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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3482/2023

ATA/1000/2024 du 21.08.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3482/2023-PRISON ATA/1000/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 août 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée

_________



EN FAIT

A. a. A______ est en détention provisoire à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 25 août 2023.

b. Il n'a pas fait l'objet de sanctions disciplinaires jusqu'au prononcé de la décision attaquée.

B. a. Le 21 octobre 2023, il a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de trois jours de suppression des promenades collectives pour attitude incorrecte avec le personnel. La peine a été immédiatement exécutée.

Selon le rapport d'incident établi par un agent de détention, lorsqu'il s'était rendu avec un collègue ainsi qu'un infirmier à la cellule de A______, son collègue et l'infirmier discutaient pendant que le détenu s'habillait. Ce dernier s'était fâché, pensant que le collègue précité se moquait de lui. A______ avait crié malgré les velléités de l'infirmier de calmer la situation. Il avait lui-même tenté de calmer le détenu et lui avait rappelé qu'il devait obéir à ses injonctions mais celui-ci s'était montré menaçant et avait crié, en le pointant du doigt : « Je crie si je veux, tu vas faire quoi ? ». Il avait continué à crier en prétendant que les agents de détention se moquaient de lui.

Entendu à 11h35 par le gardien sous-chef, A______ s'est vu notifier à 11 h 40 une sanction de trois jours de suppression des promenades collectives. Il a refusé de signer le procès-verbal. La sanction a été exécutée.

C. a. Par acte posté le 24 octobre 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, sans prendre de conclusions formelles.

La sanction était injustifiée. Le matin en question, à l'heure de la distribution des médicaments, il n'arrivait pas à se lever car il était bloqué du côté droit du dos et avait une attelle à la jambe gauche, ce qui résultait de son dossier médical. Il avait mis un peu de temps à se lever à cause de la douleur. Quand l'infirmier lui avait demandé s'il ne s'était pas levé de la nuit, l'agent de détention avait commencé à rire, puis à lui « crier dessus » pour qu'il se dépêche. Il lui avait demandé de ne pas crier car il avait mal et avait passé une très mauvaise nuit.

L'agent de détention était alors rentré dans la cellule avec une attitude très agressive, ce qui était incompréhensible car il ne lui avait pas manqué de respect. Il avait même dû être transporté sur une civière. Quand d'autres agents de détention étaient arrivés, l'attitude du précité avait changé. Ce n'était pas la première fois que ce fonctionnaire avait un comportement très agressif envers lui, alors que lui-même n'avait jamais levé le ton envers cet agent. Cet agent de détention abusait de son pouvoir.

b. Le 21 novembre 2023, la prison a conclu au rejet du recours.

C'était à tort que le recourant se plaignait d'un abus de pouvoir et de ce que l'agent de détention, auteur du rapport d'incident, aurait été agressif à son égard, alors que c'était au contraire lui qui s'était montré menaçant et avait haussé la voix.

Le droit d'être entendu avait été respecté, et la sanction prononcée répondait à un intérêt public et respectait le principe de la proportionnalité.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 15 décembre 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 6 décembre 2023, le recourant a persisté dans son recours. Il ne voyait pas comment il avait pu se montrer menaçant au vu de ses douleurs au dos et à la jambe ce jour-là, surtout face à deux agents de détention et une personne du service médical. Il savait que les agents de détention se soutiendraient les uns les autres, mais il demandait néanmoins une confrontation.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Se pose la question de l'intérêt actuel au recours.

2.1 Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un tel intérêt lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/574/2024 du 10 mai 2024 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’une sanction disciplinaire doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée.

L'existence d'un intérêt pratique d'une personne contestant une sanction disciplinaire qui lui a été infligée doit être reconnue, en tout cas aussi longtemps que l'intéressé est détenu. En effet, lesdites sanctions peuvent être prises en compte en cas de nouveau problème disciplinaire ou pour l'octroi ou le refus d'une mise en liberté conditionnelle, ce qui justifie cet intérêt, indépendamment d'un transfert dans un autre canton (ATF 139 I 206 consid. 1.1) ou dans un autre établissement (ATA/434/2021 du 20 avril 2021 consid. 1a ; ATA/1418/2019 consid. 2b du 24 septembre 2019).

Dans la mesure où il ne résulte pas du dossier que le recourant aurait quitté l'établissement intimé, le recours conserve ainsi un intérêt actuel et est en conséquence recevable (ATA/295/2023 du 23 mars 2023).

3.             Le recourant sollicite une confrontation.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 132 II 485 consid. 3.2). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement ni celui de faire entendre des témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 En l'espèce, l'agent de détention concerné a rédigé un rapport qui figure au dossier et dont la teneur est confirmée par la prison dans ses écritures responsives. Il est presque certain que l'agent de détention concerné ne changerait pas de version des faits s'il venait à être confronté au recourant, si bien que la demande y relative doit se voir rejeter.

4.             Le litige porte sur la sanction de trois jours de suppression des promenades collectives.

4.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

4.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50). Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Aux termes de l’art. 45 RRIP, il est interdit aux détenus notamment de détenir d’autres objets que ceux qui leur sont remis (let. e) ou de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (let. h). En cas d’urgence, le détenu peut, de jour ou de nuit, appeler les membres du personnel pénitentiaire préposés à la surveillance, en utilisant l’appel placé dans chaque cellule. Tout abus de l’interphone est sanctionné (art. 57 RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte d’un à cinq jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

La suppression des promenades collectives la deuxième sanction la moins sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP (art. 47 al. 3 let. b RRIP).

4.3 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé ‑, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

4.4 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du septembre 2014 consid. 7b).

4.5 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 du
6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/574/2024 précité consid. 3.4 ; ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d).

4.6 En l'espèce, le recourant conteste exclusivement la constatation des faits. Ce serait selon lui l'agent de détention ayant rédigé le rapport qui se serait énervé contre lui, et non l'inverse. Les éléments qu'il apporte ne sont toutefois pas à même de renverser la présomption d'exactitude du rapport d'incident. Il apparaît certes qu'il était suivi par le service médical dès lors qu'une personne de ce service venait lui apporter des médicaments – il n'est en revanche, contrairement à ce que suggère le recourant, pas possible à la chambre de céans d'avoir accès à son dossier médical, qui est couvert par le secret professionnel. Un tel accès n'est au demeurant pas nécessaire.

En effet, même si l'on admet que le recourant avait bien, comme il le prétend, une attelle ce jour-là, que son dos était douloureux et qu'il n'avait guère dormi la nuit précédente, cela pourrait tout aussi bien accréditer les faits consignés dans le rapport d'incident que ceux qu'il présente, dès lors qu'il lui est reproché d'avoir crié et que l'on sait que des circonstances telles que celles qui viennent d'être décrites ont tendance à exacerber la mauvaise humeur et les difficultés que l'on peut avoir à communiquer. Quant aux images de vidéosurveillance, elles n'ont pas été demandées car elles ne seraient d'aucun secours au recourant, puisque l'incident a eu lieu dans sa cellule, qui n'est pas filmée, et que les caméras de la prison n'enregistrent pas les données sonores. Le recourant ne donne pas non plus d'éléments probants susceptibles de confirmer que l'agent de détention en cause aurait fait montre, de manière récurrente, d'animosité à son égard.

Dès lors, il n'est pas possible de retenir, comme le souhaite le recourant, que l'auteur du rapport aurait commis un abus de pouvoir ou que ce serait lui qui aurait pris le recourant à partie. Il découle du rapport que le recourant s'est emporté contre des membres du personnel, si bien que le principe d'une sanction est acquis.

La sanction choisie, qui n'est du reste pas mise en cause par le recourant, est la seconde plus légère du catalogue de l'art. 47 RRIP, et la quotité retenue de trois jours de suspension des promenades collectives apparaît proportionnée à la faute commise, quand bien même le recourant n'avait pas d'antécédent.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 octobre 2023 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 21 octobre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :