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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/149/2024

ATA/231/2024 du 20.02.2024 sur JTAPI/78/2024 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/149/2024-MC ATA/231/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 février 2024

en section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE recourant

contre

A______ intimé
représenté par Me Sacha CAMPORINI, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 janvier 2024 (JTAPI/78/2024)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1986, originaire de B______, démuni de tout document d'identité, a été condamné les 12 juillet et 25 octobre 2023 par le Ministère public du canton de Genève pour entrée illégale, séjour illégal et consommation de stupéfiants.

b. Le 12 janvier 2024, il a été arrêté à la suite du vol de parfums (pour un montant de CHF 428.70), commis au préjudice du magasin C______, sis rue D______, à E______. Il a reconnu les faits reprochés et ajouté consommer différentes drogues, notamment de l'héroïne. Il n'avait ni lieu de résidence fixe en Suisse, ni lien particulier avec ce pays, ni source légale de revenu. Il a été prévenu de vol (art. 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) ainsi que d'infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) et à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

c. Le 13 janvier 2024, il a été condamné par le Ministère public pour vol (art. 139 ch. 1 CP), infractions à l'art. 115 al. 1 let. b LEI et contravention à la LStup.

d. Le même jour, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de A______ une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois, mesure à laquelle celui-ci s’est opposé.

e. Lors de l'audience, qui s’est tenue le 25 janvier 2024 devant le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), A______ a produit un courrier du service d'addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) lui proposant un rendez-vous le 12 décembre 2023, une ordonnance médicale établie le 8 janvier 2024 et deux cartes de rendez-vous pour une consultation à l'unité d'urgences psychiatriques des HUG les 24 et 31 janvier 2024. Il était toxicodépendant et suivait un traitement en vue de son sevrage. Son médecin lui avait recommandé de rester jusqu'à la fin de son traitement. Il consommait de l'héroïne, de la cocaïne, des médicaments, du haschich et de l'alcool. Il avait commencé le sevrage deux mois auparavant. Il habitait depuis quatre jours au « F______ » de l'G______. Il était arrivé à Genève neuf mois auparavant et avait logé dans un foyer. Précédemment, il avait vécu à H______ durant environ sept mois, sans autorisation de séjour. Il avait quitté la B______ en 2010 et vécu « un peu partout en Europe », en I______, en J______, en K______ et en L______. Il avait déposé une demande d'asile en K______, laquelle avait été refusée. Il était venu à Genève car il voulait changer de vie et notamment arrêter la drogue. Il n’avait aucun lien à Genève. Il avait des rendez-vous médicaux une fois par semaine et avait constaté des effets positifs grâce au traitement qu’il suivait. Les services sociaux lui avaient indiqué qu'ils allaient l'aider pour régulariser son séjour en Suisse.

La représentante du commissaire de police a produit un extrait Eurodac, lequel révélait que l’intéressé avait déposé trois demandes d'asile, en K______, en M______ et en N______. Elle a conclu au rejet de l'opposition.

A______ a conclu à l'annulation de la mesure prononcée, subsidiairement à la réduction de son étendue géographique au centre-ville de E______ et de sa durée à six mois.

f. Par jugement du 30 janvier 2024, le TAPI a partiellement admis l’opposition et réduit l’interdiction territoriale à six mois.

A______ était dépourvu de titre de séjour. Il avait été condamné notamment pour vol, soit un crime au sens de l’art. 10 al. 2 CP. Il pouvait ainsi être perçu comme une menace pour l'ordre et la sécurité publics.

L’intéressé invoquait son traitement auprès des HUG pour soigner sa toxico‑dépendance. Le périmètre d'interdiction, étendu à l'ensemble du canton de Genève, prenait en considération le fait que l'intéressé était susceptible de reproduire ses agissements coupables dans tout le canton. N’ayant aucun titre de séjour, il ne pouvait se prévaloir d'un droit à accéder à un lieu où se nourrir, respectivement se loger. Rien n'indiquait qu'il ne pourrait être traité ailleurs qu'aux HUG. Il pouvait, le cas échéant, requérir auprès de la police un sauf-conduit pour se rendre à ses rendez‑vous médicaux.

Le TAPI considérait, en revanche, que les troubles à l'ordre public présentés par l’intéressé étaient de très peu de gravité. Le vol portait sur un faible montant et les deux condamnations antérieures visaient des infractions contre la LEI et l'une d'elles également contre la LStup. Par conséquent, il ne se justifiait pas de prononcer une mesure d’une durée de douze mois. Une durée de six mois apparaissait davantage conforme au principe de la proportionnalité.

g. Le jugement a été communiqué par courrier interne au commissaire de police. Selon le tampon humide figurant sur le courrier du 30 janvier 2024 du TAPI communiquant le jugement, ce dernier a été reçu le 2 février 2024 par le commissaire de police.

B. a. Par acte expédié le 12 février 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), le commissaire de police a recouru contre ce jugement, dont il a demandé l’annulation en tant qu’il réduisait l’interdiction territoriale à six mois.

A______ avait été reconnu coupable de vol, soit une infraction constitutive d’un crime. Il ne s’agissait pas d’un trouble à l’ordre public « de très peu de gravité ». En sus, il avait déjà été condamné par deux fois pour contravention à la LStup. Il représentait une menace pour l’ordre et la sécurité publics, qui justifiait son éloignement du territoire genevois pendant douze mois.

b. L’intimé a conclu à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.

Le jugement avait été communiqué au commissaire de police le 30 janvier 2024 par courrier interne. Il l’avait donc reçu à cette date, de sorte que le recours était tardif.

Si ses agissements (vol, consommation de stupéfiants) étaient répréhensibles, leur gravité devait être relativisée. Quand bien même la valeur du parfum volé (CHF 400.-) était supérieure celle de CHF 300.- permettant de qualifier un vol de peu de gravité au sens de l’art. 172ter CP, elle restait peu élevée. Les infractions commises s’inscrivaient dans un contexte de dépendance pour laquelle il était traité. La réduction de la durée de l’interdiction territoriale respectait ainsi le principe de la proportionnalité.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

Le commissaire de police ayant reçu le jugement attaqué le 2 février 2024, comme cela ressort du tampon de réception apposé sur le courrier du TAPI communiquant le jugement, le recours expédié le 12 février 2024 a été formé dans le délai légal de dix jours. Il est donc recevable.

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 13 février 2024 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Le recourant reproche au TAPI d’avoir violé le principe de la proportionnalité en réduisant la durée de l’interdiction territoriale.

3.1 Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

Ainsi, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.2 ; 2C_123/2021 précité consid. 3.1 et l'arrêt cité).

Une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présuppose pas une condamnation pénale de l’intéressé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 précité consid. 3.3 ; 2C_123/2021 du 5 mars 2021).

3.2 La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. Il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

3.3 L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

3.4 La chambre administrative a confirmé une interdiction territoriale de douze mois dans le canton de Genève à l’encontre d’une personne sans antécédents, interpellée et condamnée par le Ministère public pour avoir vendu une boulette de cocaïne, l’intéressé n’ayant aucune ressource financière ni aucun intérêt à venir dans le canton (ATA/655/2021 du 23 juin 2021 ; ATA/802/2019 du 17 avril 2019). Elle a aussi confirmé des interdictions territoriales pour une durée de 18 mois prononcées contre un étranger interpellé en flagrant délit de vente de deux boulettes de cocaïne et auparavant condamné deux fois et arrêté une fois pour trafic de stupéfiants (ATA/2577/2022 du 15 septembre 2022) ou un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et la LStup (ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

3.5 En l’espèce, il n’est pas contesté que les conditions permettant le prononcé d’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève sont remplies.

Seule est litigieuse la durée de cette mesure. À cet égard, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.

L’intimé a été condamné pour entrée et séjour illégal et consommation de stupéfiants, deux fois en 2023, et pour vol simple, séjour illégal et contravention à la LStup au mois de janvier 2024. Ses condamnations pour contravention à la LStup sont à mettre en lien, comme il le reconnaît d’ailleurs, avec sa toxicomanie. Or, sa poly-toxicomanie, notamment sa dépendance à l'héroïne, la cocaïne, au haschich et aux médicaments, rendent le risque d’atteinte à l’ordre et la sécurité publics particulièrement élevé. En effet, cette dépendance, malgré le fait que l’intimé suive un traitement de celle-ci, fonde le soupçon qu’il continue à fréquenter le milieu de la drogue, notamment de la drogue dure, et à contribuer, par sa consommation, au trafic de stupéfiants. Comme exposé ci-avant, l’art. 74 al. 1 let. a LEI vise précisément à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. L’intimé entre ainsi dans la situation justifiant le prononcé d’une interdiction territoriale expressément ciblée par le législateur.

Par ailleurs, l’intimé est dépourvu de titre de séjour et n’a pas quitté la Suisse malgré deux condamnations en 2023 pour entrée et séjour illégal. Il est, en outre, dépourvu de documents d’identité. Il n’a pas de ressources, n’a pas de lieu de résidence ni d’attaches à Genève.

Au vu de l’ensemble de ces circonstances, le commissaire n’a pas abusé du large pouvoir d’appréciation qui est le sien en considérant qu’une durée de douze mois était nécessaire pour préserver la sécurité et la santé publiques, apte à atteindre ledit but et proportionnée au sens étroit. Cette mesure est de surcroît de nature à inciter l’intimé, qui est dépourvu de titre de séjour, à se conformer à son obligation de quitter la Suisse.

Le recours sera admis.

4.             La procédure est gratuite. Vu son issue, il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 février 2024 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 janvier 2024 ;

au fond :

l’admet et annule le jugement précité ;

confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève prise par le commissaire de police le 13 janvier 2024 à l’encontre de A______ pour une durée de douze mois ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Sacha CAMPORINI, avocat de l'intimé, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Blaise PAGAN, Francine PAYOT ZEN‑RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

 

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :