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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/164/2024

ATA/232/2024 du 20.02.2024 sur JTAPI/68/2024 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/164/2024-MC ATA/232/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 février 2024

en section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE recourant

contre

A______ intimé
représenté par Me Roxane SHEYBANI, avocate

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 janvier 2024 (JTAPI/68/2024)


EN FAIT

A. a. Le 12 novembre 2023, A______, né le ______ 2001, ressortissant d’B______, a été arrêté à C______ en raison d'un avis d'arrestation émis par le Ministère public de Genève pour le vol d'un téléphone portable ainsi que de la somme de CHF 60.- et la perception indue de sommes de prestations sociales.

b. Entendu par la police le 13 novembre 2023, le précité a admis la commission de ces infractions et expliqué qu'il marchait dans le quartier des D______ avec deux amis lorsqu'ils étaient passés à côté d'un taxi qui avait la fenêtre ouverte. Il avait profité pour plonger sa main à l'intérieur du véhicule et avait pris le téléphone et la somme d'argent, qu'il avait donnés à l'un de ses amis. À la question de savoir s'il avait des antécédents judiciaires en Suisse ou à l'étranger, ou s'il avait occupé des services de police, il a déclaré qu'il était connu en H______ pour être tombé du deuxième étage après avoir cambriolé un appartement. Il a également admis avoir menti au sujet de son identité lorsqu'il était arrivé en Suisse, car il souffrait de la cheville et avait appris que s'il prétendait être mineur, il serait soigné. Grâce à cela, il avait pu bénéficier d'un plâtre pendant quinze jours. Il était démuni de moyens financiers et de documents d’identité et n'avait aucune famille ou attache en Suisse.

c. Par jugement du 10 janvier 2024 du Tribunal de police (ci-après : TP), l'intéressé a été reconnu coupable de vol (art. 139 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0), d’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale de peu de gravité (art. 148a al. 1 et 2 CP) et d’entrée et de séjour illégal (art. 115 al.1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 ; LEI - RS 142.20), puis libéré et remis en mains des services de police.

d. Le 10 janvier 2024 à 17h30, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

e. Le 16 janvier 2024, A______ a formé opposition contre cette décision.

f. Le 16 janvier 2024, le Ministère public a reconnu l’intéressé coupable d'infraction aux art. 115 al. 1 let. b (séjour illégal) et 119 al. 1 LEI (non respect de l’interdiction territoriale précitée). Lors de son audition à la police, A______ avait indiqué qu’à sa sortie de E______ le 10 janvier 2024, il avait « raté » le train pour F______. Il était ensuite tombé malade et des amis lui avaient proposé de dormir dans un foyer, ce qu'il avait accepté. S'il n'avait pas été arrêté par la police, il serait parti en G______ le 16 janvier 2024.

Il a fait opposition le jour même à cette ordonnance pénale.

g. Lors de l'audience, qui s’est tenue devant le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) le 25 janvier 2024, A______ ne s'est pas présenté. Son conseil a indiqué qu'elle l’avait vu le 16 janvier 2024. Il lui avait dit qu'il quittait la Suisse et n'avait pas l'intention d'y revenir étant donné qu'il n'avait pas de titre de séjour. Cependant, il avait déposé une demande d'asile le 10 septembre 2023 et cette procédure était toujours pendante. Il disposait d'un intérêt actuel à ce que la question de la légalité de la mesure d'éloignement soit examinée. Elle a confirmé que son mandant avait déjà annoncé son appel du jugement rendu par le TP.

Elle a conclu principalement à l'annulation de la décision d'interdiction territoriale et, subsidiairement, à un avertissement.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition.

h. Par jugement du 29 janvier 2024, le TAPI a admis partiellement l’opposition, réduisant la durée de l’interdiction de pénétrer dans le canton à six mois.

A______ avait reconnu avoir volé un téléphone et une somme d'argent, en passant à côté d’une voiture, dont la fenêtre était ouverte. Bien que l'ordonnance pénale l’ayant reconnu coupable de vol, faisait l'objet d'une opposition, il pouvait être soupçonné de la commission de cette infraction. Un tel soupçon était suffisant pour légitimer une mesure d'éloignement au sens de l'art. 74 LEI. Il avait en outre avoué avoir eu affaire à la police en H______ en raison d'un cambriolage, ce qui renforçait le soupçon qui pesait sur lui.

Le fait que ce vol ait été commis sans violence ni mise en danger de la santé d'autrui, ou encore son jeune âge n’étaient pas déterminants au regard de l’art. 74 LEI, mais uniquement dans la procédure pénale. Il en allait de même du non-respect de la décision qui fait l'objet du présent litige.

Toutefois, les troubles contre l'ordre public étaient de très peu de gravité. A______ avait, certes, fait l'objet de deux condamnations en Suisse, mais aucune d'elles n’était entrée en force. L'une se rapportait à des infractions contre la LEI et à des périodes pénales très courtes. Par conséquent, il ne se justifiait pas de prononcer une mesure s'étendant sur une durée de douze mois. Une durée de six mois apparaissait davantage conforme au principe de proportionnalité.

B. a. Par acte expédié le 12 février 2024, le commissaire de police a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation en tant qu’il avait réduit la durée de l’interdiction territoriale.

L’allégation de l’intéressé selon laquelle il était tombé malade et n’avait ainsi pas pu donner suite dans les 24 heures à l’ordre de quitter la Suisse n’était pas étayée. Le maintien de l’ordre et de la sécurité publics permettait, même dans les cas d’infractions de peu de gravité, de prononcer des mesures fondées sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI. Le principe de la proportionnalité contenait une interdiction d’excès, mais aussi d’insuffisance.

L’intimé avait commis un vol, soit un crime. S’agissant du type d’infractions le plus sévèrement réprimées, il ne pouvait s’agir d’un cas de peu de gravité. A______ avait en outre reconnu avoir commis un cambriolage en H______ et été condamné pour les infractions réprimées par les art. 148a CP et 115 al. 1 let. a et b LEI.

b. L’intimé a conclu au rejet du recours.

Le TP avait expressément considéré le peu de gravité des infractions commises. Il avait été libéré le 10 janvier 2024 à 17h30, n’avait pas pu emmener ses béquilles alors qu’il avait un talon fracturé, s’était perdu et avait manqué son train. Il avait été contraint de dormir dehors et avait pris froid. Il avait été interpellé quatre jours plus tard, puis condamné pour séjour illégal pendant cinq jours. La démesure qu’il provoquait auprès de l’autorité était inquiétante ; elle n’était justifiée par aucun intérêt public. Il n’avait jamais été condamné pour trafic de drogue, contrairement aux exemples de jurisprudence cités par le recourant.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 13 février 2024 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Le recourant reproche au TAPI d’avoir violé le principe de la proportionnalité en réduisant la durée de l’interdiction territoriale.

3.1 Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1). Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

Ainsi, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.2 ; 2C_123/2021 précité consid. 3.1 et l'arrêt cité).

Une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présuppose pas une condamnation pénale de l’intéressé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 précité consid. 3.3 ; 2C_123/2021 du 5 mars 2021).

3.2 La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. Il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

3.3 L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

3.4 La chambre administrative a confirmé une interdiction territoriale de douze mois dans le canton de Genève à l’encontre d’une personne sans antécédents, interpellée et condamnée par le Ministère public pour avoir vendu une boulette de cocaïne, l’intéressé n’ayant aucune ressource financière ni aucun intérêt à venir dans le canton (ATA/655/2021 du 23 juin 2021 ; ATA/802/2019 du 17 avril 2019). Elle a aussi confirmé des interdictions territoriales pour une durée de 18 mois prononcées contre un étranger interpellé en flagrant délit de vente de deux boulettes de cocaïne et auparavant condamné deux fois et arrêté une fois pour trafic de stupéfiants (ATA/2577/2022 du 15 septembre 2022) ou un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et la LStup (ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

3.5 En l’espèce, l’intimé a reconnu avoir volé un téléphone portable usagé ainsi qu’une somme d’argent de CHF 60.-. Il n’a pas de titre de séjour et était dépourvu de pièces d’identité. Il est sans ressources et n’a pas d’attaches à Genève. Dans ces circonstances, les conditions permettant le prononcé d’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève sont remplies, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté.

S’agissant de la durée de cette mesure, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Les deux condamnations dont l’intimé a fait l’objet en Suisse concernent l’une un vol, l’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale et l’entrée et le séjour illégal et l’autre le séjour illégal et la violation, pendant cinq jours, de l’interdiction de pénétrer présentement querellée. Si, certes, la commission d’un vol entre dans la catégorie des crimes, soit du type d’infractions les plus sévèrement réprimées, il s’agit de la seule infraction de ce type reprochée à l’intimé. En outre, elle porte sur une somme d’argent faible et un téléphone portable usagé. L’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale a été qualifiée par le TP de peu de gravité. La seconde infraction porte sur des infractions à la LEI ; la période pénale est de cinq jours. L’intimé n’a pas d’autres antécédents en Suisse. Le fait qu’il ait eu affaire à la police en H______ en lien avec un cambriolage ne peut être retenu à son encontre en l’absence d’indications plus précises et de condamnations à cet égard.

Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la réduction de la durée de la mesure d’éloignement à six mois respecte tant la loi que le principe de la proportionnalité. Cette réduction permet de tenir dûment compte des particularités du cas d’espèce. Contrairement aux exemples que cite le recourant, l’intimé n’a pas participé à un trafic de drogues ni acquis des stupéfiants pour sa propre consommation, soit des infractions susceptibles de porter une atteinte importante à la sécurité et l’ordre publics.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             La procédure étant gratuite, aucun émolument de procédure ne sera prélevé. Vu son issue, une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée à l’intimé, à la charge du commissaire de police.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 février 2024 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 janvier 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge du commissaire de police ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Roxane SHEYBANI, avocate de l'intimé, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Blaise PAGAN, Francine PAYOT ZEN‑RUFFINEN, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

B. SPECKER

 

 

la présidente siégeant :

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :