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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4274/2020

ATA/1056/2022 du 18.10.2022 ( TAXE ) , REJETE

Recours TF déposé le 05.12.2022, rendu le 01.01.2023, SANS OBJET, 9C_648/2022, 2C_995/2022
Recours TF déposé le 01.01.2023, 9C_648/2022, 2C_995/2022
Recours TF déposé le 01.01.2023, rendu le 09.01.2024, REJETE, 9C_648/2022, 2C_995/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4274/2020-TAXE ATA/1056/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 octobre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me David Raedler, avocat

contre

SERVICE DE LA TAXE D'EXEMPTION DE L'OBLIGATION DE SERVIR

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______1988, a été naturalisé le ______ 2017, à l’âge de 29 ans.

2) Il a été exonéré de la taxe d’exemption militaire (ci-après : TEO) en 2017 et s’est acquitté de celle pour 2018.

3) Par décision du 25 septembre 2020, il a été assujetti à la TEO pour 2019. Par décision du 24 novembre 2020, sa réclamation contre cette décision a été rejetée par le service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir (ci-après : STEO). La loi fédérale sur la taxe d'exemption de l'obligation de servir du 12 juin 1959 (LTEO - RS 661), modifiée avec effet au 1er janvier 2019, s’appliquait dès le 1er janvier 2018. Les personnes n’ayant pas payé ou terminé de payer les 11 TEO à l’âge de 30 ans devaient s’en acquitter jusqu’à l’âge de 37 ans.

4) Par acte expédié le 16 décembre 2020 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre cette décision.

Il s’est plaint de ce que, au moment de sa naturalisation, le droit en vigueur prévoyait un assujettissement à la TEO uniquement jusqu’à l’âge de 30 ans. Or, en 2019, il s’était retrouvé assujetti pour une obligation auparavant éteinte. En 2019, la possibilité d’accomplir le service militaire ne lui avait pas été donnée. Il demandait ainsi à ne pas être assujetti à ladite taxe pour 2019 et 2020.

Il joignait un avis de droit.

5) Le STEO a conclu au rejet du recours.

Né en 1988, le recourant était astreint à l’obligation de servir en 2019. N’ayant pas accompli cette obligation en 2019 ni versé onze TEO, il restait soumis au paiement d’une compensation militaire.

6) Le 14 avril 2021, le recourant a produit un complément d’avis de droit. Comme le précédent, celui-ci se fondait sur les arrêts Glor et Ryser c. Suisse rendus par la Cour européenne des droits de l’homme pour contester la légalité de la TEO, notamment au regard du principe de non rétroactivité des lois.

7) La question du respect du principe de la non-rétroactivité des lois ayant fait l’objet d’un arrêt de principe de la chambre administrative, contesté devant la Tribunal fédéral, la procédure a été suspendue le 18 mai 2021 d’accord entre les parties dans l’attente de l’arrêt à rendre dans la cause en question (2C_339/2021).

8) Par arrêt du 4 mai 2022, le Tribunal fédéral a retenu que le recourant qui, âgé de « 33/34 ans » en 2018, n’était alors ni incorporé dans une formation de l'armée ni astreint au service civil, était selon le nouvel art. 3 al. 1 et 2 LTEO assujetti à la TEO, puisqu'il n'avait pas encore atteint l'âge de 37 ans. Toutefois, à défaut d’une base légale claire prévoyant expressément l’application rétroactive de la modification législative de l’art. 3 al. 1 et 2 LTEO entrée en vigueur le 1er janvier 2019, l’assujettissement pour l’année 2018 prononcé en 2019 et fondé sur des faits relatifs à l'année 2018 était contraire au principe de non-rétroactivité des lois.

9) Se déterminant après réception de cet arrêt, le STEO a relevé que le présent litige portait sur l’année d’assujettissement 2019 et non 2018, comme cela était le cas dans l’arrêt précité. La révision entrée en vigueur en 2019 s’appliquait ainsi pleinement pour l’année d’assujettissement en question. Celle-ci avait modifié la répartition dans le temps de la possibilité d’accomplir le service militaire. Elle soumettait uniquement les hommes entre 31 ans et 37 ans qui n’avaient pas déjà payé onze TEO à s’en acquitter, peu importait qu’ils n’aient pas atteint ce nombre à l’âge de 37 ans.

10) L’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH), qui avait demandé à être invitée à s’exprimer dans le cadre du présent litige, a exposé qu’à la suite de la révision de la loi fédérale du 3 février 1995 sur l’armée et l’administration militaire (LAAM – RS 510.10), la limite d’âge de l’obligation de servir avait été déterminée, dès 2018, jusqu’à la 12ème année après l’accomplissement de l’école de recrue, école devant être accomplir avant l’âge de 25 ans révolu. Cela impliquait que la durée des obligations miliaires s’étendait jusqu’à l’âge de 37 ans.

La LTEO avait été adaptée à cette modification. Ainsi, l’assujettissement à la TEO commençait désormais au plus tôt l’année au cours de laquelle l’homme atteignait l’âge de 19 ans et s’éteignait au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle il atteint l’âge de 37 ans. Les conditions d’astreinte au paiement de la TEO n’avaient pas changé, mais uniquement la répartition dans le temps de l’assujettissement. Avec la révision, celui-ci était devenu flexible, dès lors qu’il n’avait plus forcément lieu, comme auparavant, pour tous les hommes l’année de leurs 20 ans.

Le fait de ne plus pouvoir, à l’âge de 30 ans, accomplir onze ans de service militaire ne permettait pas de retenir l’absence d’assujettissement à la TEO. En effet, l’âge était l’un des critères d’assujettissement, mais pas un critère d’accomplissement. L’inverse créerait une inégalité de traitement entre les citoyens suisses, avantageant ceux ayant été naturalisés après l’âge de 25 ans.

Contrairement à ce qu’affirmait le recourant, une demande de recrutement après l’âge de 25 ans restait possible, bien que son acceptation, dépendant des besoins de l’armée, demeurait exceptionnelle. Cela étant, l’obligation de servir ne créait pas un droit au service militaire. L’intéressé devait cependant chercher activement à accomplir un service militaire ou de protection civile, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.

11) Dans sa réplique, le recourant a relevé que l’armée avait indiqué ne pas avoir besoin de volontaires. Une des conditions permettant de déroger à l’âge de recrutement de 25 ans n’était donc pas remplie. Par ailleurs, en 2019, il se trouvait dans sa 30ème année. Il ne pouvait ainsi plus être recruté ni, a fortiori, être déclaré inapte au service militaire. Sans aucune possibilité de recrutement et de servir, il ne pouvait être assujetti à la TEO, dont le fondement se rapportait à l’obligation de servir. Le caractère causal de cette taxe s’opposait à un raisonnement sans lien avec la possibilité effective d’accomplir le service militaire.

Dans les arrêts Ryser et Glor, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH) avait relevé que l’absence de possibilité alternative effective au service militaire pour les personnes souffrant d’un handicap consacrait une inégalité de traitement contraire aux garanties protégées par la CEDH. Contrairement à un citoyen né suisse, le recourant n’avait pas eu la possibilité d’effectuer son recrutement. Cette différence justifiait un traitement différent entre citoyens suisses du même âge. En sus, en tant qu’il n’était pas tenu compte de cette différence, l’application faite de la loi in casu se heurtait aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, tels que définis aux art. 8 Cst., 14 CEDH et art. 26 cum 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclu à New York le 16 décembre 1966 (Pacte ONU II – RS 0.103.2).

Selon le recourant, le préalable nécessaire à la TEO était l’obligation d’accomplir un service miliaire ou de protection civile. En l’absence de la réalisation de cette condition préalable, y compris sous une forme alternative, la taxe causale ne saurait être prélevée. Contrairement à ses concitoyens appelés à accomplir leurs obligations militaires qui pouvaient choisir de s’acquitter de la TEO dès l’âge de 19 ans, soit à un âge où les revenus sont notablement modestes, le recourant n’avait pas eu cette possibilité non plus et se trouvait désavantagé, ses revenus à l’âge de 30 ans étant supérieurs à ceux qu’il réalisait dix ans plus tôt.

Enfin, la décision violait le principe de non-rétroactivité des lois. Le 1er janvier 2019, le recourant avait plus de 30 ans. Il avait accompli, au 31 décembre 2018, l’entier de ses obligations miliaires telles que prévues sous l’ancien droit. Aucune disposition transitoire ne prévoyait d’effet rétroactif de l’extension de l’obligation de servir aux personnes n’y étant plus sujettes à fin 2018. La garantie des droits acquis était, en outre, atteinte.

12) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était garée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. art. 31 al. 1 LTEO).

La décision querellée ne portant que sur l’année d’assujettissement 2019, il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’année 2020, qui ne fait pas l’objet du litige.

2) Le recourant fait valoir son non-assujettissement en 2019, invoquant qu'il avait atteint la limite d'âge de l'obligation de servir courant 2018 et ne pouvait pas, pour des motifs légaux, se conformer à une telle obligation en 2019.

a. Tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire (art. 59 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst.  R 101 ; art. 2 al. 1 LAAM). L'obligation générale du service militaire pour les hommes concrétise le principe de l'armée de milice. Elle trouve son fondement dans la considération politique selon laquelle le fardeau du service militaire doit être réparti si possible d'égale façon, de manière à ce que l'intérêt général pour la chose militaire soit ancré dans le sentiment populaire. Elle n'est pas absolue et sans restriction, mais relative. Il appartient à la législation et à la jurisprudence de définir plus précisément la notion d'obligation de servir. La loi peut en outre prévoir des exceptions, qui doivent toutefois respecter le principe de l'égalité devant la loi (Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale [ci-après : Message 1996], FF 1997 I 1ss, p. 242-243).

b. La révision de la LAAM, entrée en vigueur le 1er janvier 2018, a prévu que l'obligation de servir dans l'armée s'éteint pour les militaires de la troupe et les sous-officiers à la fin de la douzième année après l'achèvement de l'école de recrues (art. 13 al. 1 let. a LAAM). Les personnes astreintes au service militaire accomplissent l'école de recrues au plus tôt au début de l'année au cours de laquelle elles atteignent l'âge de 19 ans et au plus tard pendant l'année au cours de laquelle elles atteignent l'âge de 25 ans. Le moment est déterminé par les besoins de l'armée. Les souhaits des conscrits sont pris en compte dans la mesure du possible (art. 49 al. 1 LAAM). Les conscrits qui n'ont pas accompli l'école de recrues à la fin de l'année au cours de laquelle ils atteignent l'âge de 25 ans sont libérés de l'obligation d'accomplir le service militaire (al. 2). Les personnes astreintes au service militaire accomplissent des cours de répétition chaque année (art. 51 al. 1 1ère phr. LAAM).

Selon l’art. 49 aLAAM en vigueur jusqu’au 31 décembre 2017, les personnes astreintes au service militaire accomplissaient l’école de recrues en règle générale pendant l’année au cours de laquelle elles atteignaient 20 ans (al. 1). Les conscrits, qui n’avaient pas accompli l’école de recrues à la fin de l’année au cours de laquelle ils avaient atteint l’âge de 26 ans, n’étaient plus astreints au service militaire (al. 2). Le Conseil fédéral pouvait prévoir l’accomplissement ultérieur de l’école de recrues. Les intéressés devaient avoir donné leur accord (al. 3).

Selon l’art. 7 LAAM, non modifié au 1er janvier 2018, intitulé « conscription » et figurant sous le chapitre « définition des obligations militaires », les personnes astreintes au service militaire sont enrôlées au début de l’année au cours de laquelle elles atteignent l’âge de 18 ans (al. 1). Elles s’annoncent aux autorités militaires compétentes pour être inscrites aux rôles militaires et fournir les données visées à l’art. 27. L’obligation de s’annoncer s’éteint à la fin de l’année au cours de laquelle elles atteignent l’âge de 29 ans (al. 2). L’art. 27 al. 1 LAAM, également non modifié au 1er janvier 2018, impose l’obligation aux conscrits et personnes astreintes au service militaire de communiquer spontanément au commandant d’arrondissement de leur canton de domicile certaines données personnelles les concernant.

Selon l’art. 9 LAAM, modifié le 1er janvier 2018, les conscrits passent le recrutement au plus tôt au début de leur 19ème année et au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle ils atteignent l’âge de 24 ans. Le Conseil fédéral peut prévoir un recrutement ultérieur si les services d’instruction obligatoires (art. 42) peuvent encore être accomplis dans les limites d’âge visées à l’art. 13. Le recrutement ultérieur est soumis au consentement des personnes concernée (art. 9 al. 3 LAAM).

À leur demande, le « cdmt Instr » peut prévoir un recrutement ultérieur pour les Suissesses et les Suisses qui n’ont pas été convoqués au recrutement jusqu’à la fin de l’année au cours de laquelle ils ont atteint l’âge de 24 ans ou qui n’ont pas fait l’objet d’une décision définitive quant à leur aptitude dans ce délai, pour autant que les conditions de l’art. 9 al. 3 LAAM soient remplies et que le besoin de l’armée soit avéré. La demande ne peut être déposée qu’une seule fois (art. 12 al. 2 ordonnance sur les obligations militaires du 22 novembre 2017 - OMi - RS 512.21, entrée en vigueur le 1er janvier 2019).

Les limites d’âge prévues à l’art. 13 LAAM sont fonction du grade militaire. Pour les militaires de la troupe et les sous-officiers, cette limite est fixée à la fin de la douzième année après l’achèvement de l’école de recrues (al. 1 let. a). Jusqu’au 31 décembre 2017, cette obligation s’éteignait à l’âge de 30 ans (art. 13 al. 1 let. a aLAAM). Pour les soldats, les appointés, les caporaux, les sergents et les sergents-chefs n’accomplissant pas de service long, les obligations militaires durent jusqu’à la fin de la dixième année civile suivant leur promotion au grade de soldat (art. 19 al. 1 OMi, inchangé en 2018).

c. Les personnes astreintes au service militaire qui ne peuvent concilier ce service avec leur conscience accomplissent sur demande un service civil de remplacement (service civil) d’une durée supérieure au sens de la présente loi (art. 1 de la loi fédérale sur le service civil du 6 octobre 1995 - LSC - RS 824.0). L’astreinte au service civil commence dès que la décision d’admission au service civil entre en force. L’obligation de servir dans l’armée s’éteint simultanément (art. 10 al. 1 LSC). L’astreinte au service civil prend fin dès l’instant où la personne astreinte est libérée ou exclue du service civil (art. 11 al. 1 LSC). La libération du service civil a lieu pour les personnes qui n’étaient pas incorporées dans l’armée, douze ans après le début de l’année suivant l’entrée en force de la décision d’admission (art. 11 al. 2 let. a LSC). Tout homme astreint au service civil qui ne remplit pas, ou ne remplit qu’en partie, ses obligations sous forme de service personnel, doit fournir une compensation pécuniaire (art. 15 al. 1 LSC).

d. Celui qui n'accomplit pas son service militaire ou son service de remplacement doit s'acquitter d'une taxe (art. 59 al. 3 Cst.). Ce principe est rappelé à l'art. 1 LTEO, selon lequel les citoyens suisses qui n'accomplissent pas ou n'accomplissent qu'en partie leurs obligations de servir sous forme de service personnel (service militaire ou service civil) doivent fournir une compensation pécuniaire.

Le service militaire comprend les services prévus par la législation militaire (art. 7 al. 1 LTEO). En font partie les services d'instruction, qui comprennent notamment l'école de recrues (art. 12 let. a, 41 al. 1 et 49 LAAM). Le service civil comprend les jours de service pris en compte conformément à la LSC (art. 7 al. 1bis LTEO). Le service militaire est réputé non effectué lorsque l'homme astreint au service militaire n'a pas accompli un service entier au cours de l'une des années qui suivent celle au cours de laquelle il a effectué l'école de recrues (art. 8 al. 1 LTEO). Le service civil est, quant à lui, réputé non effectué lorsque l'homme astreint n'a pas accompli au moins vingt-six jours de service imputables au cours de l'une des années qui suivent celle au cours de laquelle la décision d'admission est entrée en force (art. 8 al. 2 LTEO). Par ailleurs, si les conditions de l'assujettissement à la taxe sont remplies au cours de l'année d'assujettissement, ce dernier subsiste pour l'année entière (art. 9 LTEO).

La taxe prévue à l'art. 59 al. 3 Cst. est le corollaire du non-accomplissement de l'obligation de servir personnelle. Elle présuppose une obligation de servir. C'est le service militaire ou civil non accompli qui provoque l'obligation de verser la taxe d'exemption. Les citoyens suisses qui n'accomplissent pas ou qui n'accomplissent que partiellement leur service personnel doivent acquitter une taxe d'exemption, réserve faite des exceptions admises par la loi (Message 1996, FF 1997 I 1ss, p. 242-243). Celle-ci est calculée sur les bases de l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD), étant entendu, d'une part, que le revenu imposable de l'assujetti à la taxe est déterminant, d'autre part, que l'année de taxation est celle qui suit l'année d'assujettissement, ce qui implique que la taxe est perçue en fonction du service militaire ou civil effectué l'année précédente (Message 2017, FF 2017 5837, p. 5840).

L'objectif poursuivi par la taxe n'est pas de sanctionner un comportement, mais d'astreindre celui qui n'accomplit pas ses obligations militaires à une contribution publique de remplacement (ATF 121 II 166 consid. 4 ; ATA/640/2020 du 30 juin 2020 ; ATA/741/2016 du 30 août 2016). La taxe militaire a pour but d'éviter, parmi les personnes soumises aux obligations militaires, les inégalités criantes entre celles qui effectuent un service et celles qui n'en font pas. Elle constitue à ce titre une contribution de remplacement. Le militaire qui est dispensé d'un service en tire normalement un avantage par rapport aux autres astreints de sa classe d'âge. La perception d'une taxe doit compenser cet avantage, sous la forme d'une prestation financière (ATA/766/2005 du 15 novembre 2005). Le rapport entre le service militaire et l'obligation de s'acquitter d'une taxe d'exemption de celui-ci est purement formel. Celui qui est astreint au service militaire doit payer une taxe parce que et aussi longtemps que, pour une raison quelconque, il ne peut accomplir ce service. Le paiement de la taxe n'est toutefois nullement comparable au service militaire et ne peut être raisonnablement tenu pour l'accomplissement, sous une autre forme, de celui-ci. La taxe d'exemption est imposée pour des motifs d'équité et d'égalité devant la loi. Tels sont son sens et son but (ATF 118 IV consid. 3b = JdT 1994 IV 89 ; 115 IV 66 consid. 2b = JdT 1990 IV 70).

e. Sont assujettis à la taxe les hommes astreints au service qui sont domiciliés en Suisse ou à l'étranger et qui, au cours d'une année civile (année d'assujettissement) ne sont, pendant plus de six mois, ni incorporés dans une formation de l'armée ni astreints au service civil (art. 2 al. 1 let. a LTEO) et n'effectuent pas le service militaire ou le service civil qui leur incombent en tant qu'hommes astreints au service (let. c). La LTEO modifiée prévoit, comme jusqu’en 2018, que sont assujettis à la taxe les hommes astreints au service militaire ou au service civil qui sont libérés de l'obligation de servir sans avoir accompli la totalité des jours de service obligatoires (art. 2 al. 1bis LTEO). L'assujettissement à la taxe commence au plus tôt au début de l'année au cours de laquelle l'homme astreint atteint l'âge de 19 ans. Il se termine au plus tard à la fin de l'année au cours de laquelle il atteint l'âge de 37 ans (art. 3 al. 1 LTEO). Il dure onze ans (art. 3 al. 2 LTEO).

Conformément à une tradition ancienne, le citoyen suisse participe aux opérations de recrutement au cours de sa 19ème année et accomplit son école de recrues l'année suivante (Message du Conseil fédéral du 13 septembre 1978 concernant la modification de la LTEO [ci-après : Message 1978], FF 1978 II 933, p. 941). Les hommes astreints au service militaire sont incorporés pendant douze ans au plus dans l'armée, année d'accomplissement de l'école de recrues non comprise, et effectuent leur service entre leur 19ème et leur 37ème année. Les hommes astreints au service civil accomplissent nouvellement leur service entre leur 20ème et leur 37ème année. La durée de l'assujettissement doit ainsi être modifiée de façon qu'elle s'étende de la 19ème à la 37ème année comprise. Durant cette période seront perçues onze taxes d'exemption au plus. Comme la période durant laquelle l'obligation de servir peut être accomplie s'étendra de la 19ème à la 37ème année comprise, il est garanti que les hommes recrutés seulement au cours de la 24ème année par exemple et déclarés inaptes au service acquittent aussi les onze TEO prescrites (Message 2017, FF 2017 5837, p. 5843 à 5845).

L'un des objectifs poursuivis par la modification de la LTEO était d'harmoniser la durée du service militaire et du service civil introduite par les modifications des bases légales du DEVA à celle de l'assujettissement à la TEO. Ces modifications-là auraient une incidence sur la TEO un an après leur entrée en vigueur. La mise en œuvre du DEVA étant prévue à partir du 1er janvier 2018, l'entrée en vigueur de la modification de la LTEO devait ainsi intervenir le 1er janvier 2019. La taxation de la première année d'assujettissement 2018 aurait lieu l'année suivante. Les premières décisions de taxation selon la nouvelle législation seraient rendues au 1er mai 2019 (Message 2017, FF 2017 5837, p. 5840 s. et 5851-52).

Lors de l'examen de la modification de la LTEO au Conseil national, le rapporteur de la majorité de la commission chargée de l'examiner a souligné que celle-ci intervenait principalement en raison de la révision de la LAAM et de la LSC qui était intervenue dans le cadre du DEVA. Or, le DEVA devait entrer en vigueur le 1er janvier 2018 et commencer à concerner la TEO dès le 1er janvier 2019. Il y avait donc lieu de procéder assez rapidement à l'adaptation de la base légale de la TEO. Une conseillère nationale, membre de l'une des minorités à la commission a, à son tour, rappelé qu'avec l'entrée en vigueur des modifications apportées dans le cadre du DEVA, des adaptations de la LTEO étaient nécessaires (Conseil National, session d'hiver 2017, séance du 13 décembre 2017, Bulletin officiel de l'Assemblée fédérale 2017, p. 2108 ss, https://www.parlament.ch/centers/ documents/de/01-NR_5011_1712.pdf). Il n'y a pas de divergences entre les Chambres fédérales sur ce point.

f. La LTEO modifiée est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Avec cette entrée en vigueur, a été abrogé l'al. 2 de l'art. 49 LTEO qui prévoyait que « Le droit ancien continue à régir les taxes dues pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la présente loi et leur remboursement, ainsi que les peines et amendes encourues en raison d'une infraction commise avant cette entrée en vigueur ». Les dispositions transitoires relatives à la modification du 16 mars 2018 prévoient que la TEO finale est perçue pour la première fois auprès des hommes astreints au service qui sont libérés de l'obligation de servir au cours de l'année qui suit celle où entre en vigueur la LTEO modifiée (al. 1). Elles prévoient aussi que sont régies par l'ancien droit les procédures de réclamation ou de recours qui sont pendantes au moment de l'entrée en vigueur de la présente modification (al. 2).

g. Est exonéré de la taxe quiconque, au cours de l'année d'assujettissement, a acquis ou perdu la nationalité suisse (art. 4 al. 1 let. e LTEO). Cette disposition n’a pas été modifiée le 1er janvier 2019. Les hommes qui ont acquis la nationalité suisse au cours de leur 19ème année ou plus tard sont appelés au recrutement ordinaire ou complémentaire l'année de leur naturalisation si possible, mais n'entrent à l'école de recrues que l'année suivante. Le système de recrutement et d'appel ou la date de leur naturalisation fait qu'elles sont empêchées d'accomplir leur école de recrues durant l'année de la naturalisation. Pour ces motifs, il est équitable de renoncer d'une manière générale à la perception de la taxe pour l'année de l'acquisition de la nationalité suisse (Message 1978, FF 1978 II 933, p. 942).

h. Dans l'arrêt Glor c. Suisse du 30 avril 2009, la CourEDH a notamment jugé que, à la lumière du but et des effets de la taxe litigieuse, la différence opérée par les autorités suisses entre les personnes inaptes au service exemptées de ladite taxe et celles qui étaient néanmoins obligées de la verser était discriminatoire et violait l'art. 14 CEDH cum art. 8 CEDH. Le fait que le contribuable avait toujours affirmé être disposé à accomplir son service militaire, mais qu'il avait été déclaré inapte audit service par les autorités militaires compétentes, était essentiel. La discrimination résidait dans le fait que, contrairement à d'autres personnes qui souffraient d'un handicap plus grave, l'intéressé n'avait pas été exempté de la taxe litigieuse - son handicap n'étant pas assez important - et que, alors qu'il avait clairement exprimé sa volonté de servir, aucune possibilité alternative de service ne lui avait été proposée. La CourEDH a souligné l'absence, dans la législation suisse, de formes de service adaptées aux personnes se trouvant dans la situation du requérant (arrêt Glor, par. 96 ; résumé in arrêt du Tribunal fédéral 2C_170/2016 du 23 décembre 2016 consid. 6.1).

i. Dans l’arrêt Ryser, la CourEDH a considéré que la similarité avec la cause Glor et l’absence de différences factuelles ne justifiaient pas de s’écarter du résultat concernant l’arrêt Glor. Elle prenait note des changements apportés à la législation à la suite de l’arrêt Glor, mais observait qu’ils étaient postérieurs aux faits pertinents de l’affaire Ryser et n’étaient, donc, pas applicables à ce dernier (arrêt Ryser précité § 61 et 62).

j. À teneur de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. Aux termes de l'art. 9 Cst., toute personne a le droit d'être traitée par les organes de l'État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi.

3) En l'espèce, il convient de déterminer si le recourant était, en 2019, astreint au service militaire. La TEO étant une taxe causale, de remplacement, elle ne saurait en effet être perçue en 2019, si le recourant n’était alors plus astreint au service militaire ou civil.

Le recourant a été naturalisé en 2017 à l'âge de 29 ans. Il était, selon le droit alors en vigueur, toujours astreint à l’obligation de servir, mais exempté du paiement de la taxe pour l’année 2017, en application de l’art. 4 al. 1 let. e LTEO.

À l’entrée en vigueur de la LAAM révisée, le 1er janvier 2018, il avait encore 29 ans, étant né le 11 janvier 1988. Compte tenu de son âge, il ne pouvait plus satisfaire à ses obligations militaires sous forme de service militaire, ayant dépassé l’âge auquel il pouvait accomplir l’école de recrues (art. 9 al. 1 LAAM).

Cela étant et contrairement à ce qu’il soutient, il demeurait soumis à ses obligations militaires. En effet, celles-ci s’adressent à tout citoyen suisse astreint au service militaire. Avec la modification de la LAAM, la période durant laquelle ces obligations doivent être accomplies a été étendue jusqu’à l’âge de 37 ans. En effet, selon le nouveau droit, l’âge pendant lequel les citoyens suisses sont astreints au service militaire s’étend de la 19ème année à la 37ème année, le recrutement pouvant avoir lieu au plus tôt au début de leur 19ème année et au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle ils atteignent l’âge de 24 ans et prenant fin, au plus tôt, la douzième année après l’achèvement de l’école de recrues (art. 13 al. 1 let. a LAAM). Le fait d’avoir dépassé l’âge auquel un recrutement peut avoir lieu ne délie pas ipso facto les citoyens suisses, suisses de naissance ou naturalisés, de leurs obligations militaires. En 2018, le recourant restait ainsi tenu à des obligations militaires. À défaut d’effectuer un service militaire ou civil, pendant au moins onze ans, l’obligation personnelle de servir est remplacée par la TEO. Le recourant pouvait, au demeurant, demander à pouvoir accomplir le service militaire (art. 9 al. 3 et 13 LAAM). De la même manière, il pouvait solliciter d’accomplir un service civil. Or, il n’a proposé ni l’un ni l’autre.

Cet état de fait était le même en 2019. Les conditions de l’astreinte au service militaire n’ont pas non plus subi de modifications en 2019. La LTEO a, certes, été modifiée, toutefois uniquement afin d’être harmonisée avec les modifications de la LAAM, entrées en vigueur en 2018. N’ayant pas accompli son obligation militaire sous forme de prestation personnelle en 2019, le recourant restait ainsi tenu au paiement de la TEO en 2019.

Il est encore relevé qu’une autre solution introduirait une inégalité de traitement injustifiée entre les citoyens suisses naturalisés, âgés au moment de leur naturalisation entre 24 ans et 36 ans, et les citoyens suisses (ou devenus suisses avant leurs 24 ans) du même âge.

La décision querellée apparaît ainsi conforme au droit, de sorte que le recours sera rejeté.

4) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge du recourant et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 décembre 2020 par Monsieur A______ contre la décision du service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 24 novembre 2020 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 200.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me David Raedler, avocat du recourant, au service de la taxe d'exemption de l'obligation de servir ainsi qu’à l’administration fédérale des contributions.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :