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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1862/2022

ATA/303/2023 du 23.03.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1862/2022-EXPLOI ATA/303/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mars 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______Sàrl, en liquidation

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR

 



EN FAIT

1. Monsieur B______ était l’associé gérant avec signature individuelle de A______Sàrl (ci-après : la société). La société exploitait le café-restaurant « C______ » situé à l’avenue ______.

Selon le registre du commerce de Genève (ci-après : RC), la société a été dissoute par suite de faillite prononcée par jugement du Tribunal civil de première instance du 1er décembre 2022, avec effet à partir du même jour.

2. Par ordonnance pénale du 11 janvier 2022, M. B______ avait été déclaré coupable d’infraction à l’art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et condamné à une peine pécuniaire de cent vingt jours-amende à CHF 70.- le jour avec sursis et délai d’épreuve de trois ans. Il avait également été condamné à une amende de CHF 1'680.-.

Il lui était reproché d’avoir, en sa qualité d’associé gérant de la société, entre le 1er novembre 2019 et le 31 décembre 2020, employé en qualité de serveuse une ressortissante brésilienne ne disposant pas des autorisations nécessaires pour travailler en Suisse. Ces faits avaient été dénoncés au Ministère public par le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) le 24 juin 2021. Entendu par la police, M. B______ avait expliqué que cette serveuse était la seule de ses employés à ne pas disposer des autorisations nécessaires. Elle lui avait dit qu’elle devait faire les démarches nécessaires pour obtenir lesdites autorisations. Il l’avait déclarée auprès de l’AVS en pensant que la situation se régulariserait rapidement mais reconnaissait avoir laissé traîner les choses. Selon les informations fournies par l’office cantonal de la population et des migrations le 4 mai 2021, aucune demande n’était en cours d’examen concernant cette serveuse.

3. Le 25 février 2022, le PCTN a informé M. B______ que l’ordonnance pénale laissait présumer que les conditions de travail en usage ne seraient pas respectées au sein de son établissement, de sorte que l’autorisation d’exploiter ne pouvait être maintenue qu’après la signature des usages auprès de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT). Il était donc envisagé de lui demander de signer, auprès de cet office, l’engagement de respecter les conditions de travail en usage à Genève. Avant de prendre cette décision, il pouvait exercer par écrit son droit d’être entendu avec un délai fixé au 14 mars 2022.

Selon le suivi de la Poste, ce courrier a été distribué le 26 février 2022.

4. Le 22 mars 2022, le PCTN a repris les explications qu’il avait fournies dans son courrier du 25 février 2022 et, constatant que M. B______ n’y avait pas donné suite, l’a une nouvelle fois invité à signer l’engagement de respecter les usages, ce qu’il pouvait faire en ligne à une adresse mentionnée sur le courrier. Si le PCTN ne recevait pas le document concerné d’ici au 25 avril 2022, il révoquerait l’autorisation d’exploiter.

Selon le suivi de la Poste, cette décision a été distribuée le 23 mars 2022.

5. Le 13 mai 2022, le PCTN a révoqué l’autorisation d’exploiter « C______ » qu’il avait délivrée à M. B______ le 2 novembre 2016. Celui-ci n’avait pas donné suite à la décision du 22 mars 2022 et n’avait pas transmis l’engagement sollicité. L’exploitation du restaurant devait cesser immédiatement, dès l’entrée en force de cette décision.

6. Par acte posté le 7 juin 2022, M. B______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative).

Il avait bien reçu la décision litigieuse mais pas celle du 22 mars 2022, raison pour laquelle il n’avait pas répondu dans le délai imparti. L’emploi de la serveuse de nationalité brésilienne ne l’avait avantagé d’aucune sorte au niveau financier dans la mesure où ses conditions d’embauche avaient été similaires à celles de ses collègues. Cette serveuse avait fait savoir dès le début de son embauche que son permis de séjour était en cours d’établissement. Elle avait donné les coordonnées de son avocat censé défendre ses intérêts devant les autorités et expliqué qu’elle avait été scolarisée à Genève, de sorte que son autorisation allait être formalisée sans délai. Il savait maintenant qu’elle avait menti et payait sa négligence de ne pas avoir insisté bien que cette situation ne lui avait apporté aucun avantage.

Il avait 65 ans et le projet de vendre son établissement. Dans l’accord convenu avec le repreneur, il était indiqué qu’il travaillerait, une fois les travaux de rénovation terminés, à 30 % au bar et qu’il conserverait son titre de responsable d’exploitation pour quelques mois. Dans ce contexte, la décision de révocation de son autorisation d’exploiter venait percuter ce projet et allait avoir de nombreuses conséquences néfastes pour toutes les personnes impliquées. Dès lors, il demandait le maintien de son autorisation d’exploiter jusqu’à la fin de l’année sachant qu’il n'employait plus de personnel, qu’il serait titulaire de la patente dans l’établissement d’un tiers avec un statut de salarié et que cette période lui permettrait une sortie du monde du travail dans des conditions acceptables.

7. Le 8 juillet 2022, le PCTN a conclu au rejet du recours.

8. Sur ce, en l’absence de requêtes ou observations formulées dans le délai fixé au 19 août 2022 par le juge délégué, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 66 al. 1 de la loi sur la restauration, le débit de boisson, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 - LRDBHD - I 2 22).

2. a. Aux termes de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, a qualité pour recourir toute personne touchée directement par une décision et qui a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; ATA/52/2023 du 20 janvier 2023 consid. 2a).

b. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3). La jurisprudence admet toutefois que, dans des circonstances particulières, il se justifie d’examiner le recours au fond malgré la perte d’actualité du recourant durant la procédure devant la juridiction saisie (ATF 137 I 296 consid. 4.2 et 4.3).

c. En l’espèce, il ressort du RC que la société a été dissoute par suite de faillite prononcée par jugement du Tribunal civil de première instance du 1er décembre 2022, avec effet à partir du même jour. Il est en conséquence douteux qu’elle conserve un intérêt à recourir. Son associé gérant indique toutefois que la révocation pourrait contrarier ses projets futurs. Il faut au surplus considérer qu’il pourrait conserver un intérêt actuel à ne pas voir la sanction maintenue à titre d’antécédent le concernant (ATA/34/2022 du 18 janvier 2022 consid. 1 et les arrêts cités ; ATA/709/2020 du 4 août 2020 consid. 2d et les arrêts cités). La question de l’intérêt actuel souffrira dès lors de rester indécise, le recours devant quoi qu’il en soit être rejeté pour les motifs exposés ci-après.

3. a. Selon l’art. 65 LPA, l’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve (al. 2). Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d’une certaine souplesse s’agissant de la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu’elles ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est, en soi, pas un motif d’irrecevabilité, pour autant que l’autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/97/2023 du 31 janvier 2023 consid. 1.2 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, le recourant demande de bien vouloir maintenir son autorisation d’exploiter et se réfère à la décision de l’intimé du 13 mai 2022. On comprend dès lors qu’il en demande l’annulation.

4. a. La LRDBHD a pour but de régler les conditions d'exploitation des entreprises vouées à la restauration et/ou au débit de boissons à consommer sur place, à l’hébergement, ou encore au divertissement public (art. 1 al. 1).

b. L'exploitation de toute entreprise vouée à la restauration, au débit de boissons et à l'hébergement est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département de l’économie et de l’emploi (ci-après : département), soit pour lui l’intimé (art. 8 al. 1 LRDBHD ; art. 3 al. 1 et 2 ainsi que 18 al. 1 let. a du règlement d’exécution de la LRDBHD du 28 octobre 2015 - RRDBHD – I 2 22.01).

c. À teneur des art. 9 let. d et 10 LRDBHD, la délivrance d’une telle autorisation est soumise à la condition que l’exploitant et le propriétaire de l’entreprise offrent, par leurs antécédents et leur comportement, toute garantie qu’elle est exploitée conformément, aux dispositions de la LRDBHD et, notamment, aux prescriptions en matière de police des étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail.

Lorsque le département est en possession d'indices factuels permettant de présumer le non-respect des conditions de travail en usage, le département demande au propriétaire employeur de signer auprès de l’office l’engagement de respecter les conditions de travail en usage à Genève et fait dépendre sa décision de la signature dudit engagement (art. 9 let. d in fine et art. 10 in fine LRDBHD).

Selon l’art. 22 al. 5 LRDBHD, l’exploitant ou le propriétaire qui a qualité d’employeur doit respecter les dispositions relatives à la protection sociale des travailleurs et aux conditions de travail en usage à Genève dans son secteur d’activité. Le département peut lui demander en tout temps de signer auprès de l’office l’engagement correspondant.

d. L'autorisation d'exploiter est révoquée par le département lorsque les conditions de sa délivrance ne sont plus remplies, ainsi qu'en cas de non-paiement de la taxe annuelle prévue par la LRDBHD (art. 14 LRDBHD).

5. En l’espèce, après avoir pris connaissance de l’ordonnance pénale, l’autorité intimée était fondée à considérer qu’elle était en possession d'indices factuels permettant de présumer le non-respect des conditions de travail en usage au sein de l’établissement. Elle a, avant de révoquer l’autorisation d’exploiter, dûment invité la recourante, soit pour elle son associé gérant, à signer l’engagement à respecter les usages. Il ressort en effet de la procédure que tant le courrier de l’intimé du 25 février 2022 que sa décision du 22 mars 2022 ont été correctement distribués par la Poste. L’associé gérant expose ne pas avoir eu connaissance de cette dernière, mais ne dit rien à propos du courrier du 25 février 2022. Il n’explique pas non plus pourquoi il n’a pas signé l’engagement de respecter les conditions de travail en usage dès lors que cette signature aurait permis d’éviter la révocation litigieuse. En l’absence de l’engagement signé par la recourante, c’est quoi qu’il en soit conformément à l’art. 14 LRDBHD que l’intimé a révoqué l’autorisation d’exploiter.

Il découle de ce qui précède que le recours sera rejeté en tant qu’il est recevable.

6. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) – étant précisé que la société a déjà versé ce montant à titre d'avance de frais, ce avant sa mise en faillite –, et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette en tant qu’il est recevable le recours interjeté le 7 juin 2022 par A______Sàrl contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 13 mai 2022 ;

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______Sàrl, en liquidation ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur B______, associé gérant de A______Sàrl, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

La greffière :

 

 

S. Croci Torti

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :