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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3719/2023

ATA/266/2024 du 27.02.2024 ( TAXE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3719/2023-TAXE ATA/266/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

SERVICE DE LA TAXE D'EXEMPTION DE L'OBLIGATION DE SERVIR

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimés




EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1984, a été naturalisé en 2007.

b. Il a été exempté de son obligation de servir pour raisons médicales. Il a payé la taxe d’exemption militaire (ci-après : TEO) de 2008 à 2014, jusqu’à ses 30 ans.

c. À la suite de la modification de la réglementation, le service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir (ci-après : STEO) lui a fait parvenir un bordereau de taxation provisoire pour la TEO 2018.

Ce bordereau a été annulé le 31 août 2023, à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2021 du 4 mai 2022.

d. Les 31 août, 29 septembre et 27 octobre 2023, des bordereaux de taxation de la TEO 2019, 2020 et 2021 lui ont été notifiés. Le premier retenait un revenu de CHF 148'900.-, le second un revenu de CHF 256'200.- et le dernier un revenu de CHF 332'600.-.

e. A______ a formé réclamation contre chacune de ces décisions.

f. Par deux décisions séparées du 13 octobre et une autre du 11 décembre 2023, le STEO a rejeté les réclamations.

La nouvelle loi fédérale sur la taxe d'exemption de l'obligation de servir du 12 juin 1959 (LTEO - RS 661), entrée en vigueur le 1er janvier 2019, s'appliquait également aux citoyens naturalisés comme l'avait confirmé le Tribunal fédéral dans son arrêt du 4 mai 2022. L'assujettissement à la taxe prenait naissance, au plus tôt, au début de l'année au cours de laquelle l'homme atteignait l'âge de 19 ans et s'éteignait, au plus tard, à la fin de l'année au cours de laquelle il atteignait l'âge de 37 ans. Durant cette période, les assujettis qui n'étaient ni incorporés dans une formation de l'armée ni astreints au service civil, devaient acquitter onze taxes d'exemption ce qui, comme sous l'ancien droit, correspondait à onze années (soit à compter de l'année des 20 ans jusqu'à l'année des 30 ans). La nouvelle LTEO ne créait donc pas de nouvelles obligations, ni de nouvelles charges, car il s'agissait des mêmes obligations, à savoir le paiement de onze taxes. Elles étaient désormais réparties différemment dans le temps en raison de la flexibilité dans l'établissement des années de service.

L’intéressé avait été naturalisé en 2007, soit l'année de ses 23 ans. Il n'avait pas effectué de service militaire ou de service de remplacement (service civil) durant les années 2019, 2020 et 2021. Son assujettissement à la TEO était donc maintenu.

B. a. Par actes des 9 novembre et 29 décembre 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre les décisions sur réclamation, concluant à leur annulation et au constat que ses obligations de verser la TEO avaient pris fin en 2014.

Sous l'ancien droit, l'obligation de payer la TEO s'éteignait à l'âge de 30 ans. Ayant eu 30 ans en 2014, il n'avait plus été assujetti dès cette année-là. La nouvelle loi faisait « revivre » une obligation qui avait pris fin. Le principe de non-rétroactivité était donc violé. Les conditions d'une rétroactivité proprement dite n'étaient pas réalisées. Le principe de la bonne foi avait été violé, la confiance qu’il avait placée dans la réglementation avait été déçue. Le principe de l’égalité de traitement en matière fiscale n’avait pas été respecté. Enfin, la nouvelle loi ne respectait pas les droits acquis, à savoir que lorsqu'il avait eu 30 ans, il était exempté du paiement de la TEO sous l'ancienne loi.

b. Les recours ont été enregistrés sous les n° de cause A/3719/2023, A/3740/2023 et A/4301/2023.

c. L’AFC-CH ainsi que le STEO ont conclu au rejet des recours.

d. Invité par la chambre administrative à se déterminer après le prononcé de l’arrêt 9C_648/2022 du Tribunal fédéral du 9 janvier 2024, le recourant a maintenu son recours, en demandant la suspension jusqu’à droit jugé dans la cause 9C_978/2022 pendante devant le Tribunal fédéral. Il soulignait qu’il faisait partie d’une minorité de personnes qui avaient été discriminées par l’application arbitraire de la LTEO.

Sur ce, les parties ont été informées que les causes étaient gardées à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Les procédures A/3719/2023, A/3720/2023 et A/4301/2023 concernent trois recours émanant du même administré, contre trois décisions du même service de l'AFC-GE pour une problématique concernant son assujettissement à la TEO, pour trois années différentes. De plus, les questions juridiques posées sont identiques.

Il se justifie ainsi de joindre les causes précitées sous le numéro A/3719/2023, en application de l'art. 70 al. 1 LPA.

3.             Le recourant demande la suspension de la procédure dans l'attente de l’arrêt du Tribunal fédéral dans la cause 9C_707/2022 (anciennement inscrite sous les numéros de causes 2C_978/2022), qui porte sur des questions similaires.

Le Tribunal fédéral ayant rendu son arrêt dans la cause mentionnée le 25 janvier 2024, il n’y a pas lieu de suspendre le présent litige. L’arrêt en question se réfère à l’arrêt de principe 9C_648/2022 du Tribunal fédéral du 9 janvier 2024, dont il reprend les considérants.

4.             Le litige porte sur la conformité au droit des décisions prononçant l'assujettissement du recourant à la TEO pour les années 2019, 2020 et 2021.

4.1 Tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire (art. 59 al. 1 Cst. ; art. 2 al. 1 LAAM). L'obligation générale du service militaire pour les hommes concrétise le principe de l'armée « de milice ». Elle trouve son fondement dans la considération politique selon laquelle le fardeau du service militaire doit être réparti si possible d'égale façon, de manière à ce que l'intérêt général pour la chose militaire soit ancré dans le sentiment populaire. Elle n'est pas absolue et sans restriction, mais relative. Il appartient à la législation et à la jurisprudence de définir plus précisément la notion d'obligation de servir. La loi peut en outre prévoir des exceptions, qui doivent toutefois respecter le principe de l'égalité devant la loi (Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale [ci-après : Message 1996], FF 1997 I 1ss, p. 242-243).

4.2 La révision de la LAAM, entrée en vigueur le 1er janvier 2018, a prévu que l'obligation de servir dans l'armée s'éteint pour les militaires de la troupe et les sous‑officiers à la fin de la 12e année après l'achèvement de l'école de recrues (art. 13 al. 1 let. a LAAM). Les personnes astreintes au service militaire accomplissent l'école de recrues au plus tôt au début de l'année au cours de laquelle elles atteignent l'âge de 19 ans et au plus tard pendant l'année au cours de laquelle elles atteignent l'âge de 25 ans. Le moment est déterminé par les besoins de l'armée. Les souhaits des conscrits sont pris en compte dans la mesure du possible (art. 49 al. 1 LAAM). Les conscrits qui n'ont pas accompli l'école de recrues à la fin de l'année au cours de laquelle ils atteignent l'âge de 25 ans sont libérés de l'obligation d'accomplir le service militaire (art. 49 al. 2 LAAM). Les personnes astreintes au service militaire accomplissent des cours de répétition chaque année (art. 51 al. 1 1re phr. LAAM).

4.3 Selon l’art. 7 LAAM, non modifié au 1er janvier 2018, intitulé « conscription » et figurant sous le chapitre « définition des obligations militaires », les personnes astreintes au service militaire sont enrôlées au début de l’année au cours de laquelle elles atteignent l’âge de 18 ans (al. 1). Elles s’annoncent aux autorités militaires compétentes pour être inscrites aux rôles militaires et fournir les données visées à l’art. 27 LAAM. L’obligation de s’annoncer s’éteint à la fin de l’année au cours de laquelle elles atteignent l’âge de 29 ans (al. 2). L’art. 27 al. 1 LAAM, également non modifié au 1er janvier 2018, impose l’obligation aux conscrits et personnes astreintes au service militaire de communiquer spontanément au commandant d’arrondissement de leur canton de domicile certaines données personnelles les concernant.

4.4 Selon l’art. 9 LAAM, modifié le 1er janvier 2018, les conscrits passent le recrutement au plus tôt au début de leur 19e année et au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle ils atteignent l’âge de 24 ans (al. 2). Le Conseil fédéral peut prévoir un recrutement ultérieur si les services d’instruction obligatoires (art. 42 LAAM) peuvent encore être accomplis dans les limites d’âge visées à l’art. 13 LAAM. Le recrutement ultérieur est soumis au consentement des personnes concernées (al. 3).

4.5 Les personnes astreintes au service militaire qui ne peuvent concilier ce service avec leur conscience accomplissent sur demande un service civil de remplacement (service civil) d’une durée supérieure au sens de la présente loi (art. 1 de la loi fédérale sur le service civil du 6 octobre 1995 - LSC - RS 824.0). L’astreinte au service civil commence dès que la décision d’admission au service civil entre en force. L’obligation de servir dans l’armée s’éteint simultanément (art. 10 al. 1 LSC). L’astreinte au service civil prend fin dès l’instant où la personne astreinte est libérée ou exclue du service civil (art. 11 al. 1 LSC). La libération du service civil a lieu pour les personnes qui n’étaient pas incorporées dans l’armée, 12 ans après le début de l’année suivant l’entrée en force de la décision d’admission (art. 11 al. 2 let. a LSC). Tout homme astreint au service civil qui ne remplit pas, ou ne remplit qu’en partie, ses obligations sous forme de service personnel, doit fournir une compensation pécuniaire (art. 15 al. 1 LSC).

4.6 Celui qui n'accomplit pas son service militaire ou son service de remplacement doit s'acquitter d'une taxe (art. 59 al. 3 1re phr. Cst.). Ce principe est rappelé à l'art. 1 LTEO, selon lequel les citoyens suisses qui n'accomplissent pas ou n'accomplissent qu'en partie leurs obligations de servir sous forme de service personnel (service militaire ou service civil) doivent fournir une compensation pécuniaire.

4.7 Le service militaire comprend les services prévus par la législation militaire (art. 7 al. 1 LTEO). En font partie les services d'instruction, qui comprennent notamment l'école de recrues (art. 12 let. a, 41 al. 1 et 49 LAAM). Le service civil comprend les jours de service pris en compte conformément à la LSC (art. 7 al. 1bis LTEO). Le service militaire est réputé non effectué lorsque l'homme astreint au service militaire n'a pas accompli un service entier au cours de l'une des années qui suivent celle au cours de laquelle il a effectué l'école de recrues (art. 8 al. 1 LTEO). Le service civil est, quant à lui, réputé non effectué lorsque l'homme astreint n'a pas accompli au moins 26 jours de service imputables au cours de l'une des années qui suivent celle au cours de laquelle la décision d'admission est entrée en force (art. 8 al. 2 LTEO). Par ailleurs, si les conditions de l'assujettissement à la taxe sont remplies au cours de l'année d'assujettissement, ce dernier subsiste pour l'année entière (art. 9 LTEO).

4.8 La taxe prévue à l'art. 59 al. 3 Cst. est le corollaire du non-accomplissement de l'obligation de servir personnelle. Elle présuppose une obligation de servir. C'est le service militaire ou civil non accompli qui provoque l'obligation de verser la taxe d'exemption. Les citoyens suisses qui n'accomplissent pas ou qui n'accomplissent que partiellement leur service personnel doivent acquitter une taxe d'exemption, réserve faite des exceptions admises par la loi (Message 1996, FF 1997 I 1ss, p. 242‑243). Celle-ci est calculée sur les bases de l'impôt fédéral direct (ci‑après : IFD), étant entendu, d'une part, que le revenu imposable de l'assujetti à la taxe est déterminant, d'autre part, que l'année de taxation est celle qui suit l'année d'assujettissement, ce qui implique que la taxe est perçue en fonction du service militaire ou civil effectué l'année précédente (Message 2017, FF 2017 5837, p. 5840).

4.9 La taxe militaire a pour but d'éviter, parmi les personnes soumises aux obligations militaires, les inégalités criantes entre celles qui effectuent un service et celles qui n'en font pas. Elle constitue à ce titre une contribution de remplacement. Le militaire qui est dispensé d'un service en tire normalement un avantage par rapport aux autres astreints de sa classe d'âge. La perception d'une taxe doit compenser cet avantage, sous la forme d'une prestation financière (ATA/1094/2022 du 1er novembre 2022 consid. 3d). Le rapport entre le service militaire et l'obligation de s'acquitter d'une taxe d'exemption de celui-ci est purement formel. Celui qui est astreint au service militaire doit payer une taxe parce que et aussi longtemps que, pour une raison quelconque, il ne peut accomplir ce service. Le paiement de la taxe n'est toutefois nullement comparable au service militaire et ne peut être raisonnablement tenu pour l'accomplissement, sous une autre forme, de celui-ci. La taxe d'exemption est imposée pour des motifs d'équité et d'égalité devant la loi. Tels sont son sens et son but (ATF 118 IV consid. 3b = JdT 1994 IV 89 ; 115 IV 66 consid. 2b = JdT 1990 IV 70).

4.10 Sont assujettis à la taxe les hommes astreints au service qui sont domiciliés en Suisse ou à l'étranger et qui, au cours d'une année civile (année d'assujettissement) ne sont, pendant plus de six mois, ni incorporés dans une formation de l'armée ni astreints au service civil (art. 2 al. 1 let. a LTEO) et n'effectuent pas le service militaire ou le service civil qui leur incombent en tant qu'hommes astreints au service (art. 2 al. 1 let. c LTEO). La LTEO modifiée prévoit, comme jusqu’en 2018, que sont assujettis à la taxe les hommes astreints au service militaire ou au service civil qui sont libérés de l'obligation de servir sans avoir accompli la totalité des jours de service obligatoires (art. 2 al. 1bis LTEO). L'assujettissement à la taxe commence au plus tôt au début de l'année au cours de laquelle l'homme astreint atteint l'âge de 19 ans. Il se termine au plus tard à la fin de l'année au cours de laquelle il atteint l'âge de 37 ans (art. 3 al. 1 LTEO). Il dure 11 ans (art. 3 al. 2 LTEO).

Conformément à une tradition ancienne, le citoyen suisse participe aux opérations de recrutement au cours de sa 19e année et accomplit son école de recrues l'année suivante (Message du Conseil fédéral du 13 septembre 1978 concernant la modification de la LTEO [ci-après : Message 1978], FF 1978 II 933, p. 941). Les hommes astreints au service militaire sont incorporés pendant douze ans au plus dans l'armée, année d'accomplissement de l'école de recrues non comprise, et effectuent leur service entre leur 19e et leur 37e année. Les hommes astreints au service civil accomplissent nouvellement leur service entre leur 20e et leur 37e année. La durée de l'assujettissement doit ainsi être modifiée de façon qu'elle s'étende de la 19e à la 37e année comprise. Durant cette période seront perçues onze taxes d'exemption au plus. Comme la période durant laquelle l'obligation de servir peut être accomplie s'étendra de la 19e à la 37e année comprise, il est garanti que les hommes recrutés seulement au cours de la 24e année par exemple et déclarés inaptes au service acquittent aussi les onze TEO prescrites (Message 2017, FF 2017 5837, p. 5843 à 5845).

4.11 L'un des objectifs poursuivis par la modification de la LTEO était d'harmoniser la durée du service militaire et du service civil introduite par les modifications des bases légales du « développement de l'armée » (ci-après : DEVA) à celle de l'assujettissement à la TEO. Ces modifications-là auraient une incidence sur la TEO un an après leur entrée en vigueur. La mise en œuvre du DEVA étant prévue à partir du 1er janvier 2018, l'entrée en vigueur de la modification de la LTEO devait ainsi intervenir le 1er janvier 2019. La taxation de la première année d'assujettissement 2018 aurait lieu l'année suivante. Les premières décisions de taxation selon la nouvelle législation seraient rendues au 1er mai 2019 (Message 2017, FF 2017 5837, p. 5840 s. et 5851-52).

Lors de l'examen de la modification de la LTEO au Conseil national, le rapporteur de la majorité de la commission chargée de l'examiner a souligné que celle-ci intervenait principalement en raison de la révision de la LAAM et de la LSC qui était intervenue dans le cadre du DEVA. Or, le DEVA devait entrer en vigueur le 1er janvier 2018 et commencer à concerner la TEO dès le 1er janvier 2019. Il y avait donc lieu de procéder rapidement à l'adaptation de la base légale. Une conseillère nationale a, à son tour, rappelé qu'avec l'entrée en vigueur des modifications apportées dans le cadre du DEVA, des adaptations de la LTEO étaient nécessaires (Conseil National, session d'hiver 2017, séance du 13 décembre 2017, Bulletin officiel de l'Assemblée fédérale 2017, p. 2108 ss, https://www.parlament.ch/centers/documents/de/01-NR_5011_1712.pdf). Il n'y a pas de divergences entre les Chambres fédérales sur ce point.

4.12 Lors de l’entrée en vigueur de la révision, l'al. 2 de l'art. 49 LTEO a été abrogé. Il prévoyait que « Le droit ancien continue à régir les taxes dues pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la présente loi et leur remboursement, ainsi que les peines et amendes encourues en raison d'une infraction commise avant cette entrée en vigueur ». Les dispositions transitoires prévoient que la TEO finale est perçue pour la première fois auprès des hommes astreints au service qui sont libérés de l'obligation de servir au cours de l'année qui suit celle où entre en vigueur la LTEO modifiée (al. 1). Sont régies par l'ancien droit les procédures de réclamation ou de recours qui sont pendantes au moment de l'entrée en vigueur de la présente modification (al. 2).

4.13 Est exonéré de la taxe quiconque, au cours de l'année d'assujettissement, a acquis ou perdu la nationalité suisse (art. 4 al. 1 let. e LTEO). Cette disposition n’a pas été modifiée le 1er janvier 2019. Les hommes qui ont acquis la nationalité suisse au cours de leur 19e année ou plus tard sont appelés au recrutement ordinaire ou complémentaire l'année de leur naturalisation si possible, mais n'entrent à l'école de recrues que l'année suivante. Le système de recrutement et d'appel ou la date de leur naturalisation fait qu'elles sont empêchées d'accomplir leur école de recrues durant l'année de la naturalisation. Pour ces motifs, il est équitable de renoncer d'une manière générale à la perception de la taxe pour l'année de l'acquisition de la nationalité suisse (Message 1978, FF 1978 II 933, p. 942).

4.14 Dans l'arrêt Glor c. Suisse du 30 avril 2009, la CourEDH a notamment jugé que, à la lumière du but et des effets de la taxe litigieuse, la différence opérée par les autorités suisses entre les personnes inaptes au service exemptées de ladite taxe et celles qui étaient néanmoins obligées de la verser était discriminatoire et violait l'art. 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) cum art. 8 CEDH. Le fait que le contribuable avait toujours affirmé être disposé à accomplir son service militaire, mais qu'il avait été déclaré inapte audit service par les autorités militaires compétentes, était essentiel. La discrimination résidait dans le fait que, contrairement à d'autres personnes qui souffraient d'un handicap plus grave, l'intéressé n'avait pas été exempté de la taxe litigieuse – son handicap n'étant pas assez important – et que, alors qu'il avait clairement exprimé sa volonté de servir, aucune possibilité alternative de service ne lui avait été proposée. La CourEDH a souligné l'absence, dans la législation suisse, de formes de service adaptées aux personnes se trouvant dans la situation du requérant (arrêt Glor, § 96 ; résumé in arrêt du Tribunal fédéral 2C_170/2016 du 23 décembre 2016 consid. 6.1).

Dans l’arrêt Ryser c. Suisse du 12 janvier 2021, la CourEDH a considéré que la similarité avec la cause Glor et l’absence de différences factuelles ne justifiaient pas de s’écarter du résultat concernant l’arrêt Glor. Elle prenait note des changements apportés à la législation à la suite de l’arrêt Glor, mais observait qu’ils étaient postérieurs aux faits pertinents de l’affaire Ryser et n’étaient, donc, pas applicables à ce dernier (arrêt Ryser précité § 61 et 62).

4.15 Dans un arrêt portant sur la taxe d’exemption 2018, le Tribunal fédéral a retenu que le recourant, âgé de 33/34 ans en 2018, qui n’était ni incorporé dans une formation de l’armée ni astreint au service civil, n’était, sous l’empire de l’ancien art. 3 LTEO, pas assujetti à la taxe d’exemption 2018, car il avait déjà atteint l’âge de 30 ans. En revanche, sous le (nouveau) régime de l’art. 3 al. 1 et 2 LTEO, il était assujetti à cette taxe, puisqu’en 2018 il n’avait pas encore atteint l’âge de 37 ans. En tant que la modification de la LTEO n’était entrée en vigueur que le 1er janvier 2019, son application à l’année d’assujettissement 2018 constituait un cas de rétroactivité proprement dite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2021 du 4 mai 2022 consid. 4.3 et 4.4). À défaut d’une base légale claire prévoyant expressément l’application rétroactive de la modification législative à l’année d’assujettissement 2018 était contraire au principe de non‑rétroactivité des lois (consid. 4.5).

4.16 Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a retenu que les principes précités ne s'appliquaient pas pour l'année d'assujettissement 2019. La modification de la LTEO était entrée en vigueur le 1er janvier 2019, de sorte que l’obligation imposée au contribuable se fondait sur des faits postérieurs à ladite modification. Il ne s’agissait dès lors pas d’un cas de rétroactivité proprement dite (ATA/1256/2022 du 13 décembre 2022 consid. 5a ; confirmé par arrêt 9C_94/2023 du Tribunal fédéral du 29 janvier 2024).

Dans un autre arrêt, il a été considéré que le fait d’avoir dépassé l’âge auquel un recrutement pouvait avoir lieu ne déliait pas les citoyens suisses, suisses de naissance ou naturalisés, de leurs obligations militaires. N'ayant pas demandé à accomplir le service militaire ou le service civil durant l'année 2019, l’intéressé restait soumis au paiement de la TEO. Une autre solution introduirait une inégalité de traitement injustifiée entre les citoyens suisses naturalisés, âgés au moment de leur naturalisation entre 24 ans et 36 ans, et les citoyens suisses (ou devenus suisses avant leurs 24 ans) du même âge (ATA/1094/2022 précité consid. 4, confirmé par arrêt 9C_707/2022 du Tribunal fédéral du 25 janvier 2024).

4.17 Pour les hommes servant dans la protection civile, la taxe d’exemption calculée selon la LTEO est réduite de 4% pour chaque jour accompli dans l’année d’assujettissement donnant droit à une solde selon l’art. 41 LPPCi (art. 5a al. 1 OTEO).

4.18 Sous le terme de droit acquis est désigné un ensemble assez hétérogène de droits des administrés envers l'État dont la caractéristique commune est qu'ils bénéficient d'une garantie particulière de stabilité. Des droits acquis peuvent être conférés par la loi lorsque celle-ci les qualifie comme tels ou lorsqu'elle garantit leur pérennité, soit si le législateur a promis dans la loi que celle-ci ne serait pas modifiée ou sera maintenue telle quelle pendant un certain temps (ATA/1259/2020 du 15 décembre 2020 consid. 6).

4.19 Un droit acquis peut être créé dans les mêmes conditions que par la loi par une décision individuelle. En tant que telle, la répétition de décisions successives de contenu identique n'en fait pas non plus de droits acquis. La catégorie la plus importante de droits acquis est constituée de ceux qui sont créés par un contrat entre l'État et les administrés. La stabilité particulière du droit est ici fondée sur le principe « pacta sunt servanda » (principe de la confiance ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., p. 266 et 267).

5.             En l'espèce, il convient de déterminer si le recourant était, en 2019, 2020 et 2021, astreint au service militaire. La TEO étant une taxe causale, de remplacement, elle ne saurait en effet être perçue en 2019, 2020 et 2021, si le recourant n’était alors plus astreint au service militaire ou civil.

Le recourant a été naturalisé en 2007, à l'âge de 23 ans. À l’âge de 30 ans, en 2014, il a cessé de payer la TEO, conformément au droit alors en vigueur.

Avec l’introduction de la LAAM révisée, le 1er janvier 2018, bien qu’âgé de 33 ans, étant né le 21 septembre 1984, il demeurait soumis à ses obligations militaires. En effet, celles-ci s’adressent à tout citoyen suisse astreint au service militaire. Avec la modification de la LAAM, la période durant laquelle ces obligations doivent être accomplies a été étendue jusqu’à l’âge de 37 ans. Selon le nouveau droit, l’âge pendant lequel les citoyens suisses sont astreints au service militaire s’étend de la 19e année à la 37e année, le recrutement pouvant avoir lieu au plus tôt au début de leur 19e année et au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle ils atteignent l’âge de 24 ans et prenant fin, au plus tôt, la 12e année après l’achèvement de l’école de recrues (art. 13 al. 1 let. a LAAM). Tout comme la situation ayant donné lieu à l'ATA/1094/2022 précité, le fait d’avoir dépassé l’âge auquel un recrutement peut avoir lieu ne délie pas ipso facto les citoyens suisses, suisses de naissance ou naturalisés, de leurs obligations militaires.

En 2019, 2020 et 2021, le recourant restait ainsi tenu à des obligations militaires Il était ainsi soumis à la TEO en application de la législation entrée en vigueur au 1er janvier 2019 (art. 3 LTEO). Le recourant pouvait, au demeurant, demander d’accomplir un service civil. Or, il ne l’a proposé ni en 2019, ni en 2020, ni encore en 2021. Le recourant ne peut pas non plus se prévaloir des arrêts rendus par la CourEDH dans la mesure où il ne soutient pas qu’il serait invalide et aurait été déclaré inapte au service. De plus, comme vu ci-dessus, il ne s'est pas montré actif pour effectuer un service militaire ou un service civil.

L'application de la nouvelle LTEO dès l'année 2019 et l'assujettissement du recourant à la TEO qui en découle pour cette année-là ne constituent pas une application rétroactive de la loi. En effet, les éléments de base déterminants servant de fondement à la TEO pour les années 2019, 2020 et 2021 se sont produits ou existaient cette année‑là, soit sous l'empire de la nouvelle loi: le recourant, alors âgé de 34 ans, n'était ni incorporé dans une formation de l'armée, ni soumis à l'obligation de servir dans le civil, ni n'accomplissait du service militaire ou civil. Le fait que, sous l'ancien droit, l'année 2014 constituait la dernière année de l'assujettissement, selon le recourant, à la TEO parce qu'il avait atteint l'âge de 30 ans cette année-là, et qu'il a été soumis à nouveau, en vertu du nouveau droit, à l'obligation de payer la taxe d'exemption de servir ne constitue pas une application rétroactive de la loi.

Par ailleurs, il ne découle pas des dispositions légales précitées que le législateur aurait conféré des droits acquis s'agissant de l'absence d'assujettissement à la TEO pour des situations telles que celle du recourant. Il ne ressort de plus pas du dossier qu’il aurait reçu des assurances de ne pas se voir assujetti à la TEO pour les années 2019 à 2021, étant rappelé que l'absence de taxation pour l'année 2018 résulte des principes dégagés par l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2021.

N’ayant pas accompli son obligation militaire sous forme de prestation personnelle en 2019, 2020 et 2021, le recourant reste ainsi tenu au paiement de la TEO pour ces années-là.

Comme relevé dans les ATA/1094/2022 et ATA/1056/2022 précités, une autre solution introduirait une inégalité de traitement injustifiée entre les citoyens suisses naturalisés, âgés au moment de leur naturalisation entre 24 ans et 36 ans, et les citoyens suisses (ou devenus suisses avant leurs 24 ans) du même âge.

L’assujettissement du recourant à la TEO 2019, 2020 et 2021 a donc été retenu à juste titre.

Le recourant ne conteste pas le montant des TEO 2019, 2020 et 2021. Celui-ci apparaît au demeurant conforme au droit, les taxes ayant été calculées sur les revenus nets totaux réalisés en Suisse et à l’étranger, l’année civile qui a suivi l’année d’assujettissement, sur la base de la décision de taxation définitive pour l’IFD, au taux de 3% (art. 11, 25 al. 2, 26 al. 2 et 13 al. 1 LTEO).

Au vu de ce qui précède, les décisions de taxation 2019 à 2021 sont conformes au droit. Les recours dirigés contre celles-ci sont donc infondés.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 600.- sera mis à la charge du recourant, et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA et 31 al. 2 et 2bis LTEO).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des causes nos A/3719/2023, A/4720/2023 et A/4301/2023 sous le n°A/3719/2023 ;

 

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 9 novembre et 29 décembre 2023 par A______ contre les décisions des 13 octobre et 11 décembre 2023 ;

au fond :

les rejette ;

met un émolument de CHF 600.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ au service de la taxe d'exemption de l'obligation de servir ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :