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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1970/2011

ATA/190/2012 du 03.04.2012 ( LIPAD ) , ADMIS

Descripteurs : ; MAXIME INQUISITOIRE ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; COMPÉTENCE ; DONNÉES PERSONNELLES ; PROTECTION DES DONNÉES ; PESÉE DES INTÉRÊTS ; PROCÉDURE PÉNALE ; CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE ; PRESCRIPTION
Normes : LPA.18 ; Cst.29.al2 ; Cst.30.al1 ; Cst.10.al2 ; Cst.13.al2 ; LOJ.132.al1 ; LCBVM.1 ; LCBMV.2 LCBVM.3a ; LIPAD.36.al1.leta ; LIPAD.47.al.leta ; CPP.320.al4 ; CPP.323
Résumé : La chambre administrative n'est pas compétente pour instruire sur la culpabilité ou l'innocence du recourant dans le cadre d'une procédure pénale. L'audition de témoins portant sur ce point est donc refusée. Pour déterminer la finalité des données personnelles du dossier de police, il n'y a plus lieu d'effectuer une distinction entre classement d'une part et acquittement ou non-lieu d'autre part. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, soit le classement d'une procédure pénale 13 ans auparavant, ordonné sans inculpation et sur la base d'un rapport d'expertise, l'impossibilité de la reprise de poursuites pénales dans cette cause, et l'absence d'antécédent pénal du recourant, il n'est plus nécessaire de conserver les données relatives à la procédure pénale de l'intéressé dans son dossier de police.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1970/2011-LIPAD ATA/190/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 avril 2012

 

 

dans la cause

 

Monsieur X______
représenté par Me Pierre Bayenet, avocat

contre

LE CHEF DE LA POLICE

 



EN FAIT

1. Monsieur X______, né le ______ 1967, est ressortissant suisse. Il a épousé le ______ 1994 Madame Y______, née le ______ 1972, ressortissante espagnole. Les époux ont donné naissance le ______ 1994 à une fille, Z______. Ils ont divorcé le ______ 1995, le jugement de divorce confiant l'autorité parentale et la garde de l'enfant à sa mère.

2. Le 23 avril 1998, Mme Y______ (dont le nom était alors X______) a déposé plainte pénale auprès du Ministère public genevois. Elle craignait que M. X______ se soit livré à des abus sexuels sur sa fille, suite à des déclarations de celle-ci.

Le Ministère public a ouvert une information pénale le 17 juin 1998 (P/4394/1998), et a confié l'affaire à un juge d'instruction.

3. Le juge d'instruction a ordonné une expertise de crédibilité. Il a assermenté le Docteur Carballeira comme expert le 17 novembre 1998. Celui-ci a rendu son rapport d'expertise le 3 mars 1999.

L'expert posait un diagnostic de dysharmonie psychotique et autres troubles envahissants du développement chez l'enfant. A aucun moment celle-ci n'avait d'une quelconque façon exprimé avoir subi de la part de son père des abus sexuels. Le fonctionnement global de l'enfant et les différents éléments recueillis ne confirmaient pas la crédibilité de ses dires.

4. Le juge d'instruction a communiqué le dossier au Ministère public le 16 mars 1999, sans inculpation.

5. Le 18 mai 1999, le Ministère public a classé la procédure « vu l'absence d'inculpation, et en l'absence de crédibilité des dires de l'enfant, vu le rapport d'expertise ».

6. Le 8 septembre 1999, la chambre d'accusation a déclaré irrecevable le recours interjeté par M. X______ contre la décision de classement, en vue d'obtenir un non-lieu. Seule une personne inculpée pouvait demander le prononcé d'une telle décision.

7. Le 15 février 2011, M. X______ s'est adressé au chef de la police. Naturalisé genevois depuis peu, et à la recherche d'un emploi dans le domaine de l'horlogerie, il demandait s'il était possible de radier le dossier de police le concernant.

8. Le 20 mai 2011, le chef de la police a partiellement admis la demande de radiation. Elle procédait à la radiation des documents inventoriés sous nos 3 et 4 ainsi que des pièces y relatives figurant à l'inventaire du dossier. Elle refusait en revanche de procéder à la radiation des documents inventoriés sous nos 1 et 2, soit les deux rapports de police relatifs à la P/4394/1998 et leurs annexes.

Les données personnelles ne pouvaient être radiées que lorsque la procédure pénale avait abouti à un acquittement ou à un non-lieu motivé en droit. Or la procédure pénale P/4394/1998 n'avait fait l'objet que d'un classement. De plus, les faits relatifs à des actes d'ordre sexuel au sens de l'art. 187 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) étaient considérés comme des crimes, et devaient être qualifiés d'importants, justifiant des délais de conservation étendus. Les données inscrites en l'espèce conservaient une utilité manifeste, dès lors que la procédure pouvait être reprise, le délai de prescription courant jusqu'au moment où sa fille atteindrait l'âge de 25 ans. La conservation de ces pièces demeurait dès lors proportionnelle et constitutionnelle.

9. Par acte posté le 24 juin 2011, M. X______ a interjeté recours contre la décision précitée de refus partiel de radiation de son dossier de police auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à la mise à néant de cette décision, à ce que la radiation de toutes les informations figurant à son dossier de police soit ordonnée, et à l'octroi d'une équitable indemnité de procédure. Il demandait également un délai pour pouvoir compléter son recours.

La police n'avait pas examiné si les données en sa possession étaient exactes, ce qui était pourtant capital car il n'existait aucun intérêt public à la conservation de données fausses. Elle s'était contentée d'un raisonnement formel à propos du classement de la procédure pénale, seul un acquittement ou un non-lieu justifiant à ses yeux la radiation des données.

10. Le 29 juin 2011, la chambre administrative a accordé à M. X______ un délai au 30 juillet 2011 pour compléter son recours.

11. Le 12 juillet 2011, M. X______ a complété son recours. La chambre administrative ne pouvait pas se dispenser d'ouvrir une instruction sur la question de la véracité des allégations d'abus sexuels proférées contre lui. Il sollicitait l'audition de deux témoins à ces fins.

12. Le 30 août 2011, le chef de la police a conclu au rejet à la fois de la demande d'audition de témoins et du recours.

Le recourant formulait en fait, de manière nouvelle, une demande en rectification des données ; même si formellement il demandait la radiation des données, l'ouverture d'une instruction tendant à établir son innocence visait à faire rectifier son dossier de police, alors même que la question ressortissait exclusivement à la compétence des juridictions pénales. La décision de classement pouvait en revanche être jointe au dossier de police.

Les faits relatifs à des actes d'ordre sexuel au sens de l'art. 187 CP étaient considérés comme des crimes, et devaient être qualifiés d'importants, justifiant des délais de conservation allant au-delà de cinq ans. Le délai de prescription permettait d'esquisser un point de repère au-delà duquel la conservation des pièces apparaissait de moins en moins justifiée.

Dans le cas d'un classement comme en l'espèce, et contrairement à un non-lieu, les poursuites pouvaient être reprises en cas de faits nouveaux. On pouvait songer que, à l'aube de ses 25 ans, la fille du recourant dépose plainte contre ce dernier. Les données inscrites dans le dossier de police conservaient donc une utilité manifeste pour la police, dans la mesure où la procédure pourrait être reprise.

13. Le 9 décembre 2011, M. X______ a répliqué, persistant dans les conclusions de son recours.

Par rapport à la différence entre un classement et un non-lieu, la chambre d'accusation avait elle-même, dans la procédure en cause, retenu qu'un classement faute d'inculpation équivalait à un non-lieu, de sorte que le mis en cause n'était pas lésé par la décision de classement.

L'entrée en vigueur du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) modifiait en outre l'appréciation devant être faite. En effet, les conséquences d'une ordonnance de classement se mesurait à l'aune du nouveau droit ; elle valait donc acquittement en application de l'art. 320 al. 4 CPP. Il était abusif de maintenir une distinction schématique entre les conséquences d'un acquittement, d'un non-lieu et d'un classement. Il convenait au contraire de statuer sur la base de toutes les circonstances d'espèce.

L'absence d'utilité de la conservation des données en mains de la police était manifeste. Les autorités judiciaires détenaient un dossier complet de la procédure, et il était du reste dangereux d'autoriser la police à détenir un dossier incomplet. La procédure avait été complètement instruite, et les recherches avaient été abandonnées.

14. Le 15 décembre 2011, la chambre administrative a donné au chef de la police un délai au 20 janvier 2012 pour répliquer, et a indiqué aux parties que la cause serait alors gardée à juger.

15. Le 20 janvier 2012, le chef de la police a dupliqué, persistant dans ses précédentes conclusions.

Selon la jurisprudence constante en matière de conservation des dossiers de police, les conséquences juridiques entre une procédure aboutissant à un non-lieu sont différentes de celles menant à un classement. L'entrée en vigueur du CPP n'avait pas modifié cette appréciation, la distinction entre une ordonnance de classement et un acquittement demeurant bien marquée. Même si l'on devait retenir l'argumentation du recourant à ce sujet, la conservation du dossier de police resterait fondée, dès lors qu'une reprise de la procédure pouvait intervenir, que ce soit au terme d'une ordonnance de classement ou de la révision d'un acquittement.

Les dossiers de police et les dossiers judiciaires étaient de nature différente, les premiers constituant une base de données générales relative à une personne, et n'ayant pas pour but de trancher un litige.

16. Le 8 février 2012, la chambre administrative a invité la préposée à la protection des données et à la transparence (ci-après : la préposée) à participer à la procédure et à lui faire parvenir ses observations avant le 2 mars 2012.

17. Le 29 février, la préposée a transmis ses observations.

L'accès aux documents contenus dans le dossier de police de M. X______ n'était pas régi par la législation sur les archives.

Le respect des exigences du CPP relatives à la conservation des données personnelles jusqu'à l'expiration des délais de prescription incombait aux autorités judiciaires, et la conservation de copies dans un second dossier ne semblait répondre à aucune nécessité sur ce plan.

L'intérêt public à la prévention efficace des crimes et délits ou à la sauvegarde d'intérêts légitimes de tiers devait être mis en balance avec l'intérêt du requérant au respect de ses droits fondamentaux, et l'on concevait mal que la conservation de documents susceptibles de porter atteinte à sa sphère privée puisse se justifier seulement par la possible reprise d'une procédure préliminaire suite au classement dont elle avait fait l'objet.

En outre, la radiation demandée concernait des documents conservés depuis plus de douze ans. On peinait à cet égard également à concevoir en quoi leur conservation par la police judiciaire constituerait un moyen de prévention efficace des crimes et délits ou de sauvegarde d'intérêts légitimes de tiers.

En conclusion, la conservation du dossier de police de M. X______ était vraisemblablement constitutive d'un traitement illicite au sens des art. 4 let. e et 35 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles, du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08), faute de base légale et de respect du principe de proportionnalité.

18. Le 7 mars 2012, M. X______ a indiqué n'avoir pas d'observation à formuler au sujet des écritures de la préposée.

19. Le corps de police n'a pas non plus fait valoir d'observations à ce sujet.

20. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 3C al. 1 de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 - LCBVM - F 1 25).

2. La procédure administrative est conduite par le juge selon le principe de la maxime d’office (recte: la maxime inquisitoire ; art. 19 LPA) dans le respect du droit d’être entendu garanti par les art. 29 al. 2 et 30 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Elle est en principe écrite mais, si le règlement et la nature de l’affaire le requièrent, l’autorité peut procéder oralement (art. 18 LPA).

Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 132 II 485 consid. 3.2 p. 494 ; 127 I 54 consid. 2b p. 56 ; 127 III 576 consid. 2c p. 578 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C.424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes ; l'autorité de décision peut ainsi se livrer à une appréciation de la pertinence du fait à prouver et de l'utilité du moyen de preuve offert et, sur cette base, refuser de l'administrer. Ce refus ne viole le droit d'être entendu que si l'appréciation à laquelle elle a ainsi procédé est entachée d'arbitraire (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 p. 158 ; Arrêts du Tribunal fédéral 1C_323/2011 du 12 octobre 2011 consid. 2.1 ; 2C_58/2010 du 19 mai 2010 consid. 4.3 ; 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.2 et les arrêts cités ; ATA/432/2008 du 27 août 2008 consid. 2b). Le droit d’être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l’issue du litige (ATF 133 II 235 consid 5.2 p. 248 ; 129 I 232 consid. 3.2 p. 236 ; Arrêts du Tribunal fédéral 1C_424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2 ; 2C.514/2009 du 25 mars 2010 consid. 3.1).

3. Le recourant sollicite l’audition de deux témoins susceptibles de contribuer à l'innocenter de l'accusation d'abus sexuels formulée par son ex-épouse datant du 23 avril 1998.

Ces témoignages ne peuvent toutefois se révéler pertinents pour l'issue du litige.

D'une part en effet, on ne saurait affirmer que les données contenues dans le dossier de police ne sont pas exactes. Les documents figurant au dossier de police au sujet de la P/4394/1998 n'affirment pas que le recourant est coupable des actes dont il a été accusé dans la plainte ; ils ne font que relater les investigations de la police, ou reprennent certains éléments de la procédure pénale. En l'espèce, le litige ne porte pas sur l'exactitude des données, mais sur leur pertinence ou leur nécessité.

D'autre part, il convient que la chambre de céans respecte les compétences qui lui sont attribuées de par la loi, notamment par l'art. 132 al. 1 LOJ. La détermination du bien-fondé d'une accusation en matière pénale est ainsi réservée aux juridictions pénales du fond ; une autre juridiction ne saurait du reste constater la culpabilité d'un justiciable sans violer du même coup la présomption d'innocence prévue aux art. 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et 32 al. 1 Cst. (A. KUHN/Y. JEANNERET [éd.], Code de procédure pénale suisse - Commentaire romand, Bâle 2011, § 13 ad art. 10 CPP et les références citées). Effectuer une instruction sur la culpabilité ou l'innocence du recourant contreviendrait ainsi à ces règles de compétence et, suivant l'issue de ladite instruction, à ce droit fondamental.

Les demandes d'audition de témoin formulées par le recourant seront ainsi rejetées.

4. Selon la jurisprudence, la personne au sujet de laquelle des informations ont été recueillies a en principe le droit de consulter les pièces consignant ces renseignements afin de pouvoir réclamer leur suppression ou leur modification, s'il y a lieu ; ce droit découle de l'art. 10 al. 2 Cst., qui garantit la liberté personnelle, et plus spécifiquement de l'art. 13 al. 2 Cst., qui protège le citoyen contre l'emploi abusif de données personnelles. La conservation de renseignements dans les dossiers de police porte en effet une atteinte au moins virtuelle à la personnalité de l'intéressé, car ces renseignements peuvent être utilisés ou consultés par les agents de la police, être pris en considération lors de demandes d'informations présentées par certaines autorités, voire être transmis à ces dernières (ATF 126 I 7 consid. 2a p. 10 et la jurisprudence citée ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.713/2006 du 19 décembre 2006 consid. 2).

5. a. La question de la conservation et de la destruction des données personnelles dans les dossiers de police est réglée en droit genevois dans la LCBVM. Cette loi autorise la police à organiser et à gérer des dossiers et fichiers pouvant contenir des renseignements personnels, en rapport avec l'exécution de ses tâches, en particulier en matière de répression des infractions ou de prévention des crimes et délits (art. 1 al. 1 et 2 LCBVM). La police ne peut conserver des renseignements personnels que pour le temps nécessaire à l'accomplissement de ses tâches (art. 1B LCBVM) et elle a l'obligation de rectifier ou de détruire ceux qui sont inexacts ou inadéquats (art. 1 al. 5 LCBVM). Ces dernières dispositions coïncident avec les exigences qui découlent de la garantie constitutionnelle de la liberté personnelle. En effet, des renseignements inexacts ne peuvent être retenus en aucun cas, faute d'intérêt public. En outre, dès le moment où des renseignements perdent toute utilité, leur conservation et l'atteinte que celle-ci porte à la personnalité ne se justifient plus ; ils doivent par conséquent être éliminés (Arrêts du Tribunal fédéral 1P.713/2006 du 19 décembre 2006 consid. 2 ; 1P.436/1989 du 12 janvier 1990 consid. 2b reproduit à la SJ 1990 p. 564 et les références citées).

b. Par ailleurs, selon l'art. 3A al. 1 LCBVM, à l’égard des données personnelles la concernant qui sont contenues dans les dossiers et fichiers de police, toute personne a le droit d’accès et les autres prétentions prévus par la LIPAD. L'al. 2 du même article prévoit néanmoins que les droits et prétentions visés à l’al. 1 peuvent être limités, suspendus ou refusés si un intérêt prépondérant public ou privé l’exige, en particulier l’exécution d’une peine, la prévention efficace des crimes et délits ou la sauvegarde d’intérêts légitimes de tiers.

c. Dans le cadre de la législation cantonale sur les données personnelles, les institutions publiques veillent, lors de tout traitement de données personnelles, à ce que ces dernières soient pertinentes et nécessaires à l'accomplissement de leurs tâches légales (art. 36 al. 1 let. a LIPAD). Sauf disposition légale contraire, toute personne concernée est en particulier en droit d’obtenir des institutions publiques, à propos des données la concernant, qu’elles détruisent celles qui ne sont pas pertinentes ou nécessaires (art. 47 al. 1 let. a LIPAD).

6. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a précisé les obligations des Etats parties en matière de radiation de données personnelles dans les dossiers de police. Le droit interne doit assurer que les données à caractère personnel sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu'elles sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire auxdites finalités (ACEDH Khelili c. Suisse du 18 octobre 2011, req. n° 16188/07, § 62 ; S. et Marper c. Royaume-Uni du 4 décembre 2008, req. n° 30562/04, § 103). Une mention figurant dans le dossier de police pendant dix-huit ans soulève un problème sérieux en raison du laps de temps très long (ACEDH Khelili précité, § 63). S'il peut enfin être conforme au principe de proportionnalité de conserver des données relatives à la vie privée d'une personne au motif que cette dernière pourrait récidiver, cela n'est possible qu'à raison de faits concrets et étayés (ACEDH Khelili précité, § 66).

7. S'agissant plus précisément de la pertinence et de la nécessité de conserver des données sur des procédures pénales passées n'ayant pas débouché sur une condamnation, il est vrai que le Tribunal fédéral a, en 2001, indiqué qu'en procédure pénale genevoise, un classement pouvait donner lieu à une reprise des poursuites, et ne pouvait dès lors être assimilé à un acquittement ou à une ordonnance de non-lieu (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.3/2001 du 28 mars 2001 consid. 3b).

8. Cet arrêt ne peut toutefois plus être suivi tel quel, en raison d'une part de la jurisprudence européenne précitée, plus récente, et d'autre part de l'entrée en vigueur du CPP. Ce dernier ne reprend pas la notion de non-lieu (A. KUHN/Y. JEANNERET [éd.], op. cit., n. 9 ad introduction aux art. 319-323 CPP). Par ailleurs, il confère au classement, lequel ne peut s'opérer qu'à des conditions strictes, une autorité de chose jugée équivalente à celle d'un acquittement (art. 320 al. 4 CPP ; A. KUHN/Y. JEANNERET, op. cit., n. 10 ad introduction aux art. 319-323 CPP), quand bien même une reprise des poursuites est possible aux conditions de l'art. 323 CPP. Il y a lieu de préciser que les ordonnances de classement rendues selon l'ancien droit de procédure cantonale acquièrent la force matérielle de chose jugée prévue par le nouveau droit (par le biais de l'art. 448 al. 2 CPP ; N. SCHMID, Übergangsrecht der Schweizerischen Strafprozessordnung, Zurich 2010, n. 210).

9. Dès lors, malgré le caractère certes pratique d'une différenciation nette entre classement d'une part et acquittement ou non-lieu d'autre part, un tel schématisme doit être abandonné au profit d'un examen plus global des circonstances de chaque espèce.

De ce point de vue, l'un des éléments les plus importants à prendre en compte par rapport à la finalité des données personnelles du dossier de police est la plus ou moins grande probabilité de reprise des poursuites.

En l'espèce, contrairement aux allégués des parties sur ce point, une reprise des poursuites n'est pas envisageable. En effet, l'art. 389 al. 1 CP étend le principe de la lex mitior (art. 2 CP) à la prescription, tant de l'action pénale que de la peine (voir aussi Arrêt du Tribunal fédéral 6B_67/2007 du 2 juin 2007 consid. 4.1). Or si le délai actuel de prescription relatif aux actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP) s'étend jusqu'à ce que la victime atteigne l'âge de 25 ans (art. 97 al. 2 CP), au moment de la dénonciation pénale, soit en 1998, le délai de prescription relative était de dix ans (art. 187 ch. 5 aCP, dans sa teneur en vigueur de 1997 à 2002), et le délai de prescription absolue de quinze ans (art. 72 ch. 2 aCP). Dans la mesure où aucun acte interruptif de prescription n'a eu lieu depuis l'ordonnance de la chambre d'accusation du 8 septembre 1999, la prescription de l'action pénale est intervenue au plus tard le 8 septembre 2009 ; ce qui constitue un obstacle absolu à une éventuelle reprise de la procédure pénale.

10. Dès lors, si l'on considère l'ensemble des circonstances d'espèce, à savoir le classement de la procédure il y a treize ans, sans inculpation et sur la base d'un rapport d'expertise, l'impossibilité de la reprise de poursuites pénales dans cette cause, et le fait que le recourant n'a aucun antécédent pénal, on doit admettre que les données relatives à la P/4394/1998 n'ont plus de pertinence dans le cadre du travail policier, et qu'il n'existe plus de nécessité de les conserver dans le dossier de police de l'intéressé. Une telle conclusion n'affecte de surcroît en rien la permanence du dossier judiciaire, qui demeure accessible aux autorités pénales.

11. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis.

12. Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- lui sera en revanche allouée, à charge de l'Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 juin 2011 par Monsieur X______ contre la décision de Madame le chef de la police du 20 mai 2011 ;

au fond :

l'admet ;

renvoie la cause à Madame le chef de la police afin qu'il soit procédé à la radiation des données contenues dans le dossier de police de Monsieur X______ et relatives à la procédure pénale P/4394/1998 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

condamne l'Etat de Genève à verser à Monsieur X______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.- ;

 

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Bayenet, avocat du recourant, au chef de la police, ainsi que, pour information, à la préposée à la protection des données et à la transparence.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

C. Derpich

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :