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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/525/2024

ATA/1230/2024 du 18.10.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/525/2024-PRISON ATA/1230/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 octobre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 21 octobre 2021, en détention provisoire.

b. Il n'a fait l'objet que d'une sanction disciplinaire depuis cette date, à savoir celle objet du présent litige.

B. a. Les 9 décembre 2021 et 19 février 2024, A______ a signé des conventions d'occupation le liant à la prison et décrivant les conditions et modalités de travail en atelier.

b. Il a travaillé à l'atelier de reliure du 15 juin 2022 au 7 décembre 2022. Ayant demandé à changer d'atelier, il a été affecté à l'atelier du livre du 3 janvier 2023 au 12 février 2024. Il travaille depuis le 12 mars 2024 dans un troisième atelier (télévision).

c. Selon un rapport d'incident du 12 février 2024 établi par le gardien principal des ateliers, lors de la sortie des ateliers, A______ était passé au magnétomètre et lui avait dit à plusieurs reprises « vous auriez pu me soutenir ce matin », faisant référence à un événement survenu dans la matinée, vers 10h40, à savoir que le détenu B______l'avait pris à partie dans le couloir à la remontée des ateliers et qu'ils avaient eu des échanges verbaux.

Il avait répondu qu'il n'avait pas entendu les échanges en question et qu'il ne pouvait rédiger un rapport sur des faits dont il n'était pas témoin. Dès son arrivée à l'atelier du livre, A______ s'était montré très agité. Il avait frappé à la porte du bureau. Une collègue appointée avait ouvert la porte et A______ avait bloqué cette dernière avec son pied, le retirant toutefois sur demande de la collègue. Il avait continué à répéter en boucle que le gardien principal prenait parti pour son codétenu. A______ avait voulu lui faire lire une lettre, en insistant, ce qu'il avait refusé de faire. À la suite de ce refus, ce dernier avait haussé le ton, si bien que, face à son comportement agressif et menaçant, il avait décidé de le faire remonter en cellule. A______ l'avait alors menacé en ces termes : « Si vous me faites remonter en cellule, je dépose plainte contre vous, par contre si vous me laissez à l'atelier je ne déposerai pas plainte, à vous de voir ». L'appointée avait alors, avec deux collègues, remonté le détenu en cellule.

d. Entendu à 16h10 par le gardien sous-chef responsable des ateliers, A______ s'est vu notifier à 16 h15 une sanction de quatre jours de suspension de travail pour attitude incorrecte avec le personnel. Il a refusé de signer le procès‑verbal. La sanction a été exécutée.

C. a. Par acte posté le 14 février 2024, adressé principalement à la direction de la prison et en copie à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a interjeté recours contre la décision précitée, sans prendre de conclusions formelles mais en déclarant « refuse[r] toutes sanctions ».

Il dénonçait l'attitude du chef d'atelier, qui avait pris parti contre lui lors d'une nouvelle dispute qu'il avait eue avec son codétenu B______le 12 février 2024 vers 10h35. Dans ces conditions, il n'entendait pas retourner travailler sous l'autorité dudit chef d'atelier, dont l'attitude méprisante se manifestait quotidiennement envers tous les détenus mais plus spécialement envers lui. Il souhaitait reprendre le travail au plus vite – car son travail quotidien était fondamental pour son équilibre psychique –, mais à l'atelier de reliure où travaillait un autre de ses codétenus.

Pour prouver sa bonne foi dans le cadre du refus de sa sanction, il invitait la direction à visionner les images de vidéosurveillance relatives à sa conversation avec le chef d'atelier, qui avait eu lieu le 12 février 2024 vers 12h45.

b. Le 13 mars 2024, la prison a conclu au rejet du recours.

Les images de vidéosurveillance, tant de la prise à partie entre les deux détenus le matin que de la conversation avec le chef d'atelier, à 12h43, étaient jointes.

Les faits avaient été dûment constatés, le recourant n'apportant aucun élément permettant de s'écarter des faits tels que rapportés dans le rapport d'incident. Le droit d'être entendu du détenu avait été respecté, dès lors qu'il avait été entendu à 16h10 et que les images de vidéosurveillance avaient été sauvegardées.

En réponse au courrier de A______ du 14 février 2024, la direction de la prison, qui en était également destinataire, avait répondu au précité que le membre du personnel mis en cause avait effectué correctement son travail. Le sous‑chef des ateliers avait aussi informé le recourant qu'il avait pris bonne note de son souhait de changer d'atelier et qu'il était dès lors inscrit en liste d'attente pour une autre place en atelier, raison pour laquelle une nouvelle convention d'occupation avait été conclue le 19 février 2024.

La sanction était prévue par le règlement, répondait à un intérêt public et était proportionnée.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 19 avril 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Aucune des parties ne s'est manifestée.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Se pose la question de l'intérêt actuel au recours.

2.1 Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un tel intérêt lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/574/2024 du 10 mai 2024 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’une sanction disciplinaire doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée.

L'existence d'un intérêt pratique d'une personne contestant une sanction disciplinaire qui lui a été infligée doit être reconnue, en tout cas aussi longtemps que l'intéressé est détenu. En effet, lesdites sanctions peuvent être prises en compte en cas de nouveau problème disciplinaire ou pour l'octroi ou le refus d'une mise en liberté conditionnelle, ce qui justifie cet intérêt, indépendamment d'un transfert dans un autre canton (ATF 139 I 206 consid. 1.1) ou dans un autre établissement (ATA/434/2021 du 20 avril 2021 consid. 1a ; ATA/1418/2019 consid. 2b du 24 septembre 2019).

Dans la mesure où il ne résulte pas du dossier que le recourant aurait quitté l'établissement intimé, le recours conserve ainsi un intérêt actuel et est en conséquence recevable (ATA/1000/2024 du 21 août 2024 consid. 2.2).

3.             Le litige porte sur la sanction de quatre jours de suspension de travail.

3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50). Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 let. f RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer une sanction de privation de travail ; les sanctions prévues à l’art. 47 al. 3 let. a à g, peuvent être cumulées (art. 47 al. 4 RRIP). Le directeur peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'art. 47 al. 3 à d'autres membres du personnel gradé ; les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service (art. 47 al. 7 RRIP).

3.3 Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (TAPI. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

3.4 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1139/2024 du 30 septembre 2024 consid. 4.4 ; ATA/1059/2024 du 4 septembre 2024 consid. 4.6).

3.5 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 du
6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/1107/2024 du 23 septembre 2024 consid. 3.4 ; ATA/574/2024 précité consid. 3.4).

3.6 En l'espèce, le recourant conteste exclusivement la constatation des faits. Ce serait selon lui l'agent de détention ayant rédigé le rapport qui se serait énervé contre lui, et non l'inverse. Les éléments qu'il apporte ne sont toutefois pas à même de renverser la présomption d'exactitude du rapport d'incident.

Il se contente en effet de renvoyer au visionnement des images de vidéosurveillance de l'incident. Celles-ci ont été visionnées par la chambre de céans, étant précisé que ne sont enregistrées que des données visuelles et non sonores. Globalement, lesdites images correspondent au déroulement des faits tels que consignés dans le rapport d'incident. Dès l'arrivée du chef d'atelier, le recourant l'interpelle, le suit dans ses déplacements, entre dans le bureau où se trouve également l'appointée. On le voit se montrer insistant auprès des deux agents de détention précités et apostropher le chef d'atelier avant de partir en cellule avec l'appointée. Le seul élément qui ne ressort pas de ces images est une attitude physiquement menaçante de la part du recourant.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de remettre en cause le déroulement des faits tel que présenté dans le rapport d'incident, d'autant plus que le recourant ne conteste pas avoir tenu les propos qui lui sont attribués. De par son insistance et son apostrophe finale en forme de menace, le recourant a bien adopté une attitude incorrecte avec le personnel, ce qui justifie le prononcé d'une sanction.

La sanction choisie n'est pas mise en cause par le recourant. Il s'agit certes de l'avant-dernière sanction du catalogue de l'art. 47 RRIP. Toutefois, elle est en lien avec un comportement adopté sur le lieu de travail et sa quotité, de quatre jours de suspension, apparaît mesurée et proportionnée à la faute commise, quand bien même le recourant n'avait pas d'antécédent. Il convient en outre de noter que ladite suspension allait aussi en partie dans le sens de la demande du recourant de ne plus travailler dans l'atelier en question.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 février 2024 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 12 février 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ‑Dollon.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :