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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/5110/2021

ACJC/1667/2023 du 18.12.2023 sur JTBL/278/2023 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5110/2021 ACJC/1667/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 18 DECEMBRE 2023

 

Entre

SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 4 avril 2023, représentée par Me Pierre BANNA, avocat, rue Verdaine 15, case postale 3015, 1211 Genève 3,

et

Madame B______ et Monsieur C______, domiciliés ______, intimés, tous deux représentés par Me Karin GROBET THORENS, avocate, rue Verdaine 13, case postale, 1211 Genève 3.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/278/2023 du 4 avril 2023, reçu par les parties le 14 avril 2023, le Tribunal des baux et loyers a condamné SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA à verser à C______ et B______ la somme de 68'040 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er juin 2022 (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2), et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 16 mai 2023 à la Cour de justice, SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA a formé appel contre ce jugement, en requérant son annulation. Elle a conclu, principalement, au déboutement de B______ et C______ de leurs conclusions en paiement d'une indemnité de départ et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour complément d'instruction.

Elle a allégué nouvellement qu'une autre raison individuelle au nom de "D______, E______" inscrite le ______ 1996 et également domiciliée à la rue 1______ no. ______ exploitait les locaux à teneur du Registre du commerce du canton de Genève.

b. Dans leur réponse du 21 juin 2023, B______ et C______ ont conclu à la confirmation du jugement attaqué.

Ils ont allégué nouvellement que E______ était l'ancien locataire des locaux litigieux (comme le démontrait la date d'inscription de son entreprise individuelle au Registre du commerce, antérieure au début de leur bail).

c. SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA a répliqué le 28 août 2023, en persistant dans ses conclusions.

Elle a produit une pièce nouvelle, à savoir une lettre du 22 novembre 2019 de "D______ Sàrl B______" à F______, en charge de la gérance de l'immeuble, dans laquelle B______ évoquait sa "grave maladie" et la remise de son commerce. SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA a exposé que cette production était dictée par "les allégations nouvelles des intimés en vertu desquelles les problèmes de santé de Mme B______ [devaient] être pris en considération dans l'appréciation du calcul de la quotité de l'indemnité".

d. B______ et C______ ont répliqué le 2 octobre 2023, en persistant dans les termes de leur réponse du 21 juin 2023.

e. Les parties ont été informées le 1er novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.


 

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Par contrat du 1er juillet 1997, "LES CONSORTS G______", représentés par "MM. H______, Régisseurs", ont remis à bail à B______ et C______ deux arcades d'environ 54 m2, avec cuisine comme arrière à gauche de l'allée au rez-de-chaussée de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève. Les locaux étaient destinés à l'exploitation d'un commerce de mercerie et de prêt-à-porter exclusivement. A une date indéterminée, SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA est devenue propriétaire de l'immeuble.

L'article 1 al. 5 du contrat précisait que le locataire devait utiliser les locaux personnellement ou sous sa propre responsabilité pendant la durée du bail et de ses renouvellements.

Le bail a été conclu pour une durée initiale de cinq ans, du 1er juillet 1997 au 30 juin 2002, renouvelable ensuite tacitement de cinq ans en cinq ans sauf résiliation respectant un préavis de six mois.

Le loyer (qui tenait compte de l'état actuel des locaux; art 27 du bail) a été fixé en dernier lieu à 13'608 fr. par an dès le 1er juillet 2010.

b. Le bail, élaboré paritairement par les associations de locataires et de bailleurs mentionnées dans les notes finales (let. A, p. 8 du bail), comprend les conditions contractuelles générales suivantes :

"Lorsque le commerce exploité dans les locaux a duré 20 ans ou plus et que le bailleur résilie le bail ou se prévaut du terme fixe d'échéance du contrat, il doit accorder au locataire une pleine indemnité de départ anticipé si ce dernier restitue les locaux avant le délai maximal de prolongation du bail (art. 272 CO). Au cas où le locataire bénéfice de prolongations, l'indemnité est réduite proportionnellement dès la deuxième année de prolongation, à raison de 1 cinquième par année. Le locataire est libre de choisir la restitution anticipée des locaux contre indemnité. Le bailleur s'engage à ne pas invoquer les pourparlers ou la décision de la Chambre d'Experts (cf. notes finales) sur le montant de l'indemnité de départ anticipé pour s'opposer au principe ou pour limiter la durée de la prolongation judiciaire du bail" (art. 3 al. 2, intitulé « Longs rapports de bail »).

"Sauf circonstances tout à fait exceptionnelles (réalisées notamment lorsque le loyer est très modeste ou lorsque le bailleur veut reprendre les locaux pour exercer la même activité que celle exercée jusqu'alors par le locataire), la pleine indemnité de départ anticipée mentionnée à l'alinéa précédent ne peut dépasser un montant correspondant à 5 fois le dernier loyer annuel dû par le locataire" (art. 3 al. 3, intitulé « Indemnité »).

"En cas de désaccord, les parties peuvent saisir la Chambre d'Experts (cf. notes finales) qui détermine le montant de l'indemnité" (art. 3 al. 4, intitulé « Litige sur le montant de l'indemnité »).

Pour trancher les litiges relevant de l'application des art. 3 al. 2 à 4 du contrat, les parties reconnaissaient "la compétence simultanée de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, des Tribunaux genevois et du Tribunal Fédéral d'une part et d'autre part de la Chambre d'Experts (cf. notes finales)" (art. 19 al. 1 let. b du contrat).

Les notes finales du bail (let. B, p. 8 du bail) précisaient que les associations ayant élaboré le contrat de bail avaient décidé d'instituer une Chambre d'Experts, dont la mission était d'évaluer les prétentions pécuniaires que les parties pouvaient élever dans certaines circonstances particulières (notamment art. 3 al. 2 et ss. du contrat) et que son siège se trouvait à l'Office genevois de cautionnement mutuel (OGCM). La procédure était réglée par l'art. 19 al. 1 let. b du bail et par un règlement qui pouvait être obtenu par simple demande au siège de la Chambre d'Experts.

Le Tribunal, sans que ce point ne soit remis en cause en appel, a retenu que la Chambre d'Experts était l'Office genevois de cautionnement mutuel et que cet Office "avait été radié" le 1er novembre 2007.

c. B______ a été inscrite au Registre du commerce le ______ 1997 comme titulaire de l'entreprise individuelle « Madame B______ » sise rue 1______ no. ______ à Genève, dont le but était l'exploitation d'une boutique de prêt-à-porter et mercerie à l'enseigne « D______ ». L'inscription a été radiée le ______ 2016 par suite de cessation de l'exploitation.

D______ SARL, sise rue 1______ no. ______ à Genève, et dont B______ était l'unique associée gérante, a été inscrite au Registre du commerce le ______ 2012. Le but de la société était l'exploitation d'un ou plusieurs commerces de laine à tricoter, mercerie, lingerie et prêt-à-porter.

D______ SARL a été dissoute par décision de l'assemblée des associés du 26 juin 2020. Elle est en liquidation depuis le ______ 2020 et B______ en est l'associée gérante liquidatrice.

d. Par avis officiels du 10 février 2021, la bailleresse a résilié le bail pour le 30 juin 2022, au motif qu'elle souhaitait entreprendre des travaux d'assainissement de l'immeuble entier impliquant la nécessité de résilier l'ensembles des baux en cours.

L'avis de retrait des plis recommandés envoyés aux noms des deux locataires à l'adresse des locaux loués a été déposé dans la boîte aux lettres le 11 février 2021. Les locataires n'ont pas retiré les plis recommandés à la poste dans le délai de garde de sept jours.

e. Par requête déposée le 18 mars 2021 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, les locataires ont conclu à la nullité du congé, subsidiairement à son annulation et à une prolongation du bail de six ans à titre encore plus subsidiaire.

Non conciliée lors de l'audience de conciliation du 1er juillet 2021, la cause a été portée devant le Tribunal le 1er septembre 2021 par les locataires, qui ont conclu à l'octroi d'une prolongation de bail de six ans, échéant au 30 juin 2028 (conclusion 1), à la condamnation de la bailleresse à leur verser une indemnité de 68'040 fr. avec intérêts en cas de libération des locaux d'ici au 30 juin 2023 (conclusion 2) et à une indemnité de 68'040 fr. avec intérêts, laquelle serait réduite d'un cinquième en cas de libération du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, de deux cinquièmes en cas de libération du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025, de trois cinquièmes en cas de libération du 1er juillet 2025 au 30 juin 2026, et de quatre cinquièmes en cas de libération du 1er juillet 2026 au 30 juin 2027 (conclusion 3).

e.a Les locataires ont allégué que les locaux étaient destinés à l'exploitation d'un commerce de mercerie et de prêt-à-porter (allégué 2), qu'ils avaient eux-mêmes créé le fonds de commerce à l'enseigne « D______ » qui était principalement fréquenté par une clientèle de quartier (allégué 5), que la résiliation présentait pour eux des conséquences extrêmement pénibles dans la mesure où elle consacrait la perte de leur fonds de commerce et par conséquence de la seule et maigre source de revenu de B______, et qu'il serait quasiment impossible pour eux de trouver des locaux présentant les mêmes qualités, avec pour conséquence que la clientèle fidélisée durant les 24 années d'exploitation serait perdue (allégué 10). Ils avaient entrepris des recherches pour d'autres locaux, lesquelles étaient restées infructueuses (allégué 11). Les locaux de surface similaires et dans le même quartier avaient des loyers beaucoup plus élevés, inaccessibles pour eux, sans compter le rachat d'un fonds de commerce, le coût du réaménagement des locaux et les frais de déménagement (allégué 12). En relation avec leurs allégués 11 et 12, les locataires ont produit neuf annonces imprimées en mai 2021 (pièce 6).

Au sujet de l'indemnité réclamée, ils ont allégué, en se référant au contrat de bail, que celui-ci prévoyait le versement d'une pleine indemnité de départ anticipé en cas de résiliation, lorsque le commerce exploité dans les locaux avait duré 20 ans ou plus et à la condition que les locaux soient restitués avant le délai maximal de prolongation du bail (allégué 13), que ladite indemnité ne pouvait en principe dépasser un montant correspondant à 5 fois le dernier loyer annuel dû, soit un total de 68'040 fr. (allégué 14) et que le bail prévoyait que l'indemnité était réduite proportionnellement à hauteur d'un cinquième par année, dès la deuxième année de prolongation (allégué 15).

e.b Les locataires ont fait valoir que le bail prévoyait "le versement systématique couplant le droit à une prolongation et une indemnité dégressive en cas de résiliation par le bailleur", lorsque le commerce avait été exploité pendant plus de 20 ans dans les locaux. L'indemnité était rattachée à la prolongation et ne devait en principe pas dépasser cinq fois le montant du dernier loyer annuel, soit 68'040 fr.

f. Dans sa réponse du 28 octobre 2021, SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA a conclu à la constatation de ce que la requête n'avait pas été déposée dans le délai de péremption de l'art. 273 al. 2 let. a CO et ainsi à l'irrecevabilité de la demande.

f.a La bailleresse a admis l'allégué 2 de la demande. Elle a contesté l'allégué 5 de ses parties adverses, en alléguant, que depuis 2012 à tout le moins, c'était D______ SARL qui exploitait les locaux commerciaux, que cette société était inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2012, que la société avait été dissoute par décision de l'assemblée des associés du 26 juin 2021 et qu'elle était actuellement en liquidation. La bailleresse a également contesté l'allégué 10 des locataires, en alléguant que la société précitée, dont la locataire était associée gérante liquidatrice, était en liquidation depuis le ______ 2020 suite à la décision de l'assemblée des associés du 26 juin 2020 et que compte tenu de la fin imminente de l'activité commerciale de la société exploitant ce commerce, elle peinait à comprendre la nécessité pour les locataires de trouver des locaux de remplacement. A l'appui de ses allégations, la bailleresse a produit un extrait du Registre du commerce de D______ SARL du 25 octobre 2021 (pièce 4).

La bailleresse, en se référant aux allégués 13 à 15 des locataires (relatif à l'indemnité pour longs rapports de bail), a contesté, d'une part, que le commerce exploité dans les locaux loués avait duré au moins 20 ans, compte tenu de la date de constitution de la société qui exploitait les locaux depuis 2012 et, d'autre part, que l'art. 3 al. 2 et 3 du contrat de bail trouvaient application en l'espèce, en rappelant que la société exploitant les locaux depuis 2012 était en liquidation depuis le 14 juillet 2020.

En réponse à l'allégué 12 de la demande, la bailleresse a admis que les loyers pour des locaux d'une surface similaire et dans le même quartier étaient beaucoup plus élevés compte tenu de "l'état actuel de décrépitude avancé de l'immeuble", qu'elle voulait et devait assainir pour des raisons de sécurité et de salubrité.

SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA a allégué que D______ SARL exploitait actuellement les locaux en cause, B______ en étant l'associée gérante liquidatrice. Cette société avait pour but l'exploitation d'un ou plusieurs commerces de laine à tricoter, mercerie, lingerie et prêt-à-porter (allégué 6); ladite société était inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2012 (allégué 7).

f.b La bailleresse a offert de prouver ses allégations et contestations uniquement par les pièces produites. La réponse ne proposait ni l'audition des parties ni celle de témoins.

f.c SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA a fait valoir que les locataires ne pouvaient se prévaloir de l'application de l'art. 3 al. 2 du contrat, puisque la société exploitant le commerce dans les locaux n'était pas active dans ceux-ci depuis au moins 20 ans, mais seulement depuis 2012.

Subsidiairement, la bailleresse a soutenu que, même si les locataires avaient exploité eux-mêmes un commerce dans les locaux litigieux depuis plus de 20 ans, ils devaient se voir appliquer l'exception de l'art. 3 al. 3 du contrat en raison du loyer extrêmement modeste dont ils avaient bénéficié. En se référant à la pièce 6 de ses parties adverses, la bailleresse a soutenu que, pour une surface commerciale de dimensions équivalentes, le loyer des locaux litigieux se trouvait entre 50% et 70% moins cher que les loyers du quartier. Ainsi, les locataires, qui bénéficiaient d'un loyer très modeste au sens de l'art. 3 al. 3 du contrat, ne pourraient de toute manière prétendre à une quelconque indemnité (qui le cas échéant aurait dû faire l'objet d'une estimation par la Chambre d'experts chargée de faire de telles estimations dans des circonstances particulières dont aucune n'était remplie dans le cas d'espèce).

g. En octobre 2021, B______ a publié sur la page Instagram "boutique_D______" une annonce indiquant une "Liquidation totale tout à 50%".

La locataire a allégué que, sachant qu'elle allait devoir libérer les locaux, elle avait mis en vente son stock de marchandises à des prix avantageux afin de faciliter, au mieux, un éventuel déménagement dans une nouvelle arcade. La bailleresse a contesté que cette vente était destinée à faciliter le déménagement des locataires.

h. Lors de l'audience du 3 décembre 2021, le Tribunal a homologué l'accord partiel suivant: "Mme B______ et M. C______ s'engagent à restituer libre de tous occupants et de toutes personnes dont ils seraient responsables les locaux commerciaux d'environ 54 m2 situés au rez-de-chaussée de l'immeuble sis rue 1______ no. ______, à Genève, d'ici au 30 juin 2022. Les locataires sont autorisés à restituer les locaux en tout temps moyennant un préavis de 30 jours pour le 15 ou la fin d'un mois. Le présent accord vaut jugement d'évacuation à compter du 1er juillet 2022. Le Tribunal condamne en tant que de besoin les parties à respecter et à exécuter les dispositions du présent procès-verbal, lequel vaut décision entrée en force au sens de l'art. 241 al. 2 CPC".

Les parties ont ensuite plaidé sur la recevabilité de la demande en paiement et ont persisté dans leurs conclusions.

Le Tribunal a gardé la cause à juger sur cette question.

i. Par jugement JTBL/35/2022 du 20 janvier 2022, les Tribunal a déclaré recevable la demande en paiement et dit que la suite de la procédure serait instruite par voie de procédure ordinaire.

j. Le Tribunal a cité les parties à comparaître à une audience du 8 novembre 2022, désignée dans la citation comme une audience de débats principaux destinée aux premières plaidoiries.

j.a Lors de cette audience, le Tribunal a d'abord tenu des débats d'instruction.

Les locataires ont déposé des déterminations complémentaires écrites, qu'ils avaient envoyées la veille à leur partie adverse, ainsi qu'un chargé de pièces (comprenant notamment les bilans et comptes de pertes et profits 2017 à 2020 de D______ SARL) et une liste de témoins. Les locataires ont allégué dans lesdites déterminations que B______ avait décidé de mettre en liquidation la SARL car elle souhaitait continuer son activité en tant qu'indépendante et avait continué son activité jusqu'à la libération des locaux, comme cela résultait des bilans et des comptes de pertes et profits qu'elle avait produits (allégués 16 à 18). Les locataires ont en outre allégué que leur commerce était florissant, nonobstant le fait que B______ avait, d'une part, et pour une période limitée, rencontré des problèmes importants de santé et, d'autre part, pris des mesures pour limiter autant que faire se pouvait la perte financière liée à la fin du bail (allégué 27).

La bailleresse s'est déterminée oralement sur les allégations nouvelles des locataires. Elle a notamment contesté que la locataire souhaitait poursuivre son activité en tant qu'indépendante, en précisant que les locaux avaient été restitués le 31 mars 2022, alors que le congé avait été donné pour le 30 juin 2022. Elle a également contesté que le commerce fût florissant, les locataires l'ayant approchée avant la résiliation du bail afin de s'enquérir des conditions pour le remettre.

SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA a déposé des pièces nouvelles, notamment l'extrait du Registre du commerce d'une entreprise individuelle "D______, E______", inscrite le ______ 1996, sise à l'adresse des locaux loués, dont le but était le commerce de laine à tricoter, mercerie, lingerie, prêt-à-porter et dont le titulaire était E______ (pièce 15). Cette entreprise a été radiée le ______ 2023 (fait notoire).

La bailleresse n'a formé aucun allégué en relation avec les pièces nouvelles qu'elle a produites en audience, notamment sa pièce 15.

Elle a déposé un bordereau de preuves, par lequel elle sollicitait l'audition comme témoin de E______, en relation avec les allégués 2, 5, 10 et 13 de la demande et sur les allégués 6 et 7 de la réponse. Elle sollicitait également l'audition des parties, sans mentionner les allégués sur lesquels devait porter ladite audition. En audience, elle a déclaré qu'elle ne souhaitait pas modifier ou compléter ses allégués, ses moyens de preuve ou ses conclusions.

Il a été admis que les locaux avaient été restitués le 31 mars 2022.

j.b Le Tribunal a ouvert les débats principaux et les parties ont procédé aux premières plaidoiries. Les locataires ont persisté dans leur conclusion 2, précisant que leurs conclusions 1 et 3 (cf. ci-dessus let. C.e) étaient devenues sans objet. La bailleresse a persisté dans ses conclusions.

k. Par ordonnance du 14 novembre 2022, le Tribunal, considérant que la cause était en état d'être jugée, a fixé une audience de plaidoiries finales.

l. Lors de l'audience du Tribunal du 17 janvier 2023, les parties ont procédé aux plaidoiries finales et ont persisté dans leurs conclusions.

Il résulte du jugement attaqué que la bailleresse a allégué oralement lors des plaidoiries finales qu'une deuxième raison individuelle au nom de "D______, E______" était inscrite au Registre du commerce depuis 1996, avait le même but commercial que la locataire et était inscrite à l'adresse des locaux loués. Ainsi, selon elle, il existait un doute sur le fait que la locataire ait ou non exploité sous sa propre responsabilité les locaux loués.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

D. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a considéré ce qui suit :

a. Le texte du contrat n'indiquait pas que l'obligation découlant de l'art. 1 al. 5 était une condition à l'obtention de l'indemnité prévue à l'art. 3. En effet, l'art. 3, composé de 7 alinéas concernant la seule question de l'indemnité, imposait uniquement comme condition que le commerce ait été exploité dans les locaux pendant une durée de 20 ans, sans précision sur la personne exploitant ledit commerce. En outre, la référence à la Chambre d'experts contenue dans l'art. 3 al. 2 du bail démontrait que l'indemnité prévue dans cette disposition contractuelle visait à indemniser la perte du fonds de commerce en cas de résiliation du bail par le bailleur. Or, ce fonds de commerce pouvait avoir été développé par un tiers, de manière temporaire.

En tout état de cause, l'art. 1 al. 5 du bail n'imposait pas que les locaux soient exploités personnellement par le locataire - ce que la bailleresse n'alléguait pas au demeurant - ceux-ci pouvant être exploités également « sous [l]a propre responsabilité » du locataire. Ainsi, le commerce pouvait avoir été placé en gérance, auquel cas le commerce était exploité par un tiers, mais pour le compte du locataire, lequel restait responsable vis-à-vis du bailleur du respect des obligations contractuelles découlant du bail.

Il n'était pas contesté que l'arcade avait été exploitée pendant plus de 20 ans en tant que commerce de mercerie et de prêt-à-porter, conformément à l'affectation prévue par le bail.

Il n'était pas allégué que le commerce exploité par D______ SARL était la continuité du commerce exploité personnellement par la locataire précédemment. D______ SARL n'avait donc pas monté un commerce de mercerie ab initio, mais avait repris le commerce existant exploité en raison individuelle par la locataire.

Dans sa réponse, la bailleresse avait admis que « [l]a société D______ Sàrl exploit[ait] actuellement les locaux en cause » (réponse, allégué 6). En outre, hormis l'inscription au Registre du commerce de l'entreprise en raison individuelle "D______, E______", aucun élément ne permettait de retenir que les locaux avaient été occupés en tout ou partie par une autre personne que D______ SARL ou la locataire en personne.

Ainsi, il y avait lieu de retenir que la locataire avait exploité le même commerce de mercerie dans les locaux loués durant plus de 20 ans, personnellement, puis sous sa responsabilité, de sorte qu'elle avait droit à une indemnité en application de l'art. 3 al. 2 du bail.

b. Les locaux avaient été restitués le 31 mars 2022 à savoir avant l'échéance du bail. Ainsi, l'indemnité n'avait pas à être réduite.

Conformément à l'article 3 al. 3, la pleine indemnité était équivalente à 5 fois le montant du dernier loyer annuel, à savoir en l'occurrence 68'040 fr. (5 X 13'608 fr.).

Selon la bailleresse, l'art. 3 al. 3 du bail prévoyait une exonération de l'indemnité si le loyer était extrêmement bas, ce qui était le cas en l'espèce.

En réalité, l'article 3 al. 3 du bail stipulait que « sauf circonstances tout à fait exceptionnelles […], la pleine indemnité de départ anticipé […] ne [pouvait] dépasser un montant correspondant à 5 fois le dernier loyer annuel dû par le locataire ». A contrario, en cas de circonstances exceptionnelles, l'indemnité de départ anticipé pouvait dépasser le plafond prévu. Ainsi, la dérogation permettait d'augmenter l'indemnité, mais pas de la réduire.

Il n'y avait dès lors pas lieu d'exonérer la bailleresse de son obligation de verser une indemnité.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, la valeur litigieuse est de 68'040 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 145 al. 1 let. a, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 Dans le cadre d'un appel, la Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante et, partant, recevable (cf. arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2011 consid. 5.3.2).

1.5 La présente procédure est soumise au principe de disposition (art. 58 al. 1 CPC), ainsi qu'à la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC), dans la mesure où la valeur litigieuse est supérieure à 30'000 fr. et que la présente affaire ne constitue pas l'un des cas visés par l'art. 243 al. 2 CPC (art. 247 al. 2 CPC a contrario; cf. également le jugement JTBL/35/2022 rendu le 20 janvier 2022 par le Tribunal dans la présente cause; ci-dessus, "En fait", let. C.i).

2. L'appelante forme un allégué nouveau dans l'appel et produit une pièce nouvelle avec sa réplique. Les intimés allèguent un fait nouveau dans leur réponse.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

2.2 En l'espèce, les allégués nouveaux des parties figurant respectivement dans l'appel et dans la réponse ne sont pas recevables, car ils auraient pu (et dû) être formés en première instance.

L'appelante ne soutient pas, à juste titre, qu'elle n'aurait pas été en mesure de produire la lettre du 22 novembre 2019 en première instance ou avec l'appel. En toute hypothèse, contrairement à ce qu'elle prétend, les intimés ne soutiennent pas, dans leur réponse, que les problèmes de santé de la locataire devraient être être pris en considération dans l'appréciation du calcul de la quotité de l'indemnité. En réalité, ils se bornent, en répondant à un argument de l'appelante, à indiquer que le bénéfice de leur entreprise a pu être influencé par les problèmes de santé rencontrés par la locataire. Au contraire, ils contestent "la mise en perspective de l'indemnité avec le bénéfice réalisé", effectuée dans le mémoire d'appel, laquelle est à leur avis "totalement étrangère au contrat". De plus, les problèmes de santé de la locataire ont été allégués en première instance. En outre, la bailleresse a elle-même déclaré, lors de l'audience du Tribunal du 8 novembre 2022, qu'elle avait été approchée par les intimés en vue d'une éventuelle remise du commerce. Il lui appartenait donc de justifier ses allégations par pièce, en première instance déjà, si elle l'estimait nécessaire.

Ainsi, la pièce nouvelle de l'appelante, produite tardivement, est également irrecevable, comme les faits qu'elle vise.

3. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir violé son droit à la preuve, en omettant de procéder à l'audition de la locataire et du témoin E______, de rendre une ordonnance de preuve et d'ouvrir les débats principaux.

3.1 Le droit à la preuve - qui découle tant du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. que, en droit privé fédéral, de l'art. 8 CC et qui est, depuis l'entrée en vigueur du CPC, également consacré à l'art. 152 CPC -, octroie à toute personne à laquelle incombe le fardeau de la preuve le droit, pour établir un fait pertinent contesté, de faire administrer les moyens de preuve adéquats, pour autant qu'ils aient été proposés régulièrement et en temps utile (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; 133 III 295 consid. 7.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_453/2022 du 29 août 2023 consid. 3.1; 4A_226/2022 du 27 septembre 2022 consid. 4.1; 4A_263/2021 du 21 octobre 2021 consid. 3.1.1).

En revanche, le droit à la preuve n'est pas violé lorsque le juge, par une appréciation anticipée, arrive à la conclusion que la mesure requise n'apporterait pas la preuve attendue, ou ne modifierait pas la conviction acquise sur la base des preuves déjà recueillies (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; 140 I 285 consid. 6.3.1; 138 III 374 consid. 4.3.2; 129 III 18 consid. 2.6; arrêts du Tribunal fédéral 4A_453/2022 précité consid. 3.14A_226/2022 précité consid. 4.1; 4A_263/2021 précité consid. 3.1.1).

3.1.1 Les faits et moyens de preuve nouveaux peuvent être présentés lors des débats d'instruction lorsque ceux-ci sont ordonnés (art. 226 al. 2 CPC) ou, à défaut, à l'ouverture des débats principaux (art. 229 al. 2 CPC). Si un nouvel élément n'est introduit qu'après ce moment, il est dès lors tardif et ne peut plus être pris en considération qu'aux conditions de l'art. 229 al. 1 let. a (vrai nova) ou let. b (pseudo nova) CPC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_767/2015 du 28 mars 2017 consid. 3.3).

L'art. 229 al. 1 CPC dispose que les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont admis aux débats principaux que s'ils sont postérieurs à l'échange d'écritures ou à la dernière audience d'instruction ou ont été découverts postérieurement (novas proprement dits, let. a) ou s'ils existaient avant la clôture de l'échange d'écritures ou la dernière audience d'instruction mais ne pouvaient être invoqués antérieurement bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (novas improprement dits; let. b).

L'art. 229 al. 2 CPC tend à assurer que chaque partie puisse en principe s'exprimer sans limites à deux reprises, dans le cadre soit d'un double échange d'écritures, soit d'un échange d'écritures simple suivi de débats d'instruction, soit d'un échange d'écritures simple et des premières plaidoiries aux débats principaux (ATF
140 III 312 consid. 6.3.2.3 - JdT 2016 II 257)

3.1.2 Savoir quelle partie doit alléguer quels faits résulte de l'art. 8 CC (ATF
141 III 241 consid. 3.1). Selon cette disposition, si la loi ne dispose rien d'autre, l'existence d'un fait allégué doit être prouvée par celui qui en déduit un droit. Cette règle est aussi applicable au fardeau de l'allégation (ATF 132 III 186 c. 4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_36/2023 du 5 juillet 2023 consid. 3.3.1).

La réponse doit contenir les allégations de fait, les admissions et contestations, ainsi que l'indication, pour chaque allégation, des moyens de preuve proposés (art. 222 al. 2 en relation avec l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC). Un moyen de preuve ne doit être considéré comme régulièrement offert que lorsque l'offre de preuve peut être reliée sans équivoque à l'allégation de fait qui doit ainsi être prouvée, et inversement (arrêts du Tribunal fédéral 4A_370/2016 du 13 décembre 2016 consid. 3.3; 4A_381/2016 du 29 septembre 2016 consid. 3.1.2).

3.1.3 Un extrait du registre du commerce est certes un fait notoire au sens de l'art. 151 CPC, mais il ne donne aucune indication sur le fait que la société accomplisse effectivement son but statutaire au lieu où elle a son siège (arrêt du Tribunal fédéral 4A_510/2018 du 7 mai 2019 consid. 5.3).

3.2 En l'espèce, l'appelante a pu s'exprimer sans limites à deux reprises, soit dans sa réponse, puis lors des débats d'instructions le 8 novembre 2022. Dans son bordereau de preuves du même jour, elle a proposé l'audition du témoin E______ uniquement en relation avec les allégués 2, 5, 10 et 13 de la demande et avec les allégués 6 et 7 de la réponse; ladite audition n'était pas apte à établir les points en question (cf. ci-dessus, "En fait", let. C. e.a et f.a). Lors de l'audience du 8 novembre 2022, l'appelante n'a formé aucun allégué et n'a proposé aucun moyen de preuve relatifs à l'occupation des locaux par une autre entreprise. Les allégations de fait qu'elle a pu former lors des plaidoiries finales - notamment au sujet de la prétendue occupation des locaux par E______ - étaient ainsi tardives, donc irrecevables, dans la mesure où il n'est pas prétendu que les conditions de l'art. 229 al. 1 CPC étaient réalisées. La production de l'extrait du Registre du commerce de "D______, E______", sans aucune explication, n'était pas suffisante, car cet extrait ne donnait aucune indication sur le fait que l'entreprise en question accomplissait effectivement son but au lieu où elle avait son siège.

Pour ce qui est de l'audition de la locataire, à aucun moment l'appelante n'a indiqué pour quelles allégations elle était proposée.

Au vu de ce qui précède, c'est à bon droit que le Tribunal, dans son ordonnance du 14 novembre 2022, a considéré, par appréciation anticipée des preuves, que la cause était en état d'être jugée et qu'il n'y avait donc pas lieu d'administrer des preuves. De surcroît, il appartenait à l'appelante, qui avait constaté que les auditions requises n'étaient pas mentionnées dans ladite ordonnance, d'indiquer au Tribunal qu'elle maintenait sa réquisition d'audition. En ne se plaignant pas, lors des plaidoiries finales, de l'omission d'entendre le témoin et la locataire, l'appelante a perdu le droit de se plaindre de ce vice dans la procédure d'appel.

Enfin, et contrairement à ce que soutient l'appelante, les débats principaux ont bien été ouverts lors de l'audience du 8 novembre 2022.

En définitive, le grief de violation du droit d'être entendu soulevé par l'appelante est infondé.

4. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir violé les principes d'interprétation des contrats en allouant aux intimés une indemnité pour longs rapports de bail. De plus, les locataires commettraient un abus de droit en invoquant leur droit à une telle indemnité, alors qu'ils n'ont pas contesté le congé du 11 février 2021.

4.1 En présence d'un litige sur l'interprétation d'une clause contractuelle, le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes. L'appréciation de ces indices concrets par le juge, selon son expérience générale de la vie, relève du fait. Si le juge parvient à la conclusion que les parties se sont comprises ou, au contraire, qu'elles ne se sont pas comprises, il s'agit de constatations de fait (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et les arrêts cités).

S'il ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre, le juge doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre. Il s'agit d'une interprétation selon le principe de la confiance. La détermination de la volonté objective des parties est une question de droit; pour la trancher, il faut toutefois se fonder sur le contenu des manifestations de volonté et sur les circonstances, lesquelles relèvent du fait. Les circonstances déterminantes à cet égard sont uniquement celles qui ont précédé ou accompagné la manifestation de volonté, mais non pas les événements postérieurs (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3 et les arrêts cités).

Le fardeau de l'allégation et le fardeau de la preuve de l'existence et du contenu d'une volonté subjective sont à la charge de la partie qui s'en prévaut (ATF
121 III 118 consid. 4b et les références; cf. également ATF 123 III 35 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_98/2016 du 22 août 2016 consid. 5.1).

4.1.1 Les conditions contractuelles générales que les parties en litige ont convenu d'intégrer à leur propre contrat, telles des conditions générales d'assurance, s'interprètent en principe de la même manière que tout autre accord entre cocontractants (ATF 122 III 118 consid. 2a p. 121). Il n'est d'ordinaire pas possible de mettre en évidence une intention réelle et commune des deux parties sur des points que l'une d'elles a réglés seule et par avance dans les conditions générales; le juge doit donc rechercher comment le texte pouvait être compris de bonne foi, selon le principe de la confiance (cf. ATF 135 III 410 consid. 3.2; 133 III 675 consid. 3.3), par celle des parties qui a adhéré aux conditions convenues sans avoir pris part à leur rédaction. Subsidiairement, en présence de conditions ambiguës dont le principe de la confiance ne permet pas d'élucider entièrement le sens, le juge doit retenir l'acception la plus favorable à cette partie-ci selon l'adage in dubio contra stipulatorem (ATF 122 III 118 consid. 2a; 118 II 342 consid. 1a; voir aussi ATF 133 III 61 consid. 2.2.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_288/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2.2).

4.1.2 Les conditions générales préimprimées sont toutes clauses destinées à un usage multiple et indéterminé. Leur forme importe peu: elles peuvent être imprimées ou reproduites d'une quelconque manière, figurer dans le contrat de bail lui-même ou dans un document auquel celui-ci renvoie. Le caractère de règlementation préétablie peut sans autre découler d'un processus unilatéral ou paritaire (MONTINI/BOUVERAT, Droit du bail à loyer et à ferme, 2ème éd. 2017, n. 67 ad art. 256 CO).

4.2 L'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi (art. 2 al. 2 CC). Ce principe permet de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste. Le juge apprécie la question au regard des circonstances concrètes, qui sont déterminantes. L'emploi dans le texte légal du qualificatif "manifeste" démontre que l'abus de droit doit être admis restrictivement. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 137 III 625 consid. 4.3; 135 III 162 consid. 3.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_38/2013 du 12 avril 2013 consid. 2.1, non publié in ATF 139 III 249).

4.3 En l'espèce, les clauses litigieuses, soit les dispositions de l'art. 3 al. 2 à 4 du bail, sont prévues dans des conditions générales préimprimées découlant d'un processus paritaire. Il n'est ainsi pas possible de mettre en évidence une intention réelle et commune des deux parties au sujet de l'indemnité pour longs rapports de bail. Il y a donc lieu de rechercher comment le texte pouvait être compris de bonne foi, selon le principe de la confiance, par les locataires.

A la lecture de l'art. 3 al. 2 du contrat, ces derniers pouvaient comprendre, de bonne foi, qu'en cas de résiliation du bail par les bailleurs, ceux-ci devraient les indemniser pour la perte du fonds de commerce, en leur versant "une pleine indemnité de départ anticipé" pour "longs rapports de bail", à la double condition qu'ils aient exploité le commerce (personnellement ou sous leur propre responsabilité; art. 1 al. 5 du contrat) durant 20 ans ou plus et qu'ils restituent les locaux avant le délai maximal de prolongation du bail de l'art. 272 CO, lequel est de six ans pour les locaux commerciaux (art. 272b al. 1 CO). L'indemnité serait pleine et entière en l'absence de toute prolongation, Elle serait réduite de 1/5ème par année dès la deuxième année de prolongation.

A la lecture de l'art. 3 al. 3 et 4 du contrat, les locataires - partenaires contractuels inexpérimentés à la différence des bailleurs, représentés par une régie -, pouvaient comprendre, de bonne foi, que le montant de l'indemnité pleine et entière correspondait à cinq fois le dernier loyer annuel, et que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles (notamment en cas de loyer très modeste), l'indemnité pouvait être augmentée. Dans cette dernière hypothèse, en cas de désaccord, les parties pouvaient saisir la Chambre d'Experts.

La bailleresse propose, pour la première fois en appel, une interprétation selon laquelle l'indemnité pleine et entière de cinq annuités de loyer ne serait qu'un plafond et qu'elle pourrait être réduite dans tous les cas, même en l'absence de toute prolongation du bail. Cette interprétation ne résiste pas aux principes applicables en cas de clauses préétablies. Premièrement, cette interprétation n'est pas évidente (la bailleresse ne la soutenait d'ailleurs pas en première instance), puisque le sens et la portée proposés par l'appelante, qui se focalise sur les termes "ne peut dépasser", sont travestis par une formulation compliquée aux yeux de partenaires contractuels non expérimentés. En deuxième lieu, il faudrait de toute façon admettre que le texte est ambigu et retenir l'acception la plus favorable aux locataires.

Les autres critères proposés par la bailleresse pour fixer le montant de l'indemnité, soit notamment le bénéfice annuel (2020) de D______ SARL ou les problèmes de santé de la locataire, n'entrent pas en ligne de compte pour le calcul de l'indemnité.

Par ailleurs, le texte des dispositions litigieuses n'impose pas d'autres conditions pour l'octroi d'une indemnité pour longs rapports de bail, que celles mentionnées ci-dessus, en particulier il n'exige ni la contestation du congé (art. 273 al. 1 CO) ni même le dépôt d'une demande de prolongation du bail (art. 273 al. 2 CO).

Ainsi, en réclamant l'indemnité pour longs rapports de bail, les locataires ne font qu'exercer leur droit résultant des dispositions contractuelles et n'en abusent pas. Le fait que la locataire aurait prévu l'arrêt de son activité "depuis plusieurs années" et qu'elle n'aurait plus eu "aucune utilité des locaux" ne sont pas établis. La liquidation par la locataire d'une partie de son stock de marchandise n'est pas déterminante, étant rappelé que l'abus de droit ne doit être admis que restrictivement.

Pour le surplus, en tant que de besoin, la Cour fait entièrement sienne l'argumentation développée par les premiers juges (cf. ci-dessus, "En fait", let. D.a et D.b).

Dans la mesure où il est établi que les locataires ont exploité leur commerce, personnellement ou sous leur propre responsabilité, dans les locaux en question durant 24 ans et 9 mois - la bailleresse n'ayant pas prouvé le contraire - et où les locaux ont été libérés avant le 30 juin 2023, c'est à juste titre que le Tribunal a alloué aux intimés une indemnité pleine et entière pour longs rapports de bail, soit la somme de 68'040 fr.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 16 mai 2023 par SOCIETE IMMOBILIERE A______ SA contre le jugement JTBL/278/2023 rendu le 4 avril 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/5110/2021-22-OOD.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.