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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/8150/2020

ACJC/1033/2022 du 08.08.2022 sur JTBL/983/2021 ( OBL ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8150/2020 ACJC/1033/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 8 AOUT 2022

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______[VD], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 24 novembre 2021, comparant par Me Vadim NEGRESCU, avocat, rue Céard 6, 1204 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

 

et

Monsieur B______ et Madame C______, domiciliés ______[VD], intimés, représentés tous deux par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/983/2021 du 24 novembre 2021, reçu par les parties le 1er décembre 2021, le Tribunal des baux et loyers a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle formé par A______ (ch. 1 du dispositif) et a réservé la suite de la procédure (ch. 2).

B. a. Par acte expédié le 17 janvier 2022 à la Cour de justice, A______ forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut, cela fait, à ce que la Cour déclare recevable sa demande reconventionnelle et condamne B______ et Madame C______ aux dépens de la procédure.

b. Dans leur réponse du 23 février 2022, B______ et C______ ont conclu à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Les parties ont été avisées le 5 mai 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Par contrat du 15 octobre 2019, A______, bailleresse, a remis à bail à B______ et C______, locataires, à tout le moins la partie située au rez-de-chaussée de la maison sise au 1______, à D______ [GE], à compter du 16 octobre 2019 et ce, pour une durée « indéterminé[e] ».

A teneur du contrat : « En cas de prolongation le bail est résiliable en tout le temps [sic] avec un délai de trois mois de préavis pour la fin d'un mois. Les parties doivent s'avertir par écrit de leur intention au sujet de sa résiliation ou de son renouvellement : leur silence à cet égard sert d'acquiescement à sa continuation pour une durée de : une année aux conditions en vigueur à l'échéance du bail et ainsi de suite d'année en année ».

b. L'étendue exacte de l'objet mis en location est litigieuse entre les parties, de même que son caractère meublé ou non, la durée initiale de location et le délai de résiliation.

c. Le loyer a été fixé contractuellement à 5'900 fr. par mois, charges non-comprises. Aucune formule officielle de fixation du loyer n'a été remise aux locataires.

d. En sus du loyer, les locataires devaient s'acquitter de charges à hauteur de 500 fr. par mois, pour « le chauffage et le jardin ». La question de savoir si ce montant correspondrait à un acompte ou un montant forfaitaire est litigieuse entre les parties, de même que la question de savoir si les charges relatives au jardin devaient être effectivement à la charge des locataires.

e. Une garantie de loyer de 17'700 fr. a été constituée par les locataires.

f. Les locataires ont allégué que leur relation avec la bailleresse s'est détériorée dès les premiers mois de la location, notamment en raison de sa présence permanente dans la maison en cause et de litiges relatifs à l'étendue de la surface mise en location. La bailleresse a contesté ces faits.

g. Les locataires ont restitué les clés de la chose louée le 1er juin 2020. La question de l'existence de dégâts à la sortie du logement est litigieuse entre les parties.

h. Par requête en conciliation du 7 mai 2020, déclarée non-conciliée le 9 décembre 2020 et déposée le 25 janvier 2021 auprès du Tribunal des baux et loyers, les locataires ont formé une demande en fixation du loyer et en constatation de droit, concluant à ce qu'il soit constaté que le bail avait pris fin le 15 juillet 2020 « au plus tard », à la fixation du loyer initial à 981 fr. par mois et des charges de chauffage à 250 fr. par mois, à la condamnation de la bailleresse à restituer le surplus de loyer versé en résultant, soit la somme de 33'598 fr. 50 pour la période du 16 octobre 2019 au 30 avril 2020, avec intérêts à 5% l'an dès le 21 janvier 2020, et la somme de 269 fr. pour le mois de mai 2020, avec intérêt à 5% l'an dès le 1er mai 2020. Ils ont également conclu à la réduction de la garantie de loyer à 2'943 fr. et à ce que soit ordonnée la restitution du solde en résultant en leur faveur.

