Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/424/2024 du 26.03.2024 ( LIPAD ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3299/2023-LIPAD ATA/424/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 26 mars 2024 |
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dans la cause
A______
B______
C______
D______ recourants
représentés par Mes Marie-Laure PERCASSI et Sylvain MÉTILLE, avocats
contre
DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE
et
PRÉPOSÉ CANTONAL À LA PROTECTION DES DONNÉES ET À LA TRANSPARENCE intimés
A. a. L’D______(ci-après : D______) est une association, ayant son siège à Genève, représentant les membres issus des services de gendarmerie (police-secours, police de proximité, police routière et divers services de la police cantonale), ainsi que les agents de détention et les inspecteurs de l’office cantonal des véhicules.
À teneur des statuts, dans leur teneur entrée en vigueur le 1er janvier 2023 (ci-après : les statuts), elle a pour but de veiller au respect des droits syndicaux des membres par une couverture en assurance juridique et la défense de leurs conditions de travail et salariales. Elle cultive la solidarité et favorise l’entraide et la camaraderie (art. 3 statuts). Les membres sont : a) les fonctionnaires du corps de police ; b) l’inspectorat de l’office cantonal des véhicules ; c) les agents de détention, rattaché à un statut de fonctionnaire normal ou particulier ainsi que tout membre du personnel pénitentiaire ; d) ainsi que leurs retraités, à certaines conditions.
b. A______, B______ et C______ sont policiers. Ce dernier est le chef de groupe de la E______ (ci‑après : E______).
c. La E______ est une centrale d’appels par laquelle transitent des communications avec les agents de police. La E______ assume notamment la gestion du système radio POLYCOM.
Selon la Cour des comptes, « la E______ a pour mission principale d'assurer le trafic permanent des divers réseaux d'émission et de réception de messages radio, de transmettre aux ressources de police sur le terrain toutes les demandes ou réquisitions lui parvenant, notamment sur le numéro d'appel d'urgence 117 et 112 (appel d'urgence européen) ». En janvier 2016, la E______ comprenait 59 « équivalents temps plein » (ci-après : ETP), dont 36 policiers. Il s’agit d’un des centres névralgiques de la police genevoise (rapport de l’audit de gestion n° 107 de juin 2016).
d. POLYCOM est le réseau radio national des autorités et des organisations chargées du sauvetage et de la sécurité qui permet le contact radio entre les différentes organisations partenaires : gardes-frontière, police cantonale, polices municipales, sapeurs-pompiers, premiers secours, protection civile et formations d'appui de l'armée. Ce réseau a été mis en place progressivement dans toute la Suisse. Les communications effectuées au travers de POLYCOM peuvent concerner des annonces d’événements ainsi que des informations relatives aux événements en cours, tel que, par exemple, une patrouille d’agents de la police municipale annonçant son arrivée sur les lieux (rapport de l’audit de gestion de la Cour des comptes de juin 2016).
B. a. Le 3 mai 2022, l’D______ a sollicité de la commandante de la police genevoise différents renseignements sur les enregistrements des appels reçus par la E______ et des communications transitant par le réseau POLYCOM, notamment la base légale les fondant, leur durée de conservation, ainsi que les raisons pouvant justifier un accès et leurs modalités.
b. Le 18 juillet 2023, après plusieurs échanges de courriers, et la saisine du préposé cantonal à la protection des données (ci-après : PPDT), celui-ci a émis une recommandation à l’attention du département des institutions et du numérique (ci‑après : DIN) sur la « requête en cessation d’un traitement de données illicite ».
Il n’était plus contesté que les enregistrements des appels téléphoniques et radio passant par la E______ étaient nécessaires à l’accomplissement des tâches légales de la police. Les enregistrements ne portaient pas sur des données personnelles sensibles et leur finalité n’était pas d’en collecter. En conséquence, il n’était pas nécessaire d’élaborer une base légale spécifique. Il suffisait, conformément à la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08), que les données soient pertinentes et nécessaires à l’accomplissement des tâches légales de la police, ce qui était le cas. Les exigences en matière de base légale étaient respectées.
La finalité probatoire des enregistrements, dans le cadre de procédures pénales et sur demande du Ministère public n’était plus contestée.
Seule restait litigieuse la durée de conservation des enregistrements des conversations téléphoniques. Or, le législateur genevois n’avait pas souhaité préciser dans la loi la durée de conservation des données, ni fixer un critère univoque devant présider à la destruction des données. À teneur des travaux préparatoires, le législateur avait relevé que « des règles générales en la matière étaient peu concevables, tant la question était étroitement liée à la diversité des tâches légales accomplies ».
En l’espèce, il s’agissait d’enregistrements portant sur des communications avec la police ou les services de secours, communications initiées par la population. Les données traitées étaient « très circonscrites ». L’ingérence dans les droits fondamentaux des personnes concernées était bien moins significative qu’en matière de conservation d’images de vidéosurveillance du domaine public à des fins d’utilisation dans le cadre d’enquêtes pénales.
Il a ainsi recommandé au DIN de limiter la durée de conservation des enregistrements du E______ à trois mois, sauf en cas de procédures pénales exigeant un délai de conservation plus long. Ce délai de trois mois était comparable à ce que la LIPAD prévoyait en matière de vidéosurveillance. En cas d’ouverture d’une information pénale, le délai coïnciderait avec l’issue de la procédure.
c. Par décision du 14 septembre 2023, après avoir été mis en demeure de statuer, le DIN a refusé de suivre la recommandation.
Jusqu’au 1er janvier 2021, tous les enregistrements d’appels téléphoniques transitant par la E______ étaient conservés de manière indéfinie en fonction des capacités techniques disponibles. Pendant cette période, ni les collaborateurs travaillant comme opérateurs de téléphonie, ni aucun autre collaborateur de la police ne s’était plaint d’une quelconque atteinte à sa personnalité alors même que ces derniers avaient connaissance de la conservation des enregistrements et de leur utilisation éventuelle dans le cadre de procédures pénales.
Lors de l’élaboration de l’avant-projet de loi sur l’information de police (ci‑après : LIPol), il avait été proposé de fixer à 12 mois la durée de conservation des enregistrements d’appels téléphoniques transitant par la E______ et d’ouvrir une phase pilote pour en mesurer l’impact opérationnel. En février 2022, la police avait ainsi procédé à l’effacement de toutes les données issues d’enregistrements d’appels téléphoniques et de communications radio antérieures au 1er janvier 2021. Toutefois, cette expérimentation avait mis en exergue que cette durée de 12 mois de conservation ne permettait pas toujours à la police d’accomplir ses missions, notamment la prévention, l’élucidation et la répression des infractions. Tel était par exemple le cas des affaires de violences domestiques qui se caractérisaient par plusieurs incidents, se réitérant au fil des années et qui finissaient par une procédure pénale pour, notamment, meurtres ou lésions corporelles graves.
Partant de ce constat et des contraintes de la police en matière de collecte et de conservation de moyens de preuve, la version de l’avant-projet de la LIPol avait fixé la durée de conservation des enregistrements radio télécom à 12 mois, et à 36 mois les conversations téléphoniques transitant par la E______, et prévoyait l’utilisation de ces données à des fins de preuves, mais également de formation et de contrôles qualité.
En l’état, vu que ces données n’étaient consultées « en clair », soit sous forme non anonymisée, que dans le cadre de procédures pénales et à la demande du Ministère public, l’éventuelle atteinte à la personnalité des collaborateurs qui pourrait résulter de l’enregistrement et la conservation des conversations téléphoniques serait de faible intensité, de sorte que la durée de conservation de 36 mois, fixée dans l’avant‑projet de la LIPol et que la police envisageait d’appliquer, était conforme aux prescriptions légales.
C. a. Par acte du 12 octobre 2023, l’D______, A______, B______ et C______ ont interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Ils ont conclu à l’annulation de la décision du 14 septembre 2023 et à ce qu’il soit ordonné au DIN de limiter la durée de conservation des enregistrements radio et appels transitant par la E______ à trois mois. Subsidiairement la cause devait être envoyée au DIN pour nouvelle décision.
Les art. 21 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst‑GE ‑ A 2 00), 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) étaient violés. Le but de la conservation des enregistrements des appels téléphoniques et radio était comparable à celui des enregistrements des vidéosurveillances traitées dans la jurisprudence fédérale. En tous les cas la finalité principale était de pouvoir utiliser des enregistrements à des fins probatoires en cas de procédures pénales, finalité compatible avec les missions de la police. Les données étaient différentes s’agissant dans le premier cas de vidéosurveillances et dans le second d’appels téléphoniques. Rien ne justifiait toutefois de les traiter différemment. Un délai de conservation supérieur à trois mois était excessif.
Les questions de violences domestiques étaient très spécifiques et ne représentaient pas la majorité des appels à la E______. Elles ne pouvaient justifier une conservation de tous les enregistrements radio pendant 12 mois et des appels téléphoniques pendant 36 mois. En cas de violences domestiques, les lésions corporelles simples et graves étaient poursuivies d’office. La police devait donc intervenir. Une procédure d’investigation s’ouvrait, dans laquelle l’appel à la E______ serait mentionné et les informations récoltées, conservées dans le cadre de cette procédure, soumises aux règles applicables aux procédures pénales. Ce n’était dès lors qu’en cas d’inaction suite à un appel à la E______ que les données relatives à l’appel auraient une utilité : elles ne serviraient qu’à démontrer l’absence de réaction de la police suite à cet appel.
Les informations pertinentes d’un appel à la E______ figuraient dans la main courante, largement suffisante pour les buts poursuivis et dans laquelle il était beaucoup plus facile de faire une recherche que de réécouter des enregistrements.
Les enregistrements des conversations entre policiers via POLYCOM n’avaient aucune utilité dans le cadre des violences domestiques.
La conservation des enregistrements de manière indéfinie jusqu’au 1er janvier 2021 était illicite et sans pertinence dans le présent litige.
Au niveau fédéral, la nouvelle loi fédérale sur la protection des données du 25 septembre 2020 (LPD - RS 235.1) prévoyait expressément que les données personnelles étaient détruites ou anonymisées dès qu’elles n’étaient plus nécessaires au regard des finalités du traitement. Dans son message y relatif, le Conseil fédéral avait souligné l’importance de préciser cette règle aux fins de tenir compte des évolutions technologiques et des capacités presque illimitées de stockage.
b. Le DIN a conclu au rejet du recours.
Les conservations d’images de vidéosurveillance ou de conversations étaient différentes, les données étant distinctes. Seule la voix était conservée dans la seconde hypothèse alors que les images de vidéosurveillance portaient généralement sur l’espace public et captaient de manière massive les données, sans distinction, étant ainsi beaucoup plus intrusives dans les droits fondamentaux des personnes se trouvant dans l’espace concerné. À l’inverse, les conversations ne concernaient que deux personnes, soit un usager et un collaborateur de l’État, dans l’exercice de ses fonctions. De même s’il pouvait être comparé, le but n’était pas tout à fait identique, les conversations téléphoniques se faisant généralement dans des conditions d’urgence ou d’appels au secours.
La loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 (LVD - F 1 30) voulait assurer « cohérence et fiabilité aux interventions en matière de violences domestiques » (art. 1 LVD). Cela nécessitait d’avoir une vue globale de l’ensemble du phénomène dans le temps. L’expérience avait démontré qu’il pouvait exister des difficultés d’interprétation, de compréhension voire des biais de communication pouvant occasionner une appréciation inexacte des circonstances, du contexte ou du déroulement des événements.
La main courante ne reflétait pas de manière exhaustive tous les événements annoncés par la E______. Les transcriptions des conversations ne permettaient pas de restituer la scène dans tous ses éléments constitutifs notamment l’expression des émotions, la voix haletante, l’intonation et les tonalités étaient souvent insuffisantes pour établir les faits avec certitude. La main courante était lapidaire et ne pouvait remplacer adéquatement et de manière précise les enregistrements des conversations téléphoniques et des communications radio. Il arrivait que les faits soient mal compris et qualifiés de manière inexacte par les collaborateurs. Seule une consultation des enregistrements pouvait permettre de les établir avec exactitude.
Les conversations étaient exclusivement liées à l’accomplissement de tâches relevant des missions de la police. Dans leur grande majorité elles concernaient des interactions entre la police et la population. Les collaborateurs de la police agissaient non pas en leur nom propre mais au nom et pour le compte de la police. Il s’agissait dès lors uniquement du cadre professionnel. Le traitement de ces conversations ne pouvait pas être considéré comme une atteinte au droit à la sphère privée du collaborateur, de son domicile, de sa correspondance et de ses communications, ni à son droit d’être protégé contre l’emploi abusif de ses données personnelles. À teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral, un système de surveillance était interdit par l’art. 26 al. 3 de l’Ordonnance 3 relative à la loi sur le travail du 18 août 1993 (OLT 3 ; Protection de la santé – RS 822.113) s’il visait uniquement et essentiellement à surveiller le comportement comme tel des travailleurs.
Le principe de la proportionnalité était respecté. La mise en balance de l’intérêt public de la police à conserver pendant une durée limitée, respectivement de 12 et 36 mois, des données collectées dans des circonstances particulières dans le but de satisfaire à des obligations légales était prépondérant par rapport à celui des collaborateurs à ne pas avoir leurs conversations conservées alors même qu’ils exerçaient leur mission dans des circonstances particulières, d’urgence où divers biens pouvaient être menacés (intégrités physique, sexuelle, psychique etc.) qui nécessitait de garder une trace de leurs interactions avec les citoyens mais également avec les autres collaborateurs de la police. Seules les conversations de nature exclusivement professionnelle étaient enregistrées, aucun usage privé n’étant admis pour des lignes téléphoniques d’urgence. La très grande majorité des enregistrements arriveraient à l’échéance des trois ans et seraient détruits sans avoir jamais été réécoutés ou consultés.
c. Le PPDT a persisté dans les termes de sa recommandation concluant que la conservation des enregistrements ne devait pas excéder une durée de trois mois eu égard au principe de nécessité.
d. Dans leur réplique, les recourants ont relevé que la qualité pour recourir de l’D______ se fondait aussi sur l’art. 58 de la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (LTr - RS 822.11).
Les appels téléphoniques en matière de violences domestiques parvenaient directement dans des postes de quartier pour signaler des faits qui nécessitaient l’intervention de la police. Ceux-ci n’étaient pas enregistrés, ce qui démontrait qu’un enregistrement des appels n’était pas une nécessité.
L’autorité intimée avait récemment édicté une nouvelle directive de service intitulé « enregistrement des conversations téléphoniques avec les centrales d’urgence de la police et des communications radio » portant le n° DS OSI.02.18. Elle avait été validée par la commandante de la police et était entrée en vigueur le 3 janvier 2024. Elle prévoyait en particulier la durée de conservation de 36 mois pour les appels téléphoniques et 12 mois pour les communications radio (art. 3.1). Outre qu’il était étonnant qu’elle ait été diffusée alors qu’un recours sur la problématique était pendant, elle appelait deux remarques : 1) l’anonymisation devait concerner aussi les enregistrements utilisés à des fins statistiques et de suivi qualitatif ; 2) la réserve que l’anonymisation aurait lieu uniquement « dans la mesure du possible » allait trop loin. Si des enregistrements ne pouvaient pas être anonymes, ils ne devaient pas être utilisés à des fins de formation.
e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA - E 5 10).
2. À titre liminaire, il convient d’examiner la qualité pour recourir de l’D______, celle‑ci étant remise en cause par l’autorité intimée.
2.1 À teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/1254/2022 du 13 décembre 2022 consid. 3a et les arrêts cités). La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/905/2022 du 6 septembre 2022 consid. 3b et l'arrêt cité).
2.2 Selon la jurisprudence, le recourant doit être touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, et l’intérêt invoqué, qui n’est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l’objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération (ATF 143 II 506 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2019 du 19 août 2020 consid. 1.2). En application de ces principes, le recours d’un particulier ou d'une association, formé dans l’intérêt général ou d’un tiers, est irrecevable (ATF 138 II 162 consid. 2.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_61/2019 du 12 juillet 2019 consid. 1.2 ; ATA/23/2021 du 12 janvier 2021 consid. 4). Ces exigences ont été posées de manière à empêcher l’action populaire proscrite en droit suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_61/2019 du 21 janvier 2019 consid. 3.1). Il faut donc que le recourant ait un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 143 II 578 consid. 3.2.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_536/2021 consid. 1 ; ATA/303/2023 du 23 mars 2023 consid. 2a). Un intérêt purement théorique à la solution d'un problème est de même insuffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1).
Une association jouissant de la personnalité juridique est autorisée à former un recours en son nom propre lorsqu'elle est touchée dans ses intérêts dignes de protection (art. 60 al. 1 let. a et b LPA et 89 al. 1 let. c de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).
Une association peut faire valoir les intérêts de ses membres lorsqu’il s’agit d’intérêts qu’elle doit statutairement protéger, qui sont communs à la majorité ou à un grand nombre de ses membres et que chacun a qualité pour s’en prévaloir à titre individuel, aussi nommé « recours corporatif égoïste » (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; 137 II 40 consid. 2.6.4 ; 131 I 198 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_52/2009 du 13 janvier 2010 consid 1.2.2, non publié in ATF 136 I 1). Ces conditions doivent être remplies cumulativement ; elles doivent exclure tout recours populaire. Celui qui ne fait pas valoir ses intérêts propres, mais uniquement l’intérêt général ou l’intérêt public, n’est pas autorisé à recourir. Le droit de recours n’appartient par conséquent pas à toute association qui s’occupe, d’une manière générale, du domaine considéré. Il doit au contraire exister un lien étroit et direct entre le but statutaire de l’association et le domaine dans lequel la décision litigieuse a été prise (JdT 2011 p. 286 consid. 1.1.1 et les références citées). En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l'un de ses membres ou pour une minorité d'entre eux (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; 142 II 80 consid. 1.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_749/2021 du 16 mars 2022 consid. 1.2.1 ; ATA/1064/2022 du 18 octobre 2022 consid. 5b).
Ont aussi qualité pour recourir les organisations auxquelles la loi reconnaît le droit de recourir (art. 60 al. 1 let. e LPA et 89 al. 2 let. d LTF).
En matière de protection de la santé des travailleurs, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé et l’intégrité personnelle des travailleurs (art. 6 al. 1 LTr, disposition applicable aux administrations cantonales en vertu de l’art. 3a let. a LTr). La protection de l’intégrité personnelle des travailleurs correspond à la protection de la personnalité prévue à l’art. 328 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220 ; secrétariat d'État à l'économie [ci‑après : SECO], Commentaire article par article de la LTr et ses ordonnances, novembre 2006, p. 2 ad art. 6, disponible sur https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Arbeit/ Arbeitsbedingungen/Arbeitsgesetz‑und‑Verordnungen/Wegleitungen/wegleitung-zum-arg.html#-151879252, consulté le 14 mars 2024). Dans ce cadre, l’art. 58 LTr donne également la qualité pour recourir contre les décisions des autorités cantonales et fédérales prises en exécution de la LTr aux associations des employeurs et des travailleurs intéressés.
2.3 La chambre de céans a déjà jugé que la qualité pour agir d'une association ne saurait être appréciée une fois pour toutes. Il convient notamment de vérifier, périodiquement au moins, si les conditions d'existence des associations sont réalisées, si les buts statutaires sont en rapport avec la cause litigieuse et si la décision d'ester en justice a bien été prise par l'organe compétent (ATA/1064/2022 précité consid. 5d et les arrêts cités).
Dans ses arrêts ATA/1017/2023 du 19 septembre 2023 (consid. 1.3.3) et ATA/1077/2023 du 3 octobre 2023 (consid. 3.5), la chambre de céans a admis la qualité pour recourir de l’D______ en application de l’art. 58 LTr en tant qu’association veillant à la défense des conditions de travail de ses membres dont faisait partie, in casu, le personnel pénitentiaire, s’agissant de procédure visant, selon l’autorité intimée, à protéger l’intégrité des agents. Elle l’avait niée au titre de recours « égoïste » (ATA/147/2023 du 14 février 2023 consid. 2.4)
2.4 En l’espèce, le litige porte sur la durée de conservation des enregistrements des conversations téléphoniques de la E______ et des communications radio transitant par le réseau POLYCOM.
2.4.1 Il est douteux que l’art. 58 LTr trouve application en faveur de l’D______, la problématique ne portant pas sur la santé des travailleurs.
Certes, l’D______ a été partie à la procédure ayant abouti à la décision contestée et en est directement destinataire. Sa qualité pour recourir a cependant toujours été contestée par l’autorité intimée. De même, si dans un arrêt de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ACST/31/2020 du 2 octobre 2020, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_789/2020 du 4 novembre 2021) il était retenu que les membres de l’D______ et du SPJ étaient « dans leur grande majorité des agents de police », l’arrêt date de plus de trois ans et les statuts de l’D______ ont été depuis lors modifiés. Aucune précision ne figure au dossier quant à la prise de décision, par l’organe compétent, d’ester en justice. Aucune donnée n’est fournie quant au nombre de membres de l’D______, ni sur leur répartition conformément à l’art. 7 des statuts. Ainsi, à titre d’exemple, la proportion d’inspecteurs de l’office cantonal des véhicules (let. b) ou de retraités (let. d) n’est pas précisée. De même, aucun détail n’est donné quant à la proportion d’appels de la E______ impliquant des policiers. On ignore a fortiori combien de ces appels pourraient concerner des membres de l’D______. La condition que la décision touche la majorité des membres n’est en conséquence pas établie. L’existence d’un lien étroit et direct entre le but statutaire de l’association (défense des conditions de travail des membres, seul but pertinent en l’espèce) et le domaine dans lequel la décision litigieuse a été prise apparaît discutable. La question de savoir si le recours s’apparente plutôt à l’intervention d’une association qui s’occupe, d’une manière générale, du domaine considéré souffrira cependant de rester indécise, compte tenu de ce qui suit.
2.4.2 Deux des recourants sont policiers. On ignore cependant dans quelle mesure ils sont en relation avec la E______ et s’ils sont directement et concrètement concernés par les enregistrements litigieux. La question de savoir s’ils recourent dans l’intérêt général notamment de certains de leurs collègues souffrira aussi de rester indécise, bien que leur qualité pour recourir n’ait pas été remise en cause par l’autorité intimée.
2.4.3 Le chef de service de la E______ est pour sa part touché dans un intérêt digne de protection par la décision attaquée quand bien même il n’est pas démontré que sa fonction impose l’enregistrement de sa voix et de données le concernant. Il peut toutefois être admis qu’en cas de situation grave, il soit tenu d’intervenir et fasse l’objet d’enregistrements.
Le recours est en conséquence recevable.
3. Le litige porte sur la décision du 14 septembre 2023 refusant de limiter à trois mois le délai de conservation des enregistrements de la E______ conformément à la recommandation du PPDT.
Le contenu de la directive édictée en janvier 2024 ne fait pas l’objet du présent litige.
4. Les recourant se plaignent d’une violation des art. 21 Cst-GE, 13 Cst. et 8 CEDH et d’une violation du principe de la proportionnalité.
4.1.1 Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.). Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu’elle établit par la poste et les télécommunications (art. 13 al. 1 Cst.). Le droit au respect de la vie privée et familiale est également garantie par l'art. 8 § 1 CEDH.
Le texte de l’art. 21 de la Cst-GE a une teneur identique à celle de l’art. 13 Cst., sous réserve qu’elle évoque, en son al. 1, « de sa correspondance et de ses communications ».
4.1.2 La notion de « vie privée » au sens de l'art. 8 CEDH est une notion large, qui ne se prête pas à une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et morale d’une personne ainsi que de multiples aspects de son identité physique et sociale (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13, § 87 ; Denisov c. Ukraine du 25 septembre 2018, req. no 76639/11, § 95, 25 septembre 2018). Elle englobe notamment des éléments d’identification d’un individu tels que son nom ou sa photographie (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13, § 87 ; Schüssel c. Autriche du 21 février 2002, req. no 42409/98, 21 février 2002).
La notion de vie privée ne se limite pas à un « cercle intime », où chacun peut mener sa vie personnelle sans intervention extérieure, mais englobe également le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur (ACEDH Bărbulescu c. Roumanie du 5 septembre 2017, req. no 61496/08, § 70). À ce titre, elle n’exclut pas les activités professionnelles (ACEDH Antović et Mirković c. Monténégro du 28 novembre 2017, req. no 70838/13, § 42) ni les activités qui ont lieu dans un contexte public. Il existe en effet une zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la vie privée (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13, § 88 et les arrêts cités).
Un certain nombre d’éléments entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la vie privée d’une personne est touchée par des mesures prises en dehors de son domicile ou de ses locaux privés. Puisqu’à certaines occasions les gens se livrent sciemment ou intentionnellement à des activités qui sont ou peuvent être enregistrées ou rapportées publiquement, ce qu’un individu est raisonnablement en droit d’attendre quant au respect de sa vie privée peut constituer un facteur significatif, quoique pas nécessairement décisif. S’agissant de la surveillance des actions d’un individu au moyen de matériel photo ou vidéo, les organes de la CEDH ont ainsi estimé que la surveillance des faits et gestes d’une personne dans un lieu public au moyen d’un dispositif photographique ne mémorisant pas les données visuelles ne constituait pas en elle-même une forme d’ingérence dans la vie privée. En revanche, des considérations tenant à la vie privée peuvent surgir dès lors que des données à caractère personnel, notamment les images d’une personne identifiée, sont recueillies et enregistrés de manière systématique ou permanente. Comme la Cour l’a souligné à cet égard, l’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, parce qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses pairs. Le droit de chaque personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des conditions essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image. Si pareille maîtrise implique dans la plupart des cas la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, elle comprend en même temps le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13, § 89 ; Reklos et Davourlis c. Grèce du 15 janvier 2009, req. no 1234/05, § 40).
Pour déterminer si l’art. 8 CEDH trouve à s’appliquer, la question de savoir si l’individu en cause a été ciblé par la mesure de surveillance ou si des informations à caractère personnel ont été traitées, utilisées ou rendues publiques d’une manière ou dans une mesure excédant ce à quoi les intéressés pouvaient raisonnablement s’attendre est pertinente (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13 § 90 et les arrêts cités).La LIPAD régit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique ainsi que, d’autre part, protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. a et b LIPAD).
4.1.3 En parallèle, la LIPAD régit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique ainsi que, d’autre part, protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. a et b LIPAD).
La LIPAD comporte deux volets. Le premier concerne l’information du public et l’accès aux documents ; il est réglé dans le titre II (art. 5 ss LIPAD). Le second porte sur la protection des données personnelles, dont la réglementation est prévue au titre III (art. 35 ss LIPAD). À l’origine, elle se limitait au seul aspect de l’information du public et de l’accès aux documents (MGC 2000 45/VIII 7641 ss et MGC 2001 49/X 9678 ss relatifs au projet de loi 8'356 sur l’information du public et l’accès aux documents ; ATA/1404/2017 du 17 octobre 2017 consid. 2 et les arrêts cités). Le volet portant sur la protection des données personnelles résulte d’un deuxième processus législatif initié, le 7 juin 2006, par le dépôt d’un projet de loi 9'870 sur la protection des données personnelles (MGC 2005-2006 X A 8448 ss), qui est devenu, au cours des travaux législatifs, un projet visant à modifier la LIPAD en y intégrant le volet relatif à la protection des données personnelles (MGC 2007‑2008 XII A 14079 ss, en particulier 14137 ss).
La LIPAD s’applique notamment aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux, ainsi qu’à leurs administrations et aux commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. a LIPAD).
4.2.1 Comme tout droit fondamental, les droits à la liberté personnelle et à la protection de la sphère privée peuvent être restreints à certaines conditions. Selon l’art. 36 Cst., toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al. 1). Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) et être proportionnée au but visé (al. 3). L’essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).
En vertu de l’art. 8 § 2 CEDH, il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit à la protection de la vie privée et familiale que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
4.2.2 Selon le Tribunal fédéral, les restrictions graves d’un droit fondamental supposent une base claire et explicite dans une loi au sens formel (art. 36 al. 1 2e phr. Cst.). Pour les restrictions légères, une loi au sens matériel suffit. Les dispositions doivent être formulées d’une manière suffisamment précise pour permettre aux individus d’adapter leur comportement et de prévoir les conséquences d’un comportement déterminé avec un degré de certitude approprié aux circonstances. Le degré de précision exigible ne peut pas être défini abstraitement. Il dépend notamment de la diversité des états de faits à régler, de la complexité et de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas d’espèce, des destinataires de la règle, de l’intensité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux, et finalement de l’appréciation de la situation qui n’est possible que lors de l’examen du cas individuel et concret (ATF 139 I 280 = JdT 2014 I 118 consid. 5.1 et les arrêts cités).
Les mots « prévue par la loi » au sens de l'art. 8 § 2 CEDH veulent d’abord dire que la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle et sa compatibilité avec la prééminence du droit. Cette expression implique donc notamment que la législation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant leurs droits protégés par la Convention (ACEDH Fernández Martínez c. Espagne du 12 juin 2014, req. no 56030/07, § 117).
4.2.3 Dans la même perspective, l'art. 35 LIPAD prévoit que les institutions publiques ne peuvent traiter des données personnelles que si, et dans la mesure où, l'accomplissement de leurs tâches légales le rend nécessaire (al. 1). Des données personnelles sensibles ne peuvent être traitées que si une loi définit clairement la tâche considérée et si le traitement en question est absolument indispensable à l’accomplissement de cette tâche ou s’il est nécessaire et intervient avec le consentement explicite, libre et éclairé de la personne concernée (al. 2).
Par données personnelles ou données, la LIPAD vise toutes les informations se rapportant à une personne physique ou morale de droit privé, identifiée ou identifiable (art. 4 let. a LIPAD). À teneur de la let. b de l’art. 4 LIPAD, les données personnelles sensibles portent sur : 1° les opinions ou activités religieuses, philosophiques, politiques, syndicales ou culturelles, 2° la santé, la sphère intime ou l'appartenance ethnique, 3° des mesures d'aide sociale, 4° des poursuites ou sanctions pénales ou administratives. Par ailleurs, constitue un traitement de ces données toute opération relative à celles-ci – quels que soient les moyens et procédés utilisés – notamment leur collecte, conservation, exploitation, modification, communication, archivage ou destruction (art. 4 let. e LIPAD). La communication est définie comme le fait de rendre accessibles des données personnelles ou un document, par exemple en autorisant leur consultation, en les transmettant ou en les diffusant (art. 4 let. f LIPAD).
4.3.1 La notion d'intérêt public, au sens de l'art. 36 al. 2 Cst., varie dans le temps et selon le lieu et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la tranquillité publics, etc.), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'État sont l'expression. Ces intérêts publics se concrétisent généralement dans le cadre d'un processus politique de l’adoption démocratique des lois, laquelle ne s’opère pas de manière arbitraire mais à la lumière du système de valeur de l’ordre juridique global. Ils doivent en outre constituer un critère de restriction pertinent pour la limitation du droit fondamental en cause. Si ce droit ne peut pas être restreint pour les motifs invoqués par la collectivité publique, ces motifs n’entrent pas en considération à titre d’intérêt public pertinent (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 8.1 et les arrêts cités).
4.3.2 L'art. 8 § 2 CEDH mentionne la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien‑être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, et la protection des droits et libertés d’autrui.
4.4 Le principe de la proportionnalité ancré à l’art. 36 al. 3 Cst. exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d'intérêt public escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, elle interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 148 I 160 consid. 7.10 ; 140 I 218 consid. 6.7.1). La restriction ne doit pas être plus grave que nécessaire d’un point de vue objectif, spatial, temporel et personnel. Les intérêts antagonistes privés et publics doivent être évalués et pondérés en considération des circonstances de l’espèce et du contexte social actuel (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 9.1 et les arrêts cités).
Selon l’art. 8 § 2 CEDH, toute ingérence dans l’exercice du droit à vie privée et familiale doit être nécessaire dans une société démocratique. Une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (ACEDH Fernández Martínez c. Espagne du 12 juin 2014, req. no 56030/07, § 124).
4.4.1 Concernant la qualité des données personnelles, l’art. 36 LIPAD précise que les institutions publiques veillent, lors de tout traitement de données personnelles, à ce que ces dernières soient : pertinentes et nécessaires à l'accomplissement de leurs tâches légales (let. a) ; exactes et si nécessaire mises à jour et complétées, autant que les circonstances permettent de l’exiger (let. b ; al. 1). Lorsqu’une institution publique constate que des données personnelles qu’une autre institution lui a communiquées en vertu de l’art. 39 al. 1 LIPAD, sont inexactes, incomplètes ou obsolètes, elle en informe cette dernière, à moins que cette information ne soit contraire à une loi ou à un règlement (al. 2).
4.4.2 Les institutions publiques détruisent ou rendent anonymes les données personnelles dont elles n'ont plus besoin pour accomplir leurs tâches légales, dans la mesure où ces données ne doivent pas être conservées en vertu d’une autre loi (art. 40 al. 1 LIPAD). Sur décision de l'instance dirigeante de l'institution publique concernée, la destruction de données personnelles peut être différée durant deux ans au maximum à des fins d'évaluation de politiques publiques. Ces données sont dès lors soustraites à communication, sauf si elles sont accessibles au regard de la loi sur les archives publiques, du 1er décembre 2000, ou du titre II de la LIPAD (art. 40 al. 2 LIPAD).
4.4.3 Aux termes de l’art. 41 LIPAD, dans le cadre de l'accomplissement de leurs tâches légales, les institutions publiques sont en droit de traiter des données personnelles à des fins générales de statistique, de recherche scientifique, de planification ou d'évaluation de politiques publiques, pour leur propre compte ou celui d’une autre institution publique en ayant la mission légale, aux conditions cumulatives que : le traitement de données personnelles soit nécessaire à ces fins (let. a) ; ces données soient détruites ou rendues anonymes dès que le but du traitement spécifique visé le permet (let. b) ; les données collectées à ces seules fins ne soient communiquées à aucune autre institution, entité ou personne (let. c) ; les résultats de ce traitement ne soient le cas échéant publiés que sous une forme excluant la possibilité d'identifier les personnes concernées (let. d) ; le préposé cantonal en soit préalablement informé avec les précisions utiles sur le traitement qu’il est prévu de faire des données personnelles et sa nécessité (let. e) ; le traitement portant sur des données personnelles sensibles ou impliquant l’établissement de profils de la personnalité fasse préalablement l’objet d’une autorisation du Conseil d’État, qui doit requérir le préavis du préposé cantonal et assortir au besoin sa décision de charges ou conditions (let. f ; al. 1). Les compétences et les règles de fonctionnement de la Cour des comptes sont réservées, de même que celles de l’office cantonal de la statistique (al. 2).
4.4.4 En matière de protection des données, l’exploitant ne peut collecter et traiter que les données qui sont aptes, mais surtout objectivement nécessaires pour atteindre le but poursuivi, pour autant que le traitement demeure dans un rapport raisonnable entre le résultat (légitime) recherché et le moyen utilisé, tout en préservant le plus possible les droits des personnes concernées. Il faut ainsi à chaque fois procéder à une pondération des intérêts entre le but du traitement et l’atteinte nécessaire à la personnalité, ce qui oblige à prendre en compte également les intérêts de l’auteur du traitement (Philippe MEIER, Protection des données, fondements, principes généraux et droit privé, Berne, 2011, n° 666 ; Atenas ANDERSON/Benedetta S. GALETTI, op. cit., p. 105).
La nécessité d’un traitement ne peut être instituée en règle. Celui-ci doit répondre à un besoin effectif, et non pas simplement théorique ou relativement éloigné. C’est là ce qu’impose la proportionnalité de principe. La collecte ou la conservation de données « pour le cas où… » n’est pas admissible, sauf disposition légale spéciale (Philippe MEIER, op. cit., n° 671).
La durée de la conservation peut elle aussi violer le principe de la proportionnalité dans sa portée temporelle, lorsqu’elle va au-delà de ce que nécessite le traitement, sans qu’il existe un motif justificatif (comme la nécessité de documenter à des fins de preuve). Le maître du fichier a l’obligation de détruire les données ou de les anonymiser dès qu’elles ne sont plus nécessaires à la réalisation de la tâche pour laquelle elles ont été collectées (Philippe MEIER, op. cit., n° 679).
À cet égard, la chambre de céans a d’ores et déjà considéré dans son arrêt ATA/190/2012 du 3 avril 2012 en matière de radiation de données personnelles dans les dossiers de police, que le droit interne devait assurer que celles-ci soient pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles étaient enregistrées, et qu’elles étaient conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire auxdites finalités (consid. 6 et les références citées).
4.5 Au titre de ses missions, la police est au service de la population, dont elle reflète la diversité. Sa devise est : protéger et servir (art. 1 al. 1 LPol). En tout temps, le personnel de la police donne l’exemple de l’honneur, de l’impartialité, de la dignité et du respect des personnes et des biens. Il manifeste envers ses interlocuteurs le respect et l’écoute qu’il est également en droit d’attendre de leur part (art. 1 al. 2 LPol). L’action policière comprend l’activité de police administrative et de sécurité, ainsi que l’activité de police judiciaire, au sens de l’art. 15 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), d’autre part (art. 1 al. 3 LPol).
Sauf dispositions légales contraires, la police est chargée des missions suivantes : assurer l’ordre, la sécurité et la tranquillité publics (let. a) ; prévenir la commission d’infractions et veiller au respect des lois, en particulier selon les priorités émises conjointement par le Conseil d’État et le Ministère public (let. b) ; exercer la police judiciaire (let. c) ; exécuter les décisions des autorités judiciaires et administratives (let. d) ; coordonner les préparatifs et la conduite opérationnelle en cas de situation exceptionnelle en vue de protéger la population, les infrastructures et les conditions d’existence (let. e) ; exercer les actes de police administrative qui ne sont pas dévolus à d’autres autorités (let. f ; art. 1 al. 4 LPol).
4.6 En l’espèce, les enregistrements litigieux comprennent des données tant du citoyen qui fait appel à la E______ que des fonctionnaires qui lui répondent et organisent, par le biais de POLYCOM, l’éventuelle intervention de la police. Le recours ne porte toutefois que sur les données des fonctionnaires.
Les données concernent non seulement des indications factuelles telle que l’identité des interlocuteurs, mais aussi des données plus sensibles, soit le contenu de la conversation. Si les données relatives aux justiciables sont de nature à fournir des informations sur leur vie privée, tel ne devrait pas être le cas de celles des employés de l’État, intervenant dans le cadre de leurs fonctions. Ces dernières ne devraient en conséquence pas permettre de déductions relatives à la vie privée des intéressés, notamment leurs habitudes quotidiennes, leurs lieux de résidence, leur cercle social ou leurs opinions. Le PPDT a ainsi relevé, à juste titre, que les enregistrements ne portaient pas sur des données personnelles sensibles concernant les fonctionnaires.
Les finalités poursuivies par la conservation des enregistrements de la E______ et POLYCOM au-delà de 30 jours sont motivées, selon l’autorité intimée, par la nécessité de pouvoir vérifier l’origine de l’appel, identifier la personne en danger, lutter contre les appels anonymes et, sur demande du Ministère public, dans le cadre de procédures pénales.
Ces finalités ne sont pas contestées. Seule la durée de conservation est litigieuse, le recourant et le PPT considérant que la durée de trois mois suffit à assurer la réalisation de ces buts et qu’une durée plus longue n’est pas nécessaire.
S’il n’est pas contestable que la vérification de l’origine de l’appel, voire l’identification de la personne en danger et la lutte contre les appels anonymes n’impose pas nécessairement une durée de conservation longue, il n’est pas contesté que les mesures probatoires, dans le cadre d’une procédure pénale, imposent une durée de conservation plus longue. Le département allègue que la durée de trois mois ne suffit pas, notamment en matière de violences conjugales. Si certes, comme le relève le recourant, tous les appels en matière de violences conjugales ne sont pas enregistrés, un certain nombre parvenant dans des postes de police de quartier, cet élément n’est pas de nature à amoindrir la nécessité de pouvoir établir les faits le plus précisément possible dans un domaine où l’apport de preuves n’est pas aisé. À ce titre, un enregistrement permet d’établir de façon plus précise qu’une mention dans la main-courante, les termes employés par l’interlocuteur, et permettrait aux intervenants, notamment policiers et/ou magistrats, d’appréhender avec plus d’exactitude les circonstances de l’appel notamment quant au ton employé, aux éventuels bruits de fond, ou tout autre indice auditif pertinent, étant rappelé que les enregistrements peuvent aussi être utiles dans des procédures autres que les violences domestiques.
Ceci est confirmé non seulement par le département, mais surtout par un constat empirique dressé après la destruction des données de plus d’une année au 31 décembre 2021. La prise de position de l’autorité intimée ne repose ainsi pas sur une hypothèse mais sur le constat factuel que la destruction des enregistrements après une année avait entravé, dans une mesure en l’état non déterminée, les missions de la police.
De surcroît, le PPDT propose la conservation pour une durée de trois mois en évoquant, à titre exemplatif, que le Tribunal fédéral avait considéré que la conservation d’images de vidéosurveillance du domaine public à des fins d’utilisation dans le cadre d’enquête pénale pour une durée de 100 jours était conforme à la constitution et à la CEDH. Toutefois, les images de vidéosurveillance du domaine public portent une atteinte, d’une part plus importante aux droits fondamentaux, d’autre part d’un cercle de personnes plus large, que les enregistrements présentement querellés. Ceci justifie une durée de conservation plus courte pour les images de vidéosurveillance.
Par ailleurs, en matière de conservation de données secondaires de télécommunication, le Tribunal fédéral a considéré qu’une durée de conservation de six mois, prévue en l’occurrence dans l’ancienne loi fédérale sur la surveillance de la correspondance par postes et télécommunications du 6 octobre 2009 (LSCPT ‑ RS 780.1), apparaissait proportionnée. Il a mentionné notamment l’arrêt de la Cour européenne, dans la cause ZAKHAROV c/ Russie du 4 décembre 2015, req. no 47143/06, aux termes duquel la durée de conservation de six mois prévue par le droit russe pour les données de surveillance du contenu des communications mobiles avait été jugée raisonnable (ATF 144 I 126 = JdT 2018 I 191 et les références citées).
Ainsi, à supposer que la conservation des enregistrements des appels reçus à la E______ et des conversations sur POLYCOM pour une durée supérieure à trois mois porte atteinte à la vie privée des policiers qui les utilisent, celle-ci est justifiée par un intérêt public important consistant non seulement dans la vérification de l’origine de l’appel, l’identification de la personne en danger, la lutte contre les appels anonymes, le bon déroulement d’une procédure pénale mais aussi, conformément aux missions définies par l’art. 1 LPol, aux fins d’assurer l’ordre, la sécurité et la tranquillité publics, prévenir la commission d’infractions et veiller au respect des lois notamment dans le domaine, particulier, des violences domestiques. L’atteinte portée à la vie privée des intéressés est en conséquence justifiée et prime leur intérêt privé, étant rappelé que, d’une part, ceux-ci sont au courant que les conversations sont enregistrées et, d’autre part, qu’ils agissent dans le cadre de leurs fonctions. Cette atteinte est donc apte à produire les résultats d’intérêt public escomptés. Elle est nécessaire, dès lors qu’aucune mesure moins incisive ne permet d’y contribuer. Enfin, elle ne va pas au-delà du but visé et s’inscrit dans un rapport raisonnable entre le but en question et les intérêts privés des agents concernés. La conservation des enregistrements litigieux au-delà de la durée de trois mois respecte le principe de la proportionnalité.
Contrairement à ce que soutient le recourant, l’autorité intimée ne nie pas que certains appels téléphoniques en provenance et à destination de locaux professionnels peuvent se trouver compris dans des notions de vie privée et de correspondance visées par les dispositions précitées. Toutefois, seule est concernée par le présent litige la centrale téléphonique en cas d’urgence.
Les intéressés conservent de surcroît, s’agissant de leurs données personnelles, un droit d’y accéder, garantie supplémentaire de leurs droits fondamentaux.
En conséquence, c’est à bon droit que le département a refusé, par décision du 14 septembre 2023, de suivre la recommandation du PPDT visant à limiter la durée de conservation des enregistrements de la E______ à trois mois sauf en cas de procédure pénale exigeant un délai de conservation plus long. Il n’appartient toutefois pas à la chambre de céans de fixer, dans le cadre du présent litige, les durées pertinentes pour la conservation des enregistrements des conversations transitant par la E______ et POLYCOM.
Le recours sera en conséquence rejeté.
5. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).
Le litige s'inscrit dans le contexte des rapports de service du recourant et des membres de la recourante. Il concerne toutefois une contestation non pécuniaire (art. 83 let. g de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 – LTF - RS 173.110).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
rejette en tant qu’il est recevable le recours interjeté le 12 octobre 2023 par l’D______A______, B______ et C______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 14 septembre 2023 ;
met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire de l’D______A______, B______ et C______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être portée dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Mes Sylvain MÉTILLE et Marie-Laure PERCASSI, avocats des recourants, au département des institutions et du numérique, ainsi qu’au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
M. MAZZA
|
| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le |
| la greffière : |