Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1415/2024 du 03.12.2024 sur JTAPI/371/2024 ( LDTR ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2805/2023-LDTR ATA/1415/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 3 décembre 2024 |
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dans la cause
A______
B______
C______
D______
E______
F______, mineur représenté par Me Albert RIGHINI, curateur
représentés par MOSER VERNET & CIE, mandataire recourants
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC intimé
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 avril 2024 (JTAPI/371/2024)
A. a. A______, B______, C______ et D______, E______ et F______ (ci-après : consorts G______) sont copropriétaires de l’immeuble sis ______, rue H______ à I______. Le logement de 6 pièces situé au 4ème étage du bâtiment (no 42) est loué au même locataire depuis le 29 juin 1988.
b. Selon un avenant au bail d’avril 2015, l’augmentation du loyer de l’appartement a été échelonnée avec des augmentations de CHF 240.- du loyer annuel, le 1er mai de chaque année. En 2016, le loyer était de CHF 1'650.- par mois, soit CHF 19'800.- plus charges par an et en 2026, il serait de CHF 1'830.- par mois, soit CHF 21'960.- plus charges par an.
B. a. Le 30 mai 2015, les consorts G______ ont déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande d’autorisation de construire portant sur la transformation et la rénovation de l’appartement no 42.
Les travaux portaient sur la pose d’une cuisine agencée et équipée avec un radiateur supplémentaire et consistaient en la pose de nouveaux rayonnages, nouveaux carrelages et faïences, modification des raccordements de l’eau et du gaz, pose d’un radiateur supplémentaire, équipement complet et réfection complète des peintures. La porte palière était aussi changée.
Il convenait que le loyer soit bloqué aux trois échelons suivants : dès l’entrée en vigueur de la décision à CHF 21'480.- par an, depuis le 1er mai 2024 à CHF 21'720.- par an et du 1er mai 2025 à CHF 21'960.- jusqu’à la fin du contrôle du loyer.
b. Dans le cadre de l’instruction de cette requête, tous les préavis recueillis étaient favorables.
En particulier, le préavis de l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) du 21 juin 2023, favorable sous conditions, mentionnait que le loyer de l’appartement n’excéderait pas après travaux son niveau actuel, soit CHF 21'480.- par an, soit CHF 3'580.- la pièce par an. Ce loyer serait appliqué pour une durée de trois ans à dater de la remise en location après la fin des travaux.
c. Le 14 août 2023, le département a délivré l’autorisation sollicitée (APA 1______), laquelle retenait en particulier que les conditions figurant dans les préavis devaient être strictement respectées et faisaient partie intégrante de l’autorisation, soit notamment le préavis de l’OCLPF du 21 juin 2023.
C. a. Par acte du 5 septembre 2023, les consorts G______ ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette autorisation, concluant préalablement au retrait de l’effet suspensif et, au fond, à l’annulation du préavis de l’OCLPF du 21 juin 2023 et à la modification de la décision en ce sens que le loyer après travaux devait être fixé à CHF 21'480.- / an jusqu’au 30 avril 2024, CHF 21'720.- / an du 1er mai 2024 au 30 avril 2025 et CHF 21'960.- / an du 1er mai 2025 jusqu’à la fin de la période de contrôle, à la rectification de la décision en ce sens qu’elle devait être destinée aux consorts G______.
Les travaux autorisés n’étant pas contestés, le recours ne portant que sur la question du montant du loyer bloqué après travaux ; aucun intérêt ne justifiait que lesdits travaux soient retardés par le recours ; ils sollicitaient donc le retrait de l’effet suspensif au recours.
Le loyer échelonné du locataire avait été fixé contractuellement avant la demande de travaux de la part du locataire en 2023 – demande de l’installation d’une nouvelle cuisine. Il devait donc continuer à s’appliquer dans la période de contrôle, soit CHF 1'790.- / mois (CHF 21'480.- / an) jusqu’au 30 avril 2024, CHF 1’810.- / mois (CHF 21'720.- / an) du 1er mai 2024 au 30 avril 2025 et CHF 1'830.- / mois (CHF 21'960.- / an) du 1er mai 2025 jusqu’à la fin de la période de contrôle. En effet, lorsque le loyer fixé avant transformation ou rénovation dépassait le plafond des besoins prépondérants de la population (ci-après: BPP) – comme c’était le cas en l’espèce – il était maintenu « au même niveau », à savoir au niveau de ses échelons prévus avant les travaux qui devaient entrer en vigueur comme prévu avant les travaux.
Raisonner autrement découragerait les propriétaires d'accepter des travaux en cours de bail, ou les encouragerait à attendre la fin de l'échelonnement ou de la période d'indexation prévue pour ne faire les travaux que plus tard. Ce ne serait pas dans l'intérêt du locataire qui se verrait refuser des travaux à plus-value (en l'occurrence ici une cuisine complète comme il y en avait dans tous les immeubles neufs, y compris sociaux) qu'il avait demandés, étant précisé que le locataire était, en l'occurrence, protégé contre l'augmentation de loyer « Fracheboud » grâce à l'échelonnement ou l'indexation prévue dans son bail avant sa demande.
Enfin, lorsque les travaux portaient sur un immeuble entier ou presque, les procédures d'autorisation duraient actuellement en moyenne deux ans. Pendant cette période, certains locataires déménageaient inévitablement. L'OCLPF exigeait des propriétaires requérants qu'ils déposent leurs derniers calculs de loyers peu avant la synthèse et la délivrance de l'autorisation de construire. À leur sens, dans ce cas, des calculs de loyers réactualisés avec des nouveaux calculs de hausse devraient être effectués après la fin des travaux, de façon similaire à ce qui se faisait dans le cadre de l'application de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05). Cela permettrait de tenir compte des loyers effectivement existants avant travaux et des coûts effectifs des travaux exécutés (qui étaient souvent différents de ceux estimés dans le cadre de la procédure d'autorisation de construire). Dans le cas d'un appartement isolé, comme ici, on ne savait également pas quand commençaient les travaux ni quand ils finissaient.
b. Le 21 septembre 2023, le département s’en est rapporté à justice sur la requête de retrait de l’effet suspensif.
c. Par décision du 26 septembre 2023, le TAPI a retiré l’effet suspensif au recours.
d. Le département s’est déterminé sur le fond du recours le 13 novembre 2023, concluant à son rejet.
Le dernier loyer brut appliqué était considéré comme loyer de référence ; les échelons futurs n’avaient donc pas à être pris en considération dans le cadre de la fixation du loyer après travaux.
Il était indéniable qu’en suivant la position des propriétaires, il contreviendrait au but poursuivi par la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et viderait même ladite loi d'une partie de sa substance. En effet, si un tel procédé devait par impossible être validé, cela reviendrait à permettre aux propriétaires de contourner la LDTR, en anticipant, lors de la conclusion du bail, la répercussion de travaux sur le loyer par le biais d'échelons. En effet, dès lors que des travaux de rénovation ou de transformation dans un appartement étaient susceptibles d'être prévus, il suffirait aux propriétaires de prévoir systématiquement un bail échelonné afin de permettre une/des augmentation/s du loyer (selon l’/les échelon/s conclu/s) après les travaux, s'affranchissant, ainsi, de la période de contrôle voulue par la LDTR. Cela constituerait non seulement un abus de droit mais irait, de plus, à l'encontre de l’intérêt public poursuivi par la LDTR.
En l’espèce, le loyer avant travaux était, selon le contrat de bail, de CHF 3'580.- la pièce/an, soit supérieur à la fourchette LDTR de CHF 3'528.-. C’était donc à juste titre, en conformité avec l’art. 11 al. 3 LDTR qu’il avait maintenu in casu ce loyer après travaux autorisés pour une période de trois ans sans tenir compte des échelons postérieurs conclus.
e. Les propriétaires ont répliqué le 8 décembre 2023. Les travaux allaient se dérouler en janvier 2024.
Le fond du litige était de savoir si un échelonnement de loyers parfaitement valable du point de vue civil convenu contractuellement entre le bailleur et le locataire en application d’une des méthodes de calcul civiles – soit la réadaptation aux loyers du quartier – avant que le locataire demande des travaux à plus-value pouvait être poursuivi une fois les travaux terminés.
Aucune des jurisprudences citées par le département ne traitait expressément de la question litigieuse.
L’art. 10 al. 1 LDTR prévoyait que le département fixait le loyer après travaux comme condition de l’autorisation mais n’indiquait pas que ce loyer devrait être celui applicable au moment de l’instruction de la demande d’autorisation de construire, comme le soutenait le DT. Pour savoir quel loyer avant travaux prendre en considération, il fallait appliquer l’art. 11 al. 1 LDTR, dont la lettre d tenait compte de tous les types de loyers des art. 269 ss CO, donc y compris le loyer échelonné de l’art. 269c CO et du loyer indexé de l’art. 269b CO.
f. Le département a dupliqué le 10 janvier 2024, persistant dans ses conclusions.
g. Par jugement du 19 avril 2024, le TAPI a rejeté le recours.
Les loyers qui, comme en l’espèce, étaient supérieurs à la fourchette LDTR avant travaux étaient présumés être abusivement élevés et déjà correspondre à ce qui serait admissible après transformation. Cette présomption pouvait être renversée. Deux cas permettaient une augmentation des loyers, à savoir si les travaux permettaient de réduire la consommation énergétique ou si les loyers ne permettaient pas au propriétaire de supporter économiquement les coûts des travaux. Ces exceptions ne trouvaient pas application en l’espèce, ce qui n’était pas contesté.
Nonobstant l’accord des parties, le département restait donc en droit de fixer le montant du loyer.
D. a. Par envoi du 14 mai 2024, les consorts G______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant à l’admission du recours ainsi qu’à l’annulation du préavis de l’OCLPF du 21 juin 2023 et à la modification de la décision du département du 14 août 2023, en ce sens que le loyer après travaux de l’appartement devait être fixé à CHF 1'790.- par mois dès le 1er mars 2024, CHF 1’810.- par mois dès le 1er mai 2024 et CHF 1'830.- par mois dès le 1er mai 2025.
L’argumentation déjà développée devant le TAPI était reprise intégralement.
Le TAPI avait fait une subsomption erronée en développant l’art. 11 al. 3 LDTR, qui n’était pas invoqué, et la jurisprudence citée ne répondait pas à la question posée. C’était l’art. 11 al. 1 let. d LDTR, renvoyant à l’art. 269c de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), qui trouvait application puisque les échelons en force depuis 2015 jusqu’en 2026 avaient été convenus huit ans avant que le locataire ne demande l’exécution de travaux à plus-value. Le Tribunal fédéral avait rappelé à plusieurs reprises que la LDTR ne saurait empiéter sur le domaine régi par le droit fédéral et en entraver l’application. Il fallait en déduire que l’échelonnement prévu contractuellement avant que l’une d’elles, en l’occurrence ici le locataire, propose des travaux, devait se poursuivre après l’exécution des travaux car il constituait le loyer avant travaux.
b. Le 14 juin 2024, le département a conclu au rejet du recours.
Le raisonnement du TAPI ne prêtait pas le flanc à la critique, l’art. 11 al. 3 LDTR empêchant de suivre le raisonnement des recourants. La décision ne violait pas le principe de primauté du droit fédéral, s’agissant d’un contrôle temporaire des loyers.
c. Le 16 juillet 2024, les recourants ont répliqué.
Le Tribunal fédéral avait confirmé que l’autorité administrative ne pouvait pas contrôler l’échelon convenu entre les parties au bail après les travaux pour une période postérieure au contrôle de loyer. S’agissant de la période de trois ans de contrôle, celle-ci ne contenait pas d’échelon prévu préalablement par les parties comme en l’espèce.
d. Le 19 juillet 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).
2. La question litigieuse est celle de la conformité au droit de la décision du département fixant le loyer de l’appartement après travaux et pendant une durée de trois ans après la fin des travaux, à son niveau actuel, soit CHF 21'480.- par an, soit CHF 3'580.- la pièce par an, par renvoi du chiffre 7 de l’autorisation de construire au préavis de l’OCLPF du 21 juin 2023.
2.1 La LDTR a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l’habitat dans les zones prévues (art. 1 al. 1 et 2 LDTR).
À cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d’appartements, elle prévoit notamment l’encouragement à des travaux d’entretien et de rénovation raisonnables et proportionnés des maisons d’habitation (art. 1 al. 2 let. b LDTR).
Plus spécifiquement, la LDTR vise plusieurs objectifs, notamment améliorer la protection des locataires, et conserver sur le marché certains types de logements qui répondent à un besoin en raison de leur prix et de leur conception (ATF 116 Ia 401 consid. 9c).
2.2 Le département accorde l’autorisation si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux besoins prépondérants de la population (ci-après : BPP - art. 9 al. 2 LDTR). Il s'agit d'hypothèses alternatives (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 133).
Par BPP, il faut entendre les loyers accessibles à la majorité de la population (art. 9 al. 3 LDTR). Selon l’arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population du 12 janvier 2022, en vigueur dès le 14 janvier 2022 (ArLoyers - L 5 20.05), les loyers correspondant aux BPP, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2018, sont compris entre CHF 2'627.- à CHF 3'528.- la pièce par année.
Un logement correspond en principe par son genre ou par son loyer aux BPP notamment lorsqu'il entre dans la catégorie des appartements dans lesquels règne la pénurie au sens de l'art. 25 LDTR. Selon l'arrêté déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (ArAppart - L 5 20.03) déterminant au moment des faits, comme selon celui actuellement en vigueur, il y a pénurie dans toutes les catégories d'appartements d'une à sept pièces inclusivement.
2.3 Selon l’art. 10 LDTR, le département fixe, comme condition de l’autorisation de construire, le montant maximum des loyers des logements après travaux. Il tient compte des critères énumérés à l’art. 11 LDTR.
2.4 Selon l’art. 11 al. 1 LDTR, le département prend en considération l’ensemble des travaux à effectuer, sous déduction des subventions éventuellement octroyées et fixe le montant des loyers ou des prix de vente maximaux, en tenant compte du rendement équitable des capitaux investis pour les travaux, calculé, en règle générale, sur les 70% au maximum de leur coût et renté à un taux de 0,5 point au‑dessus de l’intérêt hypothécaire de premier rang pratiqué par la Banque cantonale de Genève, le taux de rendement étant fonction de l’incidence dégressive des amortissements (let. a) ; de l’amortissement calculé en fonction de la durée de vie des installations, en règle générale dans une fourchette de 18 à 20 ans, soit de 5,55% à 5% (let. b) ; des frais d’entretien rentés en règle générale à 1,5% des travaux pris en considération (let. c) ; des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération selon les art. 269 et ss CO (let. d).
Selon l’art. 11 al. 2 LDTR, lorsque les logements répondent aux BPP quant à leur genre, leur typologie, leur qualité, leur prix de revient, le nombre de pièces ou leur surface, le loyer après transformation doit répondre aux BPP.
Selon l’art. 11 al. 3 LDTR, si le loyer avant transformation ou rénovation dépasse le niveau des loyers répondant aux BPP, il est maintenu par le département au même niveau lorsqu’il apparaît qu’il permettait économiquement au propriétaire de supporter le coût des travaux sans majoration de loyer.
3. Les recourants estiment que le loyer après travaux devrait être fixé en application de l’art. 11 al. 1 let. d LDTR selon les échelons prévus dans le contrat de bail et non en application de l’art. 11 al. 3 LDTR. Ils ne contestent cependant pas que le loyer avant travaux dépasse le niveau des loyers répondant aux BPP.
3.1 L'art. 11 al. 3 LDTR a été introduit avec l'adoption du PL 7'752, le 25 mars 1999. Il vise à permettre la rénovation d'immeubles dont les loyers dépassent déjà, avant travaux, le niveau des loyers répondant aux BPP, en autorisant une augmentation desdits loyers, pour autant toutefois que ces derniers aient été précédemment équitablement fixés (ATA/675/2017 du 20 juin 2017 consid. 8c).
L’art. 11 al. 3 LDTR présume que le loyer supérieur à la fourchette LDTR avant travaux était abusivement élevé, au sens de la LDTR et qu’il correspondait déjà à ce qui sera admissible après transformation (ATA/567/2005 du 16 août 2005 consid. 22). Cette présomption peut être renversée par le propriétaire puisque dans la situation de l’art. 11 al. 3 LDTR, il appartient au requérant de démontrer, par toutes pièces utiles, que le propriétaire n’est pas en mesure de supporter économiquement le coût des travaux sans majoration de loyer.
Par pièces utiles, le département fait prioritairement référence à un calcul de rendement de l’immeuble. Subsidiairement, il peut être recouru à une étude comparative entre les loyers de l’immeuble et ceux résultant des statistiques publiées chaque année par le canton. Le département tient compte, dans son appréciation, des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération au sens des art. 269 ss CO (art. 5 al. 4 du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation - RDTR - L 5 20.01 ; ATA/253/2011 du 19 avril 1011 consid 8 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 315).
L’historique de cette disposition montre notamment que le législateur entendait l’appliquer de façon limitée aux seuls cas où les loyers étaient abusivement élevés, supérieurs à la fourchette des loyers BPP, avant travaux mais ne constituaient pas des logements de luxe. Le Tribunal fédéral a jugé que cette interprétation restrictive était en accord avec le texte légal et correspondait aux travaux préparatoires. Ce texte n’allait pas au-delà de la protection contre les loyers abusifs et répondait à un objectif de politique sociale. Par ailleurs la réserve selon laquelle le blocage des loyers devait être économiquement supportable permettait à l’autorité de respecter le principe de la proportionnalité lors de l’application de cette disposition (arrêt du Tribunal fédéral 1P.664/1999 du 1er septembre 2000 consid. 6 c).
En l’espèce toutefois, les recourants, propriétaires, ne se prévalent pas de la possibilité de renverser la présomption de l’art. 11 al. 3 LDTR. Il n’y a dès lors pas de sens à invoquer l’art. 11 al. 1 let. d LDTR à l’appui de leur raisonnement.
3.2 Les recourants concluent toutefois à ce que le loyer après travaux soit fixé en tenant compte des échelons prévus dans le bail, ceux-ci correspondant, selon eux, au loyer avant travaux. Les échelons devant entrer en vigueur comme prévu. Le maintien « au même niveau » prévu par l’art. 11 al. 3 LDTR impliquerait cela.
Or, à cet égard, la jurisprudence et la doctrine ont déjà eu l’occasion de préciser que les critères de calcul retenus à l’art. 11 LDTR s’inspiraient des règles de droit fédéral contenues à l’art. 269a CO en matière de fixation de loyer dans la mesure où ils font intervenir des éléments liés au rendement des fonds investis dans les travaux par le propriétaire (Alain MAUNOIR, La nouvelle LDTR au regard de la jurisprudence, in RDAF 1996 p. 327). La finalité de l’art. 11 LDTR est cependant différente : il s’intègre dans un dispositif légal mis en place pour assurer le maintien en faveur de toutes les catégories de la population d’un parc de logements dont les caractéristiques et les loyers correspondent à leur besoin. La loi impose un contrôle des loyers pour une durée limitée, dont l’objectif est de contenir l’augmentation des loyers des logements les plus fortement recherchés en période de pénurie pour qu’il en subsiste sur le marché (ATA/502/2008 du 30 septembre 2008 consid. 7b).
S’agissant plus précisément de l’art. 11 al. 1 let. d LDTR, la jurisprudence a déjà exposé que le renvoi fait par cette disposition aux art. 269 et ss CO visait les cas où les calculs de loyer selon les lettres a à c de l’art. 11 al. 1 LDTR s’avéreraient conduire à un loyer qui serait encore abusif (ATA/502/2008 précité consid. 7d).
L’art. 11 LDTR prévoit la méthode de fixation des loyers après travaux, selon que celui avant travaux réponde aux BPP (art. 11 al. 1 et 2 LDTR) ou non (art. 11 al. 3 LDTR, soit lorsque le loyer avant travaux dépasse le niveau des loyers répondant aux BPP). La conformité avec le droit fédéral de cette dernière disposition a déjà été examinée par le Tribunal fédéral, qui a conclu que sous l’angle du but poursuivi par la norme, la situation n’était guère comparable entre le propriétaire qui désirait, après travaux, adapter ses loyers auparavant justifiés, et celui dont on peut considérer que le coût des travaux était déjà compris dans les loyers précédents. Notamment, il est précisé qu’avec la possibilité pour le propriétaire de démontrer qu’il n’est pas en mesure de supporter économiquement le coût des travaux sans majoration de loyer, le mécanisme prévu était conforme au principe de proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 1P.664/1999 et 1P.686/1999 du 1er septembre 2000 consid. 6.).
Il s’agit bien de tenir compte du loyer avant travaux et non pas du loyer prévu pour la période couverte par les travaux et celle après les travaux, l’échelonnement prévu ne pouvant, dans l’application de l’art. 11 al. 3 LDTR, avoir pour conséquence de modifier le loyer à fixer. Les recourants ne peuvent être suivis lorsqu’ils estiment que l’art. 11 al. 1 let. d traite du loyer avant travaux, puisqu’en lisant l’entier de la disposition, il s’avère sans ambiguïté qu’il s’agit d’un des modes de calculs prévus pour fixer le montant des loyers après travaux : « Prenant en considération l’ensemble des travaux à effectuer, sous déduction des subventions éventuellement octroyées, le département fixe le montant des loyers ou des prix de vente maximaux, en tenant compte : » suivent les lettres a), b) c) et d) laquelle prévoit les autres facteurs de hausse et baisse à prendre en considération selon les art. 269 ss CO.
Le raisonnement des recourants qui n’est pas fondé sur le texte clair de l’art. 11 LDTR ni de celui de l’entier des dispositions du chapitre V de la LDTR consacré à la fixation des loyers et des prix en cas de démolitions ou de transformations, ne peut donc être suivi. L’art. 14 LDTR prévoit d’ailleurs que bien que pendant la période de contrôle, les loyers et les prix de vente fixés par le département ne puissent être dépassés, lorsque l’évolution des critères de fixation de loyers au sens de l’art. 269 ss CO le justifie, une demande de modification des loyers ou des prix peut être présentée au département (art. 14 LDTR), ce mécanisme permettant, le cas échéant, aux recourants de faire valoir leur demande en modification du loyer fixé.
3.3 S’agissant des loyers échelonnés, la chambre de céans a déjà jugé que le département ne pouvait pas intervenir sur le montant du loyer dû au-delà de la période de contrôle et qu’ainsi dans le cas où le bail prévoit un premier échelon respectant l’autorisation de construire délivrée puis un deuxième à partir de la date de fin de la période de contrôle, il s’avérait conforme à la LDTR (ATA/512/2010 du 3 août 2010). Le Tribunal fédéral a également précisé que dans le cadre d’un contrat de bail avec loyers échelonnés, les dispositions de la LDTR ne permettaient pas au département d’intervenir sur le loyer postérieur à la période de contrôle, soit de vérifier le loyer fixé dans la clause d’échelonnement pour les deux années suivant la période postérieure au contrôle (arrêt du Tribunal fédéral 1C_184/2013 du 8 janvier 2014 consid. 2.2).
Il découle aussi de cette jurisprudence, a contrario, que le département peut fixer le loyer pour la période de contrôle, ce qui confirme le développement fait ci-dessus sur les dispositions de la LDTR. Ainsi, nonobstant l’accord des parties au contrat de bail, s’agissant de l’échelonnement des augmentations du loyer, le département était en droit de fixer le montant du loyer pendant la période de contrôle, à hauteur de celui avant travaux, conformément à l’art. 11 al. 3 LDTR.
En conséquence, le raisonnement des recourants ne peut être suivi et le recours sera rejeté.
Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge conjointe des recourants qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d’indemnité (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 14 mai 2024 par A______, C______, D______, B______, E______ et F______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 avril 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 1'000.- à la charge conjointe de A______, C______, D______, B______, E______ et F______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à MOSER VERNET & Cie SA, mandataire des recourants, au département du territoire - OAC ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Fabienne MICHON RIEBEN, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
S. HÜSLER ENZ
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| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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