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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/610/2024

ATA/385/2024 du 19.03.2024 sur JTAPI/178/2024 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/610/2024-MC ATA/385/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 mars 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Géraldine VONMOOS, avocate

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er mars 2024 (JTAPI/178/2024)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______1976, est originaire de Guinée-Bissau et du Portugal.

b. Le 9 février 2024, il a été arrêté à Genève à la suite de quatre vols commis du 30 janvier au 9 février 2024 au préjudice de magasins à l'enseigne MIGROS (portant sur des montants de CHF 68.25, 299.75, 349.65 et 289.79), et ce alors qu'il était sous le coup d'une interdiction d'entrer dans lesdits magasins qui lui avait été notifiée le 30 novembre 2023, valable pour une durée de deux ans.

c. Le 10 février 2024, il a été condamné par le Ministère public pour vol (art. 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0), violation de domicile, vol d'importance mineure et infraction à l'art. 115 al. 1 let. a et 3 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

d. Le même jour, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de A______ une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois, mesure à laquelle celui-ci s’est opposé.

e. Le 22 février 2024, A______ a été interpellé par les services de police au niveau des arrivées de l’aéroport de Genève alors qu’il dormait au sol, démuni de document d’identité. Il a notamment été prévenu d'infraction à l'art. 119 LEI.

Il ressort du procès-verbal d’audition du même jour que l’intéressé avait reconnu faire l’objet d’une mesure d’interdiction de pénétrer sur le territoire genevois. Il pensait toutefois qu’il avait dix jours pour faire recours et n’avait pas compris qu’il devait quitter Genève dans les 24 heures. Il avait perdu sa carte d’identité portugaise en janvier 2024 et était démuni d’argent. Il était arrivé à Genève en provenance de Lisbonne le 9 août 2023. Il n’avait aucun lien particulier avec la Suisse et était d’accord de rentrer au Portugal. Toute sa famille résidait en Guinée.

f. Lors de l'audience qui s’est tenue le 22 février 2024 devant le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), A______ ne s’est pas présenté. Son conseil a expliqué n’avoir pas réussi à le contacter et n'avoir aucun numéro pour le faire. Elle lui avait laissé son numéro de téléphone portable sur la convocation en espérant qu'il la contacte. Le rapport d'arrestation du 22 février 2024 lui avait été transmis et elle avait pu constater que A______ avait l'intention de retourner au Portugal. Elle s’en rapportait à justice sur le principe de l'interdiction de pénétrer en cause mais concluait à la réduction de sa durée, douze mois apparaissant disproportionnés au vu des faits reprochés à son client qui n'était pas un dealer et qui avait uniquement volé pour se nourrir. Dans son opposition à l'ordonnance pénale du 10 février 2024, A______ avait contesté l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition.

g. Par jugement du 1er mars 2024, le TAPI a rejeté l'opposition.

A______ avait été condamné notamment pour vol, soit un crime au sens de l’art. 10 al. 2 CP. Si cette ordonnance avait été frappée d'opposition, les éléments figurant au dossier suffisaient toutefois à fonder des soupçons concrets, l’intéressé ayant reconnu la violation de domicile et l’un des vols qui lui étaient reprochés lors de son audition par la police. Le 22 février 2024, il n’avait par ailleurs pas respecté la mesure d’interdiction de périmètre prononcée à son encontre. Il pouvait dès lors effectivement être perçu comme une menace pour l'ordre et la sécurité publics et il apparaissait clairement, notamment eu égard à sa situation économique précaire, qu'il pourrait encore commettre des infractions de même nature que celles pour lesquelles il avait été condamné s'il était autorisé à continuer à pouvoir se rendre à Genève. Les conditions d'une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée étaient donc remplies.

L’intéressé n’avait pas même pris la peine de venir à l’audience devant le TAPI afin d’apporter des explications complémentaires à son opposition. Il ressortait du dossier qu’il n’avait aucune attache attestée avec le canton de Genève et qu’il n’y disposait pas d’un lieu de séjour ni de moyens de subsistance. Dans ces conditions, tant le périmètre que la durée de la mesure, fixée à douze mois par le commissaire de police dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, apparaissaient proportionnés au regard des circonstances et des intérêts en présence.

B. a. Par acte du 11 mars 2024, A______ a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation et à la réduction de la durée de l'interdiction de pénétrer en question à une durée de six mois.

Il ne contestait pas la mesure dans son principe. Toutefois, au regard des infractions d'importance mineure qu'on lui reprochait et de la jurisprudence de la chambre de céans, la durée de douze mois n'était pas adéquate en terme de proportionnalité. Une mesure moins longue, de six mois, apparaissait tout aussi propre à le dissuader de commettre une activité coupable puisqu'il n'était pas récidiviste.

b. Le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

Le recourant avait été reconnu coupable d'avoir, en onze jours, commis pas moins de trois vols d'importance mineure et un vol selon l'art. 139 CP, au détriment de la MIGROS. Il avait été condamné par le Ministère public, entre autres, pour infractions aux art. 139 et 186 CP, infractions constitutives de crime et de délit, de sorte que lesdites infractions ne pouvaient en aucun cas être considérées comme étant de « peu d'importance ». Il avait par ailleurs agi à pas moins de quatre occasions en moins de deux semaines, ce qui dénotait une intensité certaine dans ses activités illégales et préjudiciables à autrui. Son comportement – violations réitérées de la prohibition signifiée par MIGROS et violation de la décision querellée même pas deux semaines après son prononcé – démontrait qu'il se moquait des instructions qui lui étaient données et violait les dispositions de police des étrangers.

Au surplus, au regard de la pratique des autres cantons en la matière – les autorités biennoises, bernoises et zurichoises prononçaient des interdictions de pénétrer dans leur canton respectif pour une durée de deux ans à l'endroit d'étrangers ayant commis des vols et n'ayant pas d'antécédent, voire n'ayant pas commis d'autre infraction qu'être en situation de séjour illégal -, il s'avérait que la mise en œuvre par le commissaire de police de l'art. 74 LEI était des plus modérées et ne pouvait en aucune façon être considérée comme disproportionnée.

c. Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 11 mars 2024 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Est litigieuse la durée de l’interdiction territoriale, d'une durée de douze mois.

3.1    Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants et à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1). D'autres comportements permettent néanmoins aussi de retenir un trouble ou une menace de la sécurité et de l'ordre publics. On peut songer à la commission de vols et d'autres larcins (réitérés), même de peu d'importance du point de vue du droit pénal, à la mendicité organisée ou aux « jeux » de bonneteau sur la voie publique, qu'ils soient ou non pénalisés, à des contacts que l'étranger entretiendrait avec des groupes d'extrémistes politiques, religieux ou autres, à la violation grave et répétitive de prescriptions et d'injonctions découlant du droit des étrangers, notamment le fait d'avoir passé outre à une assignation antérieure ou de tenter de saboter activement les efforts entrepris par les autorités en vue d'organiser le renvoi de l'étranger (Grégor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 20 ad art. 74 p. 735 et les arrêts cités).

Une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présuppose pas une condamnation pénale de l’intéressé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 précité consid. 3.3 ; 2C_123/2021 du 5 mars 2021).

3.2    La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. Il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

3.3    La chambre administrative a confirmé une interdiction territoriale de neuf mois dans le canton de Genève à l’encontre d’une roumaine sans antécédents mais qui avait été condamnée pour plusieurs infractions, dont un vol. Son appartenance à un État partie à l’ALCP ne lui octroyait par ailleurs pas ex lege une autorisation de séjour et n’excluait pas par principe le prononcé d’une mesure de l’art. 74 LEI (ATA/871/2021 du 27 août 2021).

Elle a confirmé l’interdiction de tout le territoire du canton pour une durée de douze mois pour une personne vivant illégalement en Suisse depuis trente ans, initialement assignée au canton de Vaud dans le cadre d’une procédure d’asile, qui faisait valoir une relation avec son amie à Genève et des projets de mariage, qui était sans domicile fixe et avait récemment à nouveau commis un vol, précisant qu’il ne formait pas de communauté conjugale et pourrait voir son amie dans un autre canton (ATA/1236/2021 du 16 novembre 2021).

Tout récemment, elle a encore confirmé une mesure prise pour douze mois en raison du vol de deux parfums, pour un montant total de CHF 330.80, au préjudice de la COOP, ce comportement étant constitutif d’un crime (art. 10 al. 2 CP), relevant qu'en poursuivant un séjour illégal en Suisse et en s’en prenant au patrimoine d’autrui, le recourant était une menace pour la sécurité et l’ordre publics et rappelant qu'une durée inférieure à six mois n'était guère efficace (ATA/1319/2023 du 8 décembre 2023).

3.4    En l’espèce, il n’est pas contesté que les conditions permettant le prononcé d’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève sont remplies.

Seule est litigieuse la durée de cette mesure. À cet égard, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.

Le recourant n’a aucun emploi, ni titre de séjour en Suisse, ni de lien avéré avec ce pays ou même avec le canton de Genève. Il ne dispose pas de moyens de subsistance. Il n'a pas allégué une nécessité de se rendre à Genève. Lors de son audition par la police le 22 février 2024, il a au contraire déclaré être d’accord de retourner au Portugal.

Depuis son arrivée à Genève, il a commis plusieurs vols, dont quatre en l'espace de onze jours (du 30 janvier au 9 février 2024), sans respecter l'interdiction qui lui avait été signifiée par MIGROS le 30 novembre 2023. Par ailleurs, le 22 février 2024, il a été interpellé par les services de police à Genève et a ainsi violé la mesure d’interdiction de périmètre prononcée à son encontre le 10 février 2024. Par son comportement, le recourant montre ainsi faire fi des décisions prises à son encontre. L’interdiction de périmètre ne comporte qu’une atteinte à la liberté personnelle relativement légère. Il n’y a dès lors pas lieu de la réduire en l’espèce, à peine de la priver de son effet dissuasif, étant rappelé qu’une durée de six mois a été considérée par le Tribunal fédéral comme un minimum (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2).

Au vu de l’ensemble de ces circonstances, le commissaire n’a pas abusé du large pouvoir d’appréciation qui est le sien en considérant qu’une durée de douze mois était nécessaire pour préserver la sécurité et la santé publiques, apte à atteindre ledit but et proportionnée au sens étroit, même s'il s'agit d'une première mesure. Cette mesure est de surcroît de nature à inciter le recourant, qui est dépourvu de titre de séjour, à se conformer à son obligation de quitter la Suisse.

Il découle de ce qui précède que le recours, entièrement mal fondé, doit être rejeté.

3.5    La procédure étant gratuite (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mars 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er mars 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Géraldine VONMOOS, avocate du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :