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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3503/2023

ATA/344/2024 du 05.03.2024 sur JTAPI/1385/2023 ( ICC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3503/2023-ICC ATA/344/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 mars 2024

4ème section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Me Antoine BERTHOUD, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 décembre 2023 (JTAPI/1385/2023)


EN FAIT

A. a. Le 1er septembre 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a rejeté la réclamation de A______ SA concernant les années fiscales 2010 à 2015.

b. Le 25 octobre 2023, sous la plume de son mandataire, la contribuable a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision sur réclamation.

c. Le 27 octobre 2023, par pli recommandé, le TAPI a imparti à la contribuable un délai échéant le 27 novembre 2023 pour procéder au paiement d’une avance de frais de CHF 700.-, sous peine d’irrecevabilité. L’invitation au paiement contenait un bulletin de versement avec QR Code mentionnant un numéro de référence « 1______» ainsi qu’une rubrique « informations additionnelles » comportant un numéro « 2______ » lequel était repris de l’intitulé de l’invitation au paiement.

L’envoi recommandé a été distribué au mandataire de la contribuable le 30 octobre 2023, selon le système du suivi des envois mis en place par la Poste « Track & Trace ».

d. L’avance de frais n’a pas été effectuée dans le délai imparti.

e. Par jugement du 13 décembre 2023, le TAPI a déclaré le recours irrecevable.

L’envoi avait été correctement acheminé par courrier recommandé à l’adresse du conseil de la contribuable identique à celle indiquée dans l’acte de recours et avait été reçue le 30 octobre 2023. Rien ne permettait de retenir que la contribuable avait été victime d’un empêchement non fautif de s’acquitter en temps utile du montant réclamé.

B. a. Par envoi mis à la poste le 21 décembre 2023, la contribuable a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant à son annulation et au renvoi de la cause au TAPI pour qu’il procède à l’examen sur le fond du recours.

Il joignait l’ordre de paiement de CHF 700.- et l’avis de débit de sa banque daté du 6 novembre 2023. Une de ses collaboratrices administratives avait saisi le paiement manuellement sur le système d’e-banking de B______ le 1er novembre 2023, n’ayant pas le matériel nécessaire ce jour-là pour saisir le code QR. Elle avait été interrompue par un appel téléphonique et ne s’était pas aperçue que le numéro de référence était erroné.

Après investigation du mandataire, postérieurement à la réception du jugement, il était apparu que le montant avait été attribué à l’office cantonal des poursuites en raison du numéro de référence saisi, qui l’avait remboursé le 13 novembre 2023 à Me C______, avocat qui n’était jamais intervenu dans le cadre de la présente procédure. Me C______ avait ensuite reversé ce montant sur le compte du Pouvoir judiciaire en utilisant les références de la facture QR destinée à l’avance de frais du TAPI le 19 décembre 2023.

Le cas de saisie erronée d’un numéro de référence d’un paiement avait déjà été considéré par la jurisprudence comme un cas de force majeure permettant de conclure à un empêchement sans faute de verser l’avance de frais dans le délai fixé.

b. Le TAPI a renoncé à formuler des observations.

c. Le 8 janvier 2024, l’AFC-GE s’en est rapportée à justice.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Il ressort des pièces du dossier que l’ordre de paiement et l’avis de débit de la banque mentionnent comme destinataire : « ETAT DE GENEVE, PJ-CCRA » et un numéro d’IBAN ainsi qu’un numéro « 2______ » sous la rubrique « informations additionnelles » qui correspondent aux mentions figurant sur la facture du TAPI. En revanche, le numéro de référence figurant sur l’ordre de paiement « 3______ » est différent de celui figurant sur l’invitation au paiement.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             En vertu de l'art. 86 LPA, la juridiction invite le recourant à faire une avance ou à fournir des sûretés destinées à couvrir les frais de procédure et les émoluments présumables ; elle fixe à cet effet un délai suffisant (al. 1). Si l'avance n'est pas faite dans le délai imparti, la juridiction déclare le recours irrecevable (al. 2).

2.1 Le moment déterminant pour constater l'observation ou l'inobservation du délai est celui auquel la somme a été versée en faveur de l'autorité à la Poste suisse (que ce soit au guichet d'un bureau de poste ou lors d'un transfert depuis l'étranger) ou celui auquel l'ordre de paiement en faveur de l'autorité a été débité du compte postal ou bancaire du recourant ou de son mandataire (ATF 139 III 364 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_884/2017 du 22 février 2018 consid. 3.1.1 et les arrêts cités ; ATA/1170/2019 du 19 juillet 2019 consid. 3b).

2.2 La jurisprudence a tiré de l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et de l’obligation d’agir de bonne foi à l’égard des justiciables (art. 5 et 9 Cst.) le principe de l’interdiction du déni de justice formel, qui comprend la prohibition de tout formalisme excessif. Un tel formalisme existe lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique sans raison objective la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 142 V 152 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_254/2016 du 9 mai 2016 consid. 5.2).

2.3 L'excès de formalisme peut résider soit dans la règle de comportement imposée au justiciable, soit dans la sanction qui lui est attachée (ATF 132 I 249 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_382/2015 du 21 mai 2015 consid. 5.1 ; ATA/49/2017 du 24 janvier 2017). Ainsi en va-t-il lorsque la violation d’une règle de forme de peu d’importance entraîne une sanction grave et disproportionnée, telle par exemple une décision d’irrecevabilité (ATF 133 V 402 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_328/2014 du 8 mai 2014 consid. 4.1 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3eéd., 2011, p. 261 n. 2.2.4.6 et les références citées).

2.4 De manière générale, la sanction du non-respect d'un délai de procédure n'est pas constitutive de formalisme excessif, une stricte application des règles relatives aux délais étant justifiée par des motifs d'égalité de traitement et par un intérêt public lié à une bonne administration de la justice et à la sécurité du droit (ATF 142 V 152 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_6/2016 du 1er juin 2017 consid. 3.2 ; ATA/564/2012 du 21 août 2012). De jurisprudence constante, la sanction de l’irrecevabilité du recours pour défaut de paiement à temps de l’avance de frais ne procède pas d’un excès de formalisme ou d’un déni de justice, pour autant que les parties aient été averties de façon appropriée du montant à verser, du délai imparti pour le versement et des conséquences de l’inobservation de ce délai (ATF 104 Ia 105 consid. 5 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_734/2012 du 25 mars 2013 consid. 3.1 ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 1002 ad art. 86 LPA).

2.5 Le but de l'avance de frais est de garantir le paiement des frais de justice présumés ; il est donc arbitraire de ne pas tenir compte d'un versement fait à temps, mais à une autre autorité judiciaire que celle prévue par la loi, si cette autorité devait rectifier d'office cette erreur ou s'il était d'usage qu'elle le fît (ATF 101 Ia 112 consid. 5a ; 96 I 318 ; ATA/486/2022 du 10 mai 2022 consid. 6a).

La chambre de céans a ainsi retenu que le refus d’entrer en matière sur un recours pour défaut de paiement de l’avance de frais consacrait un formalisme excessif dans une instance où une avance de frais avait été débitée du compte du recourant avant l’échéance du délai de paiement fixé par le TAPI, crédité sur le compte IBAN également avant l’échéance dudit délai mais avec une référence QR erronée mais avec le numéro de la cause et du domaine concerné, la date du recours ainsi que la mention « avance de frais », le nom du recourant ressortant clairement de l’avis de crédit (ATA/1261/2023 du 6 février 2023).

2.6 En l’espèce, l’avance de frais a été débitée du compte de la recourante dans le délai fixé par le TAPI et reçue par la trésorerie générale de l’État de Genève dans ce délai également, selon les échanges de courriels entre le mandataire de la recourante, les services financiers du Pouvoir judiciaire et l’État de Genève produits. Le numéro de référence saisi correspondant à l’office des poursuites, le montant lui a été attribué par la trésorerie générale puis restitué au mandataire concerné par l’office des poursuites dont la référence QR avait été saisie par erreur.

Malgré l’erreur dans l’indication de la référence QR, le paiement indiquait l’IBAN du compte sur lequel l’avance de frais devait être versée selon l’invitation au paiement faite par le TAPI. Il contenait également l’indication du destinataire sous la dénomination donnée par le TAPI : État de Genève, PJ-CCRA et la recourante figurait sous sa raison sociale, telle qu’elle apparaît dans l’invitation au paiement. De plus, le numéro de l’invitation au paiement qui figure également sous la rubrique : informations additionnelles est correct. Il apparaît d’ailleurs dans l’écriture de crédit faite par la trésorerie générale en plus du numéro de référence.

Il appert ainsi que l’erreur de saisie a eu pour conséquence d’acheminer le montant de l’avance de frais, payée dans les premiers jours du délai par la recourante, à un office de l’État de Genève, le numéro de référence erroné correspondant à une facture existante. Sans ces circonstances particulières, indépendantes de la recourante – laquelle a certes commis une erreur regrettable dans la saisie d’un numéro de référence –, le montant aurait été retourné à la recourante qui aurait pu procéder à la rectification, ou bien aurait été acheminé aux services financiers du Pouvoir judiciaire comme mentionné sur l’ordre de paiement et, compte tenu du numéro de l’invitation au paiement figurant également sur celui-là, aurait été reçu par le TAPI.

En conséquence, compte tenu de la jurisprudence en la matière, rappelée ci-dessus, et dans les circonstances particulières du cas d’espèce, ce serait faire preuve de formalisme excessif que de ne pas entrer en matière pour défaut de paiement de l’avance de frais.

Le recours sera donc admis, le jugement annulé et la cause renvoyée au TAPI afin qu’il examine les autres conditions de recevabilité du recours et le cas échéant le fond de celui-ci.

3.             Vu l’issue du recours, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 1 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 décembre 2023 par A______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 décembre 2023 ;

au fond :

l’admet

annule le jugement précité ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance au sens des considérants :

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à A______ SA à la charge de l’État de Genève (Pouvoir judiciaire) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Antoine BERTHOUD, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :