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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1029/2023

ATA/881/2024 du 23.07.2024 sur JTAPI/1429/2023 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1029/2023-LCI ATA/881/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juillet 2024

3ème section

 

dans la cause

A______

B______

C______

D______ et E______

F______

G______ et H______

I______ et J______

K______

L______

M______

N______ et O______

P______

Q______ (R______)

S______ SA recourants
représentés par Me Pierre BANNA, avocat

contre

T______ et U______ SA
représentés par Me Christian TAMISIER, avocat

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC intimés

______

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 décembre 2023 (JTAPI/1429/2023)


EN FAIT

A. a. U______ SA (ci-après : U______) est propriétaire d'une part de PPE portant sur un local commercial au rez-de-chaussée de l'immeuble sis ______, rue V______, sur la parcelle n° 2'822 de la commune de Genève (ci-après : la ville), laquelle se situe en zone de développement 3. Un degré de sensibilité au bruit DS II (ci‑après : DS) lui est attribué.

Le local commercial précité est affecté à des bureaux et locaux commerciaux selon l'art. 59 du règlement d'administration et d'utilisation de la PPE V______ (ci‑après : le règlement de la PPE) et est inscrit comme local commercial au registre foncier. Il n'est pas chauffé, est composé de vitrages simples, d'un sanitaire et d'une pièce servant au stockage. Les locaux attenants sont composés d'un local à poubelles et d'un local vélos.

b. T______ est au bénéfice d'un droit d'emption et d'une promesse de vente portant sur la part de PPE correspondant au local commercial précité.

c. Le 12 décembre 2022, T______ a déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande d'autorisation de construire par voie de procédure accélérée pour la transformation et le changement d'affectation d'une arcade en espace d'activités pour enfants et bureaux. Cette demande a été enregistrée sous la référence APA 1______.

d. Lors de l’instruction de cette demande, plusieurs instances de préavis se sont déterminées, notamment :

-                 le 16 décembre 2022, l'office cantonal de l'eau (ci-après : OCEau) a émis un préavis favorable sous conditions, notamment le raccordement des eaux usées des nouvelles installations au réseau approprié et existant du bâtiment ;

-                 le 23 décembre 2022, l'office cantonal de l'énergie (ci-après : OCEN) a préavisé favorablement le projet, sous conditions ;

-                 le 17 janvier 2023, la ville a rendu un préavis favorable sans observations ;

-                 le 9 février 2023, après avoir requis la production de pièces complémentaires, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a émis un préavis favorable sans observations ;

-                 le 20 février 2023, le service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisant (ci-après : SABRA) a rendu un préavis favorable sous conditions, soit la réalisation des améliorations acoustiques citées au chapitre 6 du rapport acoustique corrigé de la version initiale du 2 févier 2023, le respect des valeurs annoncées au point 3.4 du rapport acoustique du 2 février 2023 et le respect des exigences de la norme SIA 181:2020 et de l'OPB. Si ces conditions étaient respectées, les immissions sonores des nouvelles installations respecteraient les valeurs limites fixées par l'ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41) de jour comme de nuit ; il demandait aussi une modification du rapport acoustique en ce sens où le jardin d'enfants était un local sensible au bruit.

e. Le 13 février 2023, le département a délivré l'autorisation de construire sollicitée, laquelle a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le même jour.

B. a. Par acte du 15 mars 2023, W______ et X______, A______, B______, C______, Y______, D______ et E______, F______, G______ et H______, I______ et J______ ainsi que Z______ SA et S______ SA (ci-après : les voisins) ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), concluant à son annulation. Subsidiairement, le dossier devait être renvoyé au département pour nouvelle décision. Préalablement, l'audition de AA______, chef de service au sein de l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC), et de Madame AB______, inspectrice environnement auprès du SABRA, devait être ordonnée.

Ils étaient copropriétaires au sein des PPE sises sur les parcelles nos 2'822 et 2'823 et subiraient tous les immissions sonores produites par l'activité du jardin d'enfants projetée, ainsi que par le trafic automobile y afférent.

La communauté des copropriétaires ne s'était pas prononcée sur les travaux projetés, lesquels touchaient les parties communes de l'immeuble, s'agissant notamment de l'installation d'un système de ventilation et du raccordement des deux futures arcades au système de chauffage centralisé de l'immeuble. La requérante n'était ainsi pas habilitée à déposer sa demande d'autorisation de construire en l'absence de consultation et de vote de la communauté des copropriétaires. La requête aurait, à tout le moins, dû être signée par l'administrateur de la copropriété.

L'activité projetée de jardin d'enfants impliquait l'ouverture de l'arcade au public. Dans son courrier d'accompagnement, la requérante décrivait le projet comme un espace abritant des activités créatives avec des enfants de 4 à 7 ans les mercredis et samedis et, les autres jours de la semaine, d'autres activités, à savoir du judo ou du yoga. En outre, une partie de l'espace côté jardin abriterait un coin galerie ouvert au public exposant des œuvres faites par les enfants pendant leurs activités. La présence des enfants serait source de nuisances sonores importantes ressenties par tout le voisinage. Elles seraient encore plus importantes au niveau des parties communes de l'immeuble, dans la galerie ou encore dans le jardin de la copropriété. En outre, la création de cet espace dédié aux enfants engendrerait du trafic supplémentaire important, les parents étant contraints d'amener leurs enfants aux mêmes heures, créant ainsi des nuisances sonores et une surcharge du parking de la copropriété. Rien n'indiquait que ces nuisances avaient été prises en compte durant l'instruction du dossier.

La question du vide d'étage n'avait jamais été formellement analysée et aucune dérogation à la hauteur minimale de 3 m n'avait été accordée. Le projet prévoyait une réduction de la hauteur sous plafond de 3 m à 2.88 m. Les écarts importants entre les différentes hauteurs sous plafond invoqués par la requérante dans les plans fournis étaient inexplicables. Vu les exigences minimales d'isolation du plafond, la hauteur sous plafond devrait être de l'ordre de 282.1 cm.

Il ressortait du rapport acoustique du 2 février 2023 que les deux variantes d'implémentation proposées concernant l'installation du système de ventilation des deux arcades, entraînaient la production d'immissions supérieures aux valeurs de planification pour la zone DS II de sorte que des systèmes d'insonorisation devaient être prévus pour respecter les exigences de l'OPB. En outre, l'état de l'isolation de l'arcade galerie et de l'arcade bureau offrait une protection insuffisante contre les bruits aériens et les bruits de chocs qui seraient produits. Dans son préavis du 10 février 2023, le SABRA avait requis la modification du rapport acoustique en ce sens qu'il devait préciser que le jardin d'enfants était un local sensible au bruit et que l'exigence d'isolation au bruit extérieur était de « DE,tot ≥ 27 dB » et non de « DE,tot ≥ 22 dB ». Or, si dans son préavis ultérieur du même jour, le SABRA indiquait que suite à une conversation téléphonique avec la requérante, le rapport allait être modifié, aucun nouveau rapport n'avait été communiqué ou ne figurait au dossier. Rien ne permettait ainsi de vérifier que les mesures d'isolation préconisées étaient restées identiques vu les modifications exigées par le SABRA. À tout le moins, le département aurait dû attendre la production du rapport acoustique modifié avant de prononcer sa décision.

b. Le 8 mai 2023, K______, L______, M______, N______ et O______, P______, AC______ et R______ (ci-après : les voisins) ont sollicité leur intervention dans la procédure.

Les 24 et 26 mai 2023, le département et les intimés, se sont déterminés sur la demande d'intervention.

Le 22 juin 2023, le TAPI a admis la demande d'intervention.

c. Le 22 juin 2023, le département a conclu au rejet du recours.

d. Le 22 juin 2023, T______ et U______ ont conclu au rejet du recours. Préalablement, l'audition de AA______ et d’T______ devait être ordonnée.

e. Le 18 août 2023, les voisins ont persisté dans leurs conclusions et leur argumentation.

Les plans visés ne varietur n'indiquaient pas où se situeraient les monoblocs double‑flux censés assurer la ventilation des arcades. Seul un renvoi au rapport acoustique était fait. Or, il ressortait de ce rapport que la construction de ces installations était prévue dans les parties communes de l'immeuble, soit, pour la variante 1, dans le local à vélos, en ce qui concernait la ventilation des bureaux, et dans le local poubelles s'agissant de la ventilation de la garderie d'enfants, et pour la variante 2, la pose d'un monobloc double-flux dans un local technique au 1er sous‑sol de l'immeuble. Il ressortait également du dossier que l'installation de canalisations pour les nouveaux sanitaires était prévue, traversant une partie commune.

Le projet nécessitait la création de conduites nouvelles, sans accord des copropriétaires, de sorte que le local commercial n'était pas équipé.

En leur qualité de copropriétaires de l'immeuble, ils disposaient d'un intérêt digne de protection à invoquer le grief relatif au vide d'étage. À cet égard, le projet litigieux différerait de la hauteur sous plafond prévue par l'art. 49 LCI de 3.9%, ce qui n'était pas tolérable.

f. Le 22 septembre 2023, le département a persisté dans ses conclusions.

Les travaux autorisés selon les plans visés ne varietur ne portaient pas sur des parties communes.

Émis au stade de la réplique, le grief relatif à l'équipement était irrecevable. Il n'était pas fondé, car le local était manifestement desservi par des conduites auxquelles il était possible de se raccorder (préavis favorable de l'OCEau du 16 décembre 2022) et en la matière le raccordement n'était pas exigé de façon absolue.

Le grief relatif au vide d'étage visait la correcte application du droit, sans qu'il n'expose en quoi les voisins seraient particulièrement touchés.

g. Le 25 septembre 2023, T______ et U______ ont persisté dans leurs conclusions.

On percevait mal comment l'art. 19 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) pouvait s'appliquer à un local commercial situé dans un immeuble d'habitation et de bureaux lui-même au bénéfice de canalisations et de voie d'accès, alors que cette norme faisait référence au « terrain ». L'autorisation de construire ne pouvait être refusée que si le terrain lui‑même n'était pas équipé. Or, il ne faisait aucun doute que la parcelle n° 2'822 était équipée.

La DAC avait émis un préavis favorable le 9 février 2023 et le département n'avait pas de raison de s'en écarter sous l'angle du vide d'étage.

h. Par jugement du 20 décembre 2023, le TAPI a écarté la demande d’audition de témoins, déclaré irrecevable le grief relatif au vide d’étage et rejeté le recours.

Rien n'indiquait que le droit de construire d’T______ et d’U______ faisait manifestement défaut sous l’angle du droit civil ou que les droits de propriété des autres copropriétaires étaient manifestement compromis. Le fait d'obtenir une autorisation de construire ne signifiait pas que les travaux pourraient être effectivement réalisés. Le texte de l'autorisation de construire indiquait que les droits des tiers étaient réservés. Il s'agissait d'examiner si le projet de construction pouvait être réalisé sous l'angle unique du droit public des constructions.

Rien n'indiquait que la fréquentation des locaux par une dizaine d’enfants serait susceptible d'entraîner des nuisances graves pour les propriétaires voisins. Le SABRA avait émis un préavis favorable, avait procédé à un examen détaillé de la situation et des différentes parties du projet (salles d'activités, équipements techniques, bruits aérien extérieur) et exigé la réalisation de mesures acoustiques sur les plafonds et les installations de ventilation permettant de répondre aux exigences fixées par l'OPB. Tous les éléments de l’enveloppe devraient respecter les exigences de la norme SIA 181:2020 d’isolation phonique. En cas de dépassements, il appartiendrait à T______ et U______ de modifier l’installation afin qu’elle soit conforme aux exigences. Les craintes au sujet de la temporalité d'émissions des préavis successifs du SABRA n’étaient pas suffisantes pour mettre en doute ses conclusions, dès lors que rien ne permettait de supposer que le SABRA n'aurait pas examiné à nouveau le projet en tenant compte du rapport acoustique dans sa teneur corrigée. Les locaux destinés à accueillir les enfants étaient directement surplombés par un espace de bureaux, à l'instar de ce qui existait déjà, ce qui devrait avoir pour effet de diminuer les éventuelles nuisances sonores pour les différents propriétaires des logements situés aux étages supérieurs.

Indépendamment de savoir si l'art. 19 LAT s'appliquait à une arcade ou uniquement à un terrain vierge de toute construction, le bâtiment disposait déjà d'un réseau de canalisations et l'arcade en question comportait déjà des sanitaires raccordés audit réseau. À teneur des plans autorisés, il ne s'agissait dès lors que de raccorder les nouvelles installations sanitaires prévues au réseau existant. Le projet tel qu'autorisé ne souffrait d'aucune lacune en termes d'équipement au sens de l'art. 19 LAT.

C. a. Par acte remis à la poste le 1er février 2024, A______, B______, C______, D______ et E______, F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______, M______, N______ et O______, P______, Q______ (R______) et S______ SA ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée au TAPI pour nouvelle décision.

Les faits avaient été établis de manière incomplète. Le TAPI n’avait pas retenu que le projet touchait les parties communes de l’immeuble, alors que le département l’avait reconnu. Le TAPI n’avait pas non plus pris en compte que l’assemblée extraordinaire de la PPE du 2 mai 2023 : n’avait pas approuvé le changement d’utilisation du lot n° 3.01 en espace de bureaux, de crèche ou d’espaces destinés à des activités pré- ou parascolaires récréatives pour enfants les mercredis, samedis et autres jours de la semaine ; avait limité l’usage du jardin aux résidents, à l’exclusion de toute activité commerciale déployée par ceux-ci ou leurs auxiliaires ; n’avait pas autorisé le lot n° 3,01 à se raccorder au système de chauffage commun avant d’obtenir l’autorisation de construire et de produire un dossier de faisabilité du chauffagiste de l’immeuble et les conséquences financières et techniques pour les copropriétaires ; n’avait pas autorisé le lot n° 3.01 à installer un éventuel monobloc de ventilation dans les parties communes au sous-sol de l’immeuble.

Les art. 11 al. 4 et 13 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01) étaient violés. Le département aurait dû exiger que la demande d’autorisation soit contresignée par la communauté des copropriétaires du ______, rue V______, dès lors que les travaux prévus touchaient les parties communes de l’immeuble. Le TAPI n’avait pas tenu compte de l’art. 5 du règlement d’administration et d’utilisation de la PPE (ci‑après : RAU), selon lequel les locaux touchés étaient des parties communes et non privatives. Ni T______ ni U______ ne disposaient du droit de déposer une demande d’autorisation portant sur une installation de ventilation dans les parties communes sans l’accord de la copropriété. Les canalisations étaient également des parties communes, auxquelles on ne pouvait toucher sans l’accord de la copropriété.

b. Le 7 mars 2024, T______ et U______ ont conclu au rejet du recours.

Les décisions de l’assemblée des copropriétaires avaient été portées devant le Tribunal civil le 1er juin 2023, ce qui avait déjà été documenté devant le TAPI. Le TAPI avait traité la question de l’effet de l’opposition de la communauté des copropriétaires sur l’autorisation de construire.

En l’espèce, les travaux n’étaient pas clairement exclus d’emblée.

Si tant est qu’elle était requise, l’approbation de la copropriété par étages avait bien été donnée par son administratrice, Mme AD______, avant le dépôt de la demande, ce que le TAPI avait retenu. L’administratrice leur avait même demandé expressément de déposer la demande avant de soumettre leur projet à l’assemblée des copropriétaires. Le grief soulevé par les recourants consacrait un abus de droit, a fortiori en tenant compte des nombreuses modifications apportées au RAU pour tenter par tous les moyens imaginables de faire obstacle au projet.

c. Le 7 mars 2024, le département a conclu au rejet du recours.

Il avait relevé que les travaux ne portaient pas sur les parties communes et le TAPI l’avait retenu à bon droit. Les décisions de l’assemblée des copropriétaires étaient postérieures à l’autorisation de construire, contre laquelle l’assemblée des copropriétaires n’avait pas recouru.

Le TAPI avait constaté que les intimés avaient le droit de construire du point de vue du droit civil et que l’accord des autres copropriétaires n’était pas nécessaire. Les travaux ne portaient pas, quoi qu’il en soit, sur les parties communes, ce qui suffisait à exclure la nécessité que la copropriété contresigne la demande d’autorisation. Le copropriétaire disposait en effet, sauf exceptions non réalisées, du pouvoir de disposer des lots privatifs.

Le grief relatif aux canalisations était irrecevable devant le TAPI. Il ressortait par ailleurs des plans visés ne varietur qu’aucun travail lié au raccordement des canalisations n’était autorisé, de sorte que la signature des copropriétaires n’était pas non plus nécessaire de ce point de vue. L’art. 19 LAT exigeait seulement que le raccordement aux canalisations existantes soit possible, et les recourants ne mettaient pas en cause cette possibilité.

d. Le 11 avril 2024 les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

Les deux variantes prévoyaient des travaux dans les parties communes de l’immeuble. La première impliquait la pose de prises et rejets d’air dans les parties communes, soit le local à vélos et le local à poubelles. La seconde impliquait l’installation d’un monobloc double-flux dans un local technique au sous-sol de l’immeuble. Les plans prévoyaient de réaliser des canalisations pour de nouveaux sanitaires dans le lot n° 3.01. Celles-ci traversaient clairement la partie commune soit le local à poubelles et le local à vélos.

Les décisions de l’assemblée générale des copropriétaires étaient déterminantes pour l’issue du litige et auraient dû être prises en considération par le TAPI.

L’accord de l’ancienne administratrice de la copropriété n’avait pas été établi par les intimées et il n’était quoi qu’il en soit pas suffisant pour qu’elles puissent solliciter l’autorisation portant également sur les parties communes.

e. Le 12 avril 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige a pour objet la validité de l’autorisation de construire délivrée par le département. Devant la chambre de céans, les recourants soutiennent que les intimées ne pouvaient valablement demander l’autorisation sans l’accord de la copropriété dès lors que les travaux prévus touchent les parties communes et que la communauté des copropriétaires a plus généralement refusé d’autoriser les travaux.

2.1 Conformément à l’art. 2 LCI, les demandes d’autorisation sont adressées au département (al. 1). Le règlement d’application détermine les pièces qui doivent être déposées par le demandeur et les indications que celui-ci doit fournir concernant les objets destinés à occuper le sous-sol de façon permanente (al. 2). Les plans et autres documents joints à toute demande d’autorisation publiée dans la FAO doivent être établis et signés par une personne inscrite au tableau des mandataires professionnellement qualifiés dans la catégorie correspondant à la nature de l’ouvrage, au sens de la loi sur l’exercice des professions d’architecte et d’ingénieur, du 17 décembre 1982. Demeurent réservés les projets de construction ou d’installation d’importance secondaire qui font l’objet de dispositions spéciales édictées par voie réglementaire (al. 3).

2.1.1 L'art. 11 al. 4 c RCI prévoit que toutes les demandes d'autorisation doivent être datées et signées par le propriétaire de l'immeuble intéressé, ainsi que par les requérantes ou l'éventuel mandataire professionnellement qualifié, conformément à l'art. 2 al. 3 LCI.

2.1.2 Selon la jurisprudence, une requête déposée en vue de la délivrance d'une autorisation de construire doit émaner, ou du moins avoir l'assentiment préalable et sans équivoque, du propriétaire de la parcelle concernée. Il ne s'agit pas d'une simple prescription de forme, car elle permet de s'assurer que les travaux prévus ne sont pas d'emblée exclus et que le propriétaire qui n'entend pas réaliser lui‑même l'ouvrage y donne à tout le moins son assentiment de principe (arrêt du Tribunal fédéral 1C_7/2009 du 20 août 2009 consid. 5.2 ; ATA/1174/2023 du 31 octobre 2023 consid. 8.1 et les arrêts cités). Ainsi, la signature du propriétaire du fonds a également comme but d'obtenir l'assurance que celui qui a la maîtrise juridique du fonds consent aux travaux et à tous les effets de droit public qui en découlent (arrêt du Tribunal fédéral 1C_7/2009 du 20 août 2009 consid. 5.2 ; ATA/461/2020 du 7 mai 2020 consid. 5c).

2.1.3 Le Tribunal fédéral, qui a eu l'occasion d'examiner une exigence similaire du droit neuchâtelois, a retenu qu'une autorité tomberait dans le formalisme excessif, incompatible avec l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) si elle refusait de prendre en considération une autre pièce du dossier qui révélerait sans ambiguïté, le cas échéant, l'accord de la seconde copropriétaire d'une parcelle, laquelle n'avait pas signé la demande d'autorisation (arrêt du Tribunal fédéral 1P.620/2002 du 27 mai 2003 consid. 5 ; ATA/1529/2019 du 15 octobre 2019 consid. 3b).

2.1.4 La chambre de céans a jugé que l’accord de la propriétaire de l’immeuble pouvait être manifesté autrement qu’en signant la demande d’autorisation, (ATA/1529/2019 du 15 octobre 2019 consid. 3).

2.2 Selon les principes généraux du droit, il n'appartient pas à l'administration de s'immiscer dans les conflits de droit privé pouvant s'élever entre un requérant et un opposant.

2.2.1 La législation genevoise en matière de police des constructions a pour seul but d'assurer la conformité du projet présenté avec les prescriptions en matière de construction. En revanche, elle n'a pas pour objet de veiller au respect des droits réels, comme les servitudes par exemple (art. 3 al. 6 LCI ; ATA/97/2019 du 29 janvier 2019 consid. 5).

2.2.2 Selon une jurisprudence constante de la chambre de céans, la législation genevoise en matière de police des constructions réserve les dispositions légales et réglementaires édictées par la Confédération, le canton et les communes ainsi que les droits des tiers, auxquelles aucune autorisation ne peut être opposée (art. 3 al. 6 LCI). Elle n'a pas pour objet de veiller au respect des droits réels, comme les servitudes par exemple (ATA/588/2017 du 23 mai 2017 consid. 3d et les références citées). Les différends relevant du droit privé sont sans influence sur la procédure administrative portant sur la conformité de la délivrance d’une autorisation de construire en application du droit public de la construction (ATA/865/2022 du 30 août 2022 consid. 7f ; ATA/197/2022 du 22 février 2022 consid. 4c ; ATA/1103/2021 du 19 octobre 2021 consid. 18d ; ATA/680/2021 du 29 juin 2021 consid. 4b). À la suite d’un arrêt du Tribunal fédéral 1C_341/2020 du 18 février 2022 portant sur un cas où l’accès suffisant au sens de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) dépendait de la constitution d’une servitude, elle a observé qu’il s’agissait d’une exception et réaffirmé sa jurisprudence (ATA/581/2022 du 31 mai 2022 consid. 5d).

2.2.3 La chambre de céans a jugé que l’accord de la copropriété du chemin emprunté pour les travaux n’est pas nécessaire (ATA/468/2020 du 12 mai 2020 consid. 3),

Dans le cas d’une demande d’autorisation de construire qui n’avait pas été signée par l’ensemble des copropriétaires, et qui avait pour effet d’empiéter sur une place de stationnement pour visiteurs située sur la parcelle objet de l’autorisation, elle a jugé que le projet ne prévoyait qu’une modification mineure et que compte tenu du fait que la législation genevoise en matière de police des constructions n'avait pas pour objet de veiller au respect des droits réels, l’art. 11 al. 4 RCI ne pouvait être interprété comme exigeant, dans le cas d’espèce, la signature de l’ensemble des copropriétaires de la parcelle, ni d’ailleurs celle des propriétaires des parcelles voisines (ATA/1515/2017 du 21 novembre 2017 consid. 5).

3.             En l’espèce, les recourants reprochent tout d’abord au TAPI de ne pas avoir tenu compte que l’assemblée générale des copropriétaires du 2 mai 2023 n’avait pas approuvé le changement d’utilisation du lot n° 3.01 en espace de bureaux, de crèche ou d’espaces destinés à des activités pré- ou parascolaires destinées à des activités récréatives pour enfants les mercredis, samedis et autres jours de la semaine, avait limité l’usage du jardin aux résidents, à l’exclusion de toute activité commerciale déployée par ceux-ci ou leurs auxiliaires ; n’avait pas autorisé le lot n° 3.01 à se raccorder au système de chauffage commun avant d’obtenir l’autorisation de construire et de produire un dossier de faisabilité du chauffagiste de l’immeuble et les conséquences financières et techniques pour les copropriétaires et n’avait pas autorisé le lot n° 3.01 à installer un éventuel monobloc de ventilation dans les parties communes au sous-sol de l’immeuble.

Le procès-verbal de l’assemblée générale du 2 mai 2023 a été versé à la procédure devant le TAPI. Ce dernier a relevé que l’absence d’accord de la PPE pouvait faire obstacle matériellement aux travaux mais était sans effet sur la conformité du projet aux normes de la LCI. À ce stade de la procédure, il s’agissait d’examiner si un projet de construction pouvait être réalisé sous l’angle unique du droit public des constructions.

Sur ce point, les faits ont été constatés de manière exacte et complète.

Les recourants se plaignent également de ce que le TAPI aurait retenu à tort que le projet n’empiétait pas sur les parties communes.

Il ressort en effet du rapport établi le 10 février 2023 par le bureau d’ingénieurs acousticiens ARCHITECTURE & ACOUSTIQUE que la variante 1 de la ventilation rejetterait l’air vicié et passant par les locaux de poubelles et de vélos et qu’une des prises d’air était prévue en imposte dans le local vélos (l’autre étant sur la façade des locaux des intimées). Cependant, la variante 2 prévoit un dispositif à une prise et un rejet d’air, situés sur la façade des locaux des intimées, respectivement au pied du patio devant la façade.

Il ressort également du plan établi pour l’OCEAU que des canalisations dessinées en traits discontinus violets passent sur une courte distance par le local poubelles respectivement le local vélos, voire en dessous de ceux-ci, au niveau du plafond du parking.

Le département a expliqué qu’il ressortait clairement des plans visés ne varietur qu’aucun travail lié au raccordement à la canalisation n’était autorisé. Rien ne permet de supposer que cette affirmation ne serait pas conforme à la réalité.

Le TAPI a pris en compte la question du raccordement pour l’évacuation des eaux usées et l’a traitée sous l’angle du grief d’absence d’équipement au sens de la LAT, qu’il a écarté en retenant que le bâtiment comportait déjà un réseau de canalisations, et que les locaux des intimés comportaient déjà des sanitaires raccordés à ce réseau, de sorte qu’il ne s’agissait que de raccorder les nouvelles installations prévues au réseau existant.

Le TAPI a ainsi correctement établi les faits s’agissant des canalisations. S’agissant de la ventilation, la question du passage par les locaux communs des poubelles et des vélos ne concerne qu’une des deux variantes, et il sera vu plus loin que cet aspect est quoi qu’il en soit irrelevant sous l’angle de l’accord des copropriétaires.

Sur le fond, les recourants font valoir que la copropriété aurait dû contresigner la demande d’autorisation s’agissant des parties communes et que l’absence d’accord de sa part doit entraîner l’annulation de l’autorisation.

Cette opinion ne peut être suivie. Il a été rappelé que, de manière générale, le département n’examine la conformité du projet qu’au regard du droit public de la construction et de l’aménagement, sans s’immiscer dans les rapports de droit privé, et la chambre de céans se limite à contrôler le bien-fondé des décisions du département sous cet angle exclusivement.

Il n’y a pas lieu de s’écarter de cette pratique en l’espèce. Certes, l’assemblée des copropriétaires a refusé d’approuver les travaux autorisés par le département. Cette circonstance, postérieure à l’octroi de l’autorisation, est cependant sans effet sur la conformité des travaux au droit public. Les intimées ont par ailleurs porté les décisions du 2 mai 2023 devant le juge civil, et l’issue de la procédure pourra cas échéant sceller le sort du projet actuel.

Les recourants font encore valoir que leur accord aurait été nécessaire dès lors que les travaux empiétaient sur les parties communes de l’immeuble. Or, il a été constaté que tel n’est pas les cas des raccordements aux eaux usées et tel n’est pas le cas pour en tout cas une des deux variantes des travaux de ventilation.

Quoi qu’il en soit, s’il devait y avoir un empiètement sur le local à vélos ou le local à poubelles, celui-ci serait usuel pour des travaux de ce type et surtout insignifiant, de sorte qu’il ne requerrait pas l’accord exprès de la copropriété lors du dépôt de la demande (ATA/1515/2017 précité). Cela étant, l’ancienne représentante de la copropriété aurait donné son accord à la demande et même demandé que celle-ci soit déposée avant de la soumettre à l’assemble générale.

Pour les mêmes motifs, le droit de construire des intimées sous l’angle du droit privé ne fait pas manifestement défaut. Les recourants ne contestent pas que la presque totalité des travaux porte sur la part de PPE des intimées.

Pour le surplus, les références jurisprudentielles citées par les recourants ne leur sont d’aucun secours.

L’arrêt du Tribunal fédéral 1C_455/2022 du 5 juin 2023 concerne la validité du transfert de l’usage de l’immeuble objet des travaux. L’arrêt du Tribunal fédéral 1C_432/2021 porte sur des modifications des parties communes que le règlement de copropriété n’autorisait pas (« Nach Art. 13 Abs. 2 lit. a des StWE-Reglements sei es nicht gestattet, Veränderungen an gemeinschaftlichen Teilen vorzunehmen » ; consid. 3.2.1). En l’espèce, le TAPI a examiné le règlement de la PPE et conclu qu’il n’était pas évident que l’accord des copropriétaires était absolument nécessaire au stade de la délivrance de l’autorisation. Cette analyse ne souffre aucune critique. Il ne peut en effet être constaté en l’espèce de manière évidente et immédiate que le droit de construire des intimées faisant manifestement défaut. L’ATF 147 III 553 concerne les rapports internes des copropriétaires et la question de la prise en charge financière suivant la nature (urgente, utile ou somptuaire) des travaux effectués dans les parties communes, en application du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). L’arrêt du Tribunal fédéral 1C_237/2018 du 29 janvier 2019 concerne un projet de construction portant sur deux parcelles ayant des propriétaires différents. Le défaut d’accord d’un des propriétaires était analysé dans le cas d’un recours contre l’ordre de remise en état, et le Tribunal fédéral a jugé que l’éventuelle conformité matérielle des travaux ne pouvait faire échec à leur suppression (consid. 2.5.3). Le propriétaire dont l’accord faisait défaut se plaignait de la construction d'un cabanon sur la terrasse ainsi que l'installation d'une ventilation importante pour les restaurants. Le département avait ordonné la réduction de la largeur de la terrasse et le démantèlement de la ventilation et du cabanon. L’arrêt de la chambre de céans ATA/500/2011 du 27 juillet 2011 cité par les recourants concerne la signature d’une demande complémentaire par l’ancien propriétaire de la parcelle, et promoteur du projet, alors que celle-ci avait été divisée et que les nouvelles parcelles avaient été vendues.

La protection des recourants est assurée en l’espèce par les règles du droit civil sur la copropriété et les actions qui leur correspondent.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge des recourants, pris solidairement (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée aux intimées, qui y ont conclu, à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2024 par A______, B______, C______, D______ et E______, F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______, M______, N______ et O______, P______, Q______ (R______) et S______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 décembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge d’A______, B______, C______, D______ et E______, F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______, M______, N______ et O______, P______, Q______ (R______) et S______ SA, pris solidairement, un émolument de CHF 2'000.- ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à T______ et U______ SA, à la charge solidaire d’A______, B______, C______, D______ et E______, F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______, M______, N______ et O______, P______, Q______ (R______) et S______ SA ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre BANNA, avocat des recourants, à Me Christian TAMISIER, avocat des intimées, au département du territoire- OAC ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :