 à 2020, également réduite par le Tribunal aux exercices 2017 et 2018, avait un caractère exploratoire encore plus marqué que la production des comptes de la recourante et était d'autant plus préjudiciable qu'elle permettait d'accéder directement à des secrets d'affaires et des données couvertes par la protection de la personnalité (identité des fournisseurs, clients, prestataires de services, prix pratiqués, chiffre d'affaires, rémunération des collaborateurs). Par ailleurs, la production et la révélation du contenu du dossier personnel de I______ portait une atteinte difficilement réparable à la personnalité de cet ancien collaborateur, ainsi qu'à la recourante, contrainte de violer son obligation de protéger ses collaborateurs contre des atteintes à leur personnalité et à leurs données. Enfin, l'audition des témoins O______ et U______ impliquait la violation du secret bancaire, ainsi que du secret fiscal et, partant, un préjudice difficilement réparable.

Sur le fond, la production des documents bancaires et comptables de A______ SA n'était pas pertinente pour statuer sur le bienfondé du licenciement de l'intimé, lequel était motivé par son insubordination. Elle ne permettrait pas non plus d'établir les difficultés de liquidités de A______ SA, d'ailleurs incontestées, ni le fait qu'elles auraient été créées artificiellement dans le but de nuire à l'intimé, ce qui impliquait de se pencher sur les motifs des investissements dans F______ INC et G______ LTD, soit un sujet que le Tribunal n'avait pas à investiguer et qui n'était pas pertinent à l'issue du litige. A cet égard l'audition des parties et de témoins était un moyen de preuve plus adéquat. L'intimé était d'ailleurs de mauvaise foi lorsqu'il demandait des probatoires sur la prétendue bonne santé financière de A______ SA car il alléguait lui-même qu'elle avait fait l'objet de poursuites pour le paiement d'impôts et de cotisations sociales, preuve de ses difficultés.

La production du dossier de I______ n'était également pas adéquate car la comparaison de ce dossier avec celui de l'intimé ne prouverait rien, l'intimée n'assurant pas un suivi standardisé et documenté de ses collaborateurs. De surcroît, l'intimé n'avait pas été licencié pour une insuffisance de ses prestations professionnelles mais pour insubordination, ce qui rendait la comparaison non pertinente.

La production des comptes de G______ LTD, société tierce qui n'était ni une filiale, ni une succursale de A______ SA, était concrètement impossible car la recourante n'y avait pas accès. En outre, la production des pièces requises, qui avait pour but de prouver que A______ SA aurait procédé à des investissements dans cette société pour nuire à l'intimé, n'était pas un moyen adéquat pour parvenir à ce but. Le fait que la demande de production ne porte que sur l'exercice 2014 rendait cette preuve encore moins pertinente, les circonstances utiles à l'issue du litige alléguées par l'intimé étant ultérieures.

L'audition des témoins O______ et U______, respectivement fonctionnaire à l'administration fiscale genevoise et employé de [la banque] AF______ était illicite en raison du secret de fonction, respectivement bancaire auquel ils étaient tenus.

La recourante s'est finalement étonnée que le Tribunal ait requis des parties, au cours de l'audience, la production de leurs dossiers sous forme numérique, par messagerie non cryptée, aucune base légale n'autorisant une telle pratique. Elle ne prenait aucune conclusion à cet égard, cette demande du Tribunal n'étant pas incorporée dans une décision susceptible d'un recours et de conclusions formelles en annulation. Elle "souhait[ait] néanmoins évoquer quelques griefs, de telle manière que la Cour guide le Tribunal à ce sujet".

b. A______ SA ayant requis l'octroi de l'effet suspensif à son recours, la présidente ad interim de la Chambre l'a prononcé par ordonnance du 18 août 2021.

c. Dans sa réponse au recours du 17 août 2021, B______ a conclu préalablement à son irrecevabilité, faute de préjudice difficilement réparable causé par l'ordonnance entreprise, et principalement à son rejet.

La recourante ne pouvait simplement se réfugier derrière le secret des affaires pour s'opposer à l'administration des preuves alors que l'art. 322a al. 2 CO obligeait l'employeur à laisser le travailleur consulter ses comptes dans la mesure nécessaire. Par ailleurs, le secret protégé par l'art. 156 CPC n'interdisait pas toute administration de preuve contenant un secret d'affaires mais exigeait des modalités d'administration permettant de préserver le secret (caviardage des pièces, examen des pièces uniquement par le juge ou un expert désigné par lui). S'agissant de l'audition de personnes soumises au secret, il ne pouvait y être renoncé avant de savoir si le secret était maintenu ou levé.

d. Le greffe de la Chambre a informé les parties par courrier du 2 septembre 2021 que la cause était gardée à juger.


 

EN DROIT

1.             Formé par écrit dans le délai de dix jours dès la réception de la décision entreprise et motivé, le recours est formellement recevable (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

2.             2.1.1 A teneur de l'art. 239 al. 1 CPC, le tribunal peut communiquer la décision aux parties sans motivation écrite soit à l'audience, par la remise du dispositif écrit accompagné d'une motivation orale sommaire (let. a), soit en notifiant le dispositif écrit (let. b). Une motivation écrite est remise aux parties, si l'une d'elles le demande dans un délai de dix jours à compter de la communication de la décision. Si la motivation n'est pas demandée, les parties sont considérées avoir renoncé à l'appel ou au recours (art. 239 al. 2 CPC).

Une décision non motivée doit en principe comprendre une indication de la possibilité de demander une motivation, en lieu et place de l'indication de la voie de recours (art. 238 let. f CPC; Tappy, Commentaire Romand, CPC, 2019, n° 13 ad art. 239 CPC).

Le délai pour demander la motivation court, conformément au texte légal, dès la notification de la décision non motivée (arrêt du Tribunal fédéral 5D_16/2012 du 24 janvier 2012 ; Steck / Brunner, Basler Kommentar, ZPO, 2017, n° 22 ad art. 239 CPC).

Si une partie s'adresse directement au tribunal supérieur, sans requérir préalablement de motivation et bien que l'indication des voies de droit l'ait avisée des exigences de l'art. 239 al. 2 CPC, le recours est irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_678/2013 du 7 novembre 2013 consid. 2.2, en l'occurrence une partie comparant en personne).

2.1.2 L'art. 239 CPC a vocation à s'appliquer aux décisions partielles (Staehelin, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 2ème éd. 2013, n° 13 ad art. 239 CPC).

La situation est plus ambiguë pour les ordonnances d'instruction dont il est malaisé de savoir si et quand elles doivent être motivées.

Dans un arrêt 4A_128/2017 du 12 mai 2017 consid. 5.4 et 5.5 le Tribunal fédéral a considéré que l’assertion sans nuance selon laquelle les ordonnances d’instruction ne devaient jamais être motivées violait le droit d’être entendu des parties. En effet, une voie restreinte de recours est ouverte uniquement contre les ordonnances d'instruction lorsqu'elles sont susceptibles d'engendrer un préjudice difficilement réparable au sens de l’art. 319 lit. b CPC. Les parties doivent donc être en mesure de pouvoir motiver leur recours, comme l'impose l'art. 321 al. 1 CPC, si un tel préjudice se produit. Pour cela, elles doivent disposer de la motivation de l'ordonnance.

Cet arrêt semble imposer la motivation des ordonnances d'instruction uniquement lorsqu'elles engendrent potentiellement un préjudice difficilement réparable. Or, il n’est pas aisé de le déterminer par avance. Dans le doute, Bastons Bulletti, (CPC Online, newsletter du 27 octobre 2017) suggère de motiver – du moins succinctement et/ou sur requête selon l’art. 239 CPC – chaque ordonnance pour laquelle le recours immédiat selon l’art. 319 lit. b ch. 2 CPC n’est pas manifestement exclu.

2.1.3 Selon un principe général qui concrétise la protection de la bonne foi constitutionnellement garantie par l'art. 9 Cst., codifié à l'art. 49 LTF notamment, l'indication manquante ou erronée de la voie de recours, lorsque cette indication est prescrite, ne doit causer aucun préjudice aux plaideurs. Ceux-ci ne doivent pas non plus pâtir d'une réglementation légale des voies de recours peu claire ou contradictoire. Il s'ensuit que le plaideur dépourvu de connaissances juridiques peut se fier à une indication inexacte des voies de recours, s'il n'est pas assisté d'un avocat et qu'il ne jouit d'aucune expérience particulière résultant, par exemple, de procédures antérieures. En revanche, le plaideur expérimenté ou assisté d'un avocat ne peut pas se prévaloir de l'indication erronée lorsqu'il aurait dû se rendre compte de l'inexactitude en agissant avec l'attention commandée par les circonstances. On attend dans tous les cas des avocats qu'ils procèdent à un contrôle sommaire des indications relatives à la voie de droit; en revanche, il n'est pas attendu d'eux qu'outre les textes de loi, ils consultent encore la jurisprudence ou la doctrine y relative (ATF 144 II 401 consid. 3.1; 141 III 270 consid. 3.3 i.f.; 138 I 49 consid. 8.3.2; 135 III 374 consid. 1.2.2; 123 II 231 consid. 8b; arrêts du Tribunal fédéral 5A_139/2021 du 13 juillet 2021 consid. 3.2.1; 5A_46/2020 du 17 novembre 2020 consid. 4.1.1; 4A_475/2018 du 12 septembre 2019 consid. 5.1).

Une fausse indication ne saurait créer une voie de droit inexistante (ATF
129 III 88 consid. 2.1; 119 IV 330 consid. 1c; arrêts du Tribunal fédéral 5A_545/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1; 4D_82/2012 du 30 octobre 2012 consid. 2.2).

2.2 En l'espèce, l'ordonnance entreprise n'est pas motivée et les raisons ayant conduit le Tribunal à admettre, reformuler ou écarter les réquisitions de preuve des parties sont inconnues. Les preuves dont le Tribunal a admis l'administration sont susceptibles d'engendrer un préjudice difficilement réparable (cf. infra consid. 3). Conformément aux principes rappelés ci-dessus, l'ordonnance aurait dû, compte tenu de ce contexte, faire l'objet d'une motivation avant qu'un recours ne soit formé, sous peine d'irrecevabilité de ce dernier.

En application des règles sur la protection de la bonne foi, la Chambre ne déclarera toutefois pas irrecevable le recours pour absence de demande préalable de motivation de la décision entreprise. Le Tribunal n'a pas mentionné sous l'ordonnance litigieuse que la motivation devait être requise dans les dix jours de sa notification, mais a indiqué directement la voie du recours, estimant vraisemblablement que l'ordonnance n'avait pas à être motivée. Cette mention est erronée en l'espèce : l'ordonnance entreprise était susceptible d'engendrer un dommage difficilement réparable à la recourante et aurait dû être motivée. Compte tenu toutefois des incertitudes jurisprudentielles sur l'obligation de motiver une ordonnance d'instruction, il apparaîtrait excessivement formaliste, conformément à la jurisprudence mentionnée ci-dessus, de retenir que le conseil de la recourante aurait dû détecter l'indication erronée du Tribunal et requérir une motivation de l'ordonnance avant de la contester par la voie du recours. En outre, aucune des parties ne s'est prévalue de l'absence de motivation de l'ordonnance entreprise ni de l'irrecevabilité du recours. Elles ont de surcroît été en mesure de développer leurs arguments dans le cadre du recours, nonobstant l'absence de motivation de l'ordonnance attaquée et leur droit d'être entendue a été préservé.

3. 3.1 Le recours est recevable contre des décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

On retiendra l’existence d’un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d’affaires sont révélés ou qu’il y a atteinte à des droits absolus à l’instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, Commentaire Romand, CPC, 2019, n° 22a et 22b ad art. 319 CPC).

La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF qui exclut la prise en compte d’un préjudice factuel ou économique. Ainsi, l’art. 319 let. b ch. 2 CPC ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra toutefois se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette condition, sous peine d’ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d’instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s’agit de se prémunir contre le risque d’un prolongement du procès (ATF 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 73; 134 I 83 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5D_64/2014 du 17 juin 2014 consid. 1.4; Jeandin, op. cit., n° 22 ad art. 319 CPC).

Si une décision est susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, elle peut a fortiori entraîner un préjudice difficilement réparable au sens de l’art. 319 let. b ch. 2 CPC (ATF 137 III 380 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_150/2014 du 6 mai 2014 consid. 3.2; Jeandin, op. cit., n° 22 ad art. 319 CPC). La jurisprudence développée par le Tribunal fédéral concernant la recevabilité de recours contre des décisions en matière de preuve en application de l'art. 93 al. 1 let. a LTF est par conséquent applicable mutatis mutandis à l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

Selon cette jurisprudence, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice irréparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 5A_964/2017 du 6 mars 2018 consid. 1; 4A_248/2014 consid. 1.2.3; 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1; sous l'art. 87 OJ, 4P.335/2006 du 27 février 2007 consid. 1.2.4 et les références). Dans des cas exceptionnels, il peut y avoir préjudice irréparable, par exemple lorsque le moyen de preuve refusé risque de disparaître, qu'une partie est astreinte, sous la menace de l'amende au sens de l'art. 292 CP de collaborer à l'administration de preuve, ou qu'une partie soit contrainte à produire des pièces susceptibles de porter atteinte à ses secrets d'affaires ou à ceux de tiers, sans que le tribunal n'ait pris des mesures aptes à les protéger conformément à l'art. 156 CPC (arrêts du Tribunal fédéral 5A_964/2017 du 6 mars 2018 consid. 1; 4A_425/2014 du 11 septembre 2014 consid. 1.3.2; 4A_64/2011 du 1er septembre 2011 consid. 3.2 et 3.3; 5A_603/2009 du 26 octobre 2009 consid. 3.1; 4A_195/2010 du 8 juin 2010 consid. 1.1.1).

Les secrets d'affaires couvrent en général les données techniques, organisationnelles, commerciales et financières qui sont spécifiques à une entreprise, qui peuvent notamment avoir une incidence sur le résultat commercial et que l'entrepreneur veut garder secrètes (ATF 109 Ib 47 consid. 5c; arrêt du Tribunal fédéral 4A_195/2010 du 8 juin 2010 consid. 2.2; Chabloz, Copt, Petit commentaire CPC, 2020, n° 3 ad art. 156 CPC). Les livres comptables sont considérés par certains auteurs comme un élément couvert par le secret d'affaires (arrêt du Tribunal fédéral 4A_390/2016 du 18 janvier 2017 consid. 2.3.1; Chabloz, Copt, ibidem).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente critiquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie, en lien avec la notion de "préjudice irréparable" de l'art. 93 al. 1 lit. a LTF : ATF 141 III 80 consid. 1.2; 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1; Bastons Bulletti, Petit commentaire CPC, 2020, n° 10 ad art. 319 CPC).

3.2 Toute partie a droit à ce que les moyens de preuve adéquats proposés régulièrement et en temps utile soient administrés (art. 152 al. 1 CPC). La preuve doit porter sur des faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC).

La recherche ad explorandum ("fishing expedition ou exploration"), qui constitue un prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve, est contraire aux principes régissant le droit de procédure, selon lesquels l'obligation de production ne peut porter que sur les documents destinés à prouver des faits connus et allégués par la partie requérante (arrêt du Tribunal fédéral 5A_295/2009 du 23 décembre 2009 consid. 2, SJ 2010 I 401).

3.3 En application de l'art. 154 CPC in medio, les ordonnance de preuve désignent en particulier les moyens de preuve admis et déterminent pour chaque fait à quelle partie incombe la preuve ou la contre-preuve.

Elles devraient obligatoirement mentionner, parmi les faits allégués, les faits contestés et pertinents (art. 150 CPC), ainsi que les moyens de preuve qui seront administrés pour chaque fait. De plus, elles devraient mentionner les moyens de preuve écartés, avec une brève motivation (Chabloz, Petit commentaire, CPC, 2020, n° 6 ad art. 154 CPC). Il faut y ajouter l'obligation de motiver posée par le Tribunal fédéral lorsqu'une ordonnance est susceptible d'entraîner un préjudice difficilement réparable et de provoquer un recours au sens de l'art. 319 let b ch. 2 CPC (cf. supra 2.1.2).

3.4 Les parties et les tiers sont tenus de collaborer à l'administration des preuves (art. 160 al. 1 CPC).

3.4.1 Une partie peut s'opposer à l’administration des preuves lorsque la révélation d'un secret pourrait être punissable en vertu de l'art. 321 du code pénal (art. 163 al. 1 let b CPC). Les dépositaires d'autres secrets protégés par la loi peuvent refuser de collaborer s'ils rendent vraisemblable que l'intérêt à garder le secret l'emporte sur l'intérêt à la manifestation de la vérité (art. 163 al. 2 CPC).

Sont en particulier visés par l'art. 163 al. 2 CPC le secret bancaire (art. 47 LB), le secret commercial ou de fabrication (art. 162 CP) et les données tombant sous le devoir de discrétion au sens de l'art. 35 LPD (arrêt du Tribunal fédéral 4A_63/2016 du 10 octobre 2016 consid. 5.2.1).

Lorsque la partie est un employeur, elle n'est pas autorisée à refuser la production de sa comptabilité et de décomptes relatifs à la rémunération d'autres employés en invoquant son droit au secret d'affaires et la protection de la sphère privée de ses employés. L'art. 322a al. 2 CO oblige l'employeur à laisser le travailleur consulter ses livres de comptabilité dans la mesure nécessaire. Même si l'art. 328 al. 1 CO impose à l'employeur de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur et renvoie à la LPD, cette dernière ne s'applique pas aux procédures civiles pendantes (art. 2 al. 2 let. c LPD); les règles spéciales de la procédure assurent déjà suffisamment la protection de la personnalité (ATF 138 III 425 consid. 4.3 p. 429; arrêts du Tribunal fédéral 4A_63/2016 du 10 octobre 2016 consid. 5.2 et 5.3; 4A_63/2016 du 10 octobre 2016 consid. 5.3; 4A_188/2015 du 31 août 2015 consid. 3.1 et 3.2.2; 4A_195/2010, consid. 1.2, 2.2 et 2.3).

3.4.2 Un tiers à qui un fait a été confié en sa qualité de fonctionnaire ou de membre d'une autorité ou dont il a connaissance dans l'exercice de ses fonctions peut refuser de collaborer. Il est toutefois tenu de collaborer si l'autorité dont il relève l'y a habilité (art. 166 al. 1 let. c CPC).

Les banquiers font partie des tiers titulaires d'un droit de garder le secret protégés par la loi, qui ne peuvent toutefois refuser de collaborer que s'ils rendent vraisemblable que l'intérêt à garder le secret l'emporte sur l'intérêt à la manifestation de la vérité (art. 166 al. 2 CPC). L'art. 47 al. 5 LB réserve expressément les dispositions de la législation fédérale, dont notamment l'art. 166 al. 2 CPC, sur l'obligation de renseigner l'autorité et de témoigner en justice (ATF 142 III 116 consid. 3.1.1).

3.5.1 En l'espèce, la recourante invoque essentiellement, à l'appui de son recours, le préjudice difficilement réparable causé par les mesures probatoires attaquées, soit la révélation de secrets d'affaires, que ce soit les siens ou ceux de G______ LTD, l'atteinte à la protection de la personnalité d'un ex-employé par la divulgation de données personnelles le concernant et l'atteinte aux secrets fiscal et bancaire.

Les informations contenues dans les pièces dont la production a été ordonnée ainsi que dans les témoignages requis de O______ et U______, une fois portées à la connaissance de l'intimé, seront définitivement divulguées. Par la nature des choses, il ne sera pas possible de revenir en arrière et de réduire à néant la connaissance ainsi acquise par l'intimé. En ce sens, le préjudice invoqué est difficilement réparable et, partant, le recours immédiat est ouvert.

3.5.2 Sur le fond, la recourante soutient en substance que le préjudice difficilement réparable invoqué est réalisé par l'ordonnance entreprise qui consacre la violation de la protection en matière de secrets d'affaires, de secret fiscal, de secret bancaire, la violation de la protection des droits de la personnalité du travailleur et la violation de l'interdiction l'administration de preuve ad explorandum.

3.5.2.1 D'emblée, les griefs adressés à la réquisition d'entendre O______ et U______ en qualité de témoins seront écartés car ils sont prématurés, le préjudice allégué n'existant pas en l'état. Le seul fait de requérir l'audition de témoins et, pour le Tribunal, de l'ordonner, ne signifie pas encore que les témoins seront entendus et que leur témoignage sera constitutif d'une violation de secrets protégés. S'agissant du secret de fonction et du secret fiscal, ils pourraient être levés par l'autorité compétente, ce qui imposerait au témoin de collaborer à l'établissement des faits; à l'inverse, s'ils ne sont pas levés, le témoin refusera de s'exprimer. S'agissant du secret bancaire, il n'est opposable que si le témoin considère, pour des motifs légitime, que l'intérêt au secret l'emporte sur l'intérêt à la manifestation de la vérité dans une procédure civile; or, le témoin ne s'est a priori pas encore prononcé sur cette question; il appartiendra au Tribunal de statuer le moment venu sur les incidents qui pourraient surgir lors de l'audition du témoin.

Le recours est par conséquent rejeté en tant qu'il vise le chiffre 19 du dispositif de l'ordonnance entreprise.

3.5.2.2 Concernant la production de sa comptabilité et de ses extraits bancaires par A______ SA, sans discernement, ni modalités permettant de protéger les secrets d'affaires, elle n'est pas conforme à l'art. 156 CPC compte tenu de la quantité d'information qu'il est possible d'y trouver concernant les clients, fournisseurs, cocontractants, employés, etc.

L'art. 322a al. 2 CO et les jurisprudences du Tribunal fédéral citées supra concernant le droit accru du travailleur à accéder aux comptes de son employeur s'inscrivent dans le cadre restreint de la rémunération du travailleur fixée en fonction des résultats de l'entreprise. Dans ce cas, les comptes de l'employeur sont nécessaires au calcul du salaire. Cette disposition légale et la jurisprudence y relative ne fondent en revanche pas un droit général et étendu du travailleur à accéder aux comptes de son employeur comme le soutient l'intimé.

Le recours est donc fondé contre les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance attaquée qui seront annulés.

Les premiers juges seront invités à statuer à nouveau, non seulement en pondérant les intérêts en présence et en établissant des modalités d'administration de la preuve respectueuse du secret des affaires, mais surtout après avoir évalué la pertinence et l'adéquation de cette preuve au regard de l'objet du litige, des faits allégués et contestés, ainsi que de l'interdiction des requêtes ad explorandum.

A cet égard, la Chambre observe que les conclusions préalables en production des pièces comptables et bancaires de l'intimé ne sont pas motivées dans le mémoire de demande et aucune des offres de preuve figurant en pied des allégués de l'intimé ne les vise. Dans le mémoire de réplique, l'intimé explique sa réquisition de preuve par le fait que les difficultés financières de A______ SA justifiant le retard dans le paiement de son salaire proviendraient de prêts injustifiés entre les entités du groupe, notamment en faveur des sociétés F______ INC et G______ LTD. Il apparaît prima facie que la production de ces pièces conduira peut-être à constater la situation financière de la recourante – qui n'est pas vraiment contestée –, mais ne permettra pas de prouver qu'elle découle d'actes délibérés de son administrateur entrepris dans le seul but de nuire à l'intimé – qui ne sont d'ailleurs pas allégués de manière suffisamment précise pour permettre l'administration d'une preuve et de faire le lien avec les pièces dont la production est requise.

Le caractère ad explorandum des preuves requises est par ailleurs rendu vraisemblable par les périodes pour lesquelles ces pièces sont sollicitées, de 2013 à 2020, soit un nombre d'exercices dépassant sensiblement ceux pertinents, qui se situent entre la dénonciation de D______ en 2017 et le licenciement en 2018.

Il faut relever que l'intimé n'a pas prétendu requérir la production de ces pièces dans le but d'établir que son oncle aurait commis des malversations dans la gestion de la recourante, dont la dénonciation serait à l'origine du congé.

3.5.2.3 La production du dossier de licenciement de l'ancien collaborateur de A______ SA, I______, est attentatoire à la personnalité de l'intéressé et constitue une atteinte à la protection de ses données. En outre, contraindre A______ SA à produire ce dossier implique de lui imposer d'enfreindre l'interdiction de nuire à la personnalité de ses employés et les règles en matière de protection des données prévues par l'art. 328 CO. A l'instar ce qui a été dit au considérant précédent, l'art. 322c al. 2 CO et la jurisprudence y relative ne sont d'aucun secours à l'intimé pour requérir la production de ce dossier.

Le recours sera par conséquent admis en tant qu'il vise l'annulation des chiffres 4 et 5 de l'ordonnance entreprise.

Le Tribunal sera invité à réévaluer la réquisition de preuve de l'intimé en respect des droits à la protection de I______ et des obligations de A______ SA en la matière, mais surtout sous l'angle de son adéquation et de sa pertinence au vu des explications de A______ SA.

3.5.2.4 S'agissant enfin de la production des comptes de G______ LTD par A______ SA, la Chambre retiendra, avec la recourante, qu'il s'agit d'une entité tierce au litige dont aucune des parties n'est a priori censée détenir la comptabilité. Il n'est pas allégué qu'elle serait dans une relation suffisamment étroite avec A______ SA pour qu'il soit admis que cette dernière détiendrait de telles données et serait autorisée à les divulguer. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause l'affirmation de la recourante selon laquelle elle ne dispose pas de ces pièces et ne saurait être contrainte à les produire. De surcroît, imposer la production de ces pièces, sans discernement ni modalités protégeant les secrets d'affaires n'aurait pas été conforme à l'art. 156 CPC. En tout état, le caractère ad explorandum de l'administration de cette preuve est rendu très vraisemblable par le fait que les documents requis sont relatifs à l'exercice 2014, soit une période sans aucun lien avec les faits à prouver, consistant dans la création artificielle de difficultés financières chez A______ SA par des prêts fictifs en faveur G______ LTD afin de justifier des retards de paiement de salaire entre 2017 et 2018.

Le recours sera par conséquent également admis en tant qu'il vise l'annulation du chiffre 6 du dispositif de l'ordonnance entreprise.

3.5.2.5 En définitive, les chiffres 1, 2, 4, 5 et 6 de l'ordonnance entreprise seront annulés et le recours rejeté pour le surplus.

4. La recourante s'est interrogée sur la pratique du Tribunal consistant à demander une copie numérisée du dossier, sans toutefois prendre de conclusions à cet égard. La Chambre n'est donc pas formellement saisie de cet objet et s'abstiendra de statuer. Elle rappellera néanmoins ici que la communication électronique entre les parties et le Tribunal est exhaustivement régie par les art. 130 al. 2 et 139 CPC ainsi que la réglementation accessoire.

5. La valeur litigieuse au stade du recours étant supérieure à 50'000 fr. (art. 94 al. 1 CPC), il sera perçu des frais judiciaires (art. 71 RTFMC).

Ils seront fixés à 1'000 fr. au vu de l'enjeu du recours et de l'activité nécessitée par les griefs invoqués (art. 96 et 104 al. 1 et 2, 105 al. 1 CPC; art. 19 LaCC; art. 41 RTFMC), mis à la charge de l'intimé qui succombe dans une large mesure (art. 106 al. 1 CPC) et partiellement compensés avec l’avance de frais de 800 fr. versée par la recourante, laquelle reste acquise à l’Etat de Genève. L'intimé sera condamné à rembourser à la recourante son avance de frais en 800 fr. et à payer à l'Etat de Genève le solde des frais de 200 fr. mis à sa charge (art. 111 al. 1 et 2 CPC).

Il n'est pas alloué de dépens de recours ni d'indemnité pour la représentation en justice dans les causes soumises à la juridiction des prud'hommes (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4:


A la forme
:

Déclare recevable le recours formé par A______ SA contre les chiffres 1, 2, 4, 5, 6 et 19 du dispositif de l'ordonnance d'instruction rendue le 10 juin 2021 par le Tribunal des prud'hommes et figurant au procès-verbal d'audience du même jour dans la cause C/26631/2019.

Au fond :

Annule les chiffres 1, 2, 4, 5 et 6 de l'ordonnance entreprise.

Rejette le recours pour le surplus.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec l'avance de frais de 800 fr. versée par A______ SA qui est acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à rembourser à A______ SA la somme de 800 fr. et à verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 200 fr.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Jean REYMOND, président; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Monsieur Thierry ZEHNDER, juge salarié; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.