i. Par ordonnance du 29 avril 2021, le Tribunal a ordonné la jonction des causes C/8150/2020 (requête en fixation du loyer) et C/2______/2020 (requête en constatation de droit) sous le numéro de cause C/8150/2020.

j. Dans son mémoire-réponse du 31 mai 2021, la bailleresse a formulé quarante-et-une conclusions, concluant, en substance, principalement (ch. 2 à 19), à la constatation que le bail avait pris fin le 31 octobre 2020 et à la fixation du loyer à 5'900 fr. par mois, ainsi que d'un « forfait » de charges de 500 fr. par mois (ch. 2 et 3). La garantie de loyer devait être fixée à 17'700 fr. et il devait être constaté que celle-ci était « compensée » avec l'arriéré de loyer et des charges des locataires (ch. 17 et 18).

Elle a également conclu à la condamnation des locataires à s'acquitter des loyers et des charges pour les mois de mai à octobre 2020, avec intérêts à 5% l'an dès le 1er jour du mois auquel le loyer et les charges sont rattachés (ch. 4 à 15), ainsi qu'un montant de 1'460 fr. 70 pour des frais d'électricité et de télécommunication pour la période de décembre 2019 à avril 2020, avec intérêts de 5% l'an dès le 1er avril 2020 (ch. 16).

A titre subsidiaire (ch. 20 à 37), la bailleresse a pris les mêmes conclusions, à la seule différence formulée à la fin du contrat, fixée au 15 octobre 2020 (ch. 20).

Enfin, dans une rubrique « sur demande reconventionnelle », la bailleresse a sollicité la condamnation des locataires au paiement de 26'220 fr. à titre d'indemnité pour les dégâts causés à la sortie du logement, avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juin 2020 (ch. 38).

En tous les cas, les locataires devaient être déboutées de leur demande et condamné aux dépens (ch. 19 et 39 à 41).

k. Dans leur réponse à la demande reconventionnelle du 30 septembre 2021, les locataires ont conclu principalement à l'irrecevabilité de celle-ci, faisant valoir que ladite demande portait non seulement sur les prétendus dégâts causés à la sortie des locaux mais également sur le paiement de loyers et charges, de sorte que la valeur litigieuse dépassait le seuil de 30'000 fr. relatif à la procédure simplifiée. Subsidiairement, les locataires ont conclu au déboutement de la bailleresse de ses prétentions.

l. Par ordonnance du 25 octobre 2021, le Tribunal a fixé un délai au 8 novembre 2021 à la bailleresse pour se déterminer sur la recevabilité de sa demande reconventionnelle.

m. Dans sa détermination du 8 novembre 2021, la bailleresse a conclu à la recevabilité de sa demande. Les conclusions principale ou subsidiaire en paiement de loyers n'étaient pas une demande reconventionnelle mais uniquement une réponse à la conclusion relative au versement du surplus de loyer formulée par les locataires. La demande reconventionnelle se limitait aux dégâts causés à la chose louée par les locataires et, étant inférieure à 30'000 fr., devait être déclarée recevable.

n. Par jugement du 24 novembre 2021, le Tribunal a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de la bailleresse relative aux arriérés de loyers et des charges, ainsi qu'aux dégâts présent à la sortie du bail, au motif que la valeur litigieuse de celles-ci était supérieure à 30'000 fr., ce qui s'avérait incompatible avec la procédure simplifiée.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91
al. 2 CPC). La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (Rétornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 363; Spühler, Basler Kommentar, Schweizeriche Zivilprozessordnung, 3e éd., 2017, n. 9 ad
art. 308 CPC).

A l'instar de ce qui prévaut en matière de contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse, liée à une action en constatation de l'existence d'un bail, se détermine selon le loyer dû pour la période durant laquelle le contrat subsiste nécessairement, en supposant que l'on admette l'action en constatation de droit et qui s'étend jusqu'au moment pour lequel un nouveau congé aurait pu être donné (cf. arrêt du Tribunal fédéral arrêt 4C_441/2004 du 27 avril 2005 consid. 1). Il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 et 136 III 96 consid. 1.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 1.1; 4A_127/2008 du 2 juin 2008 consid. 1.1; 4A_516/2007 du 6 mars 2008 consid. 1.1).

En matière de contestation du loyer initial, la valeur litigieuse correspond à la différence entre le montant annuel du loyer initial tel que fixé dans le contrat de bail et le montant requis par l'appelant, sans les charges, multiplié par vingt (art. 92
al. 2 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2012 du 6 décembre 2012 consid. 1.1).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2e éd., 2019, n. 13 ad art. 308 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013; cf. infra consid. 2.1.5).

1.2 En l'espèce, la question de la valeur litigieuse est disputée entre les parties, elle sera examinée ci-dessous. Cela étant, en prenant uniquement en compte la valeur des dégâts allégués par l'appelante à la sortie du logement, soit 26'220 fr. et dont le caractère reconventionnel n'est contesté par aucune des parties, le seuil de 10'000 fr. est manifestement atteint, de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2.             Dans un grief formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, l'appelante reproche aux premiers juges d'avoir violé son droit d'être entendue, pour n'avoir pas motivé suffisamment le jugement litigieux, au regard des développements contenus dans son écriture du 8 novembre 2021.

2.1 Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. implique l'obligation pour le juge de motiver sa décision afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision. Il n'est pas tenu de discuter tous les arguments soulevés par les parties, mais peut se limiter à ceux qui lui apparaissent pertinents (ATF 136 I 229 consid. 5.2; 136 V 351 consid. 4.2; 134 I 83 consid. 4.1; 133 III 439 consid. 3.3; 130 II 530 consid. 4.3).

Savoir si la motivation présentée est convaincante est une question distincte de celle du droit à une décision motivée. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision des juges, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 2C_931/2015 du 12 octobre 2016 consid. 2.1; 6B_1237/2014 du 24 mars 2015 consid. 3.1).

2.2 En l'espèce, le jugement querellé, bien que succinct, permet de comprendre la motivation opérée par le Tribunal, qui a jugé les prétentions pécuniaires reconventionnelle de l'appelante incompatibles avec l'art. 224 al. 1 CPC, dans la mesure où elles excèdent le seuil de 30'000 fr. applicable à la procédure simplifiée.

Le grief de la violation du droit d'être entendu doit en conséquence être rejeté.

3.             L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir déclaré à tort sa demande reconventionnelle irrecevable.

3.1
3.1.1 A teneur de l'art. 224 al. 1 CPC, le défendeur peut déposer une demande reconventionnelle dans sa réponse si la prétention qu'il invoque est soumise à la même procédure que la demande principale.

Cette disposition interdit en principe au défendeur attrait dans une procédure simplifiée de déposer une demande reconventionnelle entrant dans le champ d'application de la procédure ordinaire, en particulier en raison d'une valeur litigieuse supérieure à 30'000 fr. (ATF 143 III 506, consid. 2 et 3 ; FF 2006 6841, p. 6947).

Dans un tel cadre, le défendeur n'a d'autre choix que de conduire un procès séparé pour faire valoir ses prétentions (Heinzmann/Herrmann-Heiniger in Petit commentaire CPC [PC CPC], 2021, n. 40 ad art. 224 CPC).

3.1.2 Par exception à ce principe, la jurisprudence a précisé que si l'action principale est une action partielle, le défendeur peut déposer une action en constatation de droit négative de l'entier de la prétention, même si la valeur complète de celle-ci dépasse le seul de 30'000 fr. La procédure doit, si la demande reconventionnelle dépasse le seuil précité, se dérouler alors selon la procédure ordinaire (ATF 143 III 506, consid. 4; Heinzmann/Herrmann-Heiniger, op. cit., n. 41 ad art. 224 CPC).

Cette faculté est applicable que l'action partielle soit au sens propre ou au sens impropre (ATF 145 III 299, consid. 2; sur ces deux notions : cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_366/2017 consid. 5.2 et ATF 143 III 254 consid. 3.4).

3.1.3 Dans le cadre de son projet de révision du CPC intitulé « Amélioration de la praticabilité et de l'application du droit » (cf. Objet du Conseil fédéral n° 20.026 disponible sous parlament.ch), le Conseil fédéral a, notamment, proposé l'introduction d'une nouvelle disposition (art. 224 al. 1bis CPC), visant à admettre plus facilement une demande reconventionnelle dans le cadre d'une procédure simplifiée (cf. FF 2020 2607, p. 2699). Toutefois, ce nouvel article – non entré en vigueur à ce jour et faisant l'objet, en mai 2022, de divergences au niveau parlementaire – n'est pas de nature à remettre en cause les jurisprudences précitées, selon le Tribunal fédéral, relatives aux actions partielles (cf. ATF 147 III 172, consid. 2.3).

3.1.4 La procédure simplifiée s'applique aux affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 30'000 fr. (art. 243 al. 1 CPC) et quel que soit la valeur litigeuse (art. 243 al. 2 CPC), notamment, aux litiges portant sur des baux à loyer ou à ferme d'habitations et de locaux commerciaux et sur des baux à ferme agricoles en ce qui concerne la consignation du loyer ou du fermage (I), la protection contre les loyers ou les fermages abusifs (II), la protection contre les congés (III) ou la prolongation du bail à loyer ou à ferme (IV ; cf. art. 243 al. 2 let. c CPC).

La notion de « protection contre les congés » doit s'interpréter largement en vue de garantir la protection du locataire et inclut, ainsi, les questions relatives à l'annulation du congé, à son inefficacité ou à sa nullité, de même que la question relative à l'expulsion, si la validité du congé est remise en question (ATF 142 III 402 consid. 2 et 2.5.4 et références citées).

La procédure simplifiée s'applique également indépendamment de la valeur litigieuse si une demande de prolongation de bail est formulée par le locataire, même à titre subsidiaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_270/2015 du 14 avril 2016 consid 4.2; Heinzmann in PC CPC, n. 14 ad art. 243 CPC).

De même, à la procédure en « consignation de loyer » (art. 259g CO), soumise également la procédure simplifiée, doit s'interpréter largement et englobe, ainsi, toutes les prétentions du locataire en lien avec les défauts de la chose louée, soit notamment le droit de solliciter une baisse de loyer, un dédommagement ou une réparation de la chose louée (cf. art. 259a al. 1 CO), ceci indépendant de la valeur litigieuse desdites prétentions, afin de permettre à ce dernier de faire valoir pleinement ses droits et pour des raisons d'économie de procédure (ATF 146 III 63 consid. 4.4 et 4.4.5).

Pour certains auteurs, au regard des jurisprudences précitées, il semble prévisible, même si cela ne ressort pas du texte légal, que le Tribunal fédéral retienne une définition extensive de la notion de « protection contre les loyers abusifs », en admettant l'application de la procédure simplifiée à toutes les procédures portant sur les loyers, sans égard à la valeur litigieuse des prétentions (cf. Dietschy-Martenet, « La notion de consignation du loyer en procédure civile : une doctrine pas si controversée et une analyse incomplète » in Newsletter bail.ch, janvier 2020, p. 6 et 7).

Un auteur préconise de modifier l'art. 243 al. 2 let. c CPC afin de soumettre tous les litiges portant sur des baux à loyer ou à ferme à la procédure simplifiée (Bohnet, « Bail et procédure simplifiée : où prend fin le domaine de la protection contre les congés ? Plaidoyer pour une révision législative » in Bovey/Chappuis/Hirsch (éds), Mélanges à la mémoire de Bernard Corboz, 2019, p. 305 ss). Une telle modification n'est toutefois pas prévue dans le cadre de projet de révision du Conseil fédéral précité (cf. supra consid. 3.1.3).

3.1.5 La valeur du litige est déterminée par les conclusions (art. 91 al. 1 CPC). La date déterminante pour l'estimation de l'objet du litige est celle de l'ouverture de l'action. Des modifications subséquentes survenues en cours d'instance demeurent ainsi dépourvues d'incidence sur la valeur litigieuse (ATF 140 III 65 consid. 3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_753/2015 du 8 mars 2016 consid. 1.2.2; 5A_58/2009 du 28 septembre 2009 consid. 1.2).

En cas de conclusions principales et subsidiaires, c'est la valeur la plus élevée des prétentions qui doit être prise en considération (Heinzmann/Grobéty in PC CPC, op. cit., n. 19 ad art. 91 CPC).

3.1.6 A teneur de l'art. 90 CPC, le demandeur peut réunir dans la même action plusieurs prétentions contre le même défendeur pour autant que le même tribunal soit compétent en raison de la matière (let. a) et qu'elles soient soumises à la même procédure (let. b). Ces deux conditions sont cumulatives. En cas de cumul d'action, les prétentions sont additionnées, à moins qu'elles ne s'excluent (art. 93 al. 1 CPC).

Il convient préalablement d'additionner les différentes valeurs litigieuses au sens de l'art. 93 CPC, avant de déterminer la conformité de la requête avec l'art. 90 CPC (ATF 142 III 788 consid. 4.2.3). C'est ainsi le résultat de l'addition qui détermine la procédure applicable et la compétente matériel du Tribunal (Heinzmann/Grobéty in PC CPC, op. cit., n. 2 ad art. 93 CPC).

L'action en fixation du loyer initial et en restitution du surplus du loyer en résultant est un cumul de deux actions distinctes (ATF 140 III 583 consid. 3.2.3).

La condition d'une procédure identique posée par l'art. 90 let. b CPC peut s'avérer problématique lorsque certaines prétentions, par leur nature, sont soumises à la procédure simplifié (art. 243 al. 2 CPC) et que d'autres prétentions, en raison d'une valeur litigieuse supérieur à 30'000 fr., sont soumises à la procédure ordinaire. Certains auteurs préconisent qu'en cas de connexité des prétentions, une « attraction » doit être rendue possible, ceci dans la procédure applicable à la prétention jugée la plus « prépondérante » (cf. Grobéty in PC CPC, n. 12 ad
art. 90 CPC et références citées; Bohnet in Commentaire Romand CPC [CR-CPC], 2019, n. 9 ad art. 90 CPC et références citées).

Le projet de révision du CPC du Conseil fédéral (supra consid. 2.1.3) semble aller dans ce sens, en prévoyant que « le cumul d'actions est également admis lorsque la compétence à raison de la matière ou la procédure sont différentes du seul fait de la valeur litigieuse » (cf. FF 2020 p. 2695).

3.1.7 La reconvention est une demande, comme la demande principale. C'est une contre-attaque, par laquelle le défendeur fait valoir une prétention qui est indépendante de celle de la demande principale (ATF 124 III 207 consid. 3a, JdT 1999 I 55; 123 III 35 consid. 3c, JdT 1997 I 322). À la différence de la compensation, la reconvention présuppose que le défendeur conteste le bien-fondé de la prétention réclamée dans la demande principale et, partant, conclue à son rejet et que, de son côté, il forme une nouvelle demande (ACJC/1184/2016 du 9 septembre 2016 consid. 2.1 et références citées), qui subsiste même en cas de retrait de la demande principale (FF 2006 6841, p. 6947).

3.1.8 Ne sont pas des conclusions reconventionnelles les conclusions propres que le défendeur peut prendre en cas d'action dont l'admission pourrait impliquer aussi des droits en sa faveur (actio duplex ou « doppelseitige Klage »; Tappy in Code de procédure civile commenté, 2011, n. 17 ad art. 222 CPC et n. 4 ad art. 224 CPC).

Dans le cadre d'une actio duplex, le défendeur y fait alors valoir ses propres prétentions, en formulant ses propres conclusions qui vont au-delà du simple rejet de la demande, ceci sans former de demande reconventionnelle. Le défendeur peut ainsi prendre des conclusions indépendantes sans agir reconventionnellement. L'action est alors dite « réciproque » (ACJC/142/2014 du 7 février 2014 consid. 3.1 et références citées; Willisegger, Grundstruktur des Zivilprozesses, 2012, p. 156).

En raison de la nature du rapport juridique litigieux, son admission conduit à la liquidation de certains droits du défendeur, ceci dans certaines procédures particulières. C'est par exemple le cas lorsque, dans le procès en divorce, le conjoint défendeur conclut à l'attribution de sa part à la liquidation du régime matrimonial ou lorsque, dans une action en partage (art. 604 CC), l'héritier défendeur conclut à l'attribution de sa part successorale (ACJC/769/2015 du 26 juin 2015 consid 2.1.1). La requête de mesures protectrices de l'union conjugale et les prétentions réciproques de chacun des époux formulés dans ce cadre constitue également une actio duplex (Tappy, op. cit., n. 22 ad art. 273 CPC ; Bohnet/Guillod (éd.), CPra Matrimonial, 2016, n. 11 ad art. 273 CPC ; Bohnet in CR CPC, n. 20 à 22 ad Intro. art. 84-90).

3.2 En l'espèce, l'appelante a formulé plus de quarante conclusions dans son mémoire-réponse du 31 mai 2021.

Afin de déterminer le caractère reconventionnel ou non des conclusions, ainsi que leur recevabilité dans le cadre de la procédure simplifiée, au regard de l'art. 224 al. 1 CPC, il convient de déterminer lesquelles équivalent à une prétention indépendante de la demande principale des intimés.

3.3 Les intimés ont sollicité, en substance, que la date pertinente de fin du bail soit constatée judiciairement (I), à ce que le Tribunal procède à la fixation du loyer et des charges (II), condamne la bailleresse à restituer le surplus de loyer et des charges versé en résultant (III) et réduis la garantie de loyer en proportion du loyer fixé judiciairement et ordonne la restitution du solde en résultant aux locataires (IV).

3.4 L'action en fixation judiciaire du loyer (II) entre dans le champ d'application de la « protection contre les loyers ou les fermages abusifs » de l'art. 243 al. 2
let. c CPC, de sorte que la valeur litigieuse de celle-ci est sans importance dans l'application de la procédure simplifiée.

La restitution du surplus de loyer (III) ne concerne en l'espèce que les mois versés par les locataires à la bailleresse, soit d'octobre 2019 à avril 2020. Une telle demande de restitution est le pendant de toute action en fixation du loyer ou, cas échéant, en contestation du loyer initial, dans la mesure où le locataire est tenu, durant la procédure de contestation ou de fixation du loyer, de s'acquitter du loyer initial prévu contractuellement, sauf mesures provisionnelles ordonnées par le juge (cf. art. 270e CO).

Il convient ainsi de considérer la demande de restitution du surplus de loyer versé par les locataires, même si elle constitue une action distincte de la fixation de loyer (cf. ATF 140 III 583 précité consid 3.2.3), comme relevant du champ d'application de l'art. 243 al. 2 let c CPC relatif à la « la protection contre les loyers abusif », au regard de la définition large consacrée par la jurisprudence en la matière.

Pour les mêmes motifs exprimés dans la jurisprudence consacrée à la question de la consignation des loyers (cf. ATF 146 III 63 précité consid. 4.4.5), une telle solution se justifie afin de favoriser la mise en œuvre effective des droits du locataire en cas de contestation ou de fixation judiciaire du loyer, mais également en termes d'économie de procédure, dans le but d'éviter que la prétention pécuniaire relative au surplus de loyer versé – résultant nécessairement de la fixation d'un loyer inférieur à celui prévu contractuellement – soit soumise à un second procès, du simple fait que le montant en cause soumis à restitution dépasserait, cas échéant, le seuil de 30'000 fr.

La procédure simplifiée s'applique dès lors également à l'action en restitution du surplus de loyers versés par les locataires, indépendamment de la valeur litigieuse de celle-ci, en application de l'art. 243 al. 2 CPC.

Il en est de même, pour les mêmes motifs, de la réduction de la garantie de loyer (IV), dont le montant dépend nécessairement du loyer fixé judiciairement, afin de respecter le seuil maximal de trois mois de loyer que le locataire peut être contraint contractuellement de verser à ce titre (cf. art. 257e al. 2 CO).

3.5 De son côté, l'appelante a conclu dans sa réponse du 31 mai 2021 que le loyer soit fixé à 5'900 fr. par mois et le « forfait » de charges à 500 fr. par mois. La garantie de loyer devait être fixée à 17'700 fr. et « compensée » avec l'arriéré de loyer (cf. conclusions sous ch. 3, 17 et 18, respectivement 21, 35 à 37)

Lesdites conclusions sont le pendant des différentes prétentions précitées des locataires en lien avec la fixation du loyer, de sorte qu'elles sont recevables, indépendamment de leurs valeurs litigieuses également.

3.6 En revanche, l'action en constatation de droit des intimés visant à faire constater judiciairement la date pertinente de fin du contrat de bail (I) n'entre pas dans le champ d'application de l'art.  243 al. 2 CPC (de cet avis : Conod/Bohnet, Droit du bail : fond et procédure, 2e éd., 2021, n. 1562). Il ne s'agit pas d'un litige relatif à la question de la protection contre les congés, même dans son acceptation large, les locataires ayant quitté le bien en location de leur plein gré et ne contestant pas la validité de la résiliation en tant que telle, mais seulement le terme contractuel de celle-ci, afin de déterminer le loyer dû pour la période considérée.

La question de la valeur litigieuse de cette action en constatation de droit n'a cependant pas fait l'objet de discussion entre les parties ou de la part du Tribunal (cf. art. 91 al. 2 CPC), et ne fait pas l'objet du présent appel. Or, la question de la recevabilité de cette action, au regard de la procédure simplifiée applicable pour l'action en fixation du loyer et les autres prétentions dépendantes directement de celle-ci (supra consid. 3.4), n'est pas d'emblée évidente pour admettre une conformité avec l'art. 90 let. b CPC.

Il appartiendra ainsi au Tribunal de déterminer la recevabilité de cette action (art. 59 CPC), ceci au regard de l'art. 90 let. b CPC, en déterminant, préalablement, sa valeur litigieuse, notamment si les parties – après leur avoir donné l'occasion de se déterminer à ce propos – n'arrivent pas à s'entendre à ce propos (art. 91
al. 1 CPC; cf. sur la valeur litigieuse d'une action en constatation : arrêt du Tribunal fédéral arrêt 4C_441/2004 du 27 avril 2005 consid. 1), étant relevé que la jonction des causes opérée d'office par le Tribunal le 29 avril 2021 implique que la procédure applicable entre les différentes actions de la demande principale soit identique. Le Tribunal peut cependant revenir en tout temps sur cette décision et disjoindre les causes cas échéant (cf. Schneuwly in PC CPC, n. 6 ad art. 126 CPC et références citées).

Si par hypothèse le Tribunal parvenait à la conclusion que la valeur litigieuse d'une telle action en constatation est incompatible avec la procédure simplifiée, de sorte qu'une disjonction de la cause doit s'opérer, la question de la recevabilité des prétentions de l'appelante – en lien avec les prétendus arriérés de loyers et charges, ainsi que les dégâts causés à la chose louée à la sortie des locataires (ch. 4 à 16, 22 à 34 et 38) – devrait être examinée à nouveau.

3.7 On rappellera à ce propos que la valeur litigieuse des prétentions principales en paiement de l'appelante (ch. 4 à 16 et ch. 38) résulte de l'addition des différentes prétentions (art. 93 CPC; ATF 142 III 788 précité consid. 4.2.3).

La valeur litigieuse se compose ainsi, pour chaque mois, d'un loyer de 5'900 fr. et des charges à hauteur de 500 fr., soit 6'400 fr. par mois. Sur la période considérée (mai 2020 à octobre 2020, soit six mois), le montant des prétentions se chiffre à 38'400 fr. (6'400 fr. × 6 mois), auxquels se rajoutent 1'460 fr. de frais allégués d'électricité et de télécommunication, ainsi que des prétentions alléguées en dégâts causés à la chose louée de 22'620 fr., soit un total de 62'480 fr. (= 34'400 fr. + 1'460 fr. + 22'620 fr.).

La procédure ordinaire est dès lors applicable (art. 219 CPC).

3.8 Contrairement à ce que soutient l'appelante, de telles conclusions, qui constituent une demande en paiement relative à des éventuels arriérés de loyers et de charges, de même qu'à une indemnisation pour des dégâts prétendument causés à la sortie du logement, ne figurent pas dans le champ d'application de l'art. 243 al. 2 let. c CPC, ne relevant ni d'une problématique de protection contre les congés, de loyer abusif ou autre, de sorte que la valeur litigieuse des différentes actions doit être prise en considération et additionnée, afin de déterminer la procédure applicable.

La solution préconisée par certains auteurs de doctrine, visant à soumettre l'ensemble des litiges relatifs à la question des loyers à la procédure simplifiée, même si elle aurait l'avantage de la simplification, ne ressort pas en l'état du texte légal, ni message du Conseil fédéral (FF 2006 6841, p. 6954) ou de la jurisprudence, de sorte qu'elle ne saurait être suivie.

Il en est de même de la solution envisagée par lesdits auteurs visant à déterminer la prétention « prépondérante » de la demande, afin de déterminer la procédure applicable. Une telle solution ne ressort pas non plus du texte légal (cf. art. 90 CPC) ou du Message du Conseil fédéral relative à l'entrée en vigueur du CPC, même si elle semble être désormais préconisée par ce dernier dans le cadre de son projet de révision du CPC qui, toutefois et à ce jour, n'est toujours pas entrée en vigueur et fait l'objet de divergences au niveau parlementaire (cf. supra consid. 3.1.3).

3.9 Contrairement à ce qu'affirme encore l'appelante, le fait que les conclusions précitées s'inscrivent dans un contexte de fin de bail n'est d'aucune portée et ne permet pas, comme elle l'affirme, de considérer cette demande comme entrant dans le champ d'application de la « protection contre les congés » de l'art. 243 al. 2
let. c CPC. En effet, cette disposition vise, comme déjà indiqué (supra consid. 3.1.4), les procédures en annulation du congé, tendant à constater son inefficacité ou sa nullité (art. 266g, 266o ou 271 ss CO). Or, ce genre de problématique n'est pas l'objet du litige opposant les parties.

3.10 En définitive, la procédure simplifiée s'applique aux conclusions relatives à la fixation du loyer, au surplus de loyer en résultant et à la réduction de la garantie de loyer, de sorte que les conclusions à ce propos de l'appelante sont recevables (cf. supra consid. 3.5).

Pour le surplus, la cause sera renvoyée aux premiers juges pour instruction complémentaires (art. 318 al. 1 let. c ch. 1 CPC), en lien avec l'action en constatation de droit (cf. supra consid. 3.6) et la recevabilité des actions en paiement de l'appelante à ce propos, et nouvelle décision.

4.             A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 17 janvier 2022 par A______ contre le jugement JTBL/983/2021 rendu le 24 novembre 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/8150/2020.

Au fond :

Annule ce jugement et statuant à nouveau :

Déclare recevables les conclusions de A______ figurant sous chiffres 3, 17 à 19, 21, 35 à 37, 39 à 41 de son mémoire-réponse du 31 mai 2020.

Renvoie pour le surplus la cause au Tribunal des baux et loyers, dans le sens des considérants.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRYBARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Grégoire CHAMBAZ et Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